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directe; et, à côté du conseil-général convenablement doté, on ne vojt pas ce qui peut lui rester à faire.

Lorsque la nature des choses donne naissance à une institution, on n'a pas besoin de lui chercher d'attributions; elles s'introduisent pour ainsi dire simultanément avec elle.

Il n'en est pas ainsi d'une institution dont la base est en quelque sorte arbitraire. On ne sait comment l'utiliser, et cela ne se fait que trop sentir à l'occasion des conseils d'arrondissement. Une seule attribution réelle leur est accordée, c'est la répartition de l'impôt entre les communes, Sous tous les autres rapports ce conseil n'a que des avis à donner, des opinions à émettre; et ces avis et ces opinions peuvent ne pas exercer la plus légère influence sur les décisions à intervenir. Il faut bien qu'on en convienne, réunir des citoyens notables pour ne leur rien confier d'important à faire, c'est vouloir les dégoûter, comme cela est presque toujours arrivé jusqu'à présent. »

A la vérité, les défenseurs des conseils d'arrondissement, en les reconnaissant actuellement pour tels qu'ils étaient présentés, répondaient qu'on accroîtrait leurs attributions, et qu'alors ils deviendraient utiles; toutefois M. Bérard cherchait vainement en quoi consisterait cet accroissement : personne n'avait pu le lui dire; et non seulement les conseils d'arrondissement lui paraissaient inutiles, mais ils ne tarderaient pas, selon lui, à devenir dangereux, en multipliant de petites ambitions sans but, en fatigant sans nécessité le zèle des électeurs.

Après avoir détruit, il fallait reconstruire, et à cet égard, voici quel était le plan de M. Bérard :

« Je suppose, disait-il, que les conseils-généraux seront composés, ainsi que votre commission le demande, d'un nombre de membres égal à celui des cantons, et que chaque canton nommera son représentant. Les conseils ainsi formés, étant plus nombreux qu'ils ne l'ont été jusqu'à présent, pourront voir sans inconvénient s'étendre leurs attributions; et j'aime à espérer qu'elles recevront en effet une grande extension.

« Je ne m'occuperai ici que de celles de ces attributions qui, jusqu'à ce jour, ont été le partage des conseils d'arrondissement, et que je crois que l'on peut, du moins en grande partie, affecter aujourd'hui aux conseilsgénéraux. Elles consistent uniquement, ainsi que je l'ai déjà fait remar-, quer, dans la répartition de l'impôt entre les communes, et dans l'émission d'avis sur des objets d'intérêt local. Il est évident que ces derniers intérêts auront des représentans naturels et directs dans les membres nommés par les cantons composant chaque arrondissement; et qu'au lieu d'une opinion formulée trop souvent d'avance par l'administrateur de l'arrondissement et adoptée de confiance, ils émettront des opinions personnelles, contradictoires, et par cela même plus éclairées.

« Il n'est pas moins évident que la répartition de l'impôt pourra se faire, soit comme aujourd'hui, entre les arrondissemens, sauf aux représentans de chaque arrondissement à se réunir ensuite en sections pour faire la ré

partition entre les communes; soit (ce qui à mon avis vaudrait beaucoup mieux) directement entre les cantons, en laissant ceux-ci faire leur sousrépartition. Dans cette dernière hypothèse, je demanderais qu'il fût institué des conseils cantonnaux réguliers, que je composerais de délégués de chacun des conseils municipaux du canton. Je m'arrêterais à ce mode de formation pour ces conseils, parce que, représentant des intérêts moins réels ou plutôt moins immédiats que ceux de la commune, ils ne me paraissent pas réclamer aussi impérieusement l'élection directe. D'ailleurs, l'une des attributions les plus importantes de pareils conseils devant être l'arbitrage des difficultés qui pourraient exister entre les communes, il serait indispensable que toutes y fussent représentées.

« Les conseils cantonnaux deviendraient, dans le système que je présente, des intermédiaires naturels entre les conseils-généraux et les communes. Des intérêts spéciaux et positifs leur créent déjà une existence distincte et réelle. C'est déjà par canton que s'exerce la justice de paix, et je désirerais, je l'avoue, que le magistrat revêtu de cette fonction, bien qu'il ne soit pas électif, ou peut-être parce que j'espère qu'il le deviendra un jour, fût le président né du conseil cantonnal. Cette nouvelle fonction ajouterait à sa considération, et sa présence aurait plus d'un genre d'utilité. C'est par canton aussi que s'applique la loi de recrutement, et c'est à son chef-lieu que s'assemblent jusqu'à ce jour les comités institués dans l'intérêt de l'instruction primaire. A ces attributions pourraient s'en ajouter d'autres par exemple, ainsi que je viens de le dire, la conciliation des difficultés existantes entre les communes, et surtout toutes les questions qni se rattachent aux chemins vicipaux.

« Ces questions si importantes ne peuvent être bien comprises et bien décidées que sur les lieux qui les font naître, et en présence des parties intéressées. Au conseil d'arrondissement on est déjà trop éloigné, et on manque presque toujours des élémens nécessaires à une décision judicieuse.

