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seules forces, jusqu'à la connoissance de Dieu. C'est là en effet le plus haut point, l'apogée de sa puissance. Mais ailleurs, en cent endroits divers, et particulièrement au chapitre 13° de la 1re Epitre aux Corinthiens, il en montre aussi la foiblesse par ces paroles : « Ce que nous avons de science et de prophétie est très-imparfait... Nous ne voyons maintenant que comme dans un miroir et en des énigmes; mais lorsque viendra ce qui est parfait, tout ce qui est incomplet disparoîtra; alors je verrai face à face ce que je ne connois maintenant que partiellement; alors je connoîtrai comme je suis moi-même connu. »

Suivent ici quelques développements sur le texte célèbre où saint Paul proclame la puissance de la raison en dehors de la foi. Puis M. l'abbé Bautain continue ainsi :

» Ah! Messieurs, quand je vous rappelle ce point de la doctrine de saint Paul, et que je vous en représente toute la force, vous pouvez m'en croire: car moi aussi, j'ai résisté à ce texte, et pendant quelque temps, j'ai fait tout ce j'ai pu pour y échapper. Afin de donner un plus beau champ à la parole de Dieu, j'étois porté à affoiblir la vajeur de la raison humaine; et pour étouffer d'un seul coup le rationalisme, dont j'avois connu tous les égarements, je menaçois la vie mème de la raison, comme ces médecins imprudents, qui risquent de tuer le malade en attaquant trop violemment la maladie. Oui, si j'ai péché alors, j'ai péché par un excès de foi, comme Fénélon, sans me comparer en aucune manière à ce grand homme, qui avoit péché par un excès d'amour. Mais l'Eglise, toujours sage, parce qu'elle est assistée de l'Esprit divin, n'approuve aucun excès, pas même ceux qui semblent lui être profitables. Elle ramène toujours à la modération, qui est la vraie sagesse dans les choses de ce monde; et avec une douceur dont je Jui ai été profondément reconnoissant, elle a redressé une mauvaise tendance, qui pouvoit devenir un égarement. Encore en ce moment, Messieurs, car, en ce monde, toutes choses se renouvellent et reviennent à peu près semblables et comme dit la parole sacrée, « il n'y a rien de nouveau sous le soleil,» - d'autres esprits ardents, avec le même zèle et les mêmes prétextes du bien reproduisent les mêmes exagérations, et Rome encore leur redit avec mansuétude les mêmes paroles de sagesse et de modération. Tant il est vrai qu'une génération n'instruit pas l'autre, et que, comme l'a dit un écrivain célèbre, l'expérience des pères est presque toujours perdue pour les enfants! »

Ces nobles et chrétiennes paroles que tous les auditeurs de M. l'abbé Bautain ont recueillies de sa bouche, le 2 décembre dernier, avec une respectueuse et sympathique émotion, méritent d'ètre transmises à l'histoire. Honneur et salut à ceux qui aiment tellement l'Eglise que ces décisions leur sont plus chères que leurs doctrines et leurs systèmes les plus longtemps caressés et les plus opiniâtrement défendus! L'humilité de leur foi et leur soumission à la vérité leur procureront de saintes joies, et ils seront un exemple et une édification pour les vrais chrétiens. L'obstination dans l'erreur n'est, au contraire, pour Forgueilleux rebelle, que le premier de ses châtiments; et c'est en vain encore qu'il se sera roidi contre une immuable sentence.

En montrant, dans sa seconde partie, que saint Paul a mené la vie

d'un vrai philosophe, M. l'abbé Bautain trace une esquisse rapide de la vie du grand Apôtre; les principaux traits sont accompagnés de commentaires appropriés au but de l'orateur. Nous ne citerons encore que deux passages. Voici d'abord comment notre panégyriste apprécie les défiances que saint Paul converti rencontra chez ceux-là mèmes dont il venoit grossir les rangs :

Je dis, Messieurs, qu'il y a là une profonde humiliation, et qu'il faut une grande force d'âme pour la supporter dignement, non pas seulement une fois, au grand jour de la conversation et de l'acceptation du sacrifice, mais tous les jours qui suivent, jusqu'à ce qu'on ait pris position dans la vérité à laquelle on se dévoue, et au milieu du camp nouveau où l'on vient combattre. Cette épreuve est inévitable en de pareilles circonstances. Elle est nécessaire pour justifier la sincérité du cœur et l'ardeur du zèle. Mais elle n'en est pas moins dure à l'orgueil; et certes, c'est le signe de la plus haute sagesse, et par conséquent, de la vraie philosophie, que de savoir la porter. Il n'y a que l'esprit de Dieu qui puisse ainsi élever l'homme au-dessus de luimême par l'amour de la vérité et par l'abnégation de soi. C'est le caractère de la vertu la plus pure, et partout où je rencontre cette vertu sincère, même dans les choses du monde, quand je trouve cette bonne foi, qui en face de la vérité manifestée, avoue son erreur et s'humilie, je l'honore, je me prosterne devant elle; car c'est Dieu lui-même qui l'éclaire et la conduit. »

Dans un autre endroit, après avoir fait ressortir l'admirable humilité de saint Paul, l'orateur continue ainsi :

"Cependant si Paul sait s'abaisser par le sentiment de l'humilité chrétienne, n'allez pas croire que ce soit aux dépens de sa dignité d'homme. Il est le serviteur de tous, il souffre, supporte tout, comme il l'a enseigné, mais par charité, c'est-à-dire qu'il se fait tout à tous pour les gagner tous à Dieu. Il s'humilie donc pour la gloire de Dieu et le salut du prochain. Mais que Dieu ou le prochain n'aient rien à y gagner, il ne souffrira ni injustice, ni outrages, et il saura maintenir son droit et sa dignité.

