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quèrent au ministre. M. Salverte fit observer que la stabilité des états dépendait du maintien scrupuleux et inviolable de la loi fondamentale, et qu'on pouvait réclamer l'exécution de cette loi, sans être un factieux. Quant au pouvoir de faire ce qu'on appelait des actes politiques, il le cherchait vainement dans la Charte.

«M. le ministre des affaires étrangères, disait-il, a prétendu établir ce pou voir sur la nécessité, ct là-dessus il a assimilé la révolution de juillet, la déchéance de Charles X, tous les actes qui en ont été la suite, à des actes émanés de ce pouvoir politique. Non, messieurs, c'est méconnaitre absolument les événemens. Il a parlé de la Charte qu'on avait violée. La Charte de 1814? elle n'existait plus; Charles X l'avait déchirée et en avait jeté les lambeaux au vent; ils n'ont pas été retrouvés : la Charte de 1830 ? elle n'existait pas encore, elle était à faire.

« Charles X s'était mis en guerre avec la nation, la nation l'a renversé On a argué de sa générosité pour le malheur, des égards qu'on a eus pour Charles X à son départ, c'est à tort. La nation lui a dit: Sortez du territoire, nous vous épargnons, nous oublions le passé; mais ce n'était pas une dette, c'était un acte digne de la nation française, dont on ne peut inférer que Charles X a des droits; il n'en avait pas conservé, la révolution, et non pas cet empire fictif de la nécessité, avait brisé tous ses droits. La loi du bannissement en était une conséquence nécessaire, évidente.

« J'ai entendu parler tout à l'heure de loi fondamentale qu'on avait renversée, de quatorze siècles d'existence qui avaient donné leur sanction à la légitimité. Ces paroles souvent répétées ne s'adressent qu'à des hommes qui ignorent l'histoire de la monarchie, combien elle a été peu stable, combien a été restreinte l'allure du pouvoir monarchique; surtout elles ne peuvent pas s'adresser aux hommes qui ont fait la révolution de 89 et de 1830. Laissez donc de côté ce mot nécessité. Tous les actes qui ont suivi la révolution de juillet ont été faits par cette révolution, et en ont été le complément; et vouloir aujourd'hui, sous quelque prétexte que ce soit, recourir à une nécessité, ce serait supposer que nous sommes encore en révolution. »

M. le ministre du commerce avait dit que le procès était impossible, parce qu'il fallait des faits, une loi, des témoins; et l'instant d'après, le ministre lui-même avait cité des faits très-positifs et très-graves.

« Quant à la loi, ajoutait M. Salverte, elle est dans le Code pénal; je ne sache pas qu'il y ait nulle part une loi qui permette des actes semblables à ceux dont M. le ministre des affaires étrangères est convenu que madame de Berry était avec raison accusée.

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« Mais, vous dit-on, elle est sortie du droit commun. Pourquoi? parce que la loi du 10 avril 1831 a déclaré qu'elle n'est plus Française, qu'elle ne peut plus posséder en France; par conséquent elle est étrangère à vos lois. Un honorable député de la Haute-Loire a été plus loin, il vous a dit qu'elle ne pouvait être soumise aux lois. Supposez que la loi de 1831 ait assimilé madame de Berry à une personne frappée de mort civile, qu'elle l'ait rendue semblable à un étranger; dans tous les cas, si les faits

dont elle est accusée, qui ressortent des pièces qu'on a saisies à l'époque de son arrestation et dans d'autres circonstances, constituaient un délit contre la sûreté de l'Etat, il est évident qu'une personne frappée de mort civile, qu'un étranger qui excite à la guerre civile, à l'assassinat, est dans tous les pays du monde justiciable des tribunaux du pays qu'il veut troubler; que, quand on est sur un Etat quelconque, il n'est pas besoin d'avoir prêté serment aux lois du pays; son droit est de se défendre et de frapper celui qui le trouble de la loi que personne n'est censé ignorer. Mais, vous a dit l'honorable député de la Haute-Loire, vous seriez à la fois juges et parties; madame de Berry représente un parti opposé à la révolution de juillet, au gouvernement que vous avez fondé. Il n'arrive jamais qu'une société soit ainsi divisée, ou bien il n'y aurait que la force entre les deux factions ainsi séparées. Ici le peuple français a prononcé ; et certes, quoiqu'on nous ait parlé de quelque quatre-vingt ou cent mille mécontens, en supposant qu'ils existent, ce, que je ne crois pas, leur nombre ne ferait pas que la décision du peuple français dût être invalidée.

