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intentions et la conduite de la Chambre, et, pendant deux jours, pleiné liberté fut laissée aux conjectures.

19 janvier. Dans son nouveau rapport, M. le comte Siméon rappela que, pour la quatrième fois en deux sessions, la question se présentait devant la Chambre. Lá commission pensait que dans toutes les occasions la Chambre avait manifesté le désir d'une conciliation précieuse, mais elle ne croyait pas que ce désir pût la conduire jusqu'à effacer les dérnières traces du sentiment juste, politique et moral, que renfermait la loi du 19 janvier. S'expliquant sur la dissidence des deux Chambres, M. le comte Siméon trouvait qu'on en exagérait beaucoup les inconvéniens; si elles étaient foujours du même avis, il serait inutile qu'elles fussent deux : autant vaudrait qu'il n'y en eût qu'une, et l'on savait tous les dangers d'une autorité sans contre-poids. En résumé, lë rapporteur, se fondant sur ce que la Chambre des députés, en repoussant l'amendement de la Chambre des pairs, n'avait pas fait connaitre ses motifs, et sur ce que la commission, persistant d'ailleurs dans son rapport du 14 janvier, n'avait pu proposer, pour exprimer ses sentimens, une rédaction qui offrit plus de chances de succès, concluait au rejet du projet de la Chambre des députés.

La discussion suivit le rapport. M. le président Boyer soumit à la Chambre un amendement ainsi conçu : « La loi du 19 janvier relative à la journée à jamais déplorable da 21 janvier 1793 est abrogée. » Un second amendement fut présenté par M. Cousin: « La loi du 19 janvier 1816 relative à l'événement funeste du 21 janvier 1793 est abrogée. » Évidemmment, cette double rédaction avait un même but, celui de renfermer dans un seul article l'abrogation de la loi, et le souvenir douloureux, dont la Chambre des pairs tenait å accompagner cet acte. On reprochait à l'ancien amendement d'établir un jour de deuil national par la loi même qui en supprimait tous les signes extérieurs; les amendemens nouveaux tendaient à faire disparaître cette contradiction.

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Dans le développement du sien, M. Cousin posa en principe que tout anniversaire néfaste était un contre-sens, que l'objet naturel d'une institution de ce genre était d'acquitter la dette de la justice, de la reconnaissance, de consacrer de grandes choses dans la mémoire des peuples pour exciter à les imiter. Il rappela ensuite l'esprit de réaction dans lequel la loi du 16 janvier avait été faite. M. Villemain contesta le principe posé par M. Cousin: au lieu d'affirmer que les nations n'aimaient point à consacrer le souvenir de leurs fautes, il était plus juste, suivant lui, de dire que les nations aimaient à déclarer qu'elles n'avaient été pour rien dans des fautes, ou plutôt dans des crimes indignes d'elles et commis sans leur aveu. Sans se prononcer sur les amendemens proposés, M. Villemain se bornait à justifier l'avis de la commission, dont il était membre, par ce motif entr'autres qu'il ne s'agissait pas d'une forme de rédaction, mais d'un sen

timent à satisfaire.

Jusqu'alors le gouvernement avait assisté au débat, sans y prendre part, comme pour garder la plus stricte neutralité dans la querelle des deux pouvoirs. Cependant, après une réplique de M. Cousin, et lorsqu'il paraissait probable que cette querelle touchait à son terme, le garde des sceaux monta à la tribune:

« J'ai suivi, dit-il, avec beaucoup d'attention la discussion qui s'est élevée dans les deux chambres, à l'occasion du projet d'abrogation de la loi relative au 21 janvier. Vous avez pu, comme moi, constater l'unanimité des sentimens qui ont été exprimés dans les deux chambres pour flétrir cet attentat.

« Cependant des dissidences se sont élevées; elles sont graves quand elles se révélent entre deux corps de l'Etat, et le gouvernement ne peut y rester indifférent.

« Quels sont les motifs qui ont déterminé la Chambre des députés à demander et à voter l'abrogation de la loi du 19 janvier 1816? Ils peuvent se réduire à ces mots :

« La loi du 19 janvier 1816 fat une loi de réaction: elle avait quelque chose d'humiliant pour la nation française, qui avait été étrangère à l'altentat du 21 janvier.

« D'ailleurs, en quoi une loi est-elle nécessaire pour transmettre à la postérité le caractère des grandes catastrophes qui signalent les révolutions des Etats? Quant à la France, elle n'avait pas besoin d'une leçon.