« Un jour, c'étoit à Philippes, une émeute éclata contre lui et son compagnon. Le peuple les traine devant les magistrats, qui les font battre de verges et jeter dans un cachot, avec les ceps aux pieds. Vers minnit, Paul et Silas, s'étant mis en prières, chantoient les louanges de Dieu et les prisonniers les entendoient.

«Tout d'un coup il se fit un si grand tremblement de terre, que les fondements de la prison en furent ébranlés. En même temps, toutes les portes s'ouvrent, et les liens des prisonniers sont rompus. Le geolier, s'étant éveillé et voyant toutes les portes ouvertes, tire son epée et vent se tuer, s'imaginant que les prisonniers se sont sauvés. Mais Paul lui crie à haute voix: «Ne vous faites point de mal; car nous sommes tous ici. » Le jour étant venu, les magistrats envoyèrent au geolier l'ordre de laisser aller les prisonniers. Celui-ci vint dire à Paul: « Les magistrats ont mandé qu'on vous mit en liberté : sortez donc maintenant et allez en paix. Mais Paul dit aux envoyés : "Quoi! après nous avoir publiquement battus de verges, sans nous avoir entendus, sans jugement, nous qui sommes citoyers romains,

ils nous ont mis prison, et maintenant ils nous en font sortir en secret! Non il n'en sera pas ainsi; qu'ils viennent eux-mêmes nous Célivrer. »

Dans le tumulte de Jérusalem, le tribun, pour appaiser le peuple, fait mener Paul dans la forteresse et commande qu'on lui donne la question. Mais qnand ont l'eut hé, Paul dit à un centenier: « Vous est il permis de fouetter un citoyen romain, et qui n'a point été condamné?» Le centenier avertit le tribun, qui fit retirer les bourreaux ; car il eut peur en voyant que Paul étoit citoyen romain. Puis le lendemain, il l'envoie devant le conseil des princes des prètres, pour savoir de quoi il étoit accusé, et quand Paul ouvre la bouche pour se justifier, le grand prêtre Ananie ordonne à ceux qui étoient près de lui de le frapper au visage. Alors Paul lui dit : « Dieu te frappera lui-même, muraille blanchie. Quoi! tu es ici pour me juger selon la loi, et cependant, contre la loi, tu commandes qu'on me frappe !

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« Je vous en fais juges, Messieurs, est-ce que, dans ces circonstances, la foi chrétienne de Paul a abaissé son caractère et rétréci sa grande åme? Est-ce que la charité de Jésus-Christ, qu'elle lui a mise au cœur, l'a rendu insensible à la justice, et ne sentez-vous pas, sous l'humilité de l'Apôtre, la noble fierté du citoyen romain, qui, au besoin, sait maintenir ses droits? Que veulent donc dire ces déclamations des païens d'autrefois et d'aujourd'hui qui prétendent qu'on ne peut être un vrai chrétien, sans abjurer la dignité humaine, sans cesser d'ètre un homme ! Regardez Paul, et voyez si en lui l'homme a été avili par le chrétien.»

Cet aperçu et ces extraits peuvent donner une idée du discours de M. l'abbé Bautain.

Le panégyrique de saint Paul a été digne de la grande circonstance où il a été prononcé. Il méritoit de succéder au brillant et docte panégyrique de saint Augustin. qui a inauguré cette fète des Ecoles, si heureuse et si belle conception du premier pasteur du diocèse de Paris. L'abbé A. SISSON.

DES EXCÈS DE LA PRESSE EN BELGIQUE.

La plus dangereuse de nos libertés est sans doute le droit de tout écrire et de tout publier. Cependant voilà plus de vingtcinq ans que nous la supportons sans interruption; et jusqu'à présent les circonstances ne nous ont point forcés d'y mettre des restrictions. La France n'a pas été si heureuse; elle n'a jamais pu jouir longtemps de ce droit. Ce fut elle qui, depuis l'invention de la presse vers le milieu du quinzième siècle, l'affranchit pour la première fois sous l'Assemblée Constituante en 1789. Mais pendant les 67 ans qui se sont écoulés depuis cette époque, combien de fois l'a-t-elle entravée, supprimée, puis tablie, puis suprimée encore? L'Angleterre au contraire