« Quant au danger qu'on a prétendu faire ressortir d'un procès où, dit-on, le droit de la révolution de juillet serait mis en doute, je ne crois pas que vous puissiez en être touchés. Comme l'a dit l'un des ministres, nous avons tous foi dans la durée de la révolution et des institutions qu'elle a fondées ; nous ne craignons pas davantage qu'il soit besoin d'avoir quatrevingt ou cent mille soldats échelonnés sur la route pour un pareil jugement. «Que l'on n'assimile pas cet événement à celui du procès des ministres. Il est arrivé dans un temps où les esprits ne se ressentent plus des inconvéniens de la révolution; vous êtes aujourd'hui tranquilles, parce que les derniers événemens politiques ont prouvé à tous comme à vousmêmes qu'on ne vous attaquerait pas impunèment; qu'à l'extérieur, comme à l'intérieur, vous étiez maîtres de vos propres affaires. Dans cette position, il faut que la loi s'exécute, qu'il n'y ait, comme on l'a dit, que le Roi d'inviolable en France.

« Quant à cette singulière théorie qui viendrait faire partager à sa famille une partie de son inviolabilité, je ne ferai qu'une réponse: elle est bien simple; c'est que toutes les exceptions à la loi commune doivent être écrites dans la loi. L'exception qui empêcherait de soumettre à un jugement les personnes d'une famille qui a régné ou qui règne actuellement, n'existe pas dans la Charte ; vous ne devez pas la supposer.

« Pour le mouvement dont on a parlé, soyez sûrs que la violation de la loi exciterait le mécontentement, et qu'au contraire son exécution achè verait d'user l'espérance aux partisans dela dynastie déchue.

« Je n'ajouterai qu'un mot : en réclamant l'exécution de la Charte, nous savons qu'elle contient tout ce qui est nécessaire pour concilier la sûreté et la dignité de la nation avec les vœux que peut vous inspirer la générosité du caractère national. »

M. Odilon Barrot s'attacha d'abord à faire comprendre quelles seraient les conséquences de l'ordre du jour proposé par la commission. La commission avait bien déclaré qu'elle n'entendait engager la Chambre dans aucune des questions que pouvaient soulever les pétitions, que cet ordre du jour ne serait de sa part qu'une déclaration d'incompétence, d'absence de pouvoirs, pour s'immiscer dans des questions dont Ann. hist. pour 1833.

la loi seule pouvait donner la solution: mais le ministère. était venu dire au contraire : « Cet ordre du jour, c'est la sanction de ce que j'ai fait; c'est mon bill d'indemnité. » Voilà ce que l'ordre du jour voudra dire: voilà le sens que le ministère a résolu d'y attacher.

« La question ainsi posée, continuait l'orateur, mérite toute votre attention. Je sais tout ce qu'on a dit sur l'omnipotence parlementaire; on ă prononcé une fort belle phrase, et qui paraît avoir excité quelque sympathie de la part de cette Chambre; on a dit qu'il était des pouvoirs qui ne devaient s'arrêter que devant les limites que la raison et la prudence leur assignaient. Je nie cette omnipotence parlementaire; je suis heureux de sentir des limites précises dans lesquelles les pouvoirs sont circonscrits; je nie que nous puissions jamais sortir de la constitution, ni de la loi; je nie que, sous aucun prétexte, nous devions méconnaître les limites de la raison et de la justice, car ce sont des termes que chacun qualifie et définit selon ses passions et ses intérêts; je nie que nous puissions faire tout ce qui nous plaît, tout ce qui nous convient."

