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faites en concurrence par les notaires, les greffiers, les huissiers et les commissaires-priseurs, sans préjudice du droit exclusif attribué à ces derniers dans la commune de leur résidence. La commission, en reconnaissant ce droit crut devoir rappeler, dans un amendement (28 janvier), la condition de son existence, et cette condition était celle de vendre au comptant. Le projet ainsi modifié, passa à l'unanimité (31 janvier). Présenté à la Chambre des députés le 28 mars, la commission, dans les conclusions de son rapport, en proposa l'adoption pure et simple: mais la Chambre n'eut pas le temps de s'occuper de sa discussion.

Dans cette même Chambre, M. Parant lut et développa (7 et 11 février) une proposition tendant à fixer le nombre de députés nécessaire pour la validité des délibérations. L'honorable membre voulait que le tiers des députés admis, c'est-à-dire environ 150, fût regardé comme suffisant, tandis que l'article 16 de la Charte exigeait que toute loi fût discutée et votée par la majorité des deux Chambres. Vainement M. Parant invoqua-t-il l'exemple de la Chambre des pairs, qui ne s'était pas crue enchaînée par le texte de la constitution; sa proposition fut écartée par la question préalable.

La Chambre accueillit avec plus de faveur (31 janvier) une autre proposition du même membre, tendant à l'abolition des majorats, dernier débris de la législation qui consacrait le droit d'aînesse. Déjà, dans la session de 1831, M. le comte Jaubert s'était occupé du même objet : appuyée par lui, quoique sur plusieurs points elle différât de la sienne, la proposition de M. Parant fut prise en considération (11 février): il y eut un rapport présenté à son sujet (13 mars); mais la session finit avant qu'elle arrivât à l'ordre du jour : reprise dans la session suivante (13 mai), elle éprouva encore le même sort. Elle reparaîtra dans la session de 1834.

Trois bureaux seulement, sur neuf, avaient autorisé la lecture d'une proposition de M. Auguste Portalis, rédigée

en ces termes : « Il est interdit aux tribunaux d'admettre, dans aucun cas, d'autres empêchemens au mariage, que ceux qui sont nominativement énoncés au titre du mariage du Code civil. » Cette proposition avait été déterminée par un récent arrêt de la cour de cassation (voyez la Chronique), et soulevait la grande question du mariage des prêtres, dont l'examen ne pouvait manquer de provoquer des débats animés (23 février).

« Cette proposition. disait M. Portalis, a pour but unique de consacrer l'une de nos plus importantes lois civiles qui est ébranlée et reniée par la jurisprudence de quelques cours du royaume. Au titre du mariage, le Code civil limite les exceptions au droit commun et détermine les seuls empêchemens qui peuvent être opposés à la célébration d'un mariage ; néanmoins quelques tribunaux ont cru devoir admettre d'autres incapa

cités.

<< S'il ne s'agissait ici que d'une simple interprétation de la loi, s'il ne sagissait pas au contraire d'une haute question de morale publique et de liberté individuelle, nous pourrions laisser aux tribunaux le soin de réformer eux-mêmes leurs premières décisions. Mais si à côté de l'intérêt privé de quelques individus se place un intérêt public, si les principes sacrés de la révolution de 89 se trouvent compromis dans une controverse judiciaire, s'il s'agit de terminer la lutte de l'intolérance contre là civilisation philosophique, il appartient aux législateurs de prendre l'initiative, de réformer la loi si elle est mauvaise, de l'interpréter si elle est obscure, de la sanctionner si elle est bonne, et, dans ce dernier cas, de rappeler aux tribunaux qu'ils sont les organes et non les maitres de la loi. Ma proposition est l'accomplissement de ce devoir. »

Après en avoir justifié la forme, et protesté qu'il se réjouirait franchement, si la commission lui donnait une rédaction plus heureuse, M. Portalis ajoutait :

« Croyez-vous, messieurs, que ce soit dans l'intérêt d'un individu, ou même dans l'intérêt d'une classe de la société, que ma proposition soit faite? Croyez-vous que je veuille provoquer ou justifier le mariage des prêtres? Non, messieurs, jamais il n'entrera dans ma pensée de m'immiscer dans les affaires religieuses, mais je veux me maintenir sur le terrain indépendant du Code civil; je désire que les canons de l'église ne deviennent pas des règles de notre droit. Je signale à des législateurs l'étrange empiétement de la puissance religieuse, et je réclame l'exécution de la loi.