« A ces considérations, votre commission a opposé des raisons que je vais

résumer. L'abrogation de la loi du 19 janvier semblerait une déclaration que le 21 janvier est un jour comme un autre, une lâche concession à de mauvaises passions. Les amis eux-mêmes de la liberté sont intéressés à flétrir les crimes qui ont été commis en son nom.

« Si la loi de 1816 n'avait pas été faite, on ne la proposerait pas aujourd'hui; mais, puisqu'elle a pris place dans la collection de nos lois, elle ne peut pas disparaitre sans que, dans la loi même d'abrogation, le législateur ne laisse une flétrissure du 21 janvier.

« Voilà, ce me semble, les raisons qui ont été présentées, soit en faveur de l'abrogation, soit en faveur du projet présenté par la commission.

« La discussion qui vient de s'élever entre les deux honorables amis que Vous venez d'entendre vous prouve que les dissidences, s'affaiblissent; on est d'accord, non-seulement sur le fond des choses, pour flétrir l'attentat du 21 janvier, mais même sur le besoin de caractériser par une expression la catastrophe du 21 janvier. La commision a pensé qu'il fallait, en remplacement de la loi de 1816, une loi nouvelle disposant que le 21 janvier serait un jour de deuil national, Les amendemens proposés abrogent l'ancienne loi, sans rien prescrire pour l'avenir; mais, en parlant du 21 janvier, ils sigualent ce jour comme funeste et déplorable: je crois que c'est à cela que vous devez vous arrêter. »

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La discussion se prolongea encore quelque temps, mais avec un caractère plutôt grammatical que politique. On était d'accord sur le sens de l'article; on ne différait plus que sur l'expression on hésitait entre les mots funeste et déplorable. M. Silvestre de Sacy proposa de les réunir et de dire : « L'attentat funeste et à jamais déplorable du 21 janvier. » M. de Lascours demanda la substitution du mot journée à celui d'attentat: M. de Barante préférait le mot jour, et enfin la rédaction suivante fut proposée par M. Villemain: «La loi du 19 janvier 1816, relative au jour funeste et à jamais déplorable du 21 janvier, est abrogée. » La Chambre vota au scrutin secret sur cet amendement, qui fut adopté à la majorité de 88 voix contre 63.

21 janvier. Le jour, où un nouveau message du président de la Chambre des pairs transmit le projet de loi à la Chambre des députés, était précisément le quarantième anniversaire de la mort de Louis XVI. Après la lecture du projet, M. Benjamin Delessert proposa de le voter sans discussion préalable:

«Quoiqu'on ait affecté ailleurs, dit-il, de ne pas comprendre les motifs qui nous ont décidés à ne pas Changer notre première résolution, je pense que nous devons répondre aujourd'hui à ce qu'a fait la Chambre des pairs dans sa dernière séance, en adoptant sans changement et même Ann. hist. pour 1833.

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sans discussion sa dernière rédaction. Ce sera le meilleur moyen de nous conformer aux sentimens de paix, d'oubli et d'union, qui ont dicté l'admirable testament de Louis XVI, qui restera toujours dans l'histoire comme un monument sublime de charité chrétienne. »j

M. Salverte pensait au contraire que la Chambre ne pouvait voter sans discussion le projet tel qu'il lui était renvoyé.

« Dans une loi aussi grave que celle qui vous est proposée, disait-il, il importe de ne faire rien entrer qui soit contraireļau langage de la loi; or, l'addition faite par la chambre des pairs n'est nullement dans le langage de la loi, elle appartient tout entière au langage de l'histoire.... (Une voix à droite. Au langage des passions!) La loi qualifie l'action pour l'avenir; les tribunaux appliquent la loi dans le présent; le jugement des actions passées appartient à l'histoire et à la postérité.

«Que serait-ce si, parce qu'il y a eu des événemens déplorables dans notre histoire, nous prétendions les consacrer tous dans le texte de nos lois? Songez combien de passions pourraient s'exprimer ainsi, et surtout combien vous pourriez ranimer de haines et de ressentimens, quand tous les jours vous sentez davantage le besoin de concorde et d'union. Ce n'est pas seulement sous ce rapport que j'attaque l'addition qui vous est proposée. Je déclare qu'elle est directement contraire à la Charte, qui est notre loi à tous. >>

L'orateur développait cet argument, et terminait en votant pour l'adoption de la loi, moyennant la suppression de l'addition faite par la Chambre des pairs. La clôture de la discussion fut réclamée et prononcée, mais M. de Corcelles demanda, par amendement à la rédaction de la Chambre des pairs, la suppression des mots et à jamais déplorable; suivant lui, les mots à jamais étaient une expression de haine et de vengeance, qui ne pouvait entrer dans le code d'un peuple civilisé : ce n'était pas une expression française. M. Cabet demanda en outre la suppression du mot funeste.

