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attentatoire aux droits souverains de la Chambre en matière d'impôts, en matière de budget, puisque la disposition des rentes rachetées étant partie intégrante des lois de finances devait rester facultative pour la Chambre. Le ministre du commerce répondit qu'exercée dans la latitude qu'on lui attribuait, la souveraineté de la Chambre en matière d'impôt deviendrait inconstitutionnelle, et que l'impôt, comme toute autre question législative,. devait être soumis à l'action des trois pouvoirs. Le mot spéciale était la garantie du crédit public, de la caisse "d'amortissement, contre une disposition que la Chambre des députés introduirait dans un budget, à la fin d'une session, lorsque l'intervention des deux autres pouvoirs par voie d'amendement serait impossible. Il fallait qu'il ne pût être statué dans une matière aussi grave que par le concours pleinement indépendant des trois pouvoirs, et la couronne non plus que la Chambre des pairs n'était libre dans la discussion du budget, puisque de fait elle ne pouvait pas le rejeter. La contestation, dans laquelle intervinrent encore plusieurs orateurs, et particulièrement M. Dupin, qui se prononça fortement contre l'opinion du ministre, avait pris une haute importance: la Chambre, votant au scrutin secret, maintint le mot spéciale à la faible majorité de 152 voix contre 143. Après ce vif incident, qui ne se termina à l'avantage du ministère qu'à une si faible majorité, l'ensemble du projet adopté par 179 voix rencontra encore 82 opposans (28 mai).

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Présenté le 31 à la Chambre des pairs, ce projet fut approuvé par la commission chargée de l'examiner, et M. le comte Roy, son rapporteur, en proposa l'admission dans un rapport qu'il fit le 4 juin. Conformément à ces conclusions, etaprès de courts débats, dans lesquels M. le baron Portal développa des considérations générales sur la matière, M. de Montlosier quelques critiques sur des points de détails et M. Gautier diverses observations contre les omissions du projet plutôt que contres ses dispositions, la Chambre

l'adopta purement et simplement à l'unanimité des membres présens moins un (6 juin).

Le projet de loi que la Chambre des députés mit en délibération après celui qui précède, était de nature à exciter plus vivement l'attention. Ce projet apporté le 29 avril à la Chambre par M. Thiers tendait à accorder au gouvernement un crédit.de 100 millions. pour achever et pour entreprendre de nombreux travaux publics.

Beaucoup entreprendre, disait le ministre, tel a été l'esprit de presque tous les gouvernemens qui se sont succédé depuis quarante années. Tous, impatiens d'imprimer sur le sol une trace de leur passage, se sont empressés d'élever des édifices, de creuser des canaux, d'ouvrir des routes; mais plus soucieux d'entreprendre des travaux qui leur fussent propres que d'achever les travaux de leurs devanciers, ils n'ont laissé que d'éternels échafaudages sur nos places publiques, et des lits de canaux, restés à sec, sur la surface de nos campagnes.

« Le gouvernement a pensé que sa mission devait être d'achever ; et c'est assurément la plus nouvelle, comme aussi la plus conforme au véritable esprit du gouvernement de juillet.

« Ce gouvernement, venant après quarante ans d'essais politiques en tout genre, a eu pour but de résumer, de compléter, d'affermir tout ce qui avait été essayé avant lui en fait d'institutions. Il sera conséquent avec lui-même, si en fait de grands travaux il aime mieux achever les entre• prises commencées qu'en commencer de nouvelles. >>

L'achèvement immédiat des monumens, des canaux, des routes, de l'éclairage des côtes maritimes; l'ouverture de routes stratégiques dans la Vendée, et l'étude préparatoire des chemins de fer, tels étaient les objets de cette importante dépense. Entrant dans un examen approfondi de chacun d'eux, le ministre faisait ainsi la répartition des 100 millions demandés : 24 millions seraient consacrés aux monumens de la capitale; 44 millions aux travaux de canalisation; 17 millions aux routes royales; 12 millions aux routes stratégiques de la Vendée; 2 millions 500 mille francs à l'éclairage des côtes, et 580 mille francs à l'étude des chemins de fer. Il devait être pourvu à ces 100 millions au moyen d'une somme de rentes prélevée sur le montant des rentes rachetées par la caisse d'amortissement, et qui serait de nouveau émise.

Les considérations qui avaient déterminé le gouvernement à proposer la loi, ressortaient avec une force irrésistible de Ann. hist. pour 1833.

