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tée aussi par les mouvemens des escadres d'Angleterre et de France dans la Méditerranée.

Quant à Ibrahim, qui n'avait plus de raison pour retarder sa retraite, il abandonna Kutaya de sa personne, le 24 mai, et, tout en avançant avec lenteur à cause de la difficulté des chemins, il ne cessa pas de marcher jusqu'à ce qu'il eût repassé le Taurus vers la fin de juin. Deux officiers, l'un russe et l'autre turc, avaient été envoyés à son camp pour surveiller et constater l'évacuation de l'Asie mineure par les troupes égyptiennes.

Cette évacuation accomplie, les troupes russes devaient également se retirer, d'après la déclaration du cabinet de St-Pétersbourg : c'est ce qui eut lieu le 10 juillet, jour où elles quittèrent la rade de Bujukdéré pour regagner les ports de la Russie. Ces troupes ne s'étaient jamais élevées à plus de 10 ou 12,000 hommes, l'armée de la Moldavie n'ayant pas franchi la frontière de cette principauté.

La Turquie était donc délivrée de ses ennemis comme de ses alliés, et l'on eût pu penser que tout était fini en Orient ; mais la découverte de l'existence d'un traité conclu entre la Russie et la Porte vint rendre aux affaires de ce pays, sous le point de vue européen, une partie des apparences menaçantes qu'elles offraient naguère comme question orientale. Ce traité, négocié dans un profond secret pendant le séjour du comte Orloff, avait été signé définitivement le 8 juillet à Constantinople; et, quoiqu'il n'ait point reçu de publicité officielle, on ne peut douter qu'il ne constitue de la part de la Russie à l'égard de la Porte un protectorat dont la portée a été suffisamment révélée par la sollicitude qu'il a éveillée en France et en Angleterre. La Russie et la Turquie auraient, aux termes de ce traité valable pour huit années, formé une alliance défensive contre toute attaque extérieure où intérieure, quelle qu'en soit la nature, et, dans ce but, la Russie se serait engagée à fournir à la Porte toute l'assistance, par terre et par mer, dont celle-ci aurait besoin. Par un ar

ticle supplémentaire, il était convenu que la Porte fermerait, en cas de nécessité, le détroit des Dardanelles, c'est-à-dire qu'elle ne permettrait à aucun vaisseau étranger d'y entrer, sous quelque prétexte que ce soit.

Cette dernière clause fut généralement considérée comme remettant entre les mains du cabinet de St-Péterbourg les clefs du passage des Dardanelles, où un vaste plan de défense fut exécuté par des ingénieurs et des artilleurs russes, de sorte que les flottes de la Russie pouvant désormais à leur gré déboucher dans la Méditerranée, et rentrer dans la mer. Noire sans crainte d'y être poursuivies, auraient le pri vilége assuré à ses armées de terre, par son climat et ses vastes solitudes, de pouvoir porter la guerre chez les autres sans avoir à la redouter chez elle. D'ailleurs la facilité d'une intervention motivée sur des troubles intérieurs, devait se renouveler trop fréquemment, dans la Turquie, pour que la disposition du traité qui la prévoyait ne parût pas annihiler de fait l'indépendance politique de cette puissance. C'est pourquoi des représentations furent faites à Constantinople et à St-Pétersbourg au nom de la France et de l'Angleterre; mais elles restèrent sans résultat, ainsi qu'on l'a déjà vu ailleurs (page 443 ). Mahmoud, depuis les derniers événemens, s'était jeté tout-à-fait dans les bras de la Russie, pour laquelle il témoignait en toute circonstance la plus grande prédilection, et il ne voulut entendre parler d'aucune démarche propre à le compromettre à St-Pétersbourg. Le reiss-effendi répondit aux notes des deux ambassadeurs français et anglais que l'alliance en question, contractée dans le but de maintenir la tranquillité, n'avait aucun caractère agressif et ne concernait que les intérêts de la Porte; que la Porte étant et désirant être indépendante, était libre de conclure avec toute puissance amie tels traités qu'elle jugeait convenables, et, par conséquent, qu'elle ne se croyait pas obligée de se justifier à se sujet; qu'elle n'avait pas été médiocrement surprise et peinée de la communication des deux

ambassadeurs; qu'afin de dissiper les inquiétudes que le traité avait fait naître, elle offrait d'en livrer une copie dans son entier.

