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ami Paul Deroulède, avons tenu bien des fois un langage peutêtre imprudent, qui serait tombé sous le coup de votre loi. Il m'arrive tous les ans, aux anniversaires de Buzenval et de Champigny, de prononcer, au pied des monuments de notre défense nationale, des paroles qui m'exposeraient aux rigueurs de votre article 85, et ces paroles, je ne les regrette pas.

Au cours de la période troublée de 1889, qui vous dit que le ministre d'alors, qui n'est pas, grâce à Dien, le ministre d'aujourd'hui, s'il avait eu une arme semblable entre les mains, ne s'en serait pas servi contre nous et n'aurait pas fait appliquer à Déroulède, à Richard et à tant d'autres la peine de la relégation, qui l'aurait débarrassé d'adversaires gênants.

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M. Le Hérissé. Vous pouvez être sûr qu'il l'aurait fait. M. Marcel-Habert. Voilà la question qui se pose et qui peut se poser encore demain.

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Il n'est pas possible que des patriotes qui, dans la chaleur de l'improvisation ou sous l'empire d'un enthousiasme patriotique, auront tenu un langage un peu excessif, tombent sous le coup de la loi contre l'anarchie. Je ne veux pas surtout qu'ils y tombent sans être traduits devant le jury.

Je dois en effet vous signaler qu'il existe entre le jury et la police correctionnelle une différence qu'on a oublié de relever.

A droite. On l'a dite.
M. Marcel-Habert.

Non, on ne l'a pas dite.

Au tribunal correctionnel, le magistrat est en face d'un texte qu'il est obligé d'appliquer; tandis que le jury est toujours maitre, même en face de faits constants, de faits avoués, d'apprécier la moralité de ces faits et d'acquitter ceux qu'il ne considère pas comme coupables. Ce que le jury peut faire, ce qui, dans les circonstances de moralité auxquelles j'ai fait allusion, lui permet d'acquitter, le magistrat correctionnel ne peut pas le faire.

Le magistrat, dans sa conscience d'honnête homme, est lié par le texte étroit de la loi; et comme, dans l'article 1er du projet de loi, vous n'insérez pas la disposition qui figure dans l'article 2, comme vous ne dites pas que le magistrat devra

examiner si l'acte revêt un caractère anarchiste, comme vous prévoyez purement et simplement le crime et le délit, les patriotes dont je parle ne pourraient éviter la condamnation. Les juges les frapperaient à regret, mais ils les frapperaient en vertu de la loi.

Je n'ai qu'un mot à ajouter. Je sais que certains tribunaux ont condamné jadis à des peines sévères des hommes, des patriotes, des Français, qui avaient tenu un langage trop ardent, qui n'avaient pas su comprimer l'élan de leur patriotisme; mais je suppose que vous ne prenez pas exemple sur ces tribunaux, car ce sont des tribunaux allemands. On vous a dit qu'il ne fallait pas chercher de modèle en Allemagne ni pour la loi sur la presse ni pour l'impôt sur le revenu; mais cet exemple doit être surtout rejeté quand il s'agit de frapper le patriotisme; vous ne pouvez pas punir des Français en France pour les mêmes motifs et par les mêmes loi, qui ont servi contre les Alsaciens-Lorrains en Allemagne; vous ne pouvez pas mettre hors la loi ceux qui auront laissé échappé de leurs lèvres, cédant à l'ardeur de leur amour pour la patrie, ces sentiments de regret et d'espérance que tous ici nous avons enfermés dans nos cœurs.

M. le rapporteur. Je fais à l'honorable M. Marcel Habert une très courte réponse. La Commission a voulu, dans le texte de l'article 1 qui est soumis à la Chambre, distinguer très nettement entre les crimes contre la sûreté intérieure de l'Etat et les crimes contre la sûreté extérieure de l'État. La Commission ne veut pas qu'il y ait lieu de distinguer entre les divers articles qui composent chacune des sections du chapitre Ier, titre 1er, livre III du Code pénal.

C'est pourquoi elle vous demande de ne pas accepter l'amen. dement de M. Marcel Habert.

Puis la disposition a été retirée après les observations suivantes de M. le garde des sceaux et après le vote de la proposition additionnelle de M. Léon Bourgeois dont nous allons parler.

M. le garde des sceaux. S'il est vrai que les faits énoncés par M. Habert tout à l'heure à cette tribune ne peuvent être appréciés et jugés comme ayant un caractère anarchiste, il est bien certain qu'ils seront poursuivis, non pas devant le tribunal correctionnel, mais devant le jury.

Alors s'est produite une disposition additionnelle qui modifie absolument l'article 1° et donne plus de garantie, si la loi est interprétée stricto sensu et si l'on est bien d'accord sur la valeur de ces mots propagande anarchiste que nous étudierons plus spécialement un peu plus loin.

M. Léon Bourgeois. -Messieurs, je vous demande la permission de présenter une très simple observation.

Le gouvernement et la commission ont accepté sur l'article 2, - je suis obligé d'anticiper sur la discussion pour faire comprendre ma pensée un amendement de M. Huguet, qui détermine très exactement le caractère d'acte de propagande anarchiste qui doit être constaté par le tribunal pour que l'ensemble des pénalités prévues par le projet de loi soit applicable.