« J'avoue donc, sans hésiter, que je vous propose de faire une loi sur une autre loi. C'est un malheur, sans doute, d'en être réduit à réclamer dans cette enceinte l'exécution du Code civil, mais ce serait un bien plus grand malheur, un bien plus grand scandale, de voir les meilleures de nos lois violées de nouveau, et impunément.

« Car, je le répète, messieurs, il ne s'agit pas seulement ici de l'incapacité nouvelle dont on voudrait frapper les prêtres, les diacres, tes sousdiacres, les religieux non prêtres, les frères des écoles chrétiennes, les

religieuses cloîtrées ou non cloîtrées, et toute cette classe nombreuse d'hommes et de femmes, engagés la plupart dès leur première jeunesse dans les ordres religieux; il s'agit encore, et en premier lieu, de l'immense question de la liberté religieuse, de la liberté individuelle, et de l'infranchissable démarcation entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux.

«La liberté religieuse ne serait plus, en effet, qu'un vain mot, si la doctrine qui a dicté l'arrêt de la cour royale de Paris et l'arrêt de rejet de la cour de cassation dans l'affaire Dumonteil prévalait en France. Pour suppléer au silence raisonné et limitatif du Code civil, on s'est appuyé sur les canons de l'église. Parce qu'il est parlé dans deux articles de la loi organique des cultes de canons reçus en France, on a tiré la conséquence que les mariages défendus par les canons l'étaient aussi par la loi civile.

« Je ne veux pas assurément discuter cette question, car ce n'est pas un arrêt que j'attends de vous, ce n'est pas un acte de jurisprudence que je sollicite. Notre pensée, qui se transforme en loi, n'est pas soumise au passé; et s'il était vrai que la jurisprudence signalée fût conforme à la législation existante, ce serait pour nous une raison de plus de bâter la ruine d'une mauvaise loi. »

L'orateur signalait toutes les difficultés, toutes les contradictions qui naîtraient de la nécessité d'observer les canons, dont la nomenclature ne se trouvait nulle part, et qui n'interdisaient pas moins le divorce, le mariage des protestans et des catholiques que le mariage des engagés religieux. Il rappelait que le programme de la révolution de 89, la déclaration des droits de l'homme, avait méconnu les vœux religieux et tous autres engagemens contraires aux droits naturels ou à la constitution. « Le dogme de la perpétuité, disait-il, ne peut convenir à la nature humaine » ; et il ajoutait que si la société tout entière était intéressée à ce que chaque citoyen français jouît de l'intégrité de ses droits, elle l'était plus encore au maintien de la ligne rigoureuse qui sépare le pouvoir religieux du pouvoir civil. Or, ces deux pouvoirs ne seraient-ils pas étrangement confondus par l'admission de la doctrine des canons sur les empêchemens au mariage?

En terminant, M. Portalis disait que s'il n'avait pas traité le fond de la question et l'opportunité du mariage des prêtres, ce n'était pas qu'il craignît de l'aborder; mais il approuvait le silence du Code civil, et respectait profondément tout ce qui touchait aux intérêts sacrés de la conscience. Suivant lui, le Code civil, sans s'expliquer sur le mariage

des engagés religieux, n'avait pas cru devoir l'empêcher, et il fallait se tenir dans la même réserve.

M. Gaëtan de La Rochefoucauld combattit la proposition, en déclarant qu'il venait plaider la cause du serment, et en soutenant que permettre de rompre le serment religieux, ce serait dégrader la France dans l'estime des nations voisines, et la dépouiller de la confiance essentielle à son influence et à sa dignité. M. Lherbette, au contraire, se prononça pour l'opinion de M. Portalis, et alla même beaucoup plus loin que lui. Ainsi que le fit observer M. Jaubert, qui se chargea de lui répondre, il prit en quelque sorte à partie le clergé catholique, lui demanda compte de ses usages, de sa discipline, de plusieurs de ses dogmes : il considéra le mariage des prêtres comme chose éminemment utile et morale. Le même orateur, M. Jaubert, avait reproché à M. Portalis de ne soumettre à la Chambre que des propositions inspirées par une espèce de fatalité; comme preuve, il avait cité la proposition relative à l'anniversaire du 21 janvier, la proposition relative à la célébration des dimanches et fètes, et enfin la dernière, relative au mariage des prêtres. M. Portalis demanda la parole.

« J'ai été attaqué personnellement, dit-il, pour avoir soumis à la Chambre des propositions. La première a été accueillie par vous; vous avez pris en considération la seconde; la lecture de la troisième a été admise par les bureaux de la Chambre. Il me semble que si j'étais coupable, toute la Chambre le serait aussi. (Mouvemens divers.)

