Images de page
PDF
ePub
[ocr errors]

sur 113 votans il n'y eut que trois votes négatifs. 6 et 7 mars. Le projet de loi sur le régime législatif des colonies ne souffrit pas plus de contradiction; seulement M. Villemain appela l'attention sur l'article 10, qui conférait au conseil colonial la faculté d'émettre ses vœux soit par forme d'adresse au roi, soit par celle de mémoire au gouverneur. L'orateur demandait quels seraient l'effet et la portée de ces mémoires: le gouverneur pourrait - il être à la fois accusé devant le souverain par l'adresse et mis en demeure par le mémoire ? Après M. Villemain, M. Mounier proposa une autre rédaction de l'article qui obtint la préférence. On procéda au scrutin, et la loi fut votée à une majorité non moins forte que la loi précédente (118 voix contre 5).

A la Chambre des députés, où les deux projets furent bientôt portés (15 mars), la commission par l'organe de M. Ch. Dupin, son rapporteur, conclut à leur adoption sans amendement (3 avril). La discussion remplit à peine trois séances (13, 20 et 22 avril), et n'offrit aucun incident remarquable, si ce n'est l'insistance de quelques orateurs, et notamment de M. de Lafayette, pour faire substituer dans la Charte coloniale le mot de gardes nationales à celui de milices d'autres amendemens de moindre importance furent encore présentés et repoussés par la Chambre, qui adopta le premier projet à la majorité de 241 voix contre 5, et le second à celle de 216 contre 26.

Ce n'est pas sortir de l'ordre des matières dont nous venons de parler, que de mentionner ici la conclusion en 1831 d'un traité entre la France et l'Angleterre, pour rendre plus efficaces les moyens de répression opposés jusqu'à présent au trafic des noirs; traité qui venait de recevoir son complément par une convention supplémentaire signée à Paris le 22 mars 1833 (voy. l'Appendice).

Nous avons maintenant à rendre compte d'une discussion incidente, soulevée dans la Chambre des députés par une

lettre que lui adressa M. Cabet, l'un de ses membres (20 février). Auteur d'un ouvrage sur la révolution de 1830, à raison duquel il avait été en butte aux poursuites du ministère public, et frappé d'une condamnation par défaut obtenue la veille de l'ouverture de la session, M. Cabet crut avoir à se plaindre de ce que l'autorité judiciaire refusait de statuer sur son opposition : il voyait dans ce fait un déni de justice, et, après avoir relaté toutes les démarches par lui tentées pour être jugé, il priait le président de consulter la Chambre, en renvoyant sa demande aux bureaux et à une commission, pour savoir s'il pouvait et devait requérir lui-même, pour le procureur-général, l'autorisation de le poursuivre devant la cour d'assises.

M. Martin (du Nord), rapporteur de la commission à aquelle la demande de M. Cabet fut soumise, commença (9 mars) par rappeler l'article 44 de la Charte, établissant qu'aucun membre de la Chambre des députés ne peut, pendant la durée d'une session, être poursuivi ni arrêté en matière criminelle, sauf le cas de flagrant délit, qu'après que la Chambre a permis la poursuite.

« Vous ne sauriez long-temps, messieurs, ajoutait-il, conserver le moindre doute sur le sens de la communication et le but que se propose son auteur. M. Cabet ne s'adresse pas à vous pour que vous leviez l'obstacle qui empêche qu'il soit statué sur son opposition; mais il désire que vous lui disicz s'il peut et s'il doit former cette demande; il reconnaît que votre réponse le laissera dans la même position à l'égard de la justice; mais avant que d'en sortir il veut savoir si à vos yeux la loi l'autorise à provoquer directement la continuation des poursuites, et si cette démarche ne contrariera ni les convenances ni les vues de la Chambre.

Votre commission s'empresse de le déclarer, M. Cabet n'a pas exercé le droit qui peut lui appartenir, et il voudrait obtenir de vous une décision que vous ne rendrez pas, messieurs, parce qu'elle ne rentre pas dans vos attributions, et qu'elle pourrait avoir des conséquences que votre dignité ne saurait admettre.

