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mobile à trois étages, où se logeaient les ouvriers pour enlever la terre; des vis de pression agissant sur des planchettes empêchaient les éboulements: on ôtait une à une ces planches à partir du haut pour déblayer, et on les remettait ensuite en serrant plus fort; le travail achevé, on faisait avancer le châssis, et les maçons construisaient les épaulements sur la place devenue libre. C'est ainsi qu'on a pu parvenir à creuser cet immense souterrain, qui ira redire aux générations futures l'opiniàtreté de l'Angleterre dans les grands ouvrages d'utilité publique, et le génie d'un enfant de la France; car le tunnel de la Tamise vivra plus longtemps que la domination britannique, et il sera pour la vieille Albion ce que la pyramide de Cécrops est pour l'Égypte vassale et démantelée.

Il fallut une rare persévérance pour amener un tel travail à bonne fin à travers mille obstacles. L'eau s'infiltra et inonda à plusieurs reprises les travaux, et ils furent suspendus de 1827 à 1835. Enfin, l'orgueil anglais et la foi de Brunel ne voulurent pas désespérer du succès; on ouvrit de nouvelles listes de souscriptions, qui, comme les premières, ne tardèrent pas à se remplir, et l'on se remit à la besogne avec plus d'ardeur que jamais. L'infatigable ingénieur, qui consacrait toutes ses veilles à la solution de ce grand problème qui tenait l'Europe en éveil, fit de nouveaux et prodigieux efforts de mécanique et de statique. On construisit un puisard pour recueillir les eaux, et, outre les épuisements, on se servit de sacs de glaise pour fermer les trous par lesquels l'eau s'infiltrait. Enfin, après des efforts inouïs, des combinaisons et des calculs admirables, après surtout des périls de toute espèce bravés et vaincus, cette voie gigantesque de communication arriva de l'autre côté du fleuve dans les derniers mois de l'année 1841, et elle était livrée au public et à la circulation peu de temps après.

On ne se contente plus aujourd'hui d'aller terre-à-terre et de suivre les ondulations imperceptibles d'une surface plane; la vapeur, ou plutôt les monstres de fer battu qu'elle fait mouvoir gravissent les collines, jusqu'à ce qu'ils puissent gravir les mon

tagnes, et vont se reposer au pavillon de Henri IV, à SaintGermain, jusqu'à ce qu'ils puissent aller débarquer une armée expéditionnaire dans les collines sablonneuses de Tombouctou. Les voies de fer aériennes sont un progrès, et, après avoir cassé les jambes à notre vaillante espèce chevaline, il ne manquait plus que d'arracher le foin de la bouche de ces utiles mules et de nos infatigables mulets des Pyrénées; mais le mulet est entêté, et il est capable de ne pas abandonner facilement la victoire à l'usurpatrice

vapeur.

Quoi qu'il en soit, le chemin de fer atmosphérique présente des inconvénients tellement graves, que les Anglais, qui ne sont pas suspects en cette matière, reculent devant son emploi. Voilà les conclusions du savant ingénieur Stephenson, dans le rapport qu'il adressa, il y a quelques années, à une commission spéciale de la Chambre des communes :

« 1o Le système atmosphérique ne présente pas un mode économique de transmission de la force, et est inférieur sous ce rapport, tant au système des machines locomotives, qu'à celui des machines fixes remorquant avec des cordes;

2o Ce système n'est pas apte, sous le rapport pratique, à acquérir et à maintenir de plus grandes vitesses que celles comprises dans le travail actuel des machines locomotives;

« 3o Il ne produit pas, dans la majorité des cas, d'économie dans la construction première des chemins de fer, et dans beaucoup d'autres il en augmenterait considérablement les frais;

« 4o Sur quelques chemins de peu de longueur, où un roulage très-considérable exige des convois d'un prix modéré, mais circulant avec de grandes vitesses et des départs multipliés, ainsi que dans les localités où le relief du terrain est tel qu'il s'oppose à l'adoption de rampes qui conviennent aux machines locomotives, le système atmosphérique pourrait mériter la préférence;

<< 5° Sur les lignes très-courtes de chemins de fer, sept à huit kilomètres, par exemple, dans le voisinage des grandes villes, où il faudrait établir de fréquentes et rapides communications entre

les stations seules, le système atmosphérique peut être appliqué avantageusement;

« 6° Sur les lignes courtes, où le trafic se fait principalement aux stations intermédiaires, et qui exigent de fréquents arrêts entre ces mêmes stations, le système atmosphérique est inapplicable, et est bien inférieur à celui qui décroche les wagons sur une corde pour le service des stations intermédiaires;

« 7° Sur les lignes prolongées, les conditions d'un trafic ou roulage considérable ne sauraient être remplies par un système aussi inflexible que le système atmosphérique, dans lequel le travail effectif de l'ensemble dépend d'une manière si complète du travail parfait de chaque partie séparée du mécanisme. »

Depuis 1844 ou 1845, époque où l'ingénieur anglais posait ces conclusions lumineuses que nous avons empruntées à l'estimable ouvrage de M. Laboulaye, les ingénieurs français sont parvenus, par d'incessantes études, par de nombreux et précieux travaux, à améliorer le système atmosphérique, et à le mettre en état, d'ici à quelques années peut-être, de lutter avec avantage contre son heureux et puissant aîné.

La Russie, l'Espagne, l'Italie et le Portugal, sont les seuls pays de l'Europe où les chemins de fer ne soient point passés à l'état d'établissements de première nécessité. La politique a beaucoup moins de part que le caractère national de ces peuples a l'adoption de la vapeur sur les voies de fer. Le Russe, l'Espagnol et le Portugais sont casaniers, et ils se contenteront de quelques insignifiants spécimens de chemins de fer. L'Italien est fort ami de la locomotion, mais seulement pour s'échapper de son pays; quand il en est sorti, il reste là où il a été accueilli, s'y cramponne, s'y cantonne, s'y implante, et oublie ou ses lagunes, ou ses marais ponlins, ou ses montagnes. Les Italiens ont la mémoire courte en toutes choses, et surtout en fait de patrie.

La Chine et la Perse ne vont pas tarder à recevoir, comme l'Inde, des chemins de fer. Les railways de l'Angleterre ressemblent à ce filet que Vulcain fabriqua, et dont il se servit pour

surprendre Mars et Vénus en conversation criminelle. Mars et Vénus sont aujourd'hui la virilité et l'indépendance des peuples menacées par le Vulcain britannique.

Si pourtant, grâce à cette vapeur, on peut porter un jour dans les méandres du Caucase et de l'Atlas, dans les déserts où se dressent Tombouctou et Zophine le flambeau de la civilisation, des arts et de la religion, les vrais amis de leur patrie, les véritables philosophes n'en voudront pas trop à Salomon de Causs d'avoir découvert la vapeur, et aux compagnies anglaises, françaises, badoises, américaines et wurtembourgeoises, d'avoir perfectionné ou plutôt inventé l'art de se casser les jambes, de se briser les côtes et de se rompre le cou par brevet d'invention, sans garantie du gouvernement.

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