« On sait avec quelle difficulté les citoyens se déplacent, même pour remplir les fonctions les plus honorables, lorsqu'ils sont forcés de s'éloi gner beaucoup et long-temps de chez eux. Telle est l'une des principales causes de l'espèce d'abandon dans lequel sont tombés les conseils d'arrondissement. Cet inconvénient n'existera pas pour les conseils de canton. Leurs membres ne seront presque jamais obligés de découcher, et l'on pourra, sans craindre de les fatiguer, multiplier les séances dans la proportion des besoins.

« Quelques personnes regretteraient, dans la suppression des conseils d'arrondissement, un moyen de commencer à former les citoyens à l'exercice des affaires publiques; mais ce moyen serait avantageusement remplacé, et sous le rapport de l'instruction et sous le rapport du nombre, par les conseils cantonnaux. En effet, les attributions de ces derniers seraient plus nombreuses et plus variées que celles des autres, et il y aurait environ dix fois plus de conseillers cantonnaux que de conseillers d'arrondissement.

» Enfin, l'esprit d'association, si fécond en résultats de toute nature, commencerait à naître dans des réunions où l'on contracterait l'habitude de s'occuper d'intérêts communs, et l'administration trouverait des auxiliaires et des appuis dans quarante mille citoyens accoutumés à faire exécuter plusieurs lois, et par conséquent disposés à les respecter toutes. »

L'argumentation de M. Bérard fut tour-à-tour appuyée par MM. Lherbette, de Rambuteau, et combattue par MM. de Podenas, Bresson, Gillon, de Gérando. En faveur

des conseils d'arrondissement, on avait allégué trois raisons spéciales; on avait dit : l'arrondissement est une circonscription politique par le système électoral, une circonscription judiciaire par le tribunal civil, une circonscription administrative par la sous-préfecture; d'où l'on concluait que son chef-lieu devait être le centre des délibérations d'intérêts locaux. M. Lherbette soutenait qu'il eût été plus logique d'en tirer la conclusion opposée.

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« C'est une circonscription politique, disait-il. Mais d'abord. Messieurs, le système électoral qui fait nommer les élus de la nation à l'arrondissement n'est pas destiné à vivre long-temps. Chacun sent combien il est funeste de faire nommer les élus de la nation dans des circonscriptions étroites; chacun sent que c'est un moyen de faire prévaloir dans les élections les petites réputations de coterie sur les réputations plus vastes de capacités réelles; et, dans la discussion comme dans le vote, les aperçus et les intérêts de localité sur les aperçus et les intérêts généraux.

Mais ensuite de ce que le chef-lieu d'arrondissement est le centre des circonscriptions politiques, ne faut-il pas en conclure qu'il ne doit pas être le centre de la délibération des intérêts locaux, quand on pose en principe, comme le fait le gouvernement, qu'il ne doit y avoir aucun rapport entre les intérêts locaux et la politique?

» Quant à la circonscription judiciaire, celle qui intéresse surtout les communes, ce n'est pas celle du tribunal civil, où s'élèvent rarement les pelits procès; c'est plutôt celle de la justice de paix, où tous les procès viennent au préalable par le préliminaire de la conciliation, et où presque tous s'arrêtent en définitive. Or, la justice de paix est cantonnale; il faudra sans doute augmenter un jour ses attributions, son importance; mais son ressort demeurera toujours cantonnal.

» A l'égard de la circonscription administrative qui résulte des souspréfectures, Messieurs, il n'est pas question de détruire les souss-préfcctures. Le gouvernement pourra les conserver comme rouages administratifs. Nous n'examinerons même pas, pour le moment, la question de savoir ́si chaque sous-préfet, qui revient à sept ou huit mille francs, ne serait pas plus économiquement et plus avantageusement remplacé par quelques conseillers cantonnaux. On pourra la traiter plus tard; peut-être même l'instruction n'est-elle pas assez répandue dans plusieurs départemens pour que ce mode puisse être encore employé. Mais nous appliquons ici le raisonnement que nous faisions sur la circonscription politique: nous disons que, précisément parce que le chef-lieu d'arrondissement est le centre de l'action gouvernementale, il ne doit pas être celui de la délibération sur les intérêts locaux, On les a confondus dans l'intérêt du pouvoir; séparons-les aujourd'hui que, sans nuire au pouvoir, nous voulons assurer l'indépendance des intérêts locaux.

» On argumente de l'expérience, qui, dit-on, a prouvé l'inutilité des conseils cantonnaux créés par la constitution de l'an III.

>> D'abord, Messieurs, les conseils cantonnaux, tels que nous les demandons, diffèrent essentiellement de ceux de l'an III.

»Sous la législation de l'an III, chaque commune avait un agent municipal et un adjoint. La réunion au canton de ceux de plusieurs communes formait le conseil municipal du canton, auprès duquel était un agent du gouvernement, qui requérait, et surveillait l'exécution des lois.