Rien de mieux; le caractère précis et déterminé de la loi, en ce qui touche l'article 2, est ainsi fixé. Je demande et tout à l'heure je soumettais à M. le garde des sceaux cette observasi ce n'est pas par une simple omission que, dans l'article ler, la même détermination n'est pas faite.

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La pensée de la Chambre, du gouvernement, de la commission, en un mot la pensée de tous ceux qui ont concouru à la préparation de cette loi et de tous ceux qui s'associent à son vote est incontestablement de limiter aux actes anarchistes l'effet et la portée de la loi. Si cela est vrai pour l'article 2, c'està-dire pour la propagande non publique, il me semble que c'est encore plus vrai pour l'ensemble des infractions prévues à l'article 1er.

Je crois donc que, pour donner à la loi le caractère d'unité et de cohérence qui est nécessaire, et en même temps pour lui donner la portée politique qui est dans notre pensée à tous, il faut ajouter à la fin de l'article 1er les mêmes mots acceptés par

le gouvernement et la commission à la fin de l'article 2: «<lorsque ces actes ont pour but la propagande anarchiste ».

M. le rapporteur. Messieurs, l'honorable M. Bourgeois, et je l'en remercie, a parfaitement compris que nous avions entendu, en soumettant à vos votes le texte de la loi actuellement en discussion devant la Chambre, viser uniquement et exclusivement les menées anarchistes.

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A gauche. C'est possible; mais il faut le dire dans le texte de la loi.

M. le rapporteur.

La commission accepte donc très volontiers la disposition additionnelle à l'article 1er présentée par l'honorable M. Bourgeois.

Cette disposition ne touche en rien à la loi. Elle précise encore davantage le caractère que le gouvernement aussi bien que la commission ont toujours entendu lui donner.

M. le président.-M. Léon Bourgeois ne m'avait pas averti qu'il avait l'intention de présenter un amendement nouveau, et la Chambre a pu croire, au moment où il a pris la parole, qu'il allait s'expliquer sur l'amendement de M. Marcel Habert.

Je dois, ce me semble, mettre d'abord aux voix la disposition additionnelle de M. Léon Bourgeois.

Elle consiste à ajouter à l'article 1er ces mots :

... lorsque ces infractions ont pour but un acte de propagande anarchiste.

La commission et le gouvernement acceptent la disposition additionnelle.

Je la mets aux voix.

(La disposition additionnelle, mise aux voix, est adoptée.) M. le président. Je mets aux voix l'ensemble de l'article 1er ainsi modifié.

(L'ensemble de l'article 1er est adopté.)

Au Sénat, l'article 1er a été voté sans discussion comme tout le reste de la loi après un discours inachevé de M. Floquet et un discours complet de M. de l'Angle-Beaumanoir, où nous ne trouvons rien de nouveau à citer qui puisse intéresser nos lecteurs.

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Commentaire.

L'article 1 attribue aux tribunaux correctionnels la compétence pour juger des infractions jusqu'alors soumises à la juridiction de la Cour d'assises. Cet article n'est pas absolu et toutes les infractions prévues par les articles 24, paragraphes 1 et 3, et 25 de la loi du 29 juillet 1881 modifiés par la loi du 12 décembre 1893, ne seront pas distraites de la juridiction du jury; il n'en sera ainsi que lorsque ces infractions auront pour but un acte de propagande anarchiste. Il faut bien le reconnaître, ce dernier membre de phrase ajouté par la commission sur la demande de M. Bourgeois change considérablement la portée de l'article 1er.

Voici, d'ailleurs, l'avis de M. le ministre de la Justice dans sa circulaire du 6 août 1891 adressée aux procureurs généraux :

Au cours de la discussion qui a précédé le vote de la loi du 28 juillet 1894, le gouvernement a eu à maintes reprises l'occasion de préciser le caractère et la portée des dispositions législatives qu'il soumettait au Parlement. La loi qui vient d'être promulguée a pour objet la répression des menées anarchistes. Elle ne saurait dès lors, à un degré quelconque, constituer une menace pour ceux qui s'efforcent de faire triompher leurs doctrines par les moyens légaux. Votée par le Parlement pour défendre la sécurité publique menacée, elle ne doit et ne peut atteindre que les partisans de la propagande par le fait. La volonté très formelle du législateur trouve à cet égard, dans le texte même de la loi, le commentaire le plus explicite.

L'article 1er attribue aux tribunaux correctionnels la connaissance des délits de provocation au vol, aux crimes de meurtre, de pillage, d'incendie et de destruction par explosifs et d'apologie de ces mêmes crimes, ainsi que du délit de provocation à des militaires pour les détourner de leurs devoirs, dans le cas où ces délits ont pour but un acte de propagande anarchiste. Il en est de même des provocations à l'un des crimes et délits contre la sûreté extérieure de l'Etat

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