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du ministère, voyait autant d'actes consommés en violation des lois au préjudice de la branche aînée, il les énumérait à son tour, non sans exciter des murmures, des interruptions, et il déclarait qu'il était temps de s'arrêter.

« Vous arrêter, messieurs, ajoutait-il! Mais en effet, ne comprenezvous pas que cette délibération jetterait encore le trouble dans les pouvoirs? ne comprenez-vous pas que toute cette discussion perd même tout caractère d'honneur et de loyauté, car elle ne peut pas être de bonne foi? Le récit qu'a fait le ministre des affaires étrangères des grands événemens qu'il a signalés et caractérisés, le fait consommé dans la journée du 7 août 1830 signale le point de vue sous lequel se présente madame la duchesse de Berry, sur le sort de laquelle vous êtes appelés à délibérer; elle représente un principe, un fait antérieur à celui dans lequel la chambre actuelle a pris naissance. Ce sont deux principes opposés:

« Le 7 août 1830, vous avez déclaré qu'attendu que les princes de la branche aînée étaient hors du territoire où en sortaient, il y avait lieu à pourvoir à la vacance du trône; et vous avez constitué un ordre de choses qui est en opposition avec l'ordre de choses auquel appartenait madame la duchesse de Berry. D'après le principe qui était la loi fondamentale de cet ordre de choses, elle représente son fils appelé à continuer cet ordre de choses. C'est donc vous convier à détruire votre propre ouvrage, ou à faire un acte de violence, de nécessité, que de vous demander de délibérer si vous délibériez, vous seriez juges et partie. Tout ce qui peut ressembler à une délibération, à un jugement, ne peut être accueilli dans un tel état; il ne peut y avoir délibération que par ceux qui ont protesté contre l'événement du 7 août; mais pour le gouvernement, il ne peut y avoir délibération légale en demeurant fidèle au droit; il ne peut être question que de précautions pour se maintenir. Le pouvoir est établi, il a dû prendre des mesures pour sa conservation : quant lă delibération, elle ne peut être, comme on l'a dit, qu'une comédie; les votes sont tracés à l'avance. Vous ne pouvez point délibérer: c'est sur ce point de fait que je dis qu'il faut passer à l'ordre du jour.

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« Si l'on renvoie au ministère, de deux choses l'une ou ce sera pour faire juger, ou pour qu'il exécute l'ordonnance du 8 novembre dernier. Sous ces deux rapports, il est évident que le renvoi aux ministres est inutile; car d'une part, le jugement ne peut avoir lieu, et les ministres, mieux avisés, n'essaieraient pas de présenter un projet de loi pour faire statuer sur la duchesse de Berry. Je ne m'arrête pas aux considérations présentées par M. le ministre, d'où il a fait résulter l'impossibilité du jugement; je ne m'arrête pas aux craintes qu'il a manifestées sur le désordre que la question de jugement exciterait dans le pays; mais je comprends ce qu'a dit M. le ministre, quand, analysant la question portée devant la cour d'assises, il a dit: Ce serait la question d'existence du gouvernement, ce serait tout l'ordre de choses actuel qui serait mis en jugement en présence du droit que la duchesse de Berry tient de l'ancien ordre de choses. (Bruits divers.)

Je ne saurais le nier, messieurs; c'est avec un grand discernement et avec un grand esprit de franchise que M. le ministre a posé ici la question de cours d'assises. Quand je m'oppose au renvoi devant le ministre afin de solliciter la mise en accusation, je ne m'arrête pas à cette première considération; il en est d'autres bien plus graves.

Pour qu'il y ait jugement, il faut qu'il y ait juridiction; pour qu'il y

ait jugement, il faut qu'il y ait une loi applicable, et le jugement se prononce en conséquence de l'obligation violée.

« La loi n'est applicable qu'autant qu'elle est obligatoire; et parce qu'il y avait obligation de soumission de la part des sujets envers le souverain, ces rapports du sujet envers le souverain, quand ils ont été violés, nécessitent l'application des lois qui les établissaient d'une manière naturelle et nécessaire.

