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CHAPITRE XI.

Proposition en faveur des créanciers et des pensionnaires de l'ancienne

liste civile. Propositions en faveur des veuves des généraux Daumesnil et Decaen. Mise en liberté de la duchesse de Berry.-Levée de l'état de siége dans la Vendée.-Continuation de la chouannerie.-Budget des dépenses et des recettes pour 1834. — Budget définitif de 1831. Présentation de projets de loi sur les salines et sur le conseil d'état. - Projet de loi qui accorde une indemnité de 25 millions aux EtatsUnis. Proposition sur le desséchement des marais. Proposition relative au prêt fait en 1830 à la librairie et à l'imprimerie, — Pétitions. - Esprit de la session.

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Un seul des deux buts assignés à la session de 1833 par le gouvernement, l'achèvement de quelques lois organiques, à été atteint jusqu'ici : il nous reste maintenant à tracer l'analyse des débats auxquels donnèrent lieu les projets destinésà remettre enfin les finances dans leur état normal. Mais avant d'aborder les travaux des Chambres sur le budget pour l'année 1834, nous exposerons d'abord divers objets dont la discussion interrompit à plusieurs reprises ces graves délibérations.

L'ajournement d'un projet relatif à la liquidation de l'ancienne liste civile, avait engagé MM. Debelleyme et de Schonen à présenter conjointement (21 mai) une proposition, qui fut développée le lendemain, tendant à ouvrir un crédit de 3,750,000 francs, au bénéfice des créanciers et des pensionnaires les plus nécessiteux de l'ancienne liste civile, à la condition pour ces derniers, de n'avoir ni pris part aux troubles de l'ouest, ni subi de condamnation politique. En faveur des créanciers, les auteurs de la proposition invoquaient la stricte justice : l'état s'était emparé du gage de leur créance (gage suffisant et au-delà à l'acquit des dettes); l'état était devenu leur débiteur. En faveur des pensionnai

res, c'était à l'humanité de la Chambre que MM. de Schonen et Debelleyme faisaient un appel. « Refuser, avait dit le premier de ces deux honorables membres, ce serait pour les créanciers un déni total de justice et la ruine de beaucoup: pour plusieurs pensionnaires, ce serait un arrêt de mort. » Cependant la proposition n'avait pas été prise en considération sans être vivement combattue par MM. Salverte et Joly, qui trouvaient la mesure impolitique, et injuste envers les contribuables. La commission chargée de l'examiner avait conclu unanimement à l'adoption, par l'organe de M. Vatout (27 mai), en réduisant de 500,000 francs, la somme demandée. Les débats, ouverts le 9 juin et continués le 15, furent assez animés. Un amendement, de M. Laurence, tendant à réduire à 2,000,000 la somme destinée aux créanciers, ne fut rejeté qu'à la simple majorité (138 · voix contre 137); ensuite la Chambre adopta un amendement par lequel M. Baude affectait aux condamnés politiques sous la restauration, 220,000 francs, à prendre sur les 750,000 francs alloués aux pensionnaires : l'ensemble de la proposition passa à la majorité de 156 voix contre 7. Portée à la Chambre des pairs, le 19 juin, la proposition y fut votée sans discussion par go voix contre 8. En déclarant dans son rapport qu'il ne s'agissait que d'accorder une somme à l'infortune et non de juger une question politique, ni de reconnaître un droit, M. le chevalier Allent avait exprimé l'espoir que la Chambre était appelée pour la dernière fois à continuer des crédits provisionnels, aussi contraires aux intérêts privés qu'au bien du trésor et à ladignité de la France.

Invoquant les services rendus par le général Daumesnil sur divers champs de bataille, rappelant Vincennes conservée par lui à la France, malgré les menaces et les promesses des étrangers en 1814 et 1815, rappelant aussi qu'il avait bien mérité de la révolution de 1830, à laquelle il avait conservé sa pureté, en empêchant le meurtre des ministres de Charles X, que le peuple était venu lui demander,

M: Dupin avait proposé dans le cours de la dernière session, que la pension de 1500 franes accordée à la veuve du général, mort pauvre, fût élevée à 6,000 francs. Présentée de nouveau le 24 mai, cette proposition avait été l'objet de vifs débats, dans le sein de la commission chargée de l'examiner: une seule voix de majorité avait autorisé le rapporteur, M. le comte Jaubert, à conclure à l'adoption (30 mai). La minorité des commissaires l'avait repoussée en alléguant les charges énormes qui pesaient sur le trésor, et le danger d'établir un antécédent. La proposition arriva d'ailleurs à l'ordre du jour sous de fàcheux auspices. Déjà la Chambre avait refusé de prendre en considération (27 mai) une proposition analogue, faite par le général Delort en faveur de la veuve du général Decaen. Ce refus impliquait le rejet de la demande de M. Dupin: aussi fut-il invoqué par M. Vérollot contre la nouvelle proposition (1o juin). M. Madier de Montjau et le général Delort répondirent que la Chambre pouvait revenir sur la décision prise contre la première proposition, pour adopter la seconde : le ministre de la guerre appuya fortement cette opinion:

« Le général Decaen, dit-il, a commandé en chef des armées; il a pendant dix années fait honorer le nom français dans l'Inde, il a été capitaine-général de l'ile de France, où, comme je le disais dernièrement, vis-à-vis d'une armée anglaise, il a obtenu de la gloire et des succès. Toute sa vie a été pure, honorable; à sa mort il n'y avait pas de quoi le faire enterrer. J'ai déjà eu l'honneur de dire à la Chambre que j'ai dû y pourvoir. Certes dés services aussi honorables ne peuvent pas rester sans récompense, et j'éleverai toujours la voix dans le sein de la Chambre pour que cette malheureuse veuve, dont la vertu égale les malheurs, obtienne la récompense qu'une aussi illustre vie a justement méritéc. (Très-bien! très-bien!)