C'en fut assez pour faire croire à la probabilité d'une rupture, d'autant plus que les escadres française et anglaise dans la Méditerranée avaient reçu des renforts. Toutefois l'événement ne justifia point, les bruits qui coururent à ce sujet; mais il est difficile de croire que les affaires de la Turquie ne soient pas pour l'Europe, dans, un avenir plus ou moins prochain, la source de nouvelles difficultés.

Au reste, les causes qui menaçaient l'empire ottoman de dissolution n'avaient rien perdu de leur force, comme le prouvèrent cette année encore les mécontentemens de l'opinion nationale, signalés par de nombreux incendies à Constantinople, depuis le départ des Russes; les troubles sans cesse renaissans en Albanie, dans la Bosnie, dans l'Asie mineure, et la facilité avec laquelle la Servie s'était mise elle-même en possession des districts qui devaient lui être rendus en vertu du traité d'Andrinople. Le sultan jusqu'alors s'était obstinément refusé à cette incorporation, qu'il ne put qu'approuver lorsqu'elle eût été opérée de force par les Serviens, désormais tributaires et non sujets de la Portes

Le gouvernement ture n'était ni aimé ni redouté : il n'excitait que le mépris, et c'est ce qui explique parfaitement pourquoi les provinces les plus éloignées de la capitale faisaient des efforts utiles pour acquérir une plus grande indépendance; c'est ce qui explique comment la Moldavie, la Valachie, la Bosnie, l'Albanie marchent d'un pas rapide au but que la Grèce et la Servie ont déjà atteint; comment le pacha d'Egypte a pu se rendre maître de la moitié de l'empire, préparé à fouler aux pieds, quand il le voudra, cette espèce de suzeraineté que la Porte désire conserver dans ses relations avec lui. Ici, elle.ne semblait régner que par la tolérance des habitans; là, en butte à de continuelles in

surrections contre lesquelles elle se voyait impuissante, elle prenait le parti d'en sanctionner les résultats. Les pachas que les insurgés avaient chassés, elle les destituait; les impôts qu'ils étaient las de payer, elle les supprimait; les levées d'hommes qu'ils refusaient, elle s'en passait; en un mot, le lien de l'obéissance se relâchait partout d'une manière telle qu'il était, pour ainsi parler, comme s'il n'existait plus.

CHAPITRE V.

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Le roi

GRÈCE. Collision entre les Français et les palicares à Argos, 'Othon débarque à Nauplie. Premières mesures du nouveau gouvernement. Organisation judiciaire. Armes de la Grèce. Division géographique et administrative du pays. Réorganisation de l'armée. Licenciement des troupes irrégulières. Symptômes d'opposition. Organisation ecclésiastique. Départ des troupes françaises. Conspiration contre le nouveau gouvernement.

Pillage d'Arta.

Dans l'attente où était la Grèce de l'arrivée du roi Othon et de la régence, les uns (c'était la grande majorité) espéraient, les autres craignaient de voir établir un gouvernement stable et régulier, qui mettrait enfin un terme à l'état d'anarchie et de misère pesant depuis si long-temps sur ce malheureux pays. Ces derniers formaient une masse d'hommes ennemis de l'ordre et des lois; de bandes indisciplinées recherchant la guerre pour le pillage; de ces palicares d'une bravoure éprouvée, mais d'une rapacité encore plus grande, et dont la plupart obéissaient à l'influence de Colocotroni. Ces factions, qui ont fait tant de mal à la Grèce, avaient reconnu que l'affermissement de ses destinées serait un obstacle aux rapines et la ruine de leur domination sur les populations ignorantes et superstitieuses des campagnes : c'est pourquoi elles résolurent de tenter un effort décisif pour conserver leurs avantages. Quoique presque tous d'opinions différentes, les chefs convinrent de réunir dans la plaine d'Argos toutes les troupes à leur disposition, afin d'en imposer, et, par ce moyen, de dicter des conditions qui, ne pouvant être remplies, devaient forcer le roi à se retirer. Ce projet ayant été découvert, Argos fut occupée le 14 janvier par les troupes françaises. Malgré la présence des palicares qui n'avaient

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