*« Qu'il ne tombât aux mains des indévots. « Voici, grand roi, ce bénin sycophante, A tête longue, et de côté pendante; Du nombre trois parfois il se tourmente. A son air humble, au maintien qu'il a pris, Du bon Tartuffe on le croirait le fils'. Sur tous ses tours son petit pays glose,
Du doigt index on le montre aux passants;
On fait de lui des contes si plaisants!
Je crois, pour moi, qu'il en est quelque chose.
Mais, o mon roi! votre bénignité
Est au-dessus de la malignité.
*Pour le dernier... »
Il est probablement ici question de Vernet le trinitaire. Voyez la satire intitulée Éloge de l'hypocrisie (1766); la Lettre curieuse de Robert Covelle (1765), etc. (K.)
1. Il faut que ce soit quelque maître Gonin de ce temps-là, qui ait été très-irrévérend envers
le Trisagion. (Note de Voltaire, 1764.)
Mort du brave et tendre La Trimouille et de la charmante Dorothée. Le dur Tirconel se fait chartreux.
Sœur de la Mort, impitoyable Guerre, Droit des brigands que nous nommons héros, Monstre sanglant, né des flancs d'Atropos, Que tes forfaits ont dépeuplé la terre! Tu la couvris et de sang et de pleurs. Mais quand l'Amour joint encor ses malheurs A ceux de Mars; lorsque la main chérie D'un tendre amant de faveurs enivré Répand un sang par lui-même adoré, Et qu'il voudrait racheter de sa vie; Lorsqu'il enfonce un poignard égaré Au même sein que ses lèvres brûlantes Ont marqueté d'empreintes si touchantes; Qu'il voit fermer à la clarté du jour Ces yeux aimés qui respiraient l'amour : D'un tel objet les peintures terribles.
Font plus d'effet sur les cœurs nés sensibles, Que cent guerriers qui terminent leur sort, Payés d'un roi pour courir à la mort.
Charle, entouré de la troupe royale,
Avait repris cette raison fatale,
Présent maudit dont on fait tant de cas, Et s'en servait pour chercher les combats. Ils cheminaient vers les murs de la ville1,
1. Il existe de ce passage une variante que voici : Il cheminait vers les murs de la ville, Vers ce château, son noble et sûr asile, Où se gardaient les arsenaux de Mars. (R.)
Vers ce château, son noble et sûr asile, Où se gardaient ces magasins de Mars, Ce long amas de lances et de dards, Et les canons que l'enfer en sa rage Avait fondus pour notre affreux usage. Déjà des tours le faîte paraissait;
La troupe en hâte au grand trot avançait, Pleine d'espoir ainsi que de courage : Mais La Trimouille, honneur des Poitevins Et des amants, allant près de sa dame Au petit pas, et parlant de sa flamme, Manqua sa route et prit d'autres chemins. Dans un vallon qu'arrose une onde pure, Au fond d'un bois de cyprès toujours verts, Qu'en pyramide a formés la nature, Et dont le faîte a bravé cent hivers, Il est un antre où souvent les Naïades Et les Sylvains viennent prendre le frais. Un clair ruisseau, par des conduits secrets, Y tombe en nappe, et forme vingt cascades. Un tapis vert est tendu tout auprès; Le serpolet, la mélisse naissante,
Le blanc jasmin, la jonquille odorante, Y semblent dire aux bergers d'alentour: « Reposez-vous sur ce lit de l'Amour. » Le Poitevin entendit ce langage Du fond du cœur. L'haleine des zéphyrs, Le lieu, le temps, sa tendresse, son âge, Surtout sa dame, allument ses désirs. Les deux amants de cheval descendirent, Sur le gazon côte à côte se mirent,
Et puis des fleurs, puis des baisers cueillirent: Mars et Vénus, planant du haut des cieux, N'ont jamais vu d'objets plus dignes d'eux; Du fond des bois les Nymphes applaudirent; Et les moineaux, les pigeons de ces lieux, Prirent exemple, et s'en aimèrent mieux. Dans le bois même était une chapelle, Séjour funèbre à la mort consacré, Où l'avant-veille on avait enterré De Jean Chandos la dépouille mortelle. Deux desservants, vêtus d'un blanc surplis,
Y dépêchaient de longs De profundis. Paul Tirconel assistait au service, Non qu'il goûtât ce dévot exercice, Mais au défunt il était attaché.