«Non, Messieurs, nos pouvoirs sont des pouvoirs légaux. Que ceux qui puisent leurs exemples chez un peuple voisin renoncent à des applications qui, chez nous, seraient injustes et fausses. Non, il n'y a pas en France d'omnipotence parlementaire; il y a des Chambres instituées pour veiller à l'exécution de ces lois, et, au besoin, pour rappeler les ministres à cette exécution, pour faire droit à ceux qui se plaignent de la violation des lois, pour accuser les ministres s'ils étaient de mauvaise foi, et s'ils avaient des intentions coupables dans la violation de ces lois. Voilà la limite de nos pouvoirs, je n'en reconnais pas d'autre.

« Quant à la souveraineté de la raison et de la justice, je la connais dans l'ordre moral; mais, dans l'ordre politique, je ne connais d'autres limites que celles que la constitution elle-même a posées à nos pouvoirs.

«Si c'est d'après le droit positif, les lois existantes, que nous devons nous prononcer, je dis qu'il n'y a aucun moyen d'échapper à ces lois. Un attentat a été commis au sein de la France; on y a rattaché la duchessé de Berry. Ce n'est pas une opinion arbitraire: il y a arrêt, il y a ce que je regarde comme le plus sacré au monde, une décision judiciaire. Cet arrêt subsiste, il n'est pas cassé; le ministre reconnaît lui-même qu'il n'a aucun moyen légal de le faire tomber. Il subsisterait malgré votre décision, car vous ne pourriez casser cet arrêt sans vous rendre coupables d'une confusion de pouvoirs.

Pour que le gouvernement n'eût pas le droit de faire juger la duchesse de Berry, il faudrait la déclarer inviolable, et M. Odilon Barrot indiquait toutes les conséquences de cette déclaration. Suivant lui, M. Berryer était conséquent avec lui-même, lorsqu'il soutenait que la famille déchue n'ayant pas reconnu le gouvernement, était restée comme une puissance rivale, et qu'entre deux puissances rivales il ne pouvait y avoir que guerre, et non jugement. Telle était la doctrine de la légitimité, qui n'admettait pas

que la révolution de juillet eût détruit ou fondé aucun droit.

«Eh bien! cela étant, poursuivait l'orateur," je conçois très-bien que tant que la guerrè a existé, tant que le fer seul a prononcé entre Charles X et ses défenseurs, tant que les chances du combat se sont prolongées, je conçois très-bien que la force en ait décidé. Quand on est venu d'une manière pénible faire intervenir le cabinet des Tuileries ou du Palais-Royal dans le grand événement de juillet, dans ce grand élan du peuple des barricades vers Rambouillet pour consommer sa grande et gloricusé révolution, on s'est complètement mépris. Nous étions alors en état de guerre et de révolution, la France seule a prononcé entre Charles X et le peuple; et la nation française, par la force et par le droit réunis, a brisé le lien qui l'unissait à Charles X. Les pouvoirs politiques ne sont venus que déclarer un fait, ce qui existait. Le droit naissait de ce que le contrat lui-même était brisé. Nous reconnaissons toutes les erreurs, tous les écarts qui procèdent de la manière différente d'envisager notre révolution.

