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sont de tous les temps. Après la catastrophe de 1870, l'adoption du principe du recrutement obligatoire rencontra des difficultés analogues. Le 16 décembre 1789, l'Assemblée nationale rendait donc le décret suivant: « Les troupes françaises, de quelque arme « qu'elles soient, autres que les milices nationales, seront « recrutées par enrôlements volontaires. » Décret fatal, dont les conséquences devaient être terribles et pour la patrie qu'il faillit compromettre et pour le gouvernement qu'il allait entraîner dans la voie des mesures violentes.

Mais il ne suffisait pas seulement d'avoir des soldats plus ou moins bons, il importait encore d'en fixer le chiffre et d'en régler l'agencement. D'après le rapporteur du comité1, M. le marquis de Bouthillier, le nombre d'hommes à conserver sous les drapeaux devait être de cent cinquante mille. Quant à la proportion entre les armes, il la voulait du cinquième des fantassins pour les cavaliers et du sixième de la force totale pour les artilleurs. Ce chiffre de cent cinquante mille paraissait suffisant pour faire face à toutes les éventualités. C'était l'effectif ancien. Il n'y avait pas de raison sérieuse à invoquer pour le modifier. L'Europe était en paix et rien, assurait le ministre des affaires étrangères, ne faisait prévoir des difficultés ultérieures. On avait, il est vrai, supprimé les régiments provinciaux, mais la création récente des gardes nationales, leur nombre, leur enthousiasme et l'autorité de leur chef, M. de La Fayette, permettaient d'affirmer qu'on avait là sous la main une réserve imposante et inépuisable.

1. Séance du 20 janvier 1790.

Or, cette opinion rencontrait de nombreux contradicteurs. Un lieutenant-colonel de cavalerie particulièrement, le chevalier des Pommelles, trouvait l'effectif total trop faible. Afin d'atténuer les déficits qu'il prévoyait, il demandait la formation d'une armée de seconde ligne, dont la première portion, essentiellement mobile, serait destinée à combler les vides de la partie active, et dont la deuxième, purement sédentaire, se composerait de milices nationales. Pour l'armée de première ligne il n'acceptait pas le projet de conscription proposé par Dubois de Crancé. Il voyait dans l'application d'une telle mesure trois graves inconvénients une atteinte à la liberté du père de famille, l'éloignement des travaux de l'agriculture et du commerce pour un certain nombre d'hommes, enfin des difficultés d'exécution. Mais ce principe de l'obligation du service il le réclamait, depuis dixhuit jusqu'à quarante ans, pour les corps auxiliaires, en constituant dans chaque département un contingent proportionnel au chiffre de la population.

Dubois de Crancé développait le même programme, dans des conditions beaucoup plus larges. <«< Je crois, disait-il, que pour rendre la force << respectable au dedans et au dehors, nous devons

présenter à nos ennemis un front de cent cinquante « mille hommes de troupes réglées... Il faut placer << en seconde ligne cent cinquante mille hommes de « milices provinciales, destinées à doubler l'armée « active... Enfin, je propose une troisième ligne de «< plus de douze cent mille hommes armés, prêts à << défendre leurs foyers et leur liberté envers et contre «tous. Pour former cette troisième ligne, tout homme << en état de porter les armes sera inscrit au rôle de

<< sa municipalité; il aura son fusil, mais sera sans «< activité... Voilà ce que j'appelle la garde nationale. « Les milices provinciales seront composées de tous <«<les célibataires actifs de chaque département... >> Pour agencer et alimenter ces masses, il voulait le recrutement régional, la répartition du contingent en vingt divisions militaires, constituées dès le temps de paix, correspondant à un certain nombre de départements, et, dans chacun de ces derniers, des régiments, dits départementaux, de façon que les corps eussent tout leur matériel sous la main et pussent se compléter dans le plus bref délai possible à un moment donné. D'après lui, les régiments d'infanterie devaient être à quatre bataillons, les régiments de cavalerie à quatre escadrons. Pour l'artillerie, il l'organisait à part et réduisait considérablement le corps du génie1. L'instruction, il la réclamait d'une durée de trois mois, du 15 mars au 15 juin, pour l'armée auxiliaire, et d'un jour par semaine pour la réserve nationale.

Ces sages idées ne prévalurent pas. L'Assemblée décida que l'armée active serait forte de cent cinquantequatre mille hommes, tant en officiers qu'en sousofficiers et soldats. Les régiments étrangers furent conservés et la garde nationale 2 appelée à constituer la réserve générale.