« Si M. Cabet, en vous exposant qu'il ne peut rester plus long-temps sous le coup d'une accusation qui inculpe son honneur; que la condamnation qui l'a frappé, il croit pouvoir la faire anéantir; que sa conscience, qui a toujours été pure, s'indigne de retards qui suspendent la manifes tation de la vérité et la déclaration de son innocence, venait solliciter l'autorisation dont l'art. 44 de la Charte a consacré la nécessité, il aurait droit à l'examen le plus sérieux des questions que nous avons indiquées; et votre opinion, réfléchie autant qu'impartiale, ne se ferait pas attendre. « Mais lui donnerez-vous le conseil qu'il vous demande? 'lui tracerez

vous la règle de conduite qu'il doit suivre? Nous ne le pensons pas. Vous faites des lois, vous prenez des résolutions, vous portez des décisions dont rien ne peut arrêter l'effet, lorsqu'elles ne sont pas soumises à la sanction d'un autre pouvoir; mais le pays ne vous a pas confié le soin de discuter des théories dans le but unique de dissiper les doutes ou de détruire les scrupules que peuvent éprouver quelques uns de vos collègues. »

Le rapporteur faisait sentir qu'en effet la Chambre né pouvait s'exposer à voir ses avis méprisés, l'autorité de son opinion méconnue.

11 mars. La discussion s'ouvrit par un discours dans lequel M. Cabet critiquait les conclusions du rapport. Suivant lui, la commission avait équivoqué en disant que le ministère public pouvait bien ne pas poursuivre un député par respect même pour la Chambre, et qu'il était libre d'attendre la fin de la session: oui sans doute, lorsque le ministère public ne commençait pas les poursuites avant l'ouverture de la session, lorsqu'il n'obtenait pas de jugement par défaut. Alors il était libre d'attendre le moment qui lui convenait, car il ne blessait pas le député, et ne portait pas d'atteinte aux droits de la Chambre. Mais telle n'était pas la question : le ministère public avait poursuivi un député absent : il l'avaît fait condamner la veille de l'ouverture des Chambres. Là position du député devenait extrêmement grave, si d'une part le ministère public laissait passer cinq, six ou huït mois sans demander l'autorisation de la Chambre, si de l'autre le député ne pouvait la réclamer lui-même. Dans ce cas, le ministère public ne respectait pas les droits de la Chambre, ni les droits du député, surtout quand le député insistait de toutes ses forces auprès du ministère public pour qu'il fît juger la question, c'est-à-dire pour qu'il sollicitât l'autorisation de la Chambre des députés.

« C'est donc une question grave, disait en terminant M. Cabet, que celle que vous avez à juger; elle intéresse la Chambre, elle intéresse son indépendance, et c'est sous ce rapport que j'ai cru de mon devoir de faire tous mes efforts pour que la question fût décidée par elle de manière à ne pas porter atteinte à cette indépendance.

« Si elle décide que ce n'est pas au ministère public à requérir l'autorisation de poursuivre, ou si elle adopte les conclusions de la commission, je prends l'engagement, dans tous les cas, de demander immédiatement Pautorisation de la Chambre. ( Aux voix ! aux voix!) »

[ocr errors]

M. Garnier Pagès, qui' succéda à M. Cabet, soutint que le seul moyen d'en finir et de faire justice, c'était dé renvoyer au garde des sceaux la demande adressée à là Chambre passer à l'ordre du jour, ce serait au contraire faire vis-à-vis d'un collègue ce qu'on ne se permettrait pas à l'égard d'un pétitionnaire étranger.

Le procureur-général, M. Persil, répondit aux deux orateurs, et d'abord réfuta quelques assertions de M. Garnier Pagès relativement aux persécutions dont, suivant ce dernier, trois députés auraient été victimes après les événemens de juin 1832. Ce n'était pas l'un de ces trois députés qu'on avait voulu atteindre par la poursuite dont s'occupait la Chambre : la poursuite avait atteint non la personne, mais l'ouvrage, parce que l'ouvrage contenait des doctrines qui

nécessairement devaient être condamnées. Passant de l'examen des faits à la question fondamentale :

« Quel est dans tout ceci, disait-il, l'unique objection qu'on fait ? C'est qu'il est contre toute raison, dit M. Cabet, de forcer un homme qu'on veut poursuivre à demander lui-même l'autorisation d'être poursuivi.

