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nait d'atteindre et, en effet, dans les premiers jours de septembre, le pacha renouvela les ouvertures qui tendaient à lui faire conférer l'investiture de la Syrie. Il ne reçut que des réponses dilatoires.

De son côté, le gouvernement français, espérant que la Porte, éclairée sur ses intérêts et suffisamment avertie des dangers qui la menaçaient, serait plus accessible à des idées de conciliation, avait pensé que le moment était arrivé de reproduire, avec plus de force encore, les conseils qu'il lui avait déjà adressés. Il sentit également la nécessité de faire entendre à Méhémet-Ali de nouvelles et pressantes exhortations de s'arrêter, et de terminer par des propositions raisonnables d'accommodement, une lutte dont les résultats commençaient à exciter les justes inquiétudes de l'Europe. C'est dans ce double but que des instructions furent transmises au chargé d'affaires à Constantinople et au consul général de France à Alexandrie. Après quelques entretiens avec le pacha, le consul expédia à Constantinople les propositions suivantes : Méhémet-Ali, outre les quatre pachaliks de la Syrie, pour lesquels il s'engageait à payer tribut au grand-seigneur, demandait la cession du district d'Adana, par le motif que cette contrée fournit en abondance des bois de construction. Il demandait aussi, mais en termes plus vagues, à être placé, relativement à ses rapports avec la Porte, dans une situtation analogue à celle des anciens deys d'Alger. Il était prêt à traiter sur ces bases, aussitôt que le divan lui aurait envoyé un plénipotentiaire qui, pour mettre à couvert la dignité de S. H., serait chargé en apparence d'adresser une dernière sommation au pacha. A l'arrivée de ce négociateur, l'ordre immédiat de cesser les hostilités serait transmis aux armées respectives qui en attendant garderaient leurs positions.

Le chargé d'affaires de France venait de communiquer ces propositions au reiss-effendi, sous les formes les plus propres à amener un rapprochement, lorsque la présence du général

russe Mourawieffà Constantinople, vers la fin de décembre, ajouta tout à coup une complication de plus à toutes celles qui existaient déjà. Il remit au sultan une lettre par laquelle l'empereur de Russie offrait à S. H. le secours de ses forces de terre et de mer, et lui annonçait que ce général devait se rendre à Alexandrie pour sommer le pacha de rentrer dans le devoir. La Porte se montra dès lors moins disposée à entrer en négociations. Bientôt d'ailleurs on apprit la défaite du grand visir à Koniah, et l'entière dispersion de son armée. Accablé de cette nouvelle et cédant à un premier mouvement de terreur, le sultan écrivit à l'empereur Nicolas qu'il acceptait le secours de cinq vaisseaux et de sept frégates, et qu'il donnait, en outre, son assentiment à la mission du général Mourawieff en Égypte. Mais peu de jours après, éclairé sur la portée de cette détermination par les représentations de ses ministres, et surtout par les symptômes de mécontentement qui se manifestaient dans Constantinople, le sultan revint à d'autres idées, et consentit à traiter directement avec Méhémet-Ali.

Déférant cette fois aux conseils du chargé d'affaires de France, la Porte se décida à dépêcher en Égypte l'ancien capitan-pacha, Halil, pour conclure la paix. Elle déclara à M. de Boutenieff, ministre de Russie, qu'elle n'était plus dans le cas d'accepter les offres de son gouvernement; elle s'efforça en même temps de dissuader le général Mourawieff de se rendre à Alexandrie. Mais ce général objecta la nécessité où il se trouvait d'obéir aux instructions de sa cour, et partit au commencement de janvier 1833 pour sa destination.

L'accord le plus intime s'était donc établi entre le chargé d'affaires de France et la Porte. Le ministère ottoman avait agréé, sollicité même la médiation de la France, et, sur sa demande expresse, M. de Varennes écrivit à Méhémet-Ali et à Ibrahim pacha, pour maintenir le premier dans les dispositions pacifiques qu'il avait précédemment annoncées,

et pour inviter le second, en l'informant de l'état des choses, -à suspendre sa marche.

Cependant Ibrahim, qui depuis la bataille du 21 décembre était resté à son quartier-général de Koniah, répandait en Asie des proclamations dans lesquelles, indiquant son itinéraire par Kutaya et par Brousse, il déclarait se rendre à Scutari, et que là, les Ulémas prononceraient entre lui et Mahmoud. Il fit connaître au Caïmacan qu'il avait l'intention d'aller prendre ses quartiers d'hiver à Brousse, et presqu'en même temps il répondait au chargé d'affaires de France qu'il ne pouvait arrêter le cours de ses opérations, avant d'avoir reçu les ordres de son père.

