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lui paraissaient pas présenter le moindre doute; il n'y avait pas même prétexte de blâme dans le danger qu'avait pu courir le trésor. Le trésor n'en avait couru aucun; toujours le débiteur avait offert le remboursement de l'avance, à la signature des traités. Il s'agissait, non pas de perdre, mais de rester momentanément en avance d'une somme d'environ cinq millions pour obtenir une alliance utile, pour ouvrir un débouché à notre commerce, et pour sauver le plus possible d'une somme de cent vingt millions au profit des colons, qui en avaient déjà reçu plus de trente.

Après avoir traité de sa responsabilité collective, M. Laffitte en vint aux reproches qui lui étaient personnels, et termina ainsi qu'il suit :

«En résumé, la garantie donnée par M. de Villèle, sa confirmation par M. de Chabrol, l'escompte accordé par le ministère du 3 novembre, ne me paraissent encore qu'un accident né d'un traité politique, délicat par sa nature, dont le succès dépendait en grande partie du mystère; traité qui ne devait être soumis aux Chambres qu'après sa conclusion. Aucun des ministres n'a pensé que sa responsabilité ne fût engagée, tous ont agi dans l'intérêt public; et forts de leurs bonnes intentions, ils ont compté sur leur bill d'indemnité.

« Aussi le conseil n'approuva-t-il l'ordonnance du 30 novembre que par deux motifs exceptionnels : la certitude que 5 millions rendus à des maisons qui soutenaient le crédit et l'industrie soulageraient la détresse du commerce; la certitude que dans aucun cas les 5 millions ne seraient perdus pour le trésor.

« Du ministère Villèle, du ministère Polignac, du ministère du 8 novembre, moi seul, messieurs, j'avais un intérêt personnel dans cette opération; seul, je pourrais être coupable, l'intérêt privé aurait pu me porter à sacrifier l'intérêt public. Je n'ai changé ni d'opinion ni de principes. Momentanément attaché malgré moi dans la tempête sur les bancs des ministres, j'ai toujours siégé sur les bancs de l'opposition.

«Eh bien! en 1814, Louis XVIII me confia sa fortune particulière ; en 1815, Napoléon me confia le pain de son exil; en 1819, le gouvernement, en discussion avec d'autres contractans de nos emprunts, me choisit pour son arbitre; j'opposai mon intérêt personnel, contraire à celui qu'on voulait me confier: Raison de plus, répliqua le président du conseil des ministres. L'affaire s'arrangea.

«Sous Napoléon, sous Louis XVIII, sous Charles X, j'ai donc passé pour honnête homme. Sous Louis-Philippe, messieurs, ne le serais-je donc plus ? prononcez. Ce doute ne peut planer sur ma tête: rejetez l'amendement de votre commission, ou traduisez-moi devant la Chambre des pairs. »

Le discours de M. Laffitte fut écouté avec l'attention la plus soutenue et accueilli par des manifestations presque

générales d'approbation; des applaudissemens se firent même entendre. En lui répondant, M. Passy commença par déclarer qu'il sentait tout ce que sa mission avait de grave et de délicat. La commission avait cru devoir proposer le rejet du crédit demandé pour les avances faites aux adjudicataires de l'emprunt d'Haïti, mais la Chambre était investie d'autres pouvoirs; elle pouvait trouver dans sa conviction des considérations qu'il n'était pas loisible à une commission d'admettre. M. Laffitte donna' de nouveaux éclaircissemens, et déclara qu'il préférait une condamnation à un doute. Si donc la Chambre n'était pas complétement convaincue, il demandait de nouveau à être traduit devant la Chambre des pairs. M. Salverte plaida la cause de son collègue, sous le double rapport de la comptabilité et de la politique.

Le ministre des finances, M. Humann, prit à son tour la parole. Suivant lui, la Chambre avait à juger si les raisons qui lui avaient fait adopter la loi du 17 octobre 1830, ne devaient pas motiver également l'allocation de la dépense dont il s'agissait. A ses yeux, la mesure proposée par la commission était trop sévère et soulevait des questions bien graves.

