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importance. Dans la séance du 7 janvier, elle écouta le développement d'une proposition relative à la disparition du sieur Kessner, caissier général du Trésor, qui avait pris la fuite dans les premiers jours de l'année 1852, laissant un déficit de plus de six millions. L'auteur de la proposition, M. Salverte, demandait que le préjudice porté au Trésor par cette soustraction, ainsi que la responsabilité, qui pouvait en devenir la conséquence, fussent, dans le cours de la session actuelle, soumis à un examen spécial. Il rappelait que, l'année précédente, le 1er février, la Chambre avait nommé une commission d'enquête, en lui prescrivant de remonter aux causes de la malversation du caissier, et de constater à la fois si toutes les précautions propres à la prévenir avaient été prises, conformément aux réglemens qui régissent l'administration du Trésor, et si, lorsque le crime avait été connu, le gouvernement avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour s'assurer de la personne du fonctionnaire prévenu d'infidélité. L'enquête avait été suivie avec zèle par la commission; mais le rapport n'ayant pu être fait que le 12 avril, aucune discussion ne s'en était suivie. Très-lucide dans l'exposition des faits, le travail était bien moins explicite sur les conclusions que l'on devait en tirer on voyait que dans l'opinion, dont le rapporteur M. Martin (du nord) était l'organe, les faits ne donnaient lieu, ni à l'application de la responsabilité ministérielle, ni même à une sévère improbation. Telle n'était pas l'opinion de M. Salverte, qui s'autorisait des faits contenus dans le rapport pour démontrer que le ministre (M. le baron Louis), suffisamment averti, n'avait pris, ni avant ni après l'événement, aucune des mesures que lui prescrivaient la prudence et l'intérêt public.

La prise en considération de la proposition fut peu contestée : M. Martin (du nord) l'appuya même, en ce sens qu'il désirait de voir trancher définitivement la question de responsabilité ministérielle, et qu'il pensait que la Chambre

était à même de le faire sur-le-champ. Le ministre des finances, M. Humann, la combattit seul, par le double motif que, quant à l'avenir, toutes les précautions étaient prises pour que pareil abus ne se renouvelât plus, et que, quant au passé, le réglement des comptes de l'exercice de 1831 of frirait l'occasion de vider toutes les questions relatives au déficit. Néanmoins la majorité de la Chambre vota pour la prise en considération de la proposition, et le rapport de la commission chargée de l'examiner conclut à son adoption (12 janvier), qui fut prononcée quelques jours après (19 janvier.)

Afin de présenter ici l'historique complet de cette proposition, nous nous permettrons d'anticiper sur l'ordre des délibérations de la Chambre. Le 23 mars suivant, M. Martin (du nord) lut un nouveau rapport dans lequel, examinant la question de responsabilité pécuniaire, il déclarait que, sur ce point, la commission nouvelle partageait l'avis de la commission nommée le 1er février 1832, et qu'elle avait écarté cette responsabilité à l'unanimité. Mais la minorité avait pensé que M. le baron Louis avait commis une faute, en permettant de négliger le contrôle, qui seul pouvait être une garantie rassurante; qu'il n'avait pas suffisamment surveillé l'exécution de son propre arrêté du 25 avril 1831; qu'il avait méprisé les avis qui lui avaient été donnés sur les opérations hasardeuses auxquelles se livrait le caissier central; qu'après l'arrêt de la cour des comptes, aussi bien qu'après la découverte d'un déficit, il n'avait pris aucune des mesures dictées par son devoir de tous ces faits, elle avait tiré la conséquence que la conduite du ministre devait être sévèrement blåmée. La majorité avait, au contraire, repoussé une opinion rigoureuse, en se fondant sur ce que M. le baron Louis, préoccupé d'ailleurs des circonstances politiques, dont la gravité réclamait tous ses soins, n'avait fait que suivre les erremens de ses devanciers, et s'abandonner à la confiance généralement inspirée par Kessner. La commission proposait donc le projet de résolution suivant: «La

Chambre déclare que M. le baron Louis n'a encouru, en sa qualité de ministre des finances, aucune responsabilité à raison des malversations, dont le caissier central Kessner s'est rendu coupable, en 1831, au préjudice du Trésor. »

Une discussion approfondie s'ouvrit, le 12 avril, sur ce rapport. M. Salverte, le premier, en combattit les conclusions, et proposa à la Chambre de sanctionner l'avis de la minorité de sa commission, en déclarant que M. le baron Louis, en sa qualité de ministre des finances, avait engagé sa responsabilité morale et mérité un blâme sévère. M. Martin (du Nord) répondit à M. Salverte, qu'appuyait M. Portalis, et dont M. Réalier Dumas amendait la proposition. Le ministre des finances, M. Humann, était aussi intervenu dans le débat, lorsque M. Dupin souleva une question constitutionnelle, qui jusqu'alors n'avait été traitée par aucun

orateur.

