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tait réalisable que par séries d'un tiers, à chacune desquelles devait successivement s'appliquer la garantie des trois puissances; et ce n'est qu'à la suite d'un concours préalable entre elles, que les sériés pouvaient être partiellement réalisées. Les premiers revenus de la Grèce étaient exclusivement affectés aux intérêts et au fonds d'amortissement annuels des séries réalisées.

Telles sont les explications dans lesquelles était entré le ministre des finances en soumettant à la Chambre des députés, dans le cours de la session dernière (24 janvier), le traité du 7 mai 1832, et en présentant un projet de loi qui autorisait la France à donner sa garantie, comme l'Angleterre et la Russie avaient déjà donné la leur..

« L'amélioration progressive, avait dit le ministre, dont les revenus de ce pays sont susceptibles, les ressources que la Grèce possède en domaines nationaux, les avantages naturels qu'elle tient à la fois de son sol et de sa situation maritime, tout nous autorise à penser que les obligations contractées par son gouvernement seront fidèlement remplies, et que la garantie stipulée par les puissances atteindra son but sans lear imposer aucune charge réelle.

« Nous en trouvons un gage de plus dans le choix des hommes d'état que le roi de Bavière a placés à la tête de la régence qui doit gouverner la Grèce pendant la minorité de son souverain. Nous avons l'espoir que, sous l'administration ferme et éclairée qu'ils vont y établir, ce pays, désormais calme et tranquille, ne tardera point à s'élever au degré de prospérité qu'il est appelé à atteindre. »

Le ministre avait terminé en invoquant l'intérêt si puissant que devait inspirer la Grèce et les témoignages de touchante sympathie qu'elle avait déjà reçus de la France.

De vives contestations s'étaient élevées dans la commission chargée d'examiner le projet. La question avait été scindée : une partie des commissaires envisageant surtout le côté financier, avait repoussé le projet, tandis que l'autre partie, s'attachant au côté politique, l'avait accepté, mais à une seule voix de majorité. Ces opinions diverses furent exposées de la manière suivante par le rapporteur, M. le colonel Paixhans, (4 avril) :

« Déjà (disent les personnes qui refusent) la France n'est que trop intervenue, à ses frais et sans profit, dans les affaires des autres nations; et déjà elle a payé, presque seule, près de 40 millions pour les Grecs.

Ann. hist. pour 1833.

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«Notre garantie sera favorable à l'Angleterre, en donnant valeur à l'ancien emprunt dont elle a les inscriptions; favorable à la Russic, en faisant arriver des Grecs aux Turcs le tribut que ceux-ci doivent aux Russes; favorable à la Bavière, en soutenant son prince et ses soldats; mais en quoi favorable à la France?

« La Grèce ayant 4 à 5 millions de revenus (ce qui, dans le rapport des deux populations, est comme si la France n'avait qu'un revenu de 120 à 150 millions), comment pourra-t-elle payer son gouvernement, sa flotte, son armée, et en outre l'intérêt et l'amortissement d'une dette de 60 millions, de deux autres dettes antérieures, montant ensemble à 48 millions, et des emprunts nouveaux, si, à l'avenir, il faut en contracter? »>

A ces objections on avait opposé de hautes considérations politiques. Le contre-poids nécessaire de la Russie, la Turquie se mourait; il la fallait remplacer par la Grèce de grands événemens se préparaient dans l'Orient, il y fallait un pied-à-terre pour la France, ce devait être la Grèce. Sortir de la question grecque en refusant la garantie c'était y laisser dominer la Russie; c'était établir la Russie dans la Grèce, sur la Méditerranée, cet objet de la longue convoitise du Nord.

