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a trois ans, disait l'orateur, promesses d'économie, promesses de dignité, de fierté nationale. Il ne sera pas inutile, avant de céder à la demande de MM. les ministres, d'examiner jusqu'à quel point ces promesses ont été tenues. » M. le marquis de Dreux-Brézé s'efforçait de démontrer qu'elles avaient été toutes violées, et spécialement dans les questions de por litique extérieure. En Italie, en Belgique, en Allemagne, dans l'Orient, partout les ministres avaient compromis la dignité et l'intérêt de la France. Il revenait enfin aux considérations financières et s'étonnait qu'une demande de 20 millions si mal motivée fût présentée dans un moment où des déficits étaient avoués. « Dans une situation pareille, je vote, disait-il, contre le projet de loi pour les Grecs, en faveur des contribuables de France. » Des motifs analogues déterminaient M. le duc de Noailles à repousser aussi le projet, Développant le tableau de la situation politique de l'Europe, il trouvait la France déchue de la position qu'elle occupait avant la révolution de 1830;'il la trouvait isolée, car l'alliance anglaise qu'on pouvait alléguer ne le rassurait point. Pas plus que l'orateur précédent, il ne reconnaissait à cette alliance des garanties de durée, parce que les deux pays étaient en rivalité nécessaire.

« Ministres du gouvernement nouveau, ajoutait M. de Noailles en terminant, votre tâche est difficile à remplir, mais nous devons exiger qu'elle soit remplie. Vous succédez à un gouvernement dont le principe était la garantie des droits de tous, parce qu'il était la représentation vivante du droit, et nous permettait de prendre le rang qui nous convenait entre toutes les puissances, parce qu'il était en harmonie avec le principe de tous les trones. Aussi ce gouvernement donna-t-il une grande prospérité à l'intérieur, et à l'extérieur une considération que les faits ont souvent constatée. Nous sommes en droit d'exiger autant de vous; nous sommes en droit d'exiger davantage, car vous avez souvent reproché à ce gouvernement de ne pas remplir la condition que lui imposaient les nobles destinées de la France, et, ce qui est peu généreux, vous l'avez souvent accusé depuis sa chute. »>

Le ministre du commerce et des travaux publics commença par signaler la concordance parfaite des reproches adressés au gouvernement par les représentans de deux opinions diamétralement contraires; ces reproches, les mêmes dans une

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⚫Chambre et dans l'autre, étaient également peu rationnels. « Le génie des oppositions s'est montré ici à nu, disait M. Thiers; les oppositions, quelle que soit leur nature, demandent toujours l'impossible, parce que l'impossible est le meilleur argument à présenter à un gouvernement, vo qu'il ne peut jamais faire l'impossible. » Il s'attachait ensuite à présenter sous un autre jour le parallèle établi entre le gouvernement de la restauration et celui qu'avait fondé la révolution de juillet, et renvoyant au premier les accusations que les deux précédens orateurs avaient articulées contre le second, il s'écria :

« Ce que le gouvernement de juillet a fait de méritoire, nous pouvons le dire, c'est qu'il a résisté à ses propres passions, qu'il a vaincu les préventions de l'Europe, qu'il les a changées en estime. Qu'il me soit permis de le dire, je n'ai pas proféré une seule parole contre les princes qui ont quitté la France; jamais, autant qu'ils existeront, il ne sortira de ma bouche aucune parole blessante pour eux; cependant qu'il me soit permis de le dire pour l'honneur du gouvernement que je représente, s'il est un gouvernement au monde à qui il soit moins permis qu'à un autre de parler nationalité, c'est à celui de la restauration. Je sais qu'autour de ce gouvernement se trouvaient des hommes honorables, qui souvent ont cherché à le mettre dans la véritable voie ; je sais qu'à plusieurs époques il y a eu des personnes bien intentionnées qui étaient dans cette véritable voie de la nationalité, de l'intérêt français. Si ces hommes eussent été écoutés, les regrets que nous avons entendus n'eussent pas été exprimés. Mais les conseils que donnaient tant d'hommes honorables qui avaient appris dans la révolution et sous l'empire à aimer leur pays, à le défendre, n'ont pas été suivis. Le gouvernement suivait sa nature, car on ne lui reproche que sa nature; il était le gouvernement de l'étranger, son principe était l'étranger; malgré lui, il lui cédait; dans ses négociations, sa première crainte était de se brouiller avec ceux qui le soutenaient.

