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de cette opinion exprimée par le rapporteur, M. de Barante, que la matière n'avait pas encore été suffisamment approfondie pour qu'une loi bonne et stable pût être faite, n'avait proposé que peu d'amendemens. Les deux plus importans consistaient à substituer au mode électoral adopté dans la Chambre des députés, pour les conseils-généraux, l'élection par canton, avec cette restriction que le nombre des conseillers ne pourrait pas excéder quarante, et à á rendre le droit d'éligibilité aux membres du clergé. Elle avait cherché d'ailleurs à ménager les intentions de la Chambre élective, tout en se rapprochant des vues du gou

vernement.

En présentant de nouveau le projet de loi (2 mai), le ministre de l'intérieur avait encore constaté le défaut d'assentiment que les amendemens de la Chambre des députés avaient rencontré dans le gouvernement. La même commission nommée par la Chambre des pairs déclara qu'elle s'en rapportait à son premier travail.

14, 15, 17, 18, 20, 21, 25 mai. Lorsque la discussion s'ouvrit, M. le marquis de Dreux-Brézé, premier orateur inscrit, condamna la réserve qu'avait gardée la commission.

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Quelle serait donc, disait-il, notre position dans l'état, si nous n'intervenions pas entre le gouvernement et la Chambre élective, pour indiquer dans quelle situation la France peut enfin trouver le repos qu'elle désire, et dont elle a si grand besoin. » Il votait d'ailleurs contre le projet, qui ne pouvait produire qu'une loi mauvaise et transitoire, en ce qu'elle ne serait pas fondée sur le principe absolument nécessaire d'une représentation directe de chaque commune à des conseils de canton. Prenant la parole après M. le comte Alexandre de la Rochefoucauld, qui présenta sur l'esprit et sur l'économie de la loi les considérations les plus étendues, M. le comte Roederer, signala la nécessité de tempérer le système d'élection, sur lequel reposait tout le projet, par l'intervention du choix royal. Il voulait que la nomi

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nation des conseillers-généraux, entre candidats élus, fût au choix du roi. Il s'étonnait et s'effrayait de l'exclusion que le projet prononçait contre la royauté, tandis que la nature des choses et l'autorité du passé réclamaient son influence.

M. de Montlosier développa avec force des opinions analogues. Il avait attaqué la centralisation sous la restauration, il la défendait aujourd'hui, parce qu'alors la liberté était menacée, tandis qu'aujourd'hui c'était la monarchie, contre laquelle surgissaient, de toutes parts, des principes subversifs. Il reprochait à l'administration de ne pas rompre assez ouvertement avec ces principes et de ne pas leur opposer des principes contraires.

Le ministre de l'intérieur déclara que la loi était mixte; forcément politique et administrative par sa nature même; fondée à la fois sur le principe de la souveraineté du peuple et de la délégation du pouvoir royal, et combinée de manière à garantir l'intérêt général et les intérêts locaux.

Nous avons déjà indiqué les points sur lesquels devait porter principalement la délibération : l'élection par cantons, le droit d'éligibilité rendu aux membres du clergé (par amendement de la commission), et la nomination des conseillers-généraux attribuée au roi (par amendement de M. le comte Roederer).

La question du mode d'élection mettait trois systèmes en présence celui du gouvernement, qui réglait le nombre variable des membres du conseil-général par un tableau annexé à la loi ; celui de la Chambre des députés, qui, donnant à chaque canton un représentant au conseil-général, posait le chiffre 60 pour maximum du nombre des con-.. seillers; enfin celui de la commission des pairs qui, accordant également à chaque canton un représentant, posait 40 comme maximum, plusieurs cantons devant se réunir pour une seule élection dans les départemens qui en comptaient

plus de quarante. Une longue discussion s'établit sur ce point capital. Le ministre de l'intérieur adopta la proposition de la commission, en substituant seulement le maximum de 36 à celui de 40 qu'il trouvait trop large. Presque toutes les opinions exprimées à la tribune semblèrent conçues dans le même esprit, et la plupart des amendemens tendirent à resserrer plutôt qu'à étendre le chiffre de la commission, chiffre qu'elle abandonna elle-même pour accepter celui du ministre. Enfin la Chambre, par une sorte de transaction entre le premier maximum de la commission et le nombre limitatif de 24, proposé par M. de Montalivet et combattu par le ministre de l'intérieur, comme inférieur à celui que M. de Martignac avait posé sous la restauration, statua sur la proposition de M. de Fréville, que les conseils-généraux seraient au plus composés de 30 membres.

