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pirés, faire passer en d'autres mains le prix de nos travaux, le fruit dé nos sacrifices, vous ne le voudrez pas, messieurs; ce serait, non pas économie, mais folie, non pas prudence, mais démence Autant vaudrait déclarer que la France se retire à jamais des affaires de l'Orient; autant vaudrait proclamer que la France n'entend plus désormais être comptée pour rien dans ces grands événemens qui fondent, détruisent et renous vellent les empires. »>

. Après ce discours, qui produisit une profonde sensation, après que MM. Auguis et de Falguerolles eurent encore attaqué et défendu le projet, la Chambre entendit M. Bignon.. L'orateur s'éleva d'abord contre la forme dans laquelle le ministre des affaires étrangères avait posé la question.

Ce n'est pas sans étonnement, dit-il, je l'avoue, que j'ai entendu M. le ministre demander, dans un style très-peu parlementaire, si nous refusions de faire honneur à la signature du roi. (Mouvement.) Faut-il donc rappeler à M. le ministre quelle est la nature de notre gouvernement? Serions-nous, sans nous en apercevoir, retombés soudainement dans une forme d'administration où le cabinet puisse à son gré prendre sur toutes les questions des engagemens irrévocables et inconditionnels, comme si son autorité souveraine ne connaissait à l'intérieur ni limite ni partage? (Ici M. le ministre des affaires étrangères fait un geste de dénégation.) Je m'afflige que M. le ministre ait ainsi oublié la réserve même portée dans l'article 12 du traité du 7 mai, relativement au parlement d'Angleterre et aux Chambres françaises. »

Après avoir présenté les considérations financières et politiques qui se rattachaient de plus près au projet et qui le devaient faire repousser, M. Bignon traça à grands traits le tableau de la situation actuelle de l'Orient, et discutant l'intervention de chacune des puissances de l'Europe dans la querelle entre l'Égypte et la Porte, îl reprochait au ministère le rôle de nullité et d'impuissance auquel la Francé avait été réduite. Ce rôle, selon l'orateur, avait été misé rable pour toutes les puissances excepté pour la Russie.

«

Aurait-on oublié, ajoutait-il, de quel stigmate la raison publique a flétri le cabinet de Versailles pour avoir souffert le partage de la Pologne? Je voudrais bien épargner à MM. les ministres un pronostic peu agréable, mais je me tairais en vain : ce sera pour eux une fâcheuse célébrité d'avoir été à la tête de nos affaires au moment où Constantinople a vu les Russes pour la première fois. C'est qu'effectivement cette apparition des Russes, même comme amis et comme protecteurs, est un mal', un très-grand mal, et qui ne se réparera pas. »

Revenant ensuite sur le projet, l'orateur trouvait qu'il y avait exagération à faire de son acceptation une condition

d'existence pour les Grecs; leur existence, leur indépendance étaient déjà assurées.

<< Trop long-temps, disait-il en terminant, nous avons défrayé l'Europe: c'est un legs onéreux que nous ont laissé les deux derniers règnes. Il faut mettre un terme à l'ardeur, à l'impatience du gouvernement de payer sans cesse, de payer partout, de payer pour tout le monde. Le moment est venu d'établir ce premier trait de dissemblance entre la restauration de 1814 et la révolution de 1830. Je vote contre la loi. (Marques d'approbation aux extrémités, et sensation prolongée.) »

M. Bignon et après lui M. Mauguin, qui considéra la question de l'Orient d'un point de vue non moins élevé, avaient amené la discussion en l'agrandissant sur un terrain où les ministres de la marine et de l'instruction publique, qui prirent successivement la parole, ne les pouvaient suivre qu'avec les ménagemens indiqués déjà par le ministre des affaires étrangères. « Les loisirs d'un homme d'esprit et d'expérience, disait M. de Rigny en répondant à M. Bignon, peuvent se promener à leur gré dans le champ des affaires politiques, mais la rigueur du devoir ne permet pas toujours aux organes du gouvernement de le suivre dans la carrière qu'il a parcourue. » Les ministres s'étaient donc renfermés dans un cercle plus étroit. M. Guizot s'était attaché surtout à démontrer la nécessité de persévérer dans la ligne politique adoptée depuis 1821 et de ne pas perdre en s'en écartant le fruit dés sacrifices et des efforts déjà faits.

