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que des cadavres et des ombres sans poésie, sans grâce et sans valeur.

D'Auguste à Constantin, l'Italie fut la mère des beaux-arts. Mais le luxe plus que le goût, l'orgueil plus que l'amour sincère de l'art, présidaient aux encouragements, aux travaux que l'on donnait aux peintres. Les mosaïques et la gravure sur les métaux précieux prirent le pas sur les grandes œuvres picturales, et la peinture ne servit qu'à la décoration des maisons des riches citoyens, jusqu'au moment où elle devint l'auxiliaire obligé de l'architecture des palais et des temples.

Les peintres grecs étaient précisément en Italie, du temps des empereurs, ce que furent au moyen-âge les francs-maçons. Les uns et les autres, à cinq cents ans de distance, étaient tout uniment des fabricants de chefs-d'œuvre, travaillant à juste prix, se contentant de légers salaires, et ne retirant la plupart du temps d'autre profit de leurs œuvres magnifiques qu'une immortalité douteuse pour leurs noms, mais inévitable pour leurs ouvrages. Ces hommes de génie, pour atteindre le sublime, n'avaient besoin ni de la perspective d'une palme verte sur un coin de leur manteau, ni d'une étoile plus ou moins brillante au côté sénestre de leur épitoge; ces artistes, ces véritables enfants de lumière, confondaient l'art avec Dieu même, et pour adorer Dieu faut-il une récompense?

Les peintres grecs quittèrent Rome et l'Italie à la suite de Constantin, et allèrent fonder avec lui la nouvelle capitale de l'empire, Constantinople.

Ce furent ces artistes nomades qui conservèrent le feu sacré des arts pendant les siècles de barbarie et de destruction qui s'écoulèrent entre la fondation de l'empire d'Orient (330) et le sac de Rome par Odoacre (476), entre Totila, qui acheva de la ruiner en 546, et Charlemagne qui y fut couronné empereur d'Occident. Les victoires de Charlemagne, d'une part, et la destruction complète d'une secte folle et impie, qui, sous le nom d'iconoclastes ou de briseurs d'images, voulait faire rétrograder l'humanité jusqu'à

une barbarie mille fois plus horrible que celle des Goths et des Gépides, donnèrent aux beaux-arts et à la peinture en particulier le loisir de se reconstituer. On vit alors, comme à la fin des persécutions commandées par les empereurs, sortir des catacombes de Rome des légions d'artistes qui s'y étaient cachés, comme jadis des légions de chrétiens. Ainsi, les catacombes de la ville éternelle avaient par deux fois sauvé la liberté et la civilisation du monde, en abritant la croix proscrite et les beaux-arts persécutés.

Ce furent encore les Grecs qui reportèrent en Italie l'art de la peinture. Au neuvième siècle, les arrières disciples de Zeuxis et de Protogène exerçaient encore presque exclusivement à Rome la peinture. Les démêlés du Saint-Siége avec l'Empire, les regrettables querelles surtout de Grégoire VII et de l'empereur Henri IV, reculèrent la résurrection de la peinture. Mais l'art, patient comme la vertu, attendit en silence, et bientôt les républiques italiennes, Pise, Florence, Gênes, Venise, rivales de puissance, de richesses et de gloire, ouvrirent à deux battants la porte de leurs opulentes Cités au génie des arts, qui devait plus que leurs flottes, plus que leurs trésors, plus que toute la magnificence du Bucentaure et de la Cavarina, honorer leurs noms, et donner généreusement, pour une hospitalité passagère, un brevet d'immortalité.

Dès ce moment, la civilisation était encore une fois sauvée du naufrage, et l'Italie, après la Grèce, redevenait l'arche sainte, où l'intelligence humaine attendait le retour de la colombe et l'apparition de l'arc-en-ciel.

Trois hommes, trois peintres illustres, se révélèrent coup sur coup à Florence vers la fin du treizième siècle :

Cimabué,
Giotto,

Giovanni de Fiesole, dit Fra-Angelico'.

1 Fra-Angelico était moine dominicain, et fut aussi admirable par ses vertus que par ses talents. Le pape Nicolas V, dont il avait peint la chapelle, lui offrit l'archevêché de Florence, que Fra-Angelico refusa par modestie. Angelico mourut en peignant et en priant, à soixante-huit ans. Cimabué, peintre et architecte, fut le

Cimabué représentait le type grec; Giotto, le type toscan; Giovanni, le type chrétien. Tout l'avenir, toutes les destinées de l'art étaient incarnées dans ces trois hommes.

Vers le même temps, la Hollande, la Flandre et l'Allemagne continuaient dans leur architecture, dans la peinture et dans la sculpture l'art byzantin. Les monuments qui restent du treizième siècle, dans ces différents pays, portent encore le cachet sec et aride de l'art byzantin, qui poussait jusqu'au servilisme l'imitation de la nature et cet éclat des plus vives couleurs qui le rendait parfois son égal.

L'école de Cologne, comme sa contemporaine l'école florentine, reconnaissait pour mère et pour origine l'école byzantine.

Deux siècles après, les trois grands genres fondés par Cimabué, Giotto, Giovanni, se fondaient en un seul, et l'art achevait de sortir des limbes de l'incertitude et du tâtonnement. Verocchio' formait Léonard de Vincy; Gherlando, Michel-Ange; Perugin, Raphaël. La peinture moderne était trouvée, et Dieu disait à cet art sublime, comme autrefois à la mer : «Tu n'iras pas plus loin! »

premier élève des peintres grecs, et s'acquit une réputation digne de son génie. Un roi de Naples, Charles I, alla lui rendre visite, et tàcha, par ses brillantes promesses, de l'attirer dans sa capitale. « Sire, répondit Cimabué, je suis Florentin, et je mourrai Florentin. Si vous daignez me reconnaître quelque talent, je dois employer ce talent au service de mon pays. Je veux aussi conserver votre estime, et je la perdrais infailliblement si j'acceptais vos offres. Je ne puis vous donner que mon respect..... Et votre amitié, interrompit Charles en prenant la main du peintre. Je l'accepte, et elle sera pour moi la première et la plus glorieuse de mes affections. » On a encore des fresques et un petit nombre de tableaux dûs à ce grand artiste.

Le Giotto était élève de Cimabué, et avait été enlevé par l'illustre artiste à la garde d'un troupeau de moutons, que le petit pâtre tachait de reproduire sur le sable. Le Giotto suivit les traces de son maître, et devint avec Angelico, son émule et son ami, le plus habile peintre de l'Italie. Giotto fut aussi l'ami du Dante, et les papes Benoît II et Clément V l'admirent dans leur intimité.

1 André Verocchio, grand peintre, habile orfèvre, savant géomètre, graveur, sculpteur, musicien, chimiste, poète, diplomate, architecte, fut l'un des hommes les plus universellement illustres du quinzième siècle, qui produisit cependant un grand nombre de génies semblables. Nous n'avons aujourd'hui ancune individualité pareille à ces grands hommes, et nous nous persuadons leur être supérieurs!!

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