M. Berryer déclara qu'il voulait parler et contre ces amendemens et contre celui de la Chambre des pairs. Il commença par rappeler toute la gravité de la question, gravité signalée par l'impatience même que la discussion excitait, et par le vif désir de la clore.

« Ce n'est pas moi, ajoutait-il, qui ai ouvert cette triste carrière; ce n'est pas moi qui ai demandé la discussion; debout à la tribune, je n'ai point parlé contre la clôture; mais, puisque la discussion s'engage, j'ai besoin de satisfaire ma conscience et de remplir mon devoir en exprimant toute ma pensée. Je le veux faire avec gravité, avec convenance, avec la mesure que tout orateur doit garder au sein d'une Chambre dont il est membre; mais laissez-moi'toute liberté d'esprit ; je ne la peux trouver que

dans le silence de l'assemblée. D'où viennent, Messieurs, ces dissidences que je signalais tout à l'heure entre les deux Chambres et les membres mêmes du gouvernement? disons-le franchement : cette dissidence vient de ce que personne n'a osé s'exprimer nettement sur la proposition, de ce que les motifs qui l'ont suscitée n'ont pas été sincèrement développés; aussi Ja Chambre des pairs a vainement cherché une espèce de conciliation entre des pensées, des principes, des sentimens, que rien ne peut concilier, et c'est sous ce point de vue que j'attaque l'amendement.

» Qu'avait fait la Chambre, en adoptant cette année, presque sans dis cussion, la proposition de M. Portalis? Elle avait enregistré le travail du rapporteur, et ce travail, disons-le, ne contenait pas la vérité. Il ne présentait qu'un faux motif pour abroger la loi du 19 janvier 1816: « Cette loi, disait-il, accuse la France du crime du 21 janvier; cette loi est un outrage à la nation. » C'est à l'aide de cette fausse assertion qu'on a voulu, en excitant des sentimens français dans vos cœurs et vos esprits, vous déterminer à adopter la mesure proposée.

» Mais, Messieurs, tout est faux dans ces motifs. Ces assertions sont contraires au texte même de la loi, aux monumens contemporains : que contient, en effet, la loi? que dirent les orateurs qui la soutenaient? « Que Ja France n'était pas coupable de l'attentat du 21 janvier 1793; que la France avait protesté contre le jugement prononcé et exécuté à quelques pas d'ici. »

» La loi du 19 janvier 1816, Messieurs, fut une protestation solennelle de la France contre la catastrophe dont elle ne fut pas complice. C'est faire abus d'un faux prétexte que de dire que cette loi est un outrage à la nation française, qu'elle se dresse contre elle comme un reproche, comme une réaction injurieuse.

» Il est manifeste, au contraire, que la nation était loin de s'associer aux œuvres de la Convention. Au sein de cette assemblée, ceux qui vou laient sauver le roi demandèrent l'appel au peuple; l'appel au peuple fut repoussé avec indignation, comme il le sera toujours, en toutes circonstances et en toutes questions, par toutes les tyrannies. (Agitation.) La Joi du 19 janvier 1816 fut la réponse à l'appel au peuple; elle fut la protestation de la France contre le crime du 21 janvier 1793.

» Mais dans la discussion d'avant-hier, d'où est sorti l'amendement sur lequel vous avez à délibérer, deux orateurs, avec plus d'exactitude, avec plus de vérité, ont signalé les motifs de l'abrogation demandée. »

Ici l'orateur citait des passages extraits du rapport de M. Siméon et du discours d'un autre membre de la chambre.

« Deux observations sont done faites, continuait-il; d'une part on dit que la loi du 19 janvier, dont on demande l'abrogation, a eu pour objet de maintenir le principe de l'inviolabilité des personnes royales; et d'autre part on dit que la loi du 19 janvier avait pour objet de consacrer par une protestation nouvelle la loi antique sur laquelle se fondent les droits de la branche aînée de la maison de Bourbon. Tel est le vrai caractère de la loi du 19 janvier,

» Ici la loi est bien mieux définie que par le travail du rapporteur de Votre commission. Oui, ce sont là les deux principes, les deux questions qu'on a eues en vue en 1816. D'une part, on a voulu corroborer le principe de l'inviolabilité des personnes royales; d'autre part, consacrer de nouveau le droit de la branche'aînée de la maison de Bourbon.

» Voilà le double objet de la loi; on ne saurait le nier, car au moment même où elle fut faite, il fut, par les deux Chambres, envoyé une adresse

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