« Messieurs, disait-il, il ne faut pas croire que, pour un grand peuple à qui de grandes destinées sont réservées, tout se résolve en résultats du moment; que les bénéfices matériels, immédiats, soient les seuls qu'on doive rechercher. Non, il y a des avantages lointains que l'on acquiert par une politique sage et constante, des avantages qui se font attendre, mais qui n'en sont pas moins certains. En fait de politique extérieure comme de politique intérieure, pour l'influence au dehors comme pour la liberté au dedans, il faut savoir attendre, il faut savoir compter sur les démarches qu'on a faites. A ce prix sculement, vous établirez en Europe votre gou vernement nouveau. La persévérance et l'esprit de suite sont le nerf de la politique extérieure, aussi bien que de la politique intérieure; et si on vous voyait, messieurs, abandonner aujourd'hui ( permettez-moi de le dire) légèrement, capricieusement, une politique constamment suivie de 1821 à 1830, suivie par le vœu du pays qui applaudissait au gouvernement toutes les fois qu'il s'y engageait, vous affaibliriez votre gouvernement. votre pays, votre crédit, votre considération, tout ce qui fait la force et la dignité des nations. (Une sensation prolongée succède à ce discours.) i

L'intérêt était excité au plus haut point par la gravité et la chaleur des débats, et la solution qu'allaient donner les votes était impatiemment attendue, lorsque la discussion générale, dans laquelle se firent encore entendre MM. Delaborde, Jay, Eschassériaux et Joly, fut fermée.

Plusieurs amendemens avaient été proposés : par le premier M. Couturier demandait qu'on ajournât toute décision jusqu'à la conclusion des négociations entamées sur les affaires d'Orient. Equivalant suivant le ministre des affaires étrangères à un rejet indirect, et tendant à mettre le gouvernement dans l'impossibilité de prendre un parti quelconque, l'amendement fut écarté par la question préalable. M. Mérilhou le reproduisiten fixant l'ajournement à l'évacuation du territoire ottoman par l'armée russe. Le ministre des affaires étrangères éleva les mêmes objections qu'il venait de présenter contre le premier amendement et déclara, en outre, que le projet ne lui semblait pas de nature à en recevoir

aucun.

« De quoi s'agit-il en effet? disait l'orateur. Un traité existe; il a été conclu par le pouvoir exécutif, auquel la constitution commet le soin des négociations et la conclusion des traités. Pris en soi, le traité est achevé, et il engage toutes les parties; un seul article de ce traité demeure soumis à une condition, c'est-à-dire à l'approbation des Chambres, par la raison qu'une question financière y est attachée. Mais ce qu'on demande à la Chambre, ce n'est pas de participer à la négociation du traité, c'est d'en approuver ou d'en désapprouver la conséquence. Si elle l'approuve, le traité est complet; si elle le désapprouve, le traité est nul. Voilà l'autorité de la Chambre, voilà son droit, mais elle ne peut pas introduire des modifications dans un traité; ce serait elle alors qui négocierait. (Marques d'adhésion.) »

Le ministre ajoutait ces paroles remarquables : « Si la solution de la question (ce qu'à Dieu ne plaise!) était défavorable, il y aurait un grand parti à prendre; les hommes, quels qu'ils soient, qui en seraient chargés, auraient besoin d'en délibérer sur-le-champ. »

Sans s'arrêter aux objections de M: Mérilhou, qui signalait l'opinion du ministre comme attentatoire à la plus précieuse des prérogatives parlementaires, au droit d'amender, la Chambre rejeta l'amendement et votant ensuite au

scrutin secret réclamé par plusieurs membres, elle adopta l'article 1er du projet à la faible majorité de 26 voix (176 contre 140). Ce vote ne termina cependant pas la discussion: deux amendemens ou articles additionnels étaient encore à vider. Par le premier, M. Boissy-d'Anglas voulait que la garantie ne fût obligatoire qu'autant que le gouvernement grec se serait reconnu débiteur des sommes que la France avait antérieurement dépensées dans la question grecque; par le second, M. Glais-Bizoin demandait que la garantie ne fût définitive, que lorsque la nation grecque aurait sanctionné l'emprunt, selon les formes d'un gouvernement constitutionnel et représentatif. En conséquence du premier vote, ces deux amendemens devaient être rejetés; ils le furent en effet, mais non sans avoir soulevé un débat de la vivacité duquel on peut juger par cette apostrophe de M. GlaisBizoin contre la majorité :