Du preux Chandos il était frère d'armes, Fier comme lui, comme lui débauché, Ne connaissant ni l'amour ni les larmes. Il conservait un reste d'amitié
Pour Jean Chandos : et dans sa violence Il jurait Dieu qu'il en prendrait vengeance, Plus par colère encor que par pitié.
Il aperçut du coin d'une fenêtre Les deux chevaux qui s'amusaient à paître; Il va vers eux: ils tournent en ruant Vers la fontaine, où l'un et l'autre amant A ses transports en secret s'abandonne, Occupés d'eux, et ne voyant personne. Paul Tirconel, dont l'esprit inhumain Ne souffrait pas les plaisirs du prochain, Grinça des dents, et s'écria: «Profanes, C'est donc ainsi, dans votre indigne ardeur, Que d'un héros vous insultez les mânes! Rebut honteux d'une cour sans pudeur, Vils ennemis, quand un Anglais succombe Vous célébrez ce rare événement ; Vous l'outragez au sein du monument, Et vous venez vous baiser sur sa tombe! Parle, est-ce toi, discourtois chevalier, Fait pour la cour et né pour la mollesse, Dont la main faible aurait, par quelque adresse, Donné la mort à ce puissant guerrier? Quoi! sans parler tu lorgnes ta maîtresse! Tu sens ta honte, et ton cœur se confond. >> A ce discours La Trimouille répond :
« Ce n'est point moi ; je n'ai point cette gloire. Dieu, qui conduit la valeur des héros, Comme il lui plaît accorde la victoire. Avec honneur je combattis Chandos; Mais une main qui fut plus fortunée Aux champs de Mars trancha sa destinée; Et je pourrai peut-être dès ce jour Punir aussi quelque Anglais à mon tour. »
Comme un vent frais d'abord par son murmure
Frise en sifflant la surface des eaux,
S'élève, gronde, et, brisant les vaisseaux,
Répand l'horreur sur toute la nature : Tels La Trimouille et le dur Tirconel Se préparaient au terrible duel
Par ces propos pleins d'ire et de menace.
Ils sont tous deux sans casque et sans cuirasse. Le Poitevin sur les fleurs du gazon
Avait jeté près de sa Milanaise
Cuirasse, lance, et sabre, et morion,
Tout son harnois, pour être plus à l'aise; Car de quoi sert un grand sabre en amours? Paul Tirconel marchait armé toujours; Mais il laissa dans la chapelle ardente. Son casque d'or, sa cuirasse brillante,
Ses beaux brassards aux mains d'un écuyer. Il ne garda qu'un large baudrier Qui soutenait sa 'lame étincelante. Il la tira. La Trimouille à l'instant, Prêt à punir ce brutal insulaire, D'un saut léger à son arme sautant, La ramassa tout bouillant de colère, Et s'écriant: « Monstre cruel, attends,
Et tu verras bientôt ce que mérite
Un scélérat qui, faisant l'hypocrite,
S'en vient troubler un rendez-vous d'amants. >>
Il dit, et pousse à l'Anglais formidable.
Tels en Phrygie Hector et Ménélas
Se menaçaient, se portaient le trépas, Aux yeux d'Hélène affligée et coupable. L'antre, le bois, l'air, le ciel retentit
1. Vous savez, mon cher lecteur, qu'Hector et Ménélas se battirent, et qu'Hélène les regardait faire tranquillement. Dorothée a bien plus de vertu : aussi notre nation est bien plus vertueuse que celle des Grecs. Nos femmes sont galantes, mais au fond elles sont beaucoup plus tendres, comme je le prouve dans ma Philosophe chrétien, tome XII, page 169. (Note de Voltaire, 1762.) - On ne connait de l'auteur de la Pucelle aucun écrit portant le titre de Philosophe chretien, Il est présumable qu'il y a ici de sa part, comme dans quelques autres endroits, un peu d'ironie. Il serait possible qu'il eut voulu ridiculiser l'exactitude niaise avec laquelle Formey, le secrétaire éternel, citait les tomes et les pages de ses écri's, que personne ne lisait. On a de lui, en effet, le Philosophe chretien, 1750-56, quatre volumes in-12 C'est un recueil de sermons. (R.)
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