« Mais s'il s'agit d'une question où l'on ne puisse pas parler de soumission au pouvoir établi; s'il s'agit d'un accusé qui n'était pas sujet du chef du pouvoir, tous les principes sont violés, si vous venez soulever une question de jugement. Trouvez douze jurés qui déclarent dans une cour d'assises que la duchesse de Berry a été rebelle envers le gouvernement dont Louis-Philippe est le chef; vous ne pourrez les rencontrer, à moins que l'on ne trouve des jurés qui cèdent à des questions de passions et de nécessité, que l'on peut introduire, je crois, dans des circonstances graves, mais que je ne conçois pas que l'on puisse introduire dans des décisions judiciaires.

« Quelques personnes ont proposé une juridiction exceptionnelle, la cour des pairs. Mais cette proposition, qui ne change rien à la question principale de savoir s'il peut y avoir jugement, déclaration de rébellion, répression pour violation à la loi, au gouvernement auquel on était soumis, ne présente qu'une inconséquence de plus; car pourquoi la chambre des pairs? Est-ce en considération du haut rang, de la dignité de la personne? L'inconséquence serait plus grave, si avec cet aveu vous la livriez à cette juridiction. Je ne cherche pas des émotions qui, malgré moi, me pénètrent, mais il y a dans le rapprochement de cette Chambre des pairs où Louvel a été condamné, et où madame la duchesse de Berry serait amenée, quelque chose qui blesse les cœurs généreux. Je crois voir, dans l'immense tragédie des malheurs de cette famille une sorte de règle qu'elle soit là, pour que le dernier acte se consomme où le premier a com

mencé.

« Ecartons donc la question de jugement par les tribunaux ordinaires ou extraordinaires; car il ne peut pas être question de jugement là où tous les principes sont évidemment violés. De ces observations, messieurs, il résulte que le renvoi au ministre, qui vous est proposé, serait sans objet.

« C'est toujours au nom de la nécessité que l'on viole les principes fondamentaux de la société ; c'est au nom de la nécessité que l'on prétendrait présenter un projet de loi dans les termes de l'ordonnance. Pourrait-il être dans la volonté de cette Chambre de demander un projet de loi qui ne serait, après tout, qu'une décision sur des faits accomplis?

« Rappelez-vous quelles raisons ont en tout temps été mises en avant, lorsque après avoir pris quelque mesure politique de cette nature, on a voulu J faire participer les Chambres. Si je résume les raisons présentées dans les premiers temps de la Convention, vous verrez qu'ils sont iden. tiquement les mêmes. Quand Robespierre et d'autres disaient qu'il fallait se créer une providence nationale, ce résultat ne fut pas seulement de faire prononcer l'inique et fatal jugement d'un seul homme, d'un roi, mais d'ouvrir la carrière dans laquelle on a marché. Quand la confusion des pouvoirs a été accueillie, quand les décisions législatives ont pu donner ouverture à des dispositions injustes, les lois de proscription sont devenues sans nombre. Vous connaissez l'histoire : je repousse toute analogie offensante, vous ne voudrez pas ordonner un renvoi qui aurait pour effet d'appeler vos délibérations sur une loi semblable.

«Des hypothèses qui vous ont été présentées, il en est une encore sur laquelle je ne vois pas que la Chambre ait à délibérer, sur laquelle je crois qu'il faut clore toute discussion, puisqu'il ne nous appartient pas de pro

noncer, et que législatif.

la solution d'une telle question n'appartient pas au pouvoir

L'on a dit qu'on pouvait considérer madame la duchesse de Berry comme prisonnière de guerre, et qu'en conséquence on prendrait à son égard telle mesure qu'il conviendrait. Je comprends mieux ainsi la position. J'admets l'hypothèse de M. le ministre des affaires étrangères, sur Jaquelle la Chambre n'a pas à s'expliquer. Le droit de paix et de guerre s'exerce par le pouvoir exécutif, et l'intervention des Chambres n'est dans ce cas que secondaire, et n'a lieu que pour ratifier par les conséquences financières les actes du pouvoir exécutif. Sous ce rapport, la Chambre, Dieu merci, peut donc garder le silence, et par l'ordre du jour on entend laisser tomber sur le ministère la responsabilité de la solution de cette question.

