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Ce qui est vrai, ce que nous sommes les premiers à reconnaître, ce qu'il y aurait puérilité ou mauvaise foi à contester, c'est que la loi soumise à la Chambre est une loi d'exception. Permettre d'incriminer des conversations ou des correspondances privées, infliger, en pareil cas, la relégation perpétuelle, interdire le compte rendu de débats judiciaires qui peuvent aboutir à une condamnation capitale, ce sont des mesures d'une extrême gravité, des mesures contraires aux principes généraux de toute législation pénale libérale, des mesures qu'une situation exceptionnelle, un véritable péril public peut seul justifier. Ce péril public existe, malheureusement. Il est incontestable. Il exige de pénibles sacrifices. Mais il ne doit pas nous troubler la tête et fausser nos idées au point de nous faire considérer comme normale, comme destinée à prendre une place durable dans nos Codes, la loi qui va être adoptée. En votant un article additionnel qui limiterait à deux ou trois années la durée de cette loi, la Chambre en marquerait nettement le caractère. Un pareil vote ne serait pas un acte de faiblesse. Ce serait un hommage rendu aux grandes règles de droit criminel qui peuvent être mises pour un temps à l'écart sous la pression de nécessités terribles et passagères, mais dont on ne doit pas s'écarter sans regret, sans tristesse et sans esprit de retour.]

Le journal Le Temps du 16 juillet 1894 :

Plus le moment de la discussion approche, plus les esprits paraissent frappés de la convenance qu'il y aurait à marquer le caractère tout exceptionnel de cette loi par la fixation du délai durant lequel elle serait appliquée. Pourquoi ne pas témoigner de notre confiance à tous dans la revanche prochaine, dans le triomphe imminent des sentiments généreux sur la férocité, de la civilisation sur la barbarie accidentellement renaissante? Peut-être la loi devrait-elle prendre fin à peu près avec la législature actuelle qui demeurerait ainsi maitresse de juger son œuvre avant de se séparer; c'est affaire à la sagesse des pouvoirs publics et à leur accord nécessaire de déterminer cette période. Qu'ils soient seulement persuadés qu'en soulignant ainsi le caractère exceptionnel de la loi, ils ne lui ôteraient rien de son autorité.

Et comment à la fin de cet exposé pourrait-on résister à citer Victor Hugo, qui dans une situation semblable, après juin 1848, adressait cette éloquente apostrophe à une Chambre appelée, elle aussi, à voter une loi d'exception:

Mais voyons, discutons froidement. Apparemment vous ne voulez pas faire seulement une loi sévère, vous voulez faire aussi une loi exécutable, une loi qui ne tombe pas en désuétude le lendemain de sa promulgation? Eh bien, pesez ceci :

Quand vous déposez un excès de sévérité dans la loi, vous y déposez l'impuissance. Vouloir faire rendre trop à la sévérité de la loi, c'est le plus sûr moyen de ne lui faire rendre rien. Savez-vous pourquoi? C'est parce que la peine juste a, au fond de toutes les consciences, de certaines limites qu'il n'est pas du pouvoir du législateur de déplacer. Le jour où, par votre ordre, la loi veut trangresser cette limite, cette limite sacrée, cette limite tracée dans l'équité de l'homme par le doigt même de Dieu, la loi rencontre la conscience qui lui défend de passer outre. D'accord avec l'opinion, avec l'état des esprits, avec le sentiment public, avec les mœurs, la loi peut tout. En lutte avec ces forces vives de la société et de la civilisation, elle ne peut rien. Les tribunaux hésitent, les jurys acquittent, les textes défaillent et meurent sous l'œil stupéfait des juges.

Songez-y, tout ce que la pénalité construit en dehors de la justice s'écroule promptement et, je le dis pour tous les partis, eussiezvous bâti vos iniquités en granit, à chaux et à ciment, il suffira pour les jeter à terre d'un souffle, de ce souffle qui sort de toutes les bouches et qu'on appelle l'opinion. Je le répète, et voici la formule du vrai dans cette matière : Toute loi pénale a de moins en puissance ce qu'elle a de trop en sévérité.

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Art. 1. Les infractions prévues par les articles 24, paragraphes 1 et 3, et 25 de la loi du 29 juillet 1881, modifiés par la loi du 12 décembre 1893, sont déférées aux tribunaux de police correctionnelle lorsque ces infractions ont pour but un acte de propagande anarchiste.

Textes visés par la loi.

(Modifiés par la loi du 12 décembre 1893.)

Loi du 29 juillet 1881.- Art. 23.- Seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit, ceux qui, soit par des discours, cris ou menaces proférés dans des lieux ou réunions publics, soit par des écrits, des imprimés vendus ou distribués, mis en vente ou exposés dans des lieux ou réunions publics, soit par des placards ou affiches exposés aux regards du public, auront directement provoqué l'auteur ou les auteurs à commettre la dite action, si la provo cation a été suivie d'effet.

Cette disposition sera également applicable lorsque la provocation n'aura été suivie que d'une tentative de crime prévue par l'article 2 du Code pénal.