« Quel est, dit-il, le droit de la chambre vis-à-vis d'un ministre? (Et ici vous remarquerez encore que le ministre est pair de France; mais je ne considère cette circonstance que comme un accident survenu depuis.) La chambre a, en matière de haute trahison ou de concussion, le droit d'accusation, c'est-à-dire le droit de signaler les faits à raison desquels elle croit qu'ils peuvent être condamnés; mais elle n'a pas le droit de les juger; lé jugement est déféré à l'autre chambre, et cette chambre ne juge qu'après avoir entendu. De cette manière le droit public est observé, et il n'est pas porté préjudice au droit privé.

-«En matière de finances, quel est le droit de la chambre? Je ne pense pas, comme l'ont prétendu quelques hommes publics, qu'il faille toujours que tout dégénère en accusation contre les ministres, qu'on ne puisse atteindre de mauvaises opérations de finance que par une accusation capitale en quelque sorte. Je pense, au contraire, qu'il peut y avoir une responsabilité civile, mais toujours exercée dans les termes de la constitution, avec les formes et les garanties qui appellent la chambre à statuer réguliérement.

« Ainsi toute question de dépense, toute question de comptabilité arrive à la chambre d'une manière régulière par la loi des comptes : la chambre est appelée à examiner chaque article des comptes, et il n'est pas nécessaire qu'un article soit criminel pour qu'il ne soit pas accepté par vous; il suffit qu'il soit irrégulier, qu'il y ait un mauvais ordonnancement, des faits imputables au ministre, et qui autorisent à rejeter la dépense. Ce droit n'est pas douteux, vous l'avez déjà exercé plusieurs fois, soit à l'égard du ministre de la justice, soit à l'égard du ministre de la guerre. Seulement il existe une lacune dans nos lois, en ce que la loi sur la responsaLilité des ministres n'existant qu'en principe, n'étant pas encore organi sée dans ses effets et dans la procédure, on n'a pas réglé encore le mode ultérieur de procéder après que vous avez rejeté un article de la loi des

comptes, de même qu'il n'y a pas de procédure réglée en matière d'accusation capitale.

« Cependant, quand un droit existe, comme il faut bien qu'on trouve le moyen de l'exercer, parce qu'un droit certain ne peut pas rester illusoire, on a fait des accusations capitales, et on les a jugées avec une procédure appropriée à l'accusation. De même, on pourrait trouver, dans la législa tion ou dans les précédens et dans le droit commun, un moyen de faire arriver à la responsabilité civile effective la conséquence du rejet d'un article de la loi des comptes.

« Ainsi, à ne considérer que le droit, il y a de la part d'un ministre crime ou délit, et dans ce cas la chambre par elle-même ne peut qu'accuser, sans pouvoir juger; et, en matière de finances, elle ne peut que refuser d'allouer un article mal établi, sauf à faire une accusation s'il y a dol, fraude, connivence, concussion, et à aviser au moyen de poursuivre ultérieurement, et à faire une loi, s'il y a nécessité. »

Mais M. Dupin ne se contentait pas d'une fin de non recevoir, et voulait pour le baron Louis une justice plus éclatante: dans cette vue, il traçait un résumé rapide de sa vie entière et de sa dernière administration. Après ce discours, qui produisit une vive impression, M. Demarçay proposa l'ajournement à la loi des comptes: M. Laffitte prit la parole pour s'expliquer sur des faits tant personnels que généraux, et M. Odilon Barrot pour proposer l'ordre du jour pur et simple. M. Dupin ayant reparu à la tribune pour demander la question préalable, M. Salverte retira sa proposition et se joignit à celle de l'ordre du jour, qui fut adopté par la Chambre à la presque unanimité. Ce vote équivalait à un ajournement de la question, jusqu'à la discussion du réglement des comptes de 1831. Tous les débats n'avaient servi qu'à bien constater que les six millions, dilapidés par Kessner, étaient perdus sans retour pour les contribuables.

A cette époque il ne se passait rien en dehors des Chambres qui méritât de fixer l'attention; nous n'avons à signaler que le voyage du roi dans les départemens du Nord. Parti de Paris le 5 janvier avec les ducs d'Orléans, de Nemours et de Joinville, Louis-Philippe était de retour le 20 du même mois. Il avait successivement visité Compiègne, Saint-Quentin, Maubeuge, Valenciennes, Lille, Douai, Arras, Péronne et les autres villes qui se trouvaient sur son passage. Le but principal de ce voyage était de rendre hommage à l'armée

victorieuse d'Anvers; le roi avait voulu lui porter des félicitations et des récompenses le plus près possible du théâtre de ses exploits. Partout sur ses pas éclatèrent les témoignages de cette allégresse et de cet enthousiasme que réveillent toujours en France les succès guerriers; partout les vœux des populations pour la personne du prince, pour l'ordre et l'union, se confondirent avec les acclamations pour la gloire nationale.

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