Vers le 20 janvier, Ibrahim, assuré d'être accueilli en libérateur par tous les habitans de l'Asie, se remit effectivement en marche, et le grand-seigneur qui, sur la réponse du général égyptien au chargé d'affaires de France, avait fait prévenir l'ambassadeur russe qu'il acceptait éventuellement les secours offerts par l'empereur Nicolas, les réclama aussitôt avec instance, malgré les efforts de ses ministres pour l'engager à ne rien précipiter. Le reiss-effendi transmit donc à l'ambassadeur russe une note dans laquelle il demandait l'envoi immédiat de l'escadre promise avec 4 ou 5,000 hommes à bord, et en outre un corps auxiliaire de 25 à 30,000 hommes qui devait s'avancer du côté du Danube pour protéger la capitale. Le cabinet de Saint-Pétersbourg ordonna sur-lechamp de hâter les préparatifs de secours; mais les dispositions étaient si bien prises, dans la prévision de cette éventualité, que l'escadre russe, ayant reçu les dépêches de M. de Boutenieff, avait déjà mis à la voile depuis plusieurs jours, lorsque ces nouveaux ordres parvinrent à Sébastapol.

Ibrahim s'arrêta à Kutaya, et en l'apprenant au divan ainsi qu'au chargé d'affaires de France, il expliqua l'occupation de cette ville par la nécessité de procurer à son armée les subsistances qu'elle ne trouvait plus dans le district de Ko

niah. Le retour du général Mouravieff à Constantinople, dans les premiers jours de février, et les nouvelles qu'il rapporta d'Alexandrie, achevèrent de rassurer le sultan.

M. de Mouravieff, dans plusieurs conférences avec le pacha d'Égypte, lui avait exprimé, de la manière la plus obligeante, le désir qu'éprouvait l'empereur de Russie de voir cesser une lutte funeste à la tranquillité de l'empire ottoman. Le pacha avait répondu sur le même ton de prévenance et d'amitié, que la paix était aussi son plus vif désir; qu'à plusieurs reprises il avait fait des offres d'accommodement à la Porte; que, dernièrement encore, il lui avait transmis les propositions les plus formelles par l'organe du chargé d'affaires de France. M. de Mouravieff avait alors déclaré que ces explications lui suffisaient; que la mission qu'il était venu remplir à Alexandrie était toute de conciliation; que la Russie n'entendait pas intervenir par la force dans l'arrangement d'une querelle de famille ; qu'elle serait satisfaite que cet arrangement s'effectuât, soit à l'amiable entre les parties intéressées, soit par l'entremise de la France, si toutes deux le jugeaient convenable. Méhémet-Ali, par une conséquence naturelle des dispositions dont il se montrait animé, avait, en présence du général Mouravieff, signé l'ordre à Ibrahim-pacha de s'arrêter et de cesser les hostilités; ce qu'il fit à Kutaya.

D'ailleurs Méhémet-Ali était informé, même avant l'arrivée de l'envoyé russe, de la mission confiée par la Porte à Halil-pacha. Le plénipotentiaire turc avait débarqué en Égypte le 21 janvier, porteur d'un firman révoquant l'arrêt d'excommunication lancé l'année dernière par le mufti contre Méhémet-Ali et son fils, et des concessions que S. H. était déterminée à lui faire pour prix de la paix, lesquelles consistaient dans l'investiture des gouvernemens d'Acre, de Tripoli, de Naplouse et de Jérusalem. Méhémet-Ali accueillit Halil-pacha avec tous les égards dus à son caractère; mais il ne trouva pas les conditions qui lui étaient offertes proportionnées Ann. hist. pour 1833.

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à ses succès. Il réclama l'investiture de toute la Syrie et la cession du district d'Adana. Ces bases d'accommodemment furent acceptées par Halil-pacha, qui les transmit à Constantinople pour être soumises à la sanction du divan.

Au moment même où le général Mouravieff arrivait d'Alexandrie (6 février), la Porte recevait la nouvelle de la halte d'lbrahim à Kutaya, et deux jours après, le reiss-effendi annonça l'intention de contremander les secours réclamés quelque temps auparavant de la Russie, lorsque la Porte se croyait menacée d'un danger imminent. M. de Boutenieff fit observer que cela pourrait difficilement avoir lieu si l'escadre russe avait déjà quitté Sébastopol, mais qu'on réussirait peut-être, en la rencontrant en mer, à la faire entrer dans le golfe de Bourgas. En conséquence de cet entretien, et d'après la demande formelle du ministre russe, le reiss-effendi lui adressa, le 17 février, un memorandum dans lequel se trouvait consigné le vœu que l'escadre russe suspendit sa marche,

Cependant la question orientale avait pris une telle importance, qu'enfin le gouvernement français s'était décidé à remplir l'ambassade de Turquie, vacante depuis le rappel du général Guilleminot. Arrivé le 17 en cette qualité à Constantinople, M. le vice-amiral baron Roussin insista dès le lendemain pour obtenir du reiss-effendi une entrevue qui, malgré la solennité du Bairam et contrairement à tous les antécédens diplomatiques, lui fut immédiatement accordée, avant sa réception officielle, et dans laquelle, se fondant sur les résultats favorables de la mission d'Halil-pacha, il pressa la Porte d'expédier à Sébastopol les contre-ordres nécessaires pour arrêter le départ de l'escadre russe. Au surplus, l'ambassadeur français proposait de se charger de la conclusion de la paix entre le sultan et Méhémet-Ali.

Tandis que le baron Roussin attendait l'issue des délibér rations du divan sur ces propositions, le 20 février, une escadre russe de dix bâtimens de guerre (4 vaisseaux de ligne,

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