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A Conculix, le lendemain matin,
Étant pourvu du sexe féminin 1,
Paul écrivit une lettre fort tendre,
Qu'au chancelier la geòlière alla rendre.
Paul y joignit un petit madrigal,

D'un goût tout neuf et fort original. (K.)

On lit dans un manuscrit :

Ainsi parlait cet âne avec prudence,

En appuyant sa nerveuse éloquence

D'un geste heureux que n'eut point Cicéron,
Et que n'a point tout faiseur de sermon.
Son beau récit, cette histoire admirable,
Cet air naif dont il la débitait,

Et, plus que tout, ce geste inimitable,
Firent sur Jeanne un prompt et sûr effet

Que Dunois nu n'avait pas encor fait.

Son cœur s'émut; tous ses sens se troublèrent.

La suite comme aux variantes du vingt et unième chant.

1. Variante:

Étant pourvu du sexe masculin.

Cette leçon, que fournit un manuscrit, a l'avantage de ne pas être en contradiction avec le vers 279 du chant IV, où l'on voit que le fils d'Alix n'était femme que de nuit. (R.)

CHANT VINGT ET UNIÈME.

ARGUMENT.

Pudeur de Jeanne démontrée. Malice du diable. Rendez-vous donné par la présidente Louvet au grand Talbot. Services rendus par frère Lourdis. Belle conduite de la discrète Agnès. Repentir de l'âne. Exploits de la Pucelle. Triomphe du grand roi Charles VII.

Mon cher lecteur sait par expérience

Que ce beau dieu qu'on nous peint dans l'enfance,

Et dont les jeux ne sont pas jeux d'enfants,

A deux carquois tout à fait différents :

L'un a des traits dont la douce piqûre

Se fait sentir sans danger, sans douleur,
Croit par le temps, pénètre au fond du cœur,
Et vous y laisse une vive blessure.

Les autres traits sont un feu dévorant

Dont le coup part et brûle au même instant1.
Dans les cinq sens ils portent le ravage,
Un rouge vif allume le visage,

D'un nouvel être on se croit animé,
D'un nouveau sang le corps est enflammé,
On n'entend rien; le regard étincelle.
L'eau sur le feu bouillonnant à grand bruit,
Qui sur ses bords s'élève, échappe, et fuit,

1. Cette idée des deux carquois de l'Amour, inspirée peut-être par un passage d'Ovido (Metam., lib. 1, v. 468-474) a été exprimée aussi heureusement dans Nanine, acte 1, scène 1. (Voyez tome IV du Théâtre, p. 15.)

Les vers d'Ovide, dans lesquels il n'est point question des deux carquois de l'Amour, mais seulement de la différence des traits dont il se sert, ont été ainsi imités par Voltaire. (Dictionnaire philosophique, article FIGURE):

Fatal Amour, tes traits sont différents;

Les uns sont d'or, ils sont doux et perçants,

Ils font qu'on aime; et d'autres au contraire

Sont d'un vil plomb qui rend froid et sévère.... (R.)

N'est qu'une image imparfaite, infidèle,
De ces désirs dont l'excès vous poursuit.
Profanateurs indignes de mémoire,
Vous qui de Jeanne avez souillé la gloire,
Vils écrivains, qui, du mensonge épris,
Falsifiez les plus sages écrits,

Vous prétendez que ma Pucelle Jeanne
Pour son grison sentit ce feu profane;
Vous imprimez qu'elle a mal combattu1;
Vous insultez son sexe et sa vertu.
D'écrits honteux compilateurs infâmes,
Sachez qu'on doit plus de respect aux dames.
Ne dites point que Jeanne a succombé :
Dans cette erreur nul savant n'est tombé,
Nul n'avança des faussetés pareilles.
Vous confondez et les faits et les temps,
Vous corrompez les plus rares merveilles ;
Respectez l'âne et ses faits éclatants;
Vous n'avez pas ses fortunés talents,
Et vous avez de plus longues oreilles.
Si la Pucelle, en cette occasion,
Vit d'un regard de satisfaction

Les feux nouveaux qu'inspirait sa personne,
C'est vanité qu'à son sexe on pardonne,
C'est amour-propre, et non pas l'autre amour.
Pour achever de mettre en tout son jour

De Jeanne d'Arc le lustre internissable,
Pour vous prouver qu'aux malices du diable,
Aux fiers transports de cet âne éloquent,
Son noble cœur était inébranlable,
Sachez que Jeanne avait un autre amant.
C'était Dunois, comme aucun ne l'ignore;
C'est le bâtard que son grand cœur adore.
On peut d'un âne écouter les discours,
On peut sentir un vain désir de plaire;

1. L'auteur du Testament du cardinal Albéroni, et de quelques autres livres pareils, s'avisa de faire imprimer la Pucelle avec des vers de sa façon, qui sont rapportés dans notre Préface. Ce malheureux était un capucin défroqué, qui se réfugia à Lausanne et en Hollande, où il fut correcteur d'imprimerie. (Note de Voltaire, 1773.) Voyez la note 1 de la page 20.

