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XCV

LA VATICANE

A M. MIDOU.

« On rencontre de temps en temps, sur les rayons d'une bibliothèque, certains volumes dans lesquels tout concourt à exprimer la pensée de l'auteur. Le texte l'énonce, les vignettes et les estampes en sont le commentaire, et la reliure elle-même, par sa couleur, par sa forme, par les figures qui y sont imprimées, s'harmonise avec le sujet de l'ouvrage. Voilà une image de ce grand livre que forment les monuments chrétiens des premiers siècles, dont Rome a conservé le dépôt. Les inscriptions sont le texte de ce livre. La lecture de ces vénérables pages est singulièrement imposante, surtout lorsqu'elles sont réunies en grand nombre, comme elles le sont dans le corridor qui sert d'avenue au Musée du Vatican. On a eu l'heureuse idée d'y placer face à face les débris de deux grandes littératures funèbres. D'un côté, le mur est en quelque sorte formé par les épita

phes de Rome païenne, éclatantes et pompeuses. Le mur de l'autre côté se compose d'épitaphes des premiers chrétiens, brèves comme les soupirs de ces opprimés, et simples comme leur vie 1. »

Ce long vestibule du Vatican est ainsi comme un livre en partie double; à droite, les épitaphes païennes; à gauche, les chrétiennes; d'un côté, le passé qui est mort à jamais; de l'autre, le passé qui revit dans le présent et qui se continuera dans l'avenir. Que de fois je me suis arrêté pour contempler ces monuments des vieux chétiens, comme dit l'inscription moderne, monvmenta vetervm Christianorvm! Ce sont nos ancêtres; nous retrouvons nos parchemins et nos titres de noblesse dans ces inscriptions des pierres sépulcrales enlevées aux catacombes et incrustées dans les murs du Vatican ce sont les manuscrits de pierre de ce poëme immortel qu'on appelle le Christianisme.

Comme ce vieux de la mort, Old mortality, dont parle Walter Scott, je me plais à épeler et à restaurer dans ma pensée ces épitaphes de mes aïeux martyrisés pour leur foi, qui est aussi la mienne. Quoiqu'elles soient bien connues et qu'elles aient été souvent reproduites, j'ai un bonheur filial à copier moi-même ces inscriptions; en voici quelques-unes qui montrent encore comment les premiers chrétiens demandaient aux saints et aux martyrs de prier pour eux. Il est touchant de les entendre s'adresser à un petit enfant de deux ans :

1 Mgr Gerbet ajoute : « Le musée du Collége romain, les portiques, les murs, les chapelles souterraines de plusieurs églises, nous offrent, réunis ou épars, quelques autres feuillets de ce livre monumental. Il a aussi ses estampes et ses vignettes: on peut donner ce nom aux premières œuvres de l'art chrétien dans les catacombes. >>

PETE PRO PARENTES TVOS

MATRONATA MATRONA

QVE VIXIT AN. II D. LII.

« Prie pour tes parents, Matronata Matrona, qui vécut 2 ans

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« Denianus, fidèle, en paix, qui vécut 21 ans 8 mois 16 jours, dans tes prières demande pour nous, car nous te savons dans le Christ. »

OCTAVIE MATRONE

VIDVE DEI.

« A Octavie, matrone, veuve de Dieu. »

PEREGRINA VIXIT

AN. VIIII, M. VIIII. D. V.

« En pèlerinage elle a vécu 9 ans 9 mois 5 jours. »

Au bout de ce grand corridor des inscriptions, dont la collection est due à Pie VII, on trouve à gauche une petite porte avec cette inscription: Bibliotheca Vaticana. On frappe d'abord un coup modeste; on attend, on ne vous ouvre pas. Un gardien qui se promène me dit nonchalamment: Plus fort! Je réitère avec vigueur, pas de réponse. Le gardien repasse, et me répète le mot de l'Évangile : Pulsate et aperietur vobis. Je redouble avec un crescendo formidable, en joignant la voix aux coups. Sésame, ouvre-toi! Enfin un pas lourd s'approche, une main soupçonneuse entre-bâille la porte. C'est un des bibliothécaires qui, ennuyé d'être distrait de ses études, faisait sans doute la sourde oreille. La plupart des vi

siteurs s'impatientent et s'en vont; ma persévérance sembla plaire à ce brave homme qui fut très-gracieux.

