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vous a été présenté par le gouvernement, qui, si je ne me trompe, est méconnu, énervé par le projet de votre commission. »

Les partisans du projet de la commission ne le défendirent pas avec moins de chaleur. Membre de cette commission, M. Eschassériaux déclarait ouvertement n'avoir pas voulu conférer un privilége au clergé, parce que depuis quinze années ce clergé s'était montré, particulièrement en matière d'instruction, hostile aux principes de la révolution. Il ne pensait pas que dans une aussi grave question sociale, les ménagemens fussent admissibles. Une nation, disait-il, ne doit transiger ni sur les hommes ni sur les doctrines. La même opinion fut soutenue par M. Salverte qui s'alarmait de l'esprit de domination du clergé et des principes ultramontains dont il était imbu. Il faisait remarquer, au reste, que si la commission ne mettait pas de plein droit le curé dans le comité, elle n'empêchait pas qu'il y fût introduit par le choix des conseillers municipaux : il était évident que tous les bons curés seraient appelés dans les comités. Après avoir encore entendu M. Charles Dupin pour le projet du gouvernement, et, en faveur de celui de la commission, M. Vivien, qui rappelait que ce dernier se bornait à reproduire une proposition faite par le gouvernement même en 1831, la Chambre, au milieu d'une vive agitation, adopta à une faible majorité l'avis de la commission.

Les autres dispositions de la loi, surtout lorsque l'article relatif à la composition des comités d'arrondissement eût été admis, ne présentaient rien qui pût provoquer une opposition animée; cependant quelques amendemens prolongèrent la discussion. Ils tendaient en général à étendre les droits municipaux au préjudice des droits universitaires. C'est ainsi que M. Taillandier voulait ne pas soumettre à une ⚫ institution donnée par le ministère de l'instruction publique les instituteurs communaux, dont la nomination était attribuée au comité de surveillance: la Chambre substitua seulement, à une faible majorité et sur la proposition de

M. Jouvencel, le préfet du département au ministre, pour l'institution à donner. Dans le même but de restreindre l'intervention universitaire, M. Taillandier présenta encore des objections contre le droit exclusivement laissé au ministère de nommer les commissions chargées d'examiner les candidats-instituteurs; mais la Chambre jugea que la publicité introduite dans ces examens par un paragraphe additionnel de la commission, était une garantie d'équité suffisante. Enfin quelques autres amendemens, relatifs soit aux dispositions à prendre à l'égard des instituteurs actuellement en exercice, soit au mode de l'enseignement à donner aux militaires et aux prisonniers, ayant été écartés, et l'article dernier du projet concernant les écoles des filles ayant été supprimé comme impraticablé dans sa teneur, la Chambre vota sur l'ensemble du projet et l'adopta à la presque unanimité ( 249

voix contre 7).

*

Portée aussitôt à la Chambre des pairs (5 mai), cette loi sur l'instruction primaire ne s'y trouva cependant que la troisième en date: La Chambre avait été ressaisie de deux projets, dont elle allait s'occuper lorsque la session dernière fut close: c'étaient les projets de loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique et sur l'organisation des conseils de département et d'arrondissement; déjà même le premier de ces projets était en délibération.

Ce projet de loi sur l'expropriation, dont nous avons suivi la discussion dans la Chambre des député (Voyez plus haut, page go), avait été l'objet d'un rapport présenté à la Chambre des pairs par M. Devaines, dans la séance du 20 avril, et qui indiquait de nombreux changemens. Sans tenir compte de ces modifications, le ministre de l'intérieur reproduisit le projet (29 avril ) tel qu'il était lors de la première présentation, et la Chambre le renvoya à la même commission, qui, de son côté, persévéra dans ses précédentes conclusions, comme le déclara son rapporteur, M. Devaines (séance du 2 mai).

3 mai. La discussion générale ramena naturellement les considérations par lesquelles nous avons déjà vu combattre et appuyer ce projet dans la Chambre des députés ; et pour les pairs aussi, l'importante innovation qui appelait le jury à prononcer sur des matières civiles fut le point capital. On pouvait également induire de l'ensemble des discours entendus d'abord, qu'ils partageaient encore cette autre opi, nion manifestée dans la Chambre élective, que la loi devait être adoptée comme urgente, comme nécessaire plutôt que comme bonne.

4 mai. Les premiers débats sérieux s'engagèrent sur un amendement proposé par la commission à l'article 3, relativement à l'enquête qui devait précéder la loi ou l'ordonnance nécessaires pour que des travaux publics fussent entrepris. Le projet du gouvernement portait que l'enquête aurait lieu dans des formes déterminées par un réglement admi nistratif, La commission, à l'exemple de celle de la Chambre des députés, voulait que ces formes fussent déterminées par la loi même. Le ministre de l'intérieur repoussa avec force cet amendement das lequel il voyait un empiétement du pouvoir législatif sur l'autorité administrative.

