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4 frégates et 2 corvettes) entrait dans le Bosphore. Il fit aussitôt déclarer à la Porte, qu'en présence d'un événement qui changeait d'une manière si notable la situation de cette puissance, il suspendait le déchargement de ses bagages, jusqu'à ce qu'elle eût réclamé l'éloignement d'une force étrangère, qu'elle-même n'envisageait plus comme indispensable à sa sûreté. Peu d'heures après on annonça au baron Roussin de la part du grand-seigneur que, dans les graves conjonctures où se trouvait la Porte, elle ne pouvait mieux faire que de solliciter l'appui de la France, de s'en remettre à sa vieille et constante amitié pour l'empire ottoman; que si l'ambassadeur français voulait garantir, au nom de son gouvernement, la conclusion de la paix avec Méhémet-Ali, aux conditions portées à ce visir par Halil-pacha, le départ de l'escadre russe serait immédiatement demandé. L'amiral Roussin signa aussitôt l'engagement proposé (21 février), et la Porte adressa, le 24, à la légation russe une note où il était dit que « l'affaire d'Egypte, ayant été traitée officiellement avec l'ambassadeur de France et décidée au gré de la Porte », celleci s'adressait au ministre de Russie pour qu'il fit repartir, au premier vent favorable, les vaisseaux russes mouillés dans le canal. De son côté, l'amiral Roussin envoya ses aidesde camp, l'un à Ibrahim, avec ordre de l'inviter à rentrer en Syrie, et l'autre en Egypte, afin d'insister auprès met-Ali sur le rappel immédiat de son armée de Méhéet sur l'acceptation des conditions de paix offertes par la Porte.

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Dans l'intervalle, Ibrahim, maître, comme il le disait luimême, d'aller faire boire son cheval dans les eaux de Scutari, avait de nouveau étendu ses opérations militaires. Il avait pris possession de Magnésie, de Balikeser et d'Aidin. Un officier de son armée était arrivé le 18 à Smyrne, avec des dépêches nommant un autre gouverneur de cette ville, qui fut reconnu sans difficulté, après avoir rassemblé le mollah, les ayans et un grand nombre de notables turcs, pour leur

annoncer que les troupes égyptiennes allaient se porter de Magnésie et d'Aidin sur Smyrne, si elle ne se soumettait pas. Le gouverneur, au nom de la Porte, voyant fimpossibilité de résister à cet acte ou aux troupes d'Ibrahim, si elles se montraient, avait cédé, mais en 'protestant solennellement que n'ayant aucune instruction pour reconnaître l'autorité de Méhémet-Ali, il continuait à se considérer comme gouverneur de Smyrne et n'abandonnerait la ville que sur un ordre de la Porte. C'est ainsi, et aucun fait ne démontrait mieux l'influence morale d'Ibrahim sur la population, qu'à la nouvelle de l'approche des Égyptiens, et sans qu'ils aient eu besoin de paraître, l'autorité de la Porte avait été renversée dans la ville la plus riche de l'Asie, et le gouvernement remis entre des mains dévouées à l'ennemi.

à

.

Pendant que l'armée égyptienne prenait une attitude de plus en plus menaçante pour la capitale, Méhémet-Ali poursuivait avec activité ses préparatifs de guerre et se disposait envoyer des renforts à son fils. D'ailleurs le pacha avait refusé positivement les conditions présentées en vertu du traité conclu entre l'amiral Roussin et la Porte, et d'après lesquelles le sultan, sans rien céder dans l'Asie mineure, n'accordait de la Syrie à l'Égypte, que les deux pachaliks de Saint-Jean-d'Acre et de Tripoli avec les villes de Jérusalem et de Naplouse.

Ces informations ayant réveillé toutes les inquiétudes de la Porte, non-seulement l'escadre russe ne quitta pas le Bosphore, mais le divan sollicita encore de la Russie les secours les plus prompts. Des courriers furent expédiés dans toutes les directions, et dès le 20 mars l'ordre fut donné par le gouvernement russe de faire partir immédiatement l'expédition préparée à Odessa, avec des troupes de débarquement. Cette expédition mit à la voile le 29, sous le convoi d'une division de la flotte commandée par le contre-amiral Koumani.

Cependant Smyrne n'était pas restée long-temps sous le

pouvoir des Egyptiens. L'amiral Roussin ayant appris ce qui s'était passé dans cette ville, s'était empressé d'écrire à Ibrahim pour lui faire sentir les conséquences d'un fait qui semblait annoncer de sa part des intentions aussi hostiles. En même temps il ordonna au consul-général de France à Smyrne d'abaisser son pavillon. En outre, le contre-amiral français Hugon arriva inopinément de l'Archipel à Smyrne avec quelques vaisseaux, et réclama le rétablissement des autorités turques. Ces démonstrations combinées avec les autres ministres étrangers qui firent aussi descendre leur pavillon, eurent un effet décisif. Le gouverneur provisoire, que la population avait installé au nom d'Ibrahimpacha, se retira spontanément; l'ancien gouverneur reprit ses fonctions et tout resta dans l'ordre accoutumé. Quant à Ibrahim, il déclara que le renversement momentané des autorités de Smyrne avait eu lieu à son insu et même contre sa volonté.