1. « Je suis frappé, disait Dubois de Crancé, que Louis XIV << n'avait que 55 officiers de génie, tandis qu'il y en a 376 aujour«<d'hui. Cependant, quelle différence de travail ! »

2. Un décret du 2 juin 1790 déclara que les gardes nationales n'étaient que les citoyens actifs eux-mêmes, armés pour la défense de la loi.

Le 19 juillet, il fut décidé qu'il n'y aurait plus qu'un seul et même uniforme pour toutes les gardes nationales de France.

La désillusion devait être prompte. Dès la fin de l'année 1790, les prévisions de Dubois de Crancé et du chevalier Des Pommelles se réalisaient. De cent cinquante-quatre mille hommes, l'effectif de l'armée active était tombé à cent quinze mille. Les enrôlements volontaires s'étaient arrêtés; la désertion avait fait le reste. Les gardes nationales, loin de se constituer fortement, se montraient le plus souvent incapables d'assurer l'ordre. D'autre part, grâce à la complicité du monde de la Cour, du clergé et des nobles déserteurs, la situation extérieure se compliquait chaque jour davantage. En présence de l'inquiétude qui se manifestait dans le pays, il fallut donc prendre des mesures nouvelles. Les comités diplomatique et militaire de l'Assemblée furent chargés d'étudier les modifications. à apporter en vue des éventualités possibles. La discussion fut vive. Elle aboutit à un compromis fâcheux. On prit à Dubois de Crancé son idée d'armée auxiliaire; seulement, au lieu de la faire nationale, on la constitua par mode d'enrôlements volontaires, comme l'armée de première ligne. Dans ces conditions, les forces militaires de la France devaient se décomposer de la façon suivante : une armée active de cent cinquante mille hommes, une autre de deuxième ligne de cent mille, restant à domicile et destinée à compléter la première, si les circonstances l'exigeaient, enfin, les gardes nationales. « Aussi longtemps, disait « M. de Lameth', que le système militaire de l'Eu

A la fin de l'année 1790, trois millions de citoyens étaient revêtus de l'habit bleu et du chapeau orné de la cocarde tricolore. L'effectif des régiments étrangers ne dut pas dépasser vingtsix mille hommes.

1. Lameth (Alexandre-Théodore-Victor, comte), né à Paris, le

« rope sera tel qu'il est aujourd'hui, la disposition de <«< deux cent soixante-dix mille hommes de troupes

de ligne est indispensable pour assurer à la nation. << française la place qu'elle doit occuper. Mais cet objet << politique est acquis si nous nous assurons la dispo«sition de ceux qui doivent compléter ce nombre. << Telle est la destination des auxiliaires, c'est-à-dire <«< d'hommes qui, vivant dans leur domicile et livrés « à leurs occupations habituelles, s'engagent à mar<«< cher, en cas de guerre, dans l'armée de ligne, au « moyen de certains avantages qui sont déterminés << par leur institution. Ces avantages sont : 1° une <«< solde de trois sous par jour; 2o le droit de citoyen <«< actif à ceux qui, ayant d'ailleurs les qualités re<«<quises pour l'exercer, ne payeraient pas la somme <«< d'imposition jugée nécessaire.

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« Engagés pour trois ans, ils ne pourront marcher qu'en cas de guerre et d'après un décret du Corps. législatif. » C'était fort bien; mais l'extérieur? D'étranges bruits sur les agissements des officiers déserteurs et de leurs complices de l'intérieur, circulaient, en effet, dans les comités et dans le public. Nombre de députés, Robespierre en tête, réclamaient des garanties ou tout au moins des explications. Mirabeau', dont la connivence avec la Cour était déjà un fait accompli, se chargea de les développer, afin

28 octobre 1760, mort le 18 mars 1829; colonel des chasseurs de Hainaut, le 3 mars 1785; député de la noblesse de Péronne. Séance du 28 janvier 1791. Les décrets sont des 8, 10 février, 7 et 9 mars 1791. M. de Lameth était rapporteur.

1. Honoré-Gabriel Riquetti, comte de Mirabeau, né au Bignon, près de Montargis, département du Loiret, le 9 mars 1749, cinquième enfant du marquis de Mirabeau; marié, le 22 juin 1772, mort le 2 avril 1791.

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