Voltaire veut parler de Maubert de Gouvest qui n'a fait que revoir le Testament d'Albéroni, œuvres de Durey de Morsan. (G. A.)

Cette passade, innocente et légère,
Ne trahit point de fidèles amours.

C'est dans l'histoire une chose avérée
Que ce héros, ce sublime Dunois
Était blessé d'une flèche dorée,

Qu'Amour tira de son premier carquois.
Il commanda toujours à sa tendresse ;
Son cœur altier n'admit point de faiblesse ;
Il aimait trop et l'État et le roi;
Leur intérêt fut sa première loi.

O Jeanne! il sait que ton beau pucelage
De la victoire est le précieux gage;
Il respectait Denis et tes appas :
Semblable au chien courageux et fidèle,
Qui, résistant à la faim qui l'appelle,
Tient la perdrix et ne la mange pas.
Mais quand il vit que le baudet céleste.
Avait parlé de sa flamme funeste,
Dunois voulut en parler à son tour.
Il est des temps où le sage s'oublie.
C'était, sans doute, une grande folie
Que d'immoler sa patrie à l'amour.

C'était tout perdre; et Jeanne, encor honteuse
D'avoir d'un âne écouté les propos,

Résistait mal à ceux de son héros.
L'amour pressait son âme vertueuse :
C'en était fait, lorsque son doux patron
Du haut du ciel détacha son rayon,
Ce rayon d'or, sa gloire et sa monture,
Qui transporta sa béate figure,

Quand il chercha, par ses soins vigilants,
Un pucelage aux remparts d'Orléans.

Ce saint rayon, frappant au sein de Jeanne,
En écarta tout sentiment profane.

Elle cria: «Cher bâtard, arrêtez;

Il n'est pas temps, nos amours sont comptés :
Ne gâtons rien à notre destinée.

C'est à vous seul que ma foi s'est donnée;
Je vous promets que vous aurez ma fleur :
Mais attendons que votre bras vengeur,
Votre vertu, sous qui le Breton tremble,
Ait du pays chassé l'usurpateur :

Sur des lauriers nous coucherons ensemble. »
A ce propos le bâtard s'adoucit;
Il écouta l'oracle et se soumit.
Jeanne reçut son pur et doux hommage
Modestement, et lui donna pour gage
Trente baisers chastes, pleins de pudeur,
Et tels qu'un frère en reçoit de sa sœur.
Dans leurs désirs tous deux ils se continrent,
Et de leurs faits honnêtement convinrent.
Denis les voit; Denis, très-satisfait,

De ses projets pressa le grand effet.

Le preux Talbot devait, cette nuit même, Dans Orléans entrer par stratagème; Exploit nouveau pour ses Anglais hautains, Tous gens sensés, mais plus hardis que fins.

O dieu d'amour! o faiblesse! ô puissance! Amour fatal, tu fus près de livrer Aux ennemis ce rempart de la France. Ce que l'Anglais n'osait plus espérer, Ce que Bedfort et son expérience, Ce que Talbot et sa rare vaillance Ne purent faire, Amour, tu l'entrepris! Tu fais nos maux, cher enfant, et tu ris! Si dans le cours de ses vastes conquêtes Il effleura de ses flèches honnêtes Le cœur de Jeanne, il lança d'autres coups Dans les cinq sens de notre présidente. Il la frappa de sa main triomphante Avec les traits qui rendent les gens fous. Vous avez vu la fatale escalade, L'assaut sanglant, l'horrible canonnade, Tous ces combats, tous ces hardis efforts, Au haut des murs, en dedans, en dehors, Lorsque Talbot et ses fières cohortes Avaient brisé les remparts et les portes, Et que sur eux tombaient du haut des toits Le fer, la flamme, et la mort à la fois. L'ardent Talbot avait, d'un pas agile, Sur des mourants pénétré dans la ville, Renversant tout, criant à haute voix : «Anglais entrez bas les armes, bourgeois! >> Il ressemblait au grand dieu de la guerre,

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