« Une question importante se présente, continuait le rapporteur. Les guerres continentales, jusqu'à présent, se sont faites sur l'Elbe et le Rhin, sur les Alpes, l'Escaut, à nos portes, au centre même de la civilisation, et on en est à savoir comment il faut que Paris soit fortifié el bien ! ces conflits que les peuples les moins civilisés nous apportent, il faut pouvoir, au besoin, les transporter chez eux, non pour les attaquer, mais pour nous défendre. Or, les affaires d'Orient en offrent l'occasion, et la Grèce le moyen. Le territoire grec, en effet, entouré par la mer, et fermé par le rémpart des monts Orix et des Thermopyles, est tout entier comme une vaste forteresse, comme une tête de pont, où les amis des Grecs auront seul accès. D'un autre côté, nous avons à Toulon et en Afrique des points de départ. Or, si on nous y contraint, lorsqu'une armée française avec ses alliés marchera de la Grèce vers le Danube, lorsqu'en même temps les vaisseaux de France et d'Angleterre s'avanceront dans la mer Noire, et qu'à ce bruit les Polonais se releveront, ce ne sera plus alors des affaires de Belgique et d'Espagne, à 800 lieues de chez eux, que les Russes auront à s'occuper.»

En concluant, le rapporteur déclarait que la majorité de la commission proposait l'adoption du projet de loi, parce que, dans la situation actuelle des affaires extérieures, elle était convaincue profondément qu'une alliance avec le nouvel état grec ne saurait être que favorable, peut-être nécessaire à la durée de la paix, ainsi qu'aux intérêts et à la dignité de la France.

La clôture de la session avait aussi retardé la mise en délibération de ce projet. Le vif intérêt qu'il excitait dès lors, n'avait fait que s'accroître depuis, par suite des événemens survenus dans l'Orient et en raison de l'importance que le ministère y attachait, La chose était grave, en effet. Après s'être porté fort, vis-à-vis des puissances contractantes, de l'assentiment des Chambres, le ministère eût été placé par un refus dans une position tout à fait fausse: c'était, au moins pour le ministre des affaires étrangères, une question de considération, d'existence même; aussi en pressait-il la solution. Appuyant le rapporteur qui demandait ( 4 mai ) la discussion du projet de loi, M. le duc de Broglie avait réclamé pour lui un tour de faveur et déclaré qu'un retard prolongé compromettrait, dans les circonstances présentes, les services publics et l'intérêt de l'état. De vifs débats s'engagèrent à ce propos et l'ouverture de la discussion fut fixée après le vote du projet sur les attributions municipales. L'attention était done puissamment excitée, au dehors comme au dedans de la Chambre, lorsque ce moment arriva.

18, 20, 21, 22 mai. M. Boissy d'Anglas développa, pour repousser le projet, les considérations financières indiquées par le rapporteur, M. de Rémusat, qui lui succéda, commença par faire observer à la Chambre qu'elle était appelée pour la première fois à délibérer sur les clauses d'une convention diplomatique; il exposa les conséquences de l'exercice de ce droit conféré aux députés par la Charte il rappela à la Chambre qu'elle n'était plus seulement une assemblée qui votait des impôts, mais qu'elle devenait en même temps un corps politique, et que sa prévoyance devait s'étendre puisque ses actes avaient plus de portée. « Le lendemain du jour du rejet d'un traité, disait l'orateur, il n'en serait pas comme quand vous rejetez un article de dépense au budget : la position de la France en Europe serait modifiée. » M. de Rémusat trouvait que la question était toute politique. Quelque chose de grand se préparait depuis long-temps sur les

bords de la Méditerrannée: le dénouement approchait, et la Grèce était placée pour y jouer un des premiers rôles.

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« Et ce grand rôle, continuait-il, il importe à la France que la Grèce le joue. La politique de la France veut que la Grèce soit un état réel, indépendant, durable. L'intérêt de la France, c'est l'intérêt grec. L'intérêt de la France, c'est que la Grèce puisse se passer bientôt de toute espèce de protectorat.

«Ce protectorat, d'où viendrait-il? Vous le savez, messieurs, et je orois qu'il n'est nécessaire de nommer personne. Si vous le redoutez, si vous partagez les alarmes qu'il inspire, efforcez-vous de rappeler incessamment a la Grèce qu'elle a d'autres alliés, et que dans ses jours de calamités, elle peut avec confiance tourner ses regards vers l'Occident. Qu'elle sache qu'elle n'a point de meilleure amie que la France; car la France ne lui vend point son amitié. La France, en échange de ses services, n'exige d'elle qu'une chose; c'est d'être forte et durable, c'est de former un état qui subsiste par lui-même.