<< Dominant toutes les considérations, je ne demande pas au ministère d'écouter les vœux des partis; je ne lui demande pas d'obéir aux ardentes prières des personnes qui en France sont vivement touchées du sort de madame la duchesse de Berry, qui ont gardé d'elle un souvenir, qui manifestent tant de zèle en sa faveur ; je lui demande seulement de bien apprécier les circonstances où nous sommes, de ne se laisser aveugler par aucun emportement d'intérêt actuel, mais de considérer les intérêts à venir (murmures), de jeter un coup d'œil sur les quarante dernières années de notre dernière révolution, et de considérer quel a été le sort de la plupart des institutions que l'on avait faites. Toutes ces considérations, touchent au repos, à la paix du pays, c'est au ministère à les peser; n'a dans ce moment qu'un pouvoir de fait ; il détient la eaptive, il assi-. mile ses actes au cas de guerre. La résolution lui appartient tout entière, la responsabilité ne doit peser que sur lui; les Chambres doivent être com plétement en dehors. Elles ne peuvent rentrer dans la question qu'en rentrant dans la carrière qu'a signalée en termes si effrayans M. le ministre des affaires étrangères.

qui

« Je persiste à demander à la Chambre de reconnaître qu'il ne lui appartient pas de s'immiscer dans la question, de se constituer juge et partie, et de procéder par un ordre du jour à la solution de la question actuellement ouverte. »

Le ministre du commerce et des travaux publics, M. Thiers, s'empressant de monter à la tribune, commença par ces paroles: « Je viens, dit-il, appuyer l'ordre du jour et contre ceux qui l'ont combattu, et contre le dernier orateur qui l'a si habilement compromis en le défendant. (Rire général d'approbation.) »

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Après avoir dit que le ministère ne redoutait point la responsabilité de l'arrestation de la duchesse de Berry, 'qu'il ne voulait pas rejeter cette responsabilité sur la Chambre, et que c'était pour rendre hommage au gouvernement qu'il avait résolu de s'en expliquer devant la Chambre, M. Thiers entreprenait de répliquer aux deux opinions qui s'étaient déjà expliquées.

A la première opinion, celle des partisans de la prisonnière, qui, ne considérant le gouvernement que comme un gouvernement de fait, lui refusaient le droit de faire juger la princesse, il répondait que, dans cette hypothèse même, le droit du gouvernement serait inattaquable, mais que d'ailleurs le gouvernement de juillet n'en était pas réduit à cet argument, que son droit sortait de l'origine la plus pure et la plus sacrée, d'une révolution qui avait exprimé d'une manière si terrible, si éclatante et si généreuse en même temps, la volonté nationale.

A la seconde opinion, qui, en vertu du principe de l'égalité devant la loi, demandait le renvoi de madame la duchesse de Berry aux tribunaux ordinaires, M. Thiers accordait que ce principe était la plus belle conquête de la révolution de 89, confirmée par celle de 1830. Cependant il faisait observer que, pour certaines existences, renfermées dans le cercle d'une famille, la loi commune ne suffisait pas, soit que cette famille fût en possession du trône, soit qu'elle en fût descendue. A l'égard d'une famille qui a régné, il n'existe pas de jugement; on ne juge pas les princes. dans les temps de barbarie ou de passions politiques, on les immole; dans les temps de générosité, de civilisation, comme le nôtre, on les réduit à l'impuissance de nuire. Toutes les formes judiciaires ne sont que de l'hypocrisie : c'était une hypocrisie que le jugement de Charles Ier, que le jugement de Louis XVI, que la commission militaire qui jugea le duc d'Enghien dans la prison du château de Vincennes. Une mesure politique ne saurait effrayer personne, car il n'y a pas dans l'état une seconde famille à qui cette mesure pût être appliquée.