Il y avait, vers 1440, au couvent de Saint-Marc à Florence, un pieux et savant Dominicain, nommé Thomas de Sarzane, qui était un ami de Frà Angelico; il fut chargé de compléter et de classer la bibliothèque de Saint-Marc, devenue bientôt la plus riche bibliothèque de l'Italie, grâce à la munificence de Cosme de Médicis. Quand Thomas de Sarzane monta sur le Siége de saint Pierre, sous le nom de Nicolas V, il forma la bibliothèque du Vatican, et appela à Rome Frà Angelico pour peindre sa chapelle. Honneur donc à Nicolas V, pape admirable, dit le non suspect Valéry, digne précurseur de Léon X, et qui, moins vanté, ne fut pas moins que lui secourable aux lettres et aux arts! Il y a des bibliothèques plus riches en volumes, mais aucune n'est comparable à la Vaticane pour la splendeur du local et le choix des ouvrages. Contemplez cette salle, immense comme une basilique, coupée en deux nefs par des pilastres de marbre; ces armoires qui tapissent les murs renferment plus de 120,000 textes imprimés ou manuscrits, tous rares ou précieux. Parmi les merveilles de la Vaticane, il faut voir une bible grecque, en lettres majuscules, écrite sur la version des Septante; une bible en hébreu du duc d'Urbin; les Actes des Apôtres en grec, ornés de lettres d'or; un missel du temps du pape Gelade; un autre avec des miniatures merveilleuses de Clovius, élève de Jules Romain; le grand bréviaire de Mathias Corvin, roi de Hongrie; l'autographe des Rime de Pétrarque; la Divine Comédie, copiée par Boccace pour son ami Pétrarque; l'autographe des trois pre

miers chants de la Jérusalem, que le Tasse composa à Bologne à dix-sept ans, etc.

Cette salle, magnifiquement restaurée par Pie IX, renferme les présents faits aux Papes par les souverains de l'Europe, entr'autres deux candélabres de porcelaine de Sèvres offerts à Pie VII par Napoléon, un autre vase de Sèvres envoyé à Léon XII par Charles X; un vase en malachite, présent du tzar Nicolas à Grégoire XVI, et un Christ aussi en malachite donné par ses fils les grands-ducs de Russie.

Le célèbre cardinal Mezzofanti était conservateur de la Vaticane. Un jour le Pape le présente à un prince étranger, en disant : « Voici la Pentecôte vivante. Non, très-Saint-Père, répondit l'illustre polyglotte, je ne suis qu'un vieux dictionnaire assez mal relié. »

A droite de la grande salle s'allongent de vaste galeries couvertes de fresques qui représentent les règnes de Nicolas V, Sixte-Quint, Pie VI, Pie VII, Papes qui ont fondé et agrandi la Vaticane. Il est fâcheux que ces peintures, dont le sujet est intéressant, soient si médiocres pour la plupart. Voilà le voyage et la mort de Pie VI à Valence; ici c'est l'épopée de Pie VII; le voici à Fontainebleau, ad Fontem bellæ aquæ, comme dit l'inscription.

Faisons un tour dans le Musée Antique; ce qui nous impressionne le plus, c'est de contempler sous verre une chevelure de femme trouvée dans un tombeau païen ; ces cheveux séculaires sont noirs et saupoudrés d'une poussière blanchâtre, comme si la main du dix-huitième siècle leur avait jeté un cœil de poudre à la maréchale; c'est sans doute la poussière des os de cette femme

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