« Or, pour que la France prouve à la Grèce qu'elle est sa meilleure alliée, il faut qu'elle fasse quelque chose pour elle. Fera-t-elle assez, si en ne tenant pas toutes les clauses du traité du 7 mai 1832, elle fait moins que n'ont fait l'Angleterre et la Russie? (Mouvement.) »

M. Salverte pensait que, quelle que fût l'importance du vote, le droit de la Chambre n'était pas moins entier. Sous le point de vue financier, il jugeait qu'en fait la France ne garantirait pas, mais qu'elle prêterait, et discutant les gages de solvabilité de l'emprunteur, le gouvernement grec, il les trouvait tous précaires. Ainsi les intérêts pécuniaires de la France seraient gravement compromis, et quant aux compensations politiques l'orateur les repoussait comine chimériques, par cet argument que les nations ne gardent point le souvenir des bienfaits, et que d'ailleurs la Grèce était et devait rester long-temps sous l'influence de la Bavière tout hostile à la France.

Le ministre des affaires étrangères prit alors la parole, et abordant le point précis de la discussion, il s'exprima en ces

termes :

"Venons au fait ; De quoi s'agit-il? vous avez sous les yeux un traité conclu entre la France, l'Angleterre et la Russie d'une part, et d'une autre part entre S. M. le roi de Bavière, agissant au nom du prince Othon. Par ce traité, et sous la garantie des trois puissances, la Grèce a contracté un emprunt au capital de 60 millions; chaque puissance garantissant ce prêt séparément et non solidairement. L'échange des ratifications est du 30 juin 1832. Ce traité est revêtu de la signature du roi sous le contre-seing du ministre habile qui dirigeait alors les affaires étrangères. Ferez-vous, messieurs, bonneur à la signature du roi? ( Sourde rumeur.) Ferez-vous

honneur à un engagement pris au nom de la France? Voilà l'unique question qui vous est en ce moment soumise. »

Relativement à la partie pécuniaire, le ministre démontrait qu'au pis-aller, il s'agirait de payer non point le capital de l'emprunt garanti (20 millions), mais seulement l'intérêt annuel de cette somme, et rien n'autorisait à croire que cette charge retomberait sur la France. A l'appui de son assertion, l'orateur prouvait la solvabilité de la Grèce par un examen approfondi de sa situation financière et politique. Discutant ensuite cette opinion que la Grèce n'offrait aucune sécurité en ce qu'elle était mécontente de la forme de gouvernement qu'on lui avait imposée, le ministre s'attachait à établir qu'en donnant un roi aux Grecs, les trois puissances contractantes avaient obtempéré au vou du pays légitimement exprimé par ses autorités, et basé d'ailleurs sur l'épreuve fâcheuse déjà faite des formes républicaines. Quant à l'argument que la France, ayant déjà dépensé des sommes considérables pour la Grèce, aurait dû être dispensée de sa part de garantie, le ministre le repoussait en soutenant que la France avait agi pour elle-même, soit lorsqu'elle entretenait des escadres dans le Levant, soit lorsqu'elle faisait une expédition en Morée.

A l'égard de la partie politique, le ministre avait commencé par déclarer que comme elle se rattachait à des événemens présens, actuels, la discrétion, la prudence, la raison d'état ne lui permettraient d'y toucher qu'avec une extrême · réserve. Sans rien affirmer, en conséquence, sur l'avenir de la Turquie, il pensait que sa situation critique était un argument en faveur du projet, puisque l'intérêt de la France étant de conserver aussi long-temps que possible l'empire ottoman, elle devait à tout événement préparer un état qui pût le remplacer.

« Abandonner la Grèce aujourd'hui, ajoutait le ministre, détruire de nos propres mains l'ouvrage que nos propres mains ont presque achevé; livrer la Grèce à ces influences exclusives dont nous nous sommes efforcés de la préserver, renoncer à cultiver les sentimens que nous lui avons ins

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