Ceux qui, par l'un des moyens auront directement provoqué,

Art. 24, paragraphes 1 et 3. énoncés en l'article précédent, soit au vol, soit aux crimes de meurtre, de pillage et d'incendie, soit à l'un des crimes punis par l'article 435 du Code pénal, soit à l'un des crimes et délits contre la sûreté extérieure de l'État, prévus par les articles 75 et suivants, jusques et y compris l'article 85 du même Code, seront punis, dans le cas où cette provo

cation n'aurait pas été suivie d'effet, de trois mois à deux ans d'em. prisonnement et de 100 à 3.000 francs d'amende.

Seront punis de la même peine ceux qui, par l'un des moyens énoncés en l'article 23, auront fait l'apologie des crimes de meurtre, de pillage ou d'incendie, ou du vol, ou de l'un des crimes prévus par l'article 435 du Code pénal.

Art. 25. Toute provocation par l'un des moyens énoncés en l'article 23, adressée à des militaires des armées de terre ou de mer, dans le but de les détourner de leurs devoirs militaires et de l'obéissance qu'ils doivent à leurs chefs, dans tout ce qu'ils leur commandent pour l'exécution des lois et règlements militaires, une peine d'un emprisonnement de trois mois à deux ans et d'une amende de 100 francs à 3.000 fr.

Code pénal. Art. 75.

Tout Français qui aura porté les armes contre la France sera puni de mort.

Art. 76. Quiconque aura pratiqué des machinations ou entretenu des intelligences avec les puissances étrangères ou leurs agents, pour les engager à commettre des hostilités ou à entreprendre la guerre contre la France, ou pour leur en procurer les moyens, sera puni de mort.

Cette disposition aura lieu dans le cas même où les dites machinations ou intelligences n'auraient pas été suivies d'hostilités.

Art. 77. Sera également puni de mort, quiconque aura pratiqué des manœuvres ou entretenu des intelligences avec les ennemis de l'Etat, à l'effet de faciliter leur entrée sur le territoire et dépendances du Royaume, ou de leur livrer des villes, forteresses, places, postes, ports, magasins, arsenaux, vaisseaux ou bâtiments apparte nant à la France, ou de fournir aux ennemis des secours en soldats, hommes, argent, vivres, armes ou munitions, ou de seconder les progrès de leurs armes sur les possessions ou contre les forces françaises de terre ou de mer, soit en ébranlant la fidélité des officiers, soldats, matelots ou autres, envers le Roi et l'Etat, soit de toute autre manière.

Art. 78. Si la correspondance avec les sujets d'une puissance ennemie, sans avoir pour objet l'un des crimes énoncés en l'article précédent, a néanmoins eu pour résultat de fournir aux ennemis des instructions nuisibles à la situation militaire ou politique de la France ou de ses alliés, ceux qui auront entretenu cette correspon

dance seront punis de la détention, sans préjudice de plus forte peine, dans le cas où ces instructions auraient été la suite d'un concert constituant un fait d'espionnage..

Art. 79. Les peines exprimées aux articles 76 et 77 seront les mêmes, soit que les machinations ou manœuvres énoncées en ces articles aient été commises envers la France, soient qu'elles l'aient été envers les alliés de la France agissant contre l'ennemi commun. Art. 80. Sera puni des peines exprimées en l'article 76, tout fonctionnaire public, tout agent du gouvernement, ou toute autre personne qui, chargée ou instruite officiellement, ou à raison de son état, du secret d'une négociation ou d'une expédition, l'aura livré aux agents d'une puissance étrangère ou de l'ennemi.

Art. 81. Tout fonctionnaire public, tout agent, tout préposé du gouvernement, chargé, à raison de ses fonctions, du dépôt des plans des fortifications, arsenaux, ports ou rades, qui aura livré ces plans ou l'un de ces plans à l'ennemi ou aux agents de l'ennemi, sera puni de mort.

Il sera puni de la détention, s'il a livré ces plans aux agents d'une puissance étrangère neutre ou alliée.

Art. 82. Toute autre personne qui, étant parvenue, par corruption, fraude ou violence, à soustraire les dits plans, les aura livrés ou à l'ennemi ou aux agents d'une puissance étrangère, sera punie comme le fonctionnaire ou agent mentionné dans l'article précédent, et selon les distinctions qui y sont établies.

Si lesdits plans se trouvaient, sans le préalable emploi de mauvaises voies, entre les mains de la personne qui les a livrés, la peine sera, au premier cas mentionnée dans l'article 81, la déportation;

Et au second cas du même article un emprisonnement de deux à cinq ans.

Art. 83.

Quiconque aura recélé ou aura fait recéler les espions ou les soldats ennemis envoyés à la découverte et qu'il aura connus pour tels, sera condamné à la peine de mort.

Art. 84. Quiconque aura, par des actions hostiles, non approuvées par le gouvernement, exposé l'Etat à une déclaration de guerre, sera puni de bannissement, et si la guerre s'en est suivie, de la déportation.

Art. 85. Quiconque aura, par des actes non approuvés par le gouvernement, exposé des Français à éprouver des représailles, sera puni de bannissement.

Art. 434. Quiconque aura volontairement mis le feu à des édi

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