« On nous reproche de rechercher l'alliance anglaise; on dirait que le gouvernement de la restauration ne l'a pas fait aussi. Mais nous, nous la recherchons lorsque lord Grey est aux affaires, et nous ne l'eussions pas fait sous le ministère de Castlereagh. (Sensation.) Nous avons accepté les traités de 1815, parce que, pour les déchirer, il aurait fallu verser des torrens de sang, et qu'un gouvernement sage doit avant tout conserver le repos de son pays. Nous avons accepté ces traités comme de tristes 1estes; ils ne sont pas l'expression de nos opinions intimes; nous n'avons pas concouru à leur rédaction, et je ne conçois pas que l'on nous fasse un reproche de la modération que nous avons suivie à l'égard de ces traités. (Très-bien, très-bien !)

«Le gouvernement de juillet peut s'appeler un gouvernement, comme disent les jurisconsultes, sui juris, c'est un gouvernement de droit, Je conviens qu'avant lui, sans le parjure, on aurait pu appeler aussi gouvernement de droit le gouvernement antérieur; le pays l'avait accepté, il était entré en discussion avec lui. Il a perdu ce caractère le jour du parjure. Ce jour-là, qui est-ce qui pouvait faire un gouvernement? c'est la nation; elle l'a fait; et le droit qu'elle lui a imprimé est aussi sacré

qu'aucun autre. C'est ce droit qui fait notre véritable dignité, notre véritable force. Nous n'avons pas cherché à l'étranger des appuis, à ob. tenir des alliances pour continuer une existence déplorable; non, nous nous sommes présentés à l'étranger en gens de foi, de loyauté, de cœur ; nous avons avoué, proclamé notre principe; nous sommes un gouvernement fondé sur le droit national; nous l'avons dit aux étrangers. Mais nous ne voulons pas que notre principe aille révolutionner des états à qui notre régime ne convient pas. Toutes nos complaisances envers les cabinets étrangers se sont bornées à cela. Nous gardons notre principe, qui est approprié à nos mœurs, à notre nature, à notre sol que les peuples qui croient pouvoir le comporter se le donnent, nous ne le leur apporterons pas. Voilà, messieurs, nos complaisances, que j'appellerai, au contraire, notre honneur, notre loyauté. (Marques prolongées d'approbation.)

Après cette vive réplique qui sembla produire une profonde sensation, la Chambre adopta le projet à une majorité de 91 voix contre 9, sans admettre un article additionnel dans lequel M. Boissy-d'Anglas reproduisait la proposition déjà faite, d'ajourner l'effet de la garantie.

La discussion de la loi sur l'emprunt grec a fait ressortir toute son importance et justifié l'attention prolongée que nous lui avons donnée. Nous glisserons plus rapidement sur deux. autres projets de loi dénués de toute portée politique dont les Chambres eurent à s'occuper après ce vote solennel.

Quelque intérêt étranger au fond même du sujet se ratta chait cependant à la décision de la Chambre des députés sur le rétablissement des dispositions du Code civil relatives au divorce. Déjà ce rétablissement avait été voté, dans la session de 1832, par la même Chambre. Mais, portée à la Chambre des pairs, la résolution avait été repoussée : une dissidence ouverte sur cette grave question existait donc entre les deux assemblées. Reproduite, le 4 mai, par M Bavoux, la proposition du rétablissement du divorce fut adoptée de nouveau sans discussion par la Chambre des députés (25 mai), qui persévérait ainsi dans sa résolution. On peut supposer que la clôture seule de la session empêcha la Chambre des pairs de témoigner qu'elle persévérait aussi dans son refus, car la commission chargée d'examiner la proposition conclut à son rejet par l'organe de M. Gautier (21 juin). Cette fois encore le gouvernement se tint neutre.