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La question de l'éligibilité des membres du clergé offrait aussi un grand intérêt, elle ne fut pas moins vivement débattue. Reconnus éligibles dans le projet primitif du gouvernement, par cela seul qu'ils n'étaient point compris dans les exclusions, les membres du clergé avaient été déclarés par la Chambre des députés incapables d'être conseillers. La commission de la Chambre des pairs ayant proposé, comme nous l'avons dit, de les réintégrer dans le droit commun conformément au projet du gouvernement, M. le comte de la Rochefoucauld avait présenté un amendement qui reproduisait. l'exclusion prononcée par la Chambre des députés. Appuyé par MM. de Montlosier et Roederer, qui signalaient avec force l'esprit envahisseur et persévérant du clergé, et qui démontraient les dangers de l'investir de fonctions civiles, l'amendement fut combattu par M. Sylvestre de Sacy, par M. le comte Portalis et par le ministre de l'intérieur. Le ministre, repoussant le reproche adressé au gouvernement de tendre à faire rentrer le clergé dans les affaires civiles, à lui rendre

l'influence politique perdue depuis 1830, et à chercher à se concilier la faveur de la cour de Rome par des concessions préjudiciables à l'intérêt et à la dignité de l'état, s'exprimait ainsi :

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« Le désir du gouvernement est sans doute d'avoir pour le souverain pontife tous les égards et tous les respects que commandent la position élevée qu'il occupe, le caractère dont il est revêtu, et sa qualité de chef de l'église catholique, dont la croyance est celle de la majorité des Français. Mais l'intention forte et persévérante du gouvernement est de maintenir, avec vigilance et avec fermeté, les libertés de l'église gallicane, et de s'opposer à toute prétention, à toute tentative d'empiétemens qui serait nuisible à l'intérêt de l'état, si elle venait à se manisfester : toutefois je désire qu'on n'infère pas de mes paroles que des prétentions injustes, que des exigences déraisonnables aient été manifestées par la cour de Rome.

«Les intentions du gouvernement vis-à-vis du clergé, c'est de le faire jouir de la protection et de la liberté qui lui sont garanties par la Charte et les lois de l'état, c'est qu'il puisse exercer son culte avec toute sécurité : de le défendre et de le garantir avec énergie des insultes, des voies de fait et des violences qui pourraient être dirigées contre lui, mais en même temps de réprimer avec une égale sévérité tous les écarts, tous les abus, tous les désordres auxquels il serait possible que quelques membres dans un corps aussi nombreux pussent se livrer.

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« Voilà la profession de foi du gouvernement sur la question que M. le comte de Montlosier a bien voulu lui adresser. ( Marques unanimes d'approbation.) »

L'amendement de M. de la Rochefoucauld ayant été écarté, l'article proposé par la commission fut adopté.

Quant à l'amendement introduit par M. le comte Roederer, et relatif à l'intervention du roi, il ne subit pas de discussion. Le ministre de l'intérieur l'ayant repoussé comme contraire aux intérêts bien entendus de la monarchie, son auteur le retira, «ne contestant pas, disait-il, au 'pouvoir, une victoire plus malheureuse pour lui qu'une défaite ».

Nous devons mentionner encore ici, quoiqu'elle ait été volée sans grande discussion, une troisième modification assez importante. Au lieu des bases électorales posées par les députés, la Chambre des pairs décida que le droit d'élire ne serait attribué qu'aux citoyens portés sur la liste électorale et du jury, auxquels seraient adjoints les plus imposés pour les cantons qui n'auraient pas cinquante ha

bitans sur cette liste. Le nombre des électeurs était ainsi considérablement réduit.

Adopté avec ces dispositions nouvelles par la Chambre des pairs, à la majorité de 98 voix contre 18, dans la séance du 25. mai, le projet de loi fut reporté à la Chambre des députés, le 1 juin : il n'y donna lieu à aucuns débats. Conformément aux conclusions du rapporteur, qui dans la séance du 9 proposa l'adoption .pure et simple, la Chambre ratifia à la majorité de .224 voix contre 42 les changemens introduits par la Chambre des pairs (10 juin). Ce vote fut dû en grande partie à cette considération qu'une modification quelconque en obligeant de soumettre de nouveau la loi aux délibérations de la pairie, pourrait en priver encore long-temps le pays, parce qu'il était douteux que la Chambre inamovible pût statuer avant.la clôture de la

session.

Par l'adoption successive des projets de loi sur l'expropriation pour cause d'utilité publique et sur l'organisation des conseils de département et d'arrondissement, la Chambre des pairs avait, en quelque sorte, liquidé l'arriéré dont l'avait grevée la dernière session, et s'était mise au courant de la session nouvelle. Mais il lui fallait persévérer dans son activité pour pouvoir faire face à ses travaux ultérieurs. Déjà lui avait été présenté le rapport sur le projet de loi relatif à l'instruction primaire, par la diseussion duquel on a vu la Chambre des députés ouvrir la session.

La commission chargée d'èxaminer ce projet lui avait donné un plein assentiment par l'organe de son rapporteur, M. Cousin (séance du 21 mai), ainsi qu'à la plupart des modifications émanées de la Chambre élective. Quelques unes lui avaient paru devoir être rejetées, et particulièrement celle par laquelle les députés avaient supprimé le comité communal de surveillance qu'instituait le projet primitif : M. Cousin en proposait le rétablissement. Il terminait son rapport en répétant les éloges que méritait la loi, mais

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