De tout cela il résulta que, la condition essentielle du traité du 21 février, consistant dans la renonciation à tout secours étranger, n'ayant pas été observée par la Porte, l'amiral Roussin se vit délié de son engagement et put se porter médiateur dans une négociation établie sur d'autres bases. Le premier secrétaire de l'ambassade de France partit le 30 mars, avec un officier de la Porte, pour le quartiergénéral d'Ibrahim. Il était porteur d'un hatti-shériff par lequel le grand-seigneur accordait au pacha d'Egypte les quatres pachaliks de Syrie; savoir: St-Jean-d'Acre, Damas, Alep et Tripoli avec leurs dépendances. Il avait pour instructions d'obtenir d'Ibrahim qu'il se contentât de ces concessions. Les pourparlers,durèrent quatre jours. Enfin Ibrahim renonça à toute autre prétention, en réservant la question relative au district d'Adana pour une négociation ultérieure. En attendant il consentit à évacuer l'Asie mineure. Bientôt après (16 avril), le Tewdsischad, ou liste annuelle des promotions et confirmations des gouverneurs de l'empire otto

man, fut, comme de coutume, publié solennellement à Constantinople. Cet acte conférait à Méhémet-Ali, outre les pachaliks dont il était investi depuis longtemps, la Syrie tout entière, qu'il avait paru n'ambitionner avec l'Égypte Cet c'était ce qui l'honorait le plus dans l'esprit des peuples de l'Orient), que pour être revêtu de la dignité d'ÉmirHadgi, ou chef suprême des caravanes de la Mecque, et protéger, en cette qualité, tous les fidèles croyan's qui entreprennent ces saints pélerinages.

Il y eut ensuite plusieurs séances du divan et des conférences avec les ministres des grandes puissances, où l'on agita la question du district d'Adana. L'obstination réciproque sur ce point avait des motifs très-puissans. Indépendamment des richesses de ce district en bois de construction, il était du plus haut intérêt pour l'Égypte de mettre dès à présent le pied hors de la frontière naturelle de la Syrie, formée par le rameau du Taurus qui s'étend entre l'Euphrate et la mer, et de se garantir ainsi une extension ultérieure. Par la même raison, il importait beaucoup à la Porte que la domination égyptienne ne dépassât pas la Syrie. Mais, d'un autre côté, c'était en finir avec le pacha d'Egypte et rendre inutile cette protection dela Russie, dont on ne manquait pas de faire considérer au sultan tous les dangers, en lui remete fant sans cesse sous les yeux le sort de la Pologne. Enfin, il trouvait encore dans la situation intérieure de la Turquie des motifs d'en venir à un dernier sacrifice.

Une révolte avait éclaté dans la Bosnie, où il restait toujours des traces profondes de l'esprit des janissaires. Les insurgés avaient fait quelques attaques sérieuses contre des places fortifiées, et le nombre d'hommes qui se rangeaient sous leurs drapeaux donnait à craindre que tout le pays ne leur fût bientôt soumis. On croyait que, dans ce cas, ils ne se borneraient pas à la défensive, mais qu'ils envahiraient aussi l'Albanie, qui était toute disposée à la rébellion.

La Servie était un autre exemple de la faiblesse physi

que et morale de la Porte. Certains districts avaient dû être incorporés à la principauté, en vertu du traité d'Andrinople. Cette incorporation ne s'était point opérée, et les Serviens qui habitaient ces districts éprouvaient toutes sortes de vexations de la part des Turcs, à qui l'administration du pays était restée. Le prince Milosch, cédant aux réclamations de ses compatriotes, résolut de se mettre en possession par la force des districts désignés dans le traité d'Andrinople. Les troupes serviennes expulsèrent les musulmans avec leurs femmes, leurs enfans, et les renvoyèrent dans les contrées limitrophes.

Sur ces entrefaites, l'intervention russe avait suivi son cours. La division de l'escadre d'Odessa, portant 5,000 hom mes de débarquement, en grande partie d'infanterie et d'ar tillerie, était arrivée le 5 avril à l'entrée du Bosphore. Le corps d'armée de la Moldavie, évalué en totalité à 24,000 hommes, était aussi en marche. Les troupes de l'escadre fu rent immédiatement débarquées et prirent position sur la côte d'Asie, vis-à-vis de Bujukdéré et de Thérapia..

Rassuré par la présence des Russes, pour lesquels il se mont trait rempli de prévenances et d'attentions, le sultan refusart de céder Adana, et pendant quelque temps il y eut autour de lui un conflit d'influences nationales et étrangères, au bout duquel ce district finit cependant par être accordé à Ibra→ him à titre de Mohassilik ou fermier-général, par une simple ordonnance de la Porte, rendue dans la forme ordinaire, suivant laquelle les grands dignitaires de l'empire ottoman sont nommés chaque année aux différens pachaliks?

Le lendemain de cet arrangement (5 mai) le comte Orloff arriva à Constantinople, en qualité d'ambassadeur extraorz dinaire, muni des pouvoirs les plus étendus, et chargé du commandement général des troupes de terre et de mer. L'am bassadeur d'Angleterre venait pareillement de débarquer dans cette capitale; car la question des affaires de la Turquie prenait chaque jour pour l'Europe une nouvelle importance attes

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