D'abord, demandait M. Humann, existe-t-il à l'égard des ministres une double responsabilité : l'une entraînant l'accusation devant la Chambre des pairs; l'autre, purement civile, se résolvant en dommages-intérêts ? Cette dernière responsabilité, pouvez-vous l'appliquer sans information, sans instruction préalables? Voulez-vous, par voie d'amendement, juger et condamner sans entendre, et dénier ainsi le droit sacré de la défense? Le ministre des finances, quand il procède par voie de contrainte civile, ne fait qu'un acte conservatoire; il ne juge point les comptables; il laisse à ceux-ci le recours au conseil d'état, et finalement la juridiction de la cour des comptes; et en ce qui concerne les coupables, de quoi s'agit-il? De statuer sur des comptabilités appuyées de pièces, de constater des faits matériels en est-il de même pour les ministres? Nous ne le pensons pas.

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"On ne peut les assimiler à des comptables ordinaires, et procéder envers eux par voie de debet: ils sont soumis à une juridiction exceptionnelle, par la raison qu'à leurs actes se rattachent des questions politiques et de haute administration qu'il n'appartient qu'à des corps politiques d'apprécier et de juger. Si donc la contrainte civile est inapplicable au fait qui nous occupe, si le conseil d'état et les tribunaux ordinaires sont incompétens pour juger, il est évident que la proposition de votre com

mission ne peut amener le résultat qu'elle paraît avoir voulu atteindre. Selon nous, le jugement de tous les cas de responsabilité ministérielle appartient à la cour des pairs; nous pensons qu'elle a le pouvoir non seulement de prononcer sur des crimes et des délits, mais aussi de condamner au dédommagement des préjudices qu'un ministre aurait fait éprouver à

l'état,

Dans ce système, le debet reçoit la sanction d'un jugement exécutoire, et l'administration peut 'agir alors; elle ne peut rien faire dans le système de la commission. Nous vous soumettons ces considérations; la question est grave, elle réclame une solution.

« Je conçois que la commission ait voulu repousser, même d'une manière insolite, la somme de 371,051 fr., qui a été donnée en encouragement à ceux qui, dans les journées de juillet, ont tiré sur les citoyens; mais y a-t-il des motifs pour faire de même des 4,848,905 fr. ? Ce paiement a été irrégulier, on ne peut le méconnaître ; mais, messieurs, voulez-vous prêter à dire que l'on a confondu dans un même amendement réprobateur M. Laffitte et M. de Montbel? »

M. Humann répondit aux reproches adressés à l'administration des finances sur le mode de l'ordonnance du 30 novembre, et il exprima la conviction que tous les agens du trésor qui avaient eu à s'occuper de l'affaire soumise à la Chanibre, avaient tous rempli leur devoir avec droiture et probité.

Les doctrines développées par le ministre trouvèrent un adversaire dans M. Passy, qui soutint que les adopter, c'était anéantir la comptabilité publique, car, toutes les fois qu'une commission rejetterait une dépense, on lui objecterait qu'elle n'a aucun moyen de poursuite et que, son œuvre étant inutile, la Chambre n'a pas de droits à exercer. En outre, il fit remarquer que tous les argumens employés par le ministre pour l'affaire d'Haïti s'appliquaient également au paiement fait par M. de Montbel dans les journées de juillet.

Divers orateurs furent encore entendus, et entre autres, M. Mauguin, qui donna des détails sur la manière dont avait procédé la commission municipale installée le 29 juillet 1830: après quoi la discussion générale fut close et la Chambre passa à celle des articles.

12 et 13 février. Deux amendemens à l'article 1er du projet furent proposés, l'un par M. Mauguin, l'autre par M. Berryer.