« Messieurs, la question présentée ainsi, l'honorable M. Cabet a raison : s'il n'y avait pas eu de poursuite, et que le procureur-général eût l'intention de commencer une poursuite contre un député, il serait naturel qu'il s'adressát à la Chambre pour demander l'autorisation de poursuivre un de ses membres.

Mais il n'en est pas ainsi. M. Cabet é it prévenu, il était jugé, condamné; de la part du ministère public tou était consommé, jusqu'à ce que M. Cabet, aux termes de nos lois, rendit la vie à la poursuite. Eh bien! il n'est pas juste de dire que M. Cabet doit venir demander l'autorisation d'être poursuivi. Non, c'est l'autorisation d'employer les moyens de se débarrasser d'une condamnation qui pèse sur sa tête; et j'avoue que je ne comprends pås, moi, comment M. Cabet a attendu si long-temps por demander cette autorisation. >>

M. le général Lafayette prit la parole immédiatement après M. Persil; mais, abandonnant presque aussitôt la question relative à M. Cabet, l'honorable membre se plaignit hautement d'un fait consommé trois jours auparavant dans son domicile de La Grange, de l'arrestation d'un illustre Polonais, M. Lelewel, membre du gouvernement présidé par le prince Czartoryski, jouissant d'une grande renommée littéraire et scientifique.

Ainsi interpellé, le ministre de l'intérieur donna des explications dont il résultait que M. Lelewel étant venu plusieurs fois de La Grange à Paris, au mépris de sa promesse formelle, le préfet du département avait été chargé de l'engager à se rendre volontairement à Tours: cette invitation n'ayant produit nul effet, et M. Lelewel continuant à s'absenter de La Grange, un nouvel ordre fut adressé au préfet, afin de prendre toutes les mesures nécessaires pour que M. Lelewel fût éloigné. Du reste, le ministre protestait contre toute violation de domicile commise chez M. de Lafayette, et qu'aucun ordre émané de lui n'avait autorisée.

M. Mauguin et M. le garde des sceaux furent entendus ; MM. Garnier Pagès et Cabet parlèrent encore; ensuite l'ordre du jour fut mis aux voix et adopté à une forte majorité, Alors le garde-des-sceaux monta à la tribune, et s'exprima ainsi :

« Messieurs, je vous ai déjà dit les motifs qui nous avaient déterminés à ne pas vous demander l'autorisation de poursuivre M. Cabet, député de la Côte-d'Or; nous avions voulu lui laisser, pendant la session, le privilége de son inviolabilité, et nous avions répugné à interrompre vos travaux législatifs, pour vous soumettre des questions propres à soulever des passions; mais puisque cette affaire a été portée à cette tribune, tout irrégulière qu'a été la démarche de M. Cabet, qui demandait à la Chambre une consultation que la Chambre ne pouvait lui donner et qu'elle vient de lui refuser en passant à l'ordre du jour, les motifs dn gouvernement ont cessé -d'exister; il est, au contraire, de son devoir de prouver que toute pensée de persécution a été étrangère à l'action de la justice. Je me contenterai de la lecture de quelques passages qui seront le véritable exposé des motifs de la demande que je soumets à la Chambre.

« Voici la proposition:

» A M. le président de la Chambre des députés.

« Le garde-des-sceaux ministre secrétaire d'état au département de la justice;

« Vu l'arrêt par défaut du 16 novembre 1832, rendu par la cour d'assiscs de la Seine contre M. Cabet, membre de la Chambre des députés; « Vu l'opposition à l'exécution de cet arrêt, par acte dressé au greffe de la cour royale de Paris, à la date du 21 novembre dernier; « Vu l'art. 44 de la Charte constitutionnelle,

« A l'honneur de demander à la Chambre d'autoriser le procureur-général près la cour royale de Paris à poursuivre M. Cabet, député de la Côte-d'Or, à l'effet de faire statuer sur l'opposition par lui formée à l'exécution de l'arrêt par défaut du 16 novembre 1832.

« Le garde-des-sceaux ministre secrétaire-d'état au département de la justice, BARTHE.

« PrécédentContinuer »