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l'exposé des motifs du ministre. L'état de non-achèvement des monumens était ruineux pour le trésor public; les matériaux se détérioraient, les frais d'agence s'accroissaient, enfin tous les ans il fallait voter quelques millions pour arrêter la ruine et non pour achever. Il n'était pas moins funeste sous le rapport des arts. Subissant des modifications à chaque changement de régime, de ministre, d'architecte, les monumens voyaient leur caractère s'altérer et ils perdaient la condition première de la beauté, celle d'être l'œuvre d'une pensée unique. La nécessité de finir les travaux de canalisation était encore plus impérieuse. Le gouverment avait pris envers les compagnies qui avaient livré leurs fonds l'engagement formel de terminer les canaux; le retard nuisait d'ailleurs aux intérêts privés, au commerce; il était désastreux pour le Trésor en ce que les intérêts dus aux compagnies allaient croissant progressivement jusqu'à l'achèvement, en ce que les canaux non-achevés coûtaient énormément et ne rapportaient rien. Relativement aux routes, le ministre faisait sentir l'urgence de faciliter les communications entre les diverses parties du royaume. C'était sur des argumens de même nature qu'il appuyait les demandes de fonds pour l'éclairage maritime et pour l'étude préparatoire des chemins de fer. Quant à l'ouverture des routes stratégiques dans la Vendée, des considérations de deux ordres étaient invoquées: il fallait que la Vendée ne fût plus un réceptacle de guerre civile, un champ de bataille pour les factions; il fallait aussi que des débouchés fussent ouverts aux produits de son sol et de son industrie les routes stratégiques, après avoir pourvu au premier des besoins, pourvoiraient au second quand la tranquillité serait rétablie.

Si vous adoptez nos propositions, disait le ministre en finissant, vous aurez terminé nos magnifiques monumens, achevé les lignes générales de notre navigation intérieure, rempli les lacunes les plus fâcheuses de nos routes, prévenu dans

qui

l'ouest un retour de la guerre civile, rendu nos côtes plus hospitalières, préparé enfin le jour où ces communications artificielles de l'Angleterre, si enviées, si admirées, surpassent la rapidité des vents et des mers, embrasseront la surface entière de notre pays. Si la Chambre jugeait que les moyens proposés pússent atteindre ces buts divers, et si elle consentait à les adopter, on ne dirait pas que ses efforts avaient été mal dirigés, que sa session avait été stérile. Depuis bien des années on n'aurait pas fait au pays un bien aussi prochain ni aussi positif.

La commission à laquelle la Chambre.soumit l'examen de ce projet, accueilli de prime abord avec une faveur particu lière, lui donna un plein assentiment par l'organe de M. de Bérigny (22 mai). Elle proposa même, pour que l'œuvre fût plus complète, d'élever le chiffre du crédit réclamé et de le porter à la somme de 119 millions 500 mille francs: elle affectait ces 19 millions supplémentaires (dont une partie serait couverte par la vente de divers terrains et matériaux) aux constructions d'une bibliothèque nouvelle à Paris, et à divers travaux de canalisation.

Relativement aux voies et moyens, la commission ne s'était point accordée, quant à la forme, avec le projet ministériel. Au lieu d'adopter le prélèvement d'une somme de rentes rachetées par la caisse d'amortissement et leur nouvelle émission, elle était d'avis d'ouvrir un emprunt jusqu'à due concurrence en même temps qu'on annulerait une quotité de rentes rachetées équivalente au montant de cet emprunt. En définitive, les deux projets étaient au fond identiques; d'après l'un comme d'après l'autre, les 100 millions devaient être créés aux dépens de la caisse d'amortissement; mais, dans celui de la commission, l'atteinte était moins directe et les ménagemens professés pour la caisse semblaient mieux observés.

30, 31 mai; 3, 4, 5, 6 juin. Le projet en général ne rencontra guère plus d'opposition dans la Chambre qu'il

n'en avait rencontré dans la commission. Il portait que l'emploi des fonds serait fait en cinq années." M. Jousselin signala cette disposition comme contraire aux prérogatives de la Chambre et à la Charte, en ce qu'elle tendait à faire voter en un jour cinq budgets du ministère des travaux publics, et à aliéner ainsi le droit de discussion et de vote des dépenses d'utilité publique; en ce que la loi constitutionnelle voulait que le budget et les impôts directs fussent votés tous les ans.

Mais aucun débat sérieux ne s'éleva sur cette question préjudicielle, bien qu'elle eût été reproduite, en termes plus mesurés, par M. Pelet (de la Lozère), qui appela surtout l'attention de la Chambre sur la partie financière du projet. Un seul orateur, M. Voyer-d'Argenson, repoussa [absolument la loi; il la trouvait dangereuse, car elle jetterait, à Paris surtout, une grande commotion dans la classe ouvrière. Les ouvriers, abandonnant leurs travaux actuels, allaient se précipiter dans les carrières qu'ouvrirait momentanément l'exécution de la loi. Les 100 millions empruntés, disait l'orateur, embaucheront des travailleurs qu'un caprice ministériel ou un événement politique laissera plus tard sans ouvrage et sans pain.

La discussion des articles resta enfermée dans un cercle assez étroit et porta beaucoup moins sur les grandes divisions du projet (les monumens, les canaux, les routes) que sur les objets particuliers compris dans chacune de ces divisions, sur tel canal, tel monument. Nous ne devons nous arrêter que sur les points qui furent débat.tus avec quelque vivacité.

Le premier fut la disposition par laquelle la commission proposait d'allouer à forfait 18 millions à la liste civile, à la charge d'achever les travaux nécessaires à la réunion du Louvre aux Tuileries, moyennant la construction d'une aile transversale où l'on établirait la bibliothèque royale. M. Lherbette repoussait cette disposition. Elle pouvait

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