« Si vous appelicz madame la duchesse de Berry devant les tribunaux poursuivait-il, dites-nous comment yous établiriez cette cause; car enfin si vous voulez faire un procès, il faut se soumettre à toutes les formes judiciaires; devant les tribunaux il faut un fait précis, une loi, des témoins. (Mouvement d'attention.) Eh bien! vous avez eu d'autres causes politiques devant les tribunaux, vous en savez les résultats. Madame la duchesse' de Berry est descendue en France... (Nouveau mouvement d'attention. )

Il ne suffit pas que nous l'y ayons trouvée. Quant à ce fait, il est incontestable.

« La loi de 1831 ne prononce que l'exclusion. C'est donc un renvoi, si vous n'avez pas d'autre preuve que sa présence en France. Pour qu'elle soit jugeable, que le procès ait une issue et ne soit pas un triomphe pour elle, il faut que vous puissiez prouver autre chose que sa présence; la participation directe aux faits de guerre civile qui ont éclaté dans la Vendée. (Bruit confus... Quelques voix Et les proclamations!... Vous avez entre vos mains toutes les pièces pour établir ces faits.)

a M. le ministre. On parle des proclamations, on les niera devant les tribunaux. On vous cite la conviction que tout le monde a et que j'ai aussi, car comme vous je pense que madame la duchesse de Berry est venue en Vendée pour y exciter la guerre civile. En politique, cette conviction est une preuve; devant les tribunaux ce n'en est pas une; il vous faudrait des témoins qui vous disent qu'ils l'ont vue à la tête des bandes; et je yous le demande, où sont ces témoins? ( Murmures... agitation. )

« Je dis que la duchesse de Berry échappe au droit commun; que la cause elle-même, par sa nature, parce qu'elle est toute politique, échappe aussi aux formes judiciaires; que le procès n'amenerait que ce que nous redouterions tous, un acquittement après jugement. Eh bien! l'acquittement de madame la duchesse de Berry à la face du pays serait une condamnation du gouvernement même. Je sais bien qu'il est au-dessus des erreurs même de la justice; mais puisqu'il s'agit ici de politique, que c'est de politique que nous parlons, je vous le demande, voudriez-vous un événement comme celui-là ?

« Vous vous rappelez toutes les attaques auxquelles le gouvernement a été en butte à l'occasion d'un de nos collègues qui a été acquitté. Que serait le procès de M. Berryer, puisqu'il faut le nommer, à côté de celui de madame la duchesse de Berry; que serait-ce qu'un tel acquittement à la face de nos lois et nos convictions mêmes? (Murmures.)

«M. Berryer. Si j'ai été acquitté, c'est que l'on a bien jugé, personne ne s'en plaint.

« M. le ministre. Je suppose enfin que vous l'ameniez à Paris, qu'elle parût devant la juridiction à laquelle sont déférés habituellement les délits politiques. Permettez-moi de vous montrer les conséquences d'une conduite qui me semble telle que je ne conçois pas que des hommes raisonnables, attachés à leur pays, puissent nous conseiller de lui en1 donner le spectacle.

Vous la feriez venir de Blaye à Paris ; vous échelonneriez 80 ou 100 mille hommes sur la route.

« Une voix. Vous disicz, qaurean bruit, vives réclamations.) n'y avait pas de carlistes: il y en a

donc ?

« M. le ministre. Vous transporteriez la prisonnière à Paris; vous l'enverriez sur la sellette du Luxembourg; vous la mettriez en face de la Chambre des pairs, de l'un des grands pouvoirs de l'état; vous renouvelleriez les scènes épouvantables et devenues plus graves encore, du jugement des ministres. (Dénégations nombreuses... Longue agitation.)»

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Lorsque le calme eut été rétabli, M. Thiers termina en rappelant les entreprises des partis, en indiquant leurs espérances, et en exprimant la conviction que la Chambre s'ap pliquerait à les tromper.

Deux des orateurs les plus influens de l'opposition répli

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