L'amendement de M. Mauguin consistait à ajouter après ces mots : « sont arrêtés conformément au tableau A ci-annexé», ceux-ci : «< y compris le paiement de 4,848,905 francs, objet de l'ordonnance du 30 novembre 1830, ce qui est approuvé à raison des circonstances dans lesquelles il a été fait. »

L'amendement de M. Berryer portait : «nonobstant les graves irrégularités des deux articles de dépenses s'élevant ensemble à 5,219,956 francs. »

Voici en quoi différaient les deux amendemens: celui de M. Berryer ne s'appliquait pas seulement au paiement de la créance d'Haïti, mais aussi aux paiemens faits à divers officiers les 28 et 29 juillet, c'est-à-dire qu'il avait pour objet de couvrir toutes les dépenses qualifiées irrégulières par la commission. Au contraire, l'amendement de M. Mauguin laissait les conclusions de la commission peser sur les paicmens faits les 28 et 29 juillet, et n'accordait d'indemnité que pour l'opération d'Haïti. Il y avait encore cette différence que les qualifications qui motivaient le bill d'indemnité, étaient plus sévères dans l'amendement de M. Berryer que dans l'amendement de M. Mauguin..

On délibéra d'abord sur celui de M. Berryer, comme étant le plus large; M. Passy le combattit, et M. Salverte en demanda la division. En effet, l'amendement contenant deux parties distinctes, le président mit d'abord aux voix la question de savoir si un bill d'indemnité serait accordé au paiement des 371,000 francs. Personne, pas même M. Berryer, ne se leva pour la proposition.

Alors M. Mauguin développa son amendement, que vint appuyer M. Laffitte; mais M. Augustin Giraud proposa ún sous-amendement ainsi conçu : «y compris le paiement des 4,848,905 francs, irrégulièrement autorisé par l'ordonnance du 30 novembre 1830, laquelle est admise à raison de la gravité des circonstances. »

« Messieurs, dit-i!, peu de mots suffiront pour justifier mop amende

ment. Tout le monde est d'accord, il n'existe plus d'équivoque, il y a eu irrégularité; M. Laffitte a reconnu lui-même qu'il y avait eu oubli des formes voulues par la loi. Je demande à la Chambre de consacrer les principes exposés et défendus consciencieusement par votre commission. Je propose à cet effet d'ajouter les mots autorisé irrégulièrement, et de substituer le mot admis au mot approuvé.

« Ce changement est nécessaire; car si vous reconnaissez qu'il y a eu irrégularité, vous ne pouvez approuver, mais admettre; sans cela, ce ne serait plus un bill d'indemnité que vous accorderiez pour un acte irrégulier, mais une approbation qui impliquerait que l'acte est reconnu régulier. « Vous ne pouvez donc approuver, mais admettre. >>

M. Berryer déclara qu'il se réunissait au sous-amendement, M. Mauguin que, sans s'y réunir, il ne s'y opposait pas, et la Chambre, après l'avoir accueilli à la presque unanimité, vota l'ensemble de l'article.

La commission avait proposé les deux articles additionnels suivans:

« Art. 9. A dater de l'exercice 1834, les recettes, et les dépenses spéciales de l'Université, de la Légion d'Honneur, des haras, des écoles de Lyon et d'Alfort, et des brevets d'invention, rentreront dans le budget général de l'état.

Les produits de ces fonds spéciaux seront appliqués aux recettes diverses, et il sera ouvert des crédits législatifs aux ministres chargés de l'exécution de ces différens services.

10. Les rentes inscrites au nom de l'Université et de la Légion-d'Hon. neur sont annulées et rayées du grand-livre. »

de

Mais la Chambre, après une discussion animée, n'adopta que la partie concernant la taxe des brevets

ces articles

d'invention.

Plusieurs amendemens ou articles additionnels furent encore présentés, rejetés pour la plupart ou admis en partie. Dans cette dernière classe, il faut remarquer l'article proposé par M. Mercier, et divisé en trois paragraphes, dont le premier portait que toute ordonnance royale ne serait exécutoire qu'après avoir été insérée au Bulletin des lois; le second, que la comptabilité des matières appartenant à l'état serait soumise, comme celle en deniers, au jugement de la cour des comptes; le troisième, qu'à l'avenir la loi des comptes serait apportée aux Chambres dans le même cadre et la même forme que la loi de présentation du budget, et qu'elle serait votée de même que le budget, suivant les

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