« Que fait la commission? disait le ministre. La commission fait le réglement de l'administration publique et l'insère dans la loi; eh bien! je dols en avertir la Chambre; c'est une tendance très-fâcheuse que celle d'insérer dans des lois des dispositious qui sont du domaine de l'ordonnance. Si cette tendance s'est manifestée quelquefois et en quelques circonstances, ce n'est pas dans cette Chambre, et ce n'est pas cette Chambre qui en doit donner l'exemple; c'est une tendance qui ne conduit à rien moins qu'à rendre le gouvernement impossible, à compliquer tous les actes d'administration, et à porter en définitive le plus grand préjudice à l'intérêt public.

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Le rapporteur répondit que la commission avait cherché à créer avant tout à la propriété des garanties contre une expropriation inutile et arbitraire, et que ces garanties lui avaient semblé nulles, si les formes de l'enquête n'étaient pas déterminées par la loi. La discussion se soutint longtemps et vivement entre plusieurs orateurs. Abondant dans le sens de la commission, M. le comte Molé pensait que, puis

qu'il y avait, ainsi que le prouvait l'expérience, répulsion chez tout agent administratif contre les enquêtes, il fallait que la loi les ordonnât pour qu'elles fussent. L'amendement fut encore appuyé par MM. le baron Mounier, le duo de Bassano et M. Villėmain; mais combattu par le ministre de l'intérieur, qui prit de nouveau la parole, par M. Legrand, commissaire du roi, et par M. le duc Decazes, il fut rejeté, à une seconde épreuve, à la faible majorité de 3 voix (53 contre 50).

6 mai. Un amendement proposé par M. le baron Mounier était beaucoup plus grave dans sa portée; il substituait tout un nouveau système aux dispositions fondamentales du projet, à celles qui attribuaient à un jury la fixation de l'indemnité due au propriétaire exproprié. M. le baron Mounier transférait ce pouvoir à une commission que nommerait le préfet dans chaque département, et dont les décisions pourraient être portées par voie d'appel direct devant les cours royales. Mais une forte majorité repoussa ce projet, après avoir entendu le ministre de l'intérieur, qui reproduisit en faveur de l'introduction du jury des argumens déjà développés ailleurs.

Toutes les dispositions contenues au titre II, relatives aux mesures d'administration à prendre pour arriver à l'expropriation, n'amenèrent que des modifications de détails et des contestations légères qui prouvèrent encore avec quelle sollicitude la Chambre soutenait la cause du propriétaire sujet à expropriation. Cependant une question importante, celle de l'expertise, restait à résoudre. D'après le projet du gouvernement, le tribunal de 1o instance, en prononçant l'expropriation pour cause d'utilité publique, nommait un expert dont le travail devait servir en quelque sorte à préparer les voies au jury. La commission, pour simplifier et accélérer les opérations, avait proposé de supprimer toute expertise et de saisir immédiatement le jury. C'était entre ces deux systèmes que la Chambre avait à choisir;

mais avant d'entamer cette discussion, il lui fallut statuer sur un point vivement controversé.

Il s'agissait de savoir quelle latitude d'examen serait accordée au tribunal avant qu'il prononçât son jugement d'expropriation; il s'agissait de tracer les limites si nécessaires entre le pouvoir judiciaire et l'autorité administrative. Le problème à résoudre fut nettement posé en ces termes par M. le comte Molé; Le tribunal se bornera-t-il à homologuer en quelque sorte une décision administrative, à déclarer qu'il y a lieu à expropriation, ou bien sera-t-il juge du fond, et pourra-t-il s'enquérir s'il y a eu lieu à faire légalement la déclaration d'utilité publique et si les formalités prescrites ont été remplies? MM. le chevalier Allent, le marquis de Laplace, le baron de Barante, le duc Decazes et d'autres pairs, ainsi que le ministre de l'intérieur et le commissaire du roi, prirent part à la discussion, qui se prolongea pendant deux séances. A l'appui de l'opinion d'après laquelle le rôle du tribunal ne devait pas être purement passif," il fut allégué qu'on attentait à sa dignité, à sa considération si importantes à ménager, et qu'en lui ôtant tout droit d'examen, on l'obligerait à rendre son jugement lors même qu'il aurait acquis la certitude et qu'il aurait la conviction que les formalités voulues avaient été irrégulièrement remplies. On répondit que donner au tribunal le droit d'examen, ce serait rétablir les longueurs et les embarras dont il était si urgent d'affranchir la matière, que ce serait aussi provoquer entre l'autorité administrative et le pouvoir judiciaire ces conflits démontrés si dangereux par l'expérience et la raison. Les nuances d'opinion se dessinerent dans trois amendemens; le premier (de M. Tripier) attribuait au tribunal le droit de s'enquérir si les formalités avaient été observées; le second (de la commission) voulait qu'en lui transmettant plus de pièces que n'en portait le projet primitif, on lui fournit ainsi plus de preuves matérielles de l'accomplissement des formalités; le troisième enfin Ann. hist. pour 1833.

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