« Les conseils cantonnaux avaient alors la délibération et l'administration collective de plusieurs communes. Ce mode offrait l'avantage de remplacer par une délibération réelle, une délibération fictive dans plusieurs de nos comunes; mais il avait l'inconvénient immense de supprimer l'individualité de la commune, qui existe de fait, et qui doit exister en droit.

« Nos conseils la respecteraient. Les communes conserveraient leurs conseils municipaux et continueraient à s'administrer elles-mêmes. Seulement, pour éviter que tout se passe entre les sous-préfets et le maire, comme cela arrive dans les trois quarts des communes, où les conseillers municipaux ne font que signer, nos conseils cantonnaux, tout en restant absolument étrangers à la délibération des conseils des grandes communes, exerceraient une espèce de contrôle et d'appel, dans quelques circonstances, à l'égard de ceux de quelques espèces de communes inférieures, et, pour toutes, statueraient sur les intérêts collectifs de plusieurs d'entre elles.

« Autre différence. Les conseils cantonnaux de l'an II avaient à la fois l'action administrative et la délibération. Les nôtres n'auraient que la délibération; et si plus tard il nous arrivait de donner davantage à l'action des municipalités, nous le ferions sans nuire à l'action gouvernementale; car il ne faut pas nous accuser de vouloir détruire la centralisation, en ce qui concerne les intérêts généraux. Nous pensons, nous proclamons avec le gouvernement qu'elle est un des plus grands bienfaits de la révolution de 89; c'est à elle en grande partie que nous devrons encore nos améliorations à l'intérieur, comme notre force contre l'étranger.

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<< Mais nous voulons concilier avec elle l'indépendance des conseils de localité, afin que chaque partie de la France vive d'une vie particulière et grandisse sans entraves; afin encore que le patriotisme général puisse se retremper dans les patriotismes de localités.

En venant appuyer l'amendement de M. Bérard, M. de Rambuteau déclara qu'il cédait à une conviction formée par une longue expérience et de longs travaux administratifs. Il rappela l'opinion qu'il avait émise dans le sein de la commission de 1829; plus d'une fois il s'était demandé si cette commission, dont le rapport avait exercé une telle influence politique, choisie d'ailleurs parmi les hommes les plus dévoués à la défense des doctrines constitutionnelles, avait été uniquement guidée par le désir de faire le bien du pays, et sa réponse ne lui avait pas laissé le plus léger doute: ce qu'il réclamait alors, il le regardait donc comme bon et salutaire aujourd'hui.

Le ministre de l'intérieur, M. d'Argout, parla dans le sens contraire : « Si le conseil général, si l'administration, dit-il, pouvaient se trouver gênés par le vote de cinq ou six conseils d'arrondissement, comment ne le seraient-ils pas

davantage par quarante ou cinquante conseils de canton? » Il ne suffisait pas d'ailleurs de créer des corps: il fallait leur donner des attributions, et, sous ce rapport, la proposition était tout-à-fait défectueuse.

M. Odilon Barrot remplaça le ministre à la tribune.

« Messieurs, dit-il, on serait tenté de s'étonner de l'importance politique qu'à eue cette question à une autre époque. On paraît résolu à la regarder comme administrative et nullement comme politique; eh bien! pour mon compte, Messieurs, je lui restitue toute l'importance qu'elle avait eue en 1829. Il y a un immense intérêt politique dans sa solution; car il s'agit de savoir si vous voulez conserver un pouvoir qui n'a rien de sérieux, qui n'a que le danger de l'inutilité, mais qui, par là même que, sans utilité pour le pays, il lui cause des embarras, exclut des institutions qui pourraient lui être directement plus utiles.»

L'orateur examinait les deux attributions des conseils d'arrondissement, consistant, l'une à répartir l'impôt entre les différentes communes, après qu'il l'a été par le conseil général entre les arrondissemens; l'autre à soumettre au conseil général des observations sur les besoins des communes. L'intérêt des répartitions avait pu être grand lorsque cette opération s'était faite pour la première fois, mais il diminuait de jour en jour par les corrections apportées aux inégalités primitives. Il y avait quelque chose de puéril dans un pouvoir, qui se faisait l'humble intermédiaire de doléances et de pétitions, sans avoir aucune sanction pour les appuyer, et qui, s'il songeait à en assurer l'exécution, se mettrait en révolte contre les pouvoirs établis et sortirait des limites légales. Ce qui, dans le système d'un pouvoir nommé par une autorité centrale était déjà une anomalie, une puérilité, ne deviendrait-il pas une anomalie, une puérilité bien plus forte, lorsque le débat s'établirait entre deux pouvoirs élus? A quoi bon faire des élections pour nommer des intermédiaires entre le pouvoir et les pétitionnaires ?

M. Odilon Barrot, revenant sur l'inutilité des conseils d'arrondissement, portait aux ministres le défi de trouver entre les communes et le département des intérêts intermédiaires. La question soumise à la Chambre était une question

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