« Ainsi, vous nous accusez d'avoir violé la loi, la Charte, sous l'influence, il est vrai, d'une impérieuse nécessité. Ainsi nous avons violé la Charte, quand nous avons chassé Charles X, lorsque nous l'avons déclaré déchu, forsque plus tard nous lui avons interdit l'accès du territoire, lorsqué nous avons fait juger les ministres de Charles X. Et nous, Messieurs, nous vous disons: Non, nous n'avons pas violé la Charte; car elle n'existait plus dès que Charles X l'avait déchirée lui-même, qu'elle avait été ensevelie sous les pavés de nos barricades. (Très-bien, très-bien.) La Charte n'a pas été violée lorsque nous avons entouré de soins, d'attentions, Charles X, en le conduisant à Cherbourg; et je me fais gloire d'avoir été l'instruinent de la générosité nationale dans cette circonstance. Certes nous ne reconnaissions pas par-là l'illégalité de notre révolution et la légitimité du roi déchu; nous n'avons pas violé la Charte, lorsqu'à Cherbourg, saluant le roi parjure, nous lui avons dit: Oublions le passé, mais n'y revenez plus. Nous n'avons pas violé la Charte, lorsque, jugeant les ministres pour un fait consommé, au sein de la cité, contre les lois existantes, nous leur avons appliqué les lois; nous n'avons pas violé la Charte, lorsque plus tard nous avons déclaré que l'accès du territoire français était interdit à la famille déchue. Tout cela n'était que la conséquence du combat qui s'était livré en France entre le droit divin et la souveraineté nationale; mais ce combat a été terminé, lorsque notre constitution a été votée et jurée, Jorsque le Gouvernement a été investi de la puissance et du fait et du droit.

"

« Et deux ans après notre révolution, lorsqu'une femme vient à la dérobée se jeter au sein de nos provinces et armer les bras des assassins et des incendiaires, dire que le combat dure encore, réclamer encore le droit de la guerre, l'inviolabilité du droit des gens, c'est supposer qu'il n'y a pas eu d'issue à ce combat de juillet, qu'il n'y a pas eu un dénouement, que ce dénouement n'a pas été la consolidation à jamais de notre Gouvernement, de ne plus reconnaître que des ennemis et des criminels dans ceux qui l'attaqueraient.

« Ainsi, vous le voyez, le point de départ est différent; les conséquences devaient l'être aussi. La révolution de juillet a été consommée par la victoire du droit sur la force; une fois consommée, il n'est plus permis de reconnaître les droits qu'elle a détruits; il n'y a contre elle que des existences privées, que des faits individuels passibles de la loi française. »

M. Odilon Barrot traitait ensuite la question de haute

police, de sûreté publique, sur laquelle M. Thiers avait beaucoup insisté. Il ne pouvait croire aux dangers qu'on présentait comme inséparables de l'exécution des lois.

Après ce discours, la clôture, déjà vivement réclamée aupal'ordre ravant, fut prononcée. M. Viennet ayant demandé que du jour fût motivé sur les conclusions du rapporteur, le président lui répondit que la Chambre ne motivait pas ses décisions, qu'au surplus elle ne s'engageait nullement, et il mit aux voix la proposition de la commission, divisée en deux parties: 1ole renvoi au garde des sceaux de quelques pétitions paraissant renfermer des délits, ou même des faux ; 2° l'ordre du jour pur et simple à l'égard de toutes les autres. La Chambre vota dans ce sens : le renvoi au garde des sceaux fut prononcé à la presque unanimité; cinquante ou soixante membres seulement se levèrent contre l'ordre du jour.

que

Ainsi se termina cette longue et solennelle séance, la plus remarquable de toute la session peut-être, si l'on considère l'importance de la question qui s'y débattit. L'issue en fut conforme aux vœux du ministère, et il crut pouvoir s'en féliciter hautement dans les feuilles dévouées à sa cause, tandis les journaux de l'opposition accusèrent la décision de la Chambre d'établir un nouveau droit public, ou plutôt de substituer la raison d'état, devise de tous les gouvernemens absolus, au droit public établi par la Charte de 1830. Ces mêmes journaux se plaignirent encore de ce que la discussion eût livré la révolution de juillet à ses ennemis, en sorte que, pour soutenir sa thèse, le défenseur de la légitimité n'avait eu rien de mieux à faire que de s'emparer des assertions de M. le duc de Broglie : ils voyaient là, tout à la fois, un scandale et une faute. Quoi qu'il en soit, le ministère demeura pleinement le maître d'ordonner à son gré de la princesse prisonnière. Plus tard nous verrons comment il usa de ce pouvoir, qui n'avait plus même à redouter l'ombre la plus légère de responsabilité.

La Chambre passa bientôt à des travaux d'une moindre

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