« Messieurs, s'écria-t-il, si le ministère en nous présentant ce projet de Joi, en hâtant sa discussion, a voulu mettre à une épreuve dernière et décisive les sentimens de la majorité à son égard, il faut le féliciter de son courage. Je le reconnais pour moi; aux députés qui auront purement et simplement donné leur assentiment à ce projet, il aura le droit de leur dire « Vous êtes à moi, bien à moi », et à leur tour ces députés, hommesliges du ministère, en se présentant devant leurs commettans, pourront, en témoignage de leur dévouement sans réserve à l'administration actuelle, citer ce vote qui aura engagé aussi gratuitement l'avenir financier du pays. "

Votant enfin sur l'ensemble du projet, la Chambre l'adopta à la majorité de 175 voix contre 112, et termina ainsi en faveur du ministère cette ardente discussion, qui, considérée sous un rapport de politique intérieure et extérieure, fut, tant dans sa marche que dans ses résultats, une des plus importantes de la session. La vigueur des attaques, l'insistance de la défense, en avaient fait une véritable question de majorité. Le projet devait encore exciter ailleurs des débats animés, qui, attirés sur un autre terrain, présentèrent un intérêt d'une nature différente.

Soumis le 25 mai à la Chambre des pairs, il avait été (6 juin) de la part de M. le comte Guilleminot, que sa po

sition d'ancien ambassadeur à Constantinople rendait particulièrement compétent dans la matière, l'objet d'un rapport remarquable. Traçant la ligne de conduite suivie envers la Grèce d'une part par la Russie et de l'autre par la France, il en tirait la conclusion que si les sympathies des Grecs avaient pu se porter jadis vers les Russes, elles devaient être aujourd'hui acquises tout entières à la France: Jetant même les yeux sur un avenir éloigné, M. le comte Guilleminot jugeait qu'il était dans la force des choses que les Grecs destinés à grandir, entrassent un jour en contact et en rivalité avec la puissance moscovite. Ce n'était donc point un allié de la Russie qu'on allait aider, mais plutôt un ennemi qu'on lui suscitait, et l'examen approfondi des ressources de la Grèce donnait à penser que cet ennemi pouvait devenir redoutable; cet examen garantissait aussi que les intérêts pécuniaires de la France ne seraient point compromis.

« Mais nos prévisions, ajoutait le rapporteur, füssent-elles fausses, dût-il en coûter quelques sacrifices à la France, nous pensons qu'elle ne peut marchander avec les intérêts de sa politique et de sa dignité. Qu'on ne dise pas, messieurs, que nous commençous tout, mais que nous ne savons rien achever; que chez nous un engouement succède à un autre; que nous traversons les meilleures pensées sans savoir nous y arrêter, que, par irréflexion, nous entravons le gouvernement, dans ses meilleures entreprises, et que nous prenons la tutelle d'un peuple sans en remplir les devoirs jusqu'au bout. Nous avons eu nos jours d'enthousiasme pour la Grèce on trouvait alors qu'il était beau et juste de relever cette antique patrie des arts et de la liberté. Lui retirerons-nous aujourd'hui la main protectrice qui l'a soutenue? Il y a ici, messieurs, non seulement une cuvre de haute politique nationale, mais encore une œuvre de civilisation à accomplir. Et qu'on se le persuade bien, c'est par de telles œuvres surtout que la France peut et doit assurer sa considération et son ascendant au dehors. Aucun doute n'est resté, messieurs, dans l'esprit de votre commission sur l'utilité du projet relatif à l'emprunt grec. Elle vous propose, en conséquence, à l'unanimité, l'adoption de ce projet. »

8 juin. Le projet, ne rencontra pas dans la Chambre cet assentiment unanime que lui avait accordé la commission, Après avoir présenté contre son adoption les considérations d'économie que nous venons de voir se produire dans la Chambre élective, M. le marquis de Dreux-Brézé trouva dans l'examen du passé des motifs d'inculper fortement le ministère. «< Beaucoup de promesses avaient été faites, il y

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