« Je sais fort bien que notre honorable collègue a coopéré à la révolu tion de juillet, je lui rends parfaite justice; mais j'ajouterai que moi, je suis après ce que j'étais avant. (Aux extrémités. Très bien! très bien !) »

Cette réponse attira la réplique suivante de M. Jaubert:

« Je demande aussi la parole pour un fait personnel. Ce que vient de dire l'honorable M. Portalis me paraît de nature à provoquer une réponse positive de ma part. Notre honorable collègue a dit qu'il ne niait pas la part que plusieurs de mes amis et moi notamment avions prise à la révolution de juillet; mais il a ajouté, qu'il était resté après, ce qu'il était auparavant, d'où il résulterait que certains de mes amis et moi avons renoncé à nos anciens principes. Non, messieurs, nous voulons les mêmes choses qu'auparavant, et c'est parce que nous les avons obtenues que nous voulons les défendre. (Nombreuses marques d'approbation.) »

La discussion dégénérait en personnalités : M. Dupin la fit

remonter à la hauteur de la théorie. Abordant le fond de la question qu'il avait déjà traitée devant la cour de cassation comme procureur général :

«

Je pense, dit-il, qu'il ne peut être question du mariage du prêtre en exercice, celui-là ne réclame pas contre un ordre de choses auquel il s'est soumis. Le réduire à se marier, ce serait lui proposer un sacrilége, ce serait lui donner une liberté qu'il n'envie pas, entreprendre de lui donner un droit qu'il repousserait avec horreur. Mais il s'agit du prêtre qui usant du bénéfice de la loi civile qui a proclamé la liberté de croyance et de culte, vient vous dire: Je ne suis plus catholiqne, ou je ne reconnais plus le joug catholique ; je ne suis plus prêtre, je ne veux ou ne puis plus supporter les obligations que m'impose ce caractère; je redeviens homme et citoyen français; je ne veux pas être poursuivi dans le nouveau domicile que je me suis choisi, au nom d'un culte que j'ai abjuré, ou d'une profes sion que j'ai quittée; votre loi doit me protéger, ou elle n'est qu'un mensonge. S'il n'en est pas ainsi, ne me dites pas que la religion catholique n'est plus la religion dominante, puisqu'elle veut me dominer. Je ne veux pas lui faire la loi, mais je veux me soustraire à la sienne. Si vous ne me protégez pas contre le joug qu'elle veut m'imposer, vous faites vous-même acte de tyrannie à mon égard, vous portez atteinte à mes droits; j'en appelle à mes concitoyens.

« Alors même que l'action individuelle du prêtre qui tiendrait ce lan'gage serait jugée sévèrement dans le pays, tout citoyen, voyant un droit méconnu, menacé à l'égard d'un membre de la société, doit prendre fait et cause, car le sien peut l'être à son tour sur d'autres points. En pareil cas, ce n'est plus une question religieuse, c'est une pure question de droit civil; elle consiste à se demander si, pour l'individu d'abord engagé dans les ordres, et qui ensuite déclare renoncer à l'état ecclésiastique, il y a une loi qui l'empêche de se marier. Pour répondre à cette question, il ne faut pas invoquer la loi d'un culte, mais celle du pays; car ce n'est plus un droit religieux qu'il veut exercer, mais un droit civil. Si on veut le repousser de l'exercice de ce droit, il faut lui répondre, non pas au nom des lois religieuses, mais au nom des lois civiles, s'il y en a qui aïent prohibé ces sortes de mariages. Eh bien, il n'y en a pas; le législateur n'en a pas voulu faire, et ce serait méconnaitre notre législation que de dire qu'il y a une loi civile qui empêche le prêtre qui renonce à son ministère de jour de tous les droits d'homme et de citoyen. »>

Ici M. Dupin parcourait toutes nos lois depuis celles de 90, 91 et 92, depuis le concordat de 1801 jusqu'à la Charte de 1814 et celle de 1830. Il rappelait qu'en 1813 on avait voulu faire une loi sur la matière, parce qu'on reconnaissait qu'il n'y en avait pas aujourd'hui on voulait en ajouter une à celle qu'on reconnaissait déjà faite. Quant à l'arrêt, M. Dupin, malgré sa qualité de magistrat, n'hésitait pas à le qualifier de mauvais.

<< En proposant une loi nouvelle, disait-il encore, ne risquez-vous pas de compromettre la question. C'est supposer qu'une loi est nécessaire. Si nous faisons une loi, c'est dire que celle qui existe ne suffit pas. Si après avoir

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