Au surplus, la Chambre des pairs paraissait disposée à enlever aux partisans du divorce l'un de leurs plus puissans argumens, s'il faut en juger par une proposition que M. le président Boyer déposa trois jours après (24 juin) sur le bureau: elle portait qu'à l'avenir, la séparation de corps prononcée entre époux pour cause d'adultère de la femme, ferait cesser de plein droit la présomption de paternité résul tante du mariage, aux termes du Code civil.

La Chambre des députés consacra plusieurs séances à la discussion d'un projet de loi, sur l'amortissement. Cette matière, devenue l'objet d'une assez vive polémique,'était dans une situation précaire et incertaine depuis 1830, époque à laquelle avait cessé l'action d'une loi qui l'avait en partie régie depuis 1825. Un projet de loi, présenté à la Chambre des députés à la fin de 1830, n'ayant reçu ni alors ni depuis la sanction législative, le gouvernement au commencement de l'année 1833 avait annoncé et promis une Joi définitive; toutefois le projet du ministre des finances se fit attendre jusqu'au 6 mai..Comme elle coïncida avee la communication donnée à la Chambre par M. Laffitte d'une proposition sur le même sujet, la présentation de ce projet fut attribuée au désir de paralyser la proposition du député, dont les bases étaient différentes. Quoi qu'il en soit, le projet, ainsi que le déclara le ministre, ne devait point constituer définitivement le système de l'amortissement, mais servir seulement de transition à des mesures ultérieures et définitives, et rétablir temporairement un ordre plus rationnel et plus équitable dans la répartition des fonds affectés au rachat des rentes de toute nature. Telle devait être la portée, tel était le but du projet de loi. La commission chargée de l'examiner, et à laquelle la Chambre avait aussi renvoyé la proposition de M. Laffitte, n'adopta aucun des deux sytèmes; elle établit cependant son travail sur le projet ministériel en lui faisant subir des modifications considérables. Le rapporteur, M. Gouin, annonça (18 mai) qu'elles avaient pour objet de

suppléer aux lacunes du projet qui n'était qu'incomplet et provisoire, malgré la promesse formelle de l'administra

tion.

Voici les dispositions du projet de la commission, auquel accéda le gouvernement et qui ne reçut que de légers chan gemens dans la discussion. La dotation de la caisse d'amortissement, formant un total de 44,616,413 francs, et les rentes amorties non employées dans la session, devaient être réparties au marc le franc et proportionnellement au capital nominal de chaque espèce de dette entre les diverses rentes; chaque répartition indiquerait séparément le montant des dotations et des rentes rachetées : chaque fonds réparti serait employé au rachat de chaque espèce de rente, pourvu que le cours n'en fût pas supérieur au pair. Le pair était dés fini le capital nominal, augmenté des arrérages échus du semestre courant. Tout emprunt, futur devait être doté d'un fonds d'amortissement dont le minimum serait d'un pour cent. A dater de la promulgation de la loi des dépenses pour 1834, il ne pourrait plus être disposé des rentes rachetées par la caisse qu'en vertu d'une loi spéciale. Les fonds d'amortissement affectés à des rentes au dessus du pair seraient mis en réserve. Le montant de la réserve possédée par la caisse d'amortissement serait exclusivement employé au rachat qu au remboursement de la dette consolidée, remboursement qui n'aurait lieu qu'en vertu d'une loi spéciale. Enfin dans le cas de négociation de rentes sur l'état, les bons du trésor représentant le fonds de réserve seraient convertis en une portion de ces rentes.

24, 25, 27 mai. La discussion des articles souleva incidentellement une question de prérogative constitutionnelle qui fut vivement débattue. Nous venons de voir qu'à partir de la promulgation de la loi des dépenses pour 1834, il ne pourrait être disposé d'aucune partie de rentes rachetées qu'en vertu d'une loi spéciale. Les débats s'engagèrent sur le mot spéciale. Suivant MM. Vidal et Laurence, ce mot était

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