maintient cette liberté sans trop d'inconvénients et sans avoir l'air de se soucier de l'abus qu'on ne cesse d'en faire. Un Etat peut donc exister avec cette liberté. Mais lequel? L'exemple de l'Angleterre, en fait de liberté, a trompé plusieurs autres peuples. On a cru trop longtemps qu'il n'y avoit qu'à faire ce qu'elle a fait, pour être libre comme elle; et Ton n'est pas tout-à-fait détrompé aujourd'hui. La France s'est mal trouvée de cette imitation. Pour nous, nous sommes allés tout-d'un-coup plus loin que l'Angleterre et que toute autre nation; et nous avons assez bien réussi. Le caractère moral du peuple belge a écarté ou diminué les dangers d'un semblable essai; et malgré de nombreuses difficultés, amenées par les circonstances, nous n'avons pas eu besoin de modifier notre première charte. Toutes nos libertés sont intactes, et nous continuons de vivre tranquillement sous le régime d'une constitution unique. Mais nous ne conseillerions à aucun autre peuple de nous copier exactement. La liberté comme en Belgique sont des mots qui sonnent bien; il y a eu des temps où ils retentissoient fréquemment et où ils servoient de devise aux étrangers qui nous portoient envie. Mais il est prudent de nous laisser nos libertés sans émulation, sans jalousie.

Aujourd'hui, elles nous suscitent un nouveau danger, et c'est à la presse que nous en sommes redevables. A l'intérieur nous sommes parfaitement tranquilles, et les violences de certains journaux sont à peine connues du public. Mais il n'en est pas de même à l'extérieur. La haute diplomatie européenne a cru devoir s'occuper des excès qui se commettent chez nous au Congrès même de Paris, et nous n'avons pas trouvé de déTenseur. Il n'y a eu qu'une voix pour condamner cette licence, tt nous sommes sous le poids de cette désapprobation générale.

Que faut-il faire? Un membre de notre Chambre des Représentants a porté la question à la tribune; le patriotisme Sen est mêlé; il y a eu un échange de paroles généreuses, et les applaudissements n'ont pas fait défaut. Nous comprenons ce mouvement, cet élan; et nous désirons qu'on le comprenne ailleurs comme nous. Mais ce n'est pas de ce remède que nous avions besoin; et, pour notre part, nous aurions préféré que l'honorable M. Orts nous l'eût épargné. Il étoit inutile d'apprendre à l'Europe que nous sommes attachés à nos institulions; elle ne l'ignore point. Il importoit d'avantage de lui donner, en cette occasion, de nouvelles preuves de notre

sagesse, de notre prudence, de notre bon sens, de notre ca ractère pacifique et bienveillant. Si elle se plaint de nous, faut-il lui répondre simplement que nous n'avons point à changer de conduite? Il ne nous convient pas de la braver. Quelle nation le peut impunément ? Les Etats les plus puissants cèdent quand il le faut, et ils ne croient pas se déshonorer. Aucun homme sage ne blâme la Russie dans ce moment de s'être montrée conciliante et résignée; on approuve cette politique généralement et l'on donne des éloges au jeune empereur. L'Angleterre, de son côté, ne fait pas tout ce qu'elle veut. Toute fière qu'elle est, elle sait aussi faire des sacrifices; et plutôt que de se séparer de la France, elle se conforme au vœu général, elle fait la paix de bonne grâce. A la vérité, elle ne changeroit pas facilement sa législation; et l'on auroit beau se plaindre des excès que les Victor Hugo et les autres exilés commettent chez elle, des calomnies qu'ils répandent contre des gouvernements étrangers; on n'y gagneroit rien. Elle est assez forte, assez bien retranchée derrière ses vaisseaux, pour ne pas s'émouvoir trop vite du mécontentement qu'on pourroit lui montrer. Il faut le dire aussi, le peuple anglais a un singulier respect pour tout ce qui existe depuis longtemps, pour les usages, les coutumes du pays; et il ne suffit pas toujours qu'une loi soit devenue ridicule par le temps, incommode ou même inexécutable, pour qu'il l'abolisse. Ce respect, qui a son bon côté, est connu ; et l'on ne trouve pas mauvais qu'il se passe des choses étranges sur le vieux sol de la Grande-Bretagne.

La Belgique peut, avec mesure, montrer son attachement à ses usages, à ses lois; son honneur, aujourd'hui, est de respecter sa Constitution et de ne pas vouloir y toucher, Mais elle n'est ni assez puissante, ni assez bien placée, pour vouloir imiter l'Angleterre en tout. La sagesse d'un peuple consiste à se bien connoître, à bien connoître et à bien juger les nations voisines; un petit peuple, tel que le nôtre, doit savoir en outre s'il a des supériorités à reconnoître. Notre indépendance est de fraîche date; n'oublions pas de quelle manière nous l'avons obtenue. Nous devons beaucoup à la France en particulier; il est juste de nous en ressouvenir aujourd'hui. Et si nous avons dû compter avec l'Europe il y a trente ans, il n'y a pas de raison pour que nous puissions nous en dispenser aujourd'hui.

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