« Quant au général Daumesnil, c'était un des plus braves de la grande armée, où l'on ne comptait que des braves. (Nouvelles marques d'approbation.) Le champ de bataille de Wagram le vit mutilé, et son nom servit d'exemple, et vingt autres actions d'éclat vinrent encore honorer les armées françaises. Les ordres du jour, la munificence impériale l'ont déjà présenté comme digne, non-seulement des bienfaits du chef de l'état, mais encore de récompense nationale. Un poste d'honneur lui fut confié par le commandement de la place la plus voisine de la capitale, où le principal dépôt de nos armemens était enfermé, la seule qui existât en dehors de nos villes de guerre placées à la frontière. Je ne répéterai pas tout ce qui a été dit sur son compte, la sublime réponse qu'il fit à la sommation violente et injurieuse qui lui fut adressée, tout cela était digne de lui.

» Sans vouloir établir de parallèle entre Daumesnil et Decaen, je dirai que l'un et l'autre ont bien mérité du pays, et que leurs veuves sont dignes de l'intérêt le plus vif de la part des représentans de la nation. J'appuierai de toutes mes forces la proposition qui concerne la veuve du général Daumesnil, ainsi que celle faite pour la veuve du général Decaen. »

Sous l'influence de la vive et profonde sensation qu'avait produite ce discours, la Chambre adopta par assis et levé les deux articles dont se composait la proposition, mais, au scrutin secr et sur l'ensemble, une majorité de 30 voix, (137 voix contre 107) la repoussa, non sans causer un étonnement général.

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Ce refus prononcé par la Chambre contre le vœu du ministre de la guerre, contre l'opinion publique, contre la sympathie populaire, fut accueilli avec défaveur au dehors. Dès le lendemain, les journaux publièrent que le roi accordait un secours aux deux veuves des généraux Decaen et Daumesnil, et le conseil municipal de Vincennes ouvrit une souscription en faveur des enfans du dernier.

Nous avons encore à mentionner, avant d'entamer la discussion du budget, deux actes qui s'accomplirent pendant le cours de cette discussion, et dont le premier s'y rattacha incidentellement. On a vu la captivité de la duchesse de Berry et la prolongation de l'état de siége de la Vendée devenir, à l'ouverture de la session, la cause d'un incident dans l'une et l'autre Chambre, .et motiver les réclamations de M. le marquis de Dreux-Brézé et de M. de Gras-Préville, président d'âge des députés. Ces deux mesures qui avaient quelque connexité cessèrent simultanément vers le milieu du mois de juin.

Le Moniteur du 11 mai avait donné la nouvelle de l'accouchement de la duchesse de Berry qui, au moment de sa délivrance, s'était déclarée mariée au comte Hector de Lucchesi-Palli, second fils du vice-roi de Sicile, prince de Campo-Franco (Voyez la Chronique). Peu à peu le bruit s'était répandu que la princesse serait mise prochainement en li berté. En s'accréditant de plus en plus, il avait excité quel

que sensation, attendu l'ordonnance royale du 8 novembre 1832, qui annonçait un projet de loi pour statuer relativement à la duchesse de Berry. Les préparatifs de cet élargissement, non désavoués par le ministère, étaient devenus assez notoires à la fin du mois de mai, pour provoquer des allusions et de vives interpellations du haut de la tribune de la Chambre des députés (28 mai). Sommé par M. Garnier-Pagès de répondre sur cette mise en liberté, M. Thiers avait refusé de le faire. Le garde-des-sceaux, également pressé par M. Joly de s'expliquer sur une détention illégale et sur un élargissement qui ne le serait pas moins, avait dit que comme coupable et n'ayant pas la garantie d'un caractère de souveraineté, la duchesse de Berry était sans doute justiciable du droit commun, mais que de hautes considérations l'en devaient faire excepter. Le garde-dessceaux avait déclaré, au milieu de nombreuses dénégations, que la Chambre s'était d'ailleurs associée à ces considérations. (Voyez plus haut, page 2 et suivantes.)

Le 9 juin, sans qu'aucune ordonnance, sans qu'aucune loi fût intervenue, le Moniteur annonça dans sa partie non officielle que la duchesse de Berry, par ordre du gouvernement, avait été embarquée, le 8, à bord du navire l'Agathe pour être transportée de Blaye à Palerme. La nouvelle positive de ce départ, dont la presse signalait de jour en jour le prochain accomplissement, ne pouvait manquer d'avoir du retentissement dans la Chambre des députés; aussi y fut elle l'occasion de débats animés (10 juin) que soutinrent les ministres de l'intérieur, de la justice et du commerce, contre MM. Garnier-Pagès, Salverte et Mauguin. M. Garnier-Pagès demanda si cette mise en liberté était une concession à une intervention étrangère? Le ministre de l'intérieur répondit qu'aucune intervention n'avait eu lieu; qu'elle n'eût pas été écoutée et que son seul résultat eût été de prolonger la captivité de la duchesse. MM. Salverte et Mauguin s'attachèrent à faire ressortir l'il

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