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Cependant des symptômes d'opposition recommençaient à se manifester parmi les Grecs. Les mécontens mettaient au nombre de leurs griefs les lenteurs de la régence, l'adoption d'un système de législation et d'administration emprunté à l'Allemagne, sans tenir compte des mœurs, des besoins et de l'esprit des Grecs; le parti pris de ne convoquer aucune assemblée nationale; l'éloignement de quelques patriotes célèbres; la rédaction des actes du gouvernement en grec et en allemand, quoique cette dernière langue fùt inconnue à presque toute la Grèce. D'un autre côté, le parti russe, personnifié dans Colocotroni, était revenu de son abattement, et sa soumission aux lois n'avait pas été de longue durée. A peu près vers l'époque de la catastrophe d'Artą, des bandes de pillards avaient reparu dans la Morée, et bien que la force armée y eût promptement rétabli l'ordre, on n'osait pas encore se risquer sur les routes avec des objets de quelque prix. Dans le mois de juin, Nauplie se vit, pour ainsi dire, sans gouvernement, le roi Othon étant allé visiter les îles de l'Archipel, et la régence se trouvant en tournée sur d'autres points. Ce fut une occasion pour le parti de Colocotroni de continuer ses intrigues, en semant différens bruits anarchiques et en insinuant que le roi ne reviendrait pas.

Une mesure importante attesta bientôt que la régence ne perdait pas de vue la constitution du pays. Tous les évêques et archevêques furent convoqués à Nauplie, au mois de juillet, pour y former un synode à l'effet d'examiner un projet d'organisation ecclésiastique qu'elle avait fait préparer. C'était une des questions à la fois les plus graves et les plus délicates que le nouveau gouvernement eût à traiter. Ce projet fut adopté après une longue discussion, dans laquelle il est à remarquer que les prélats montrèrent une si grande antipathie pour la Russie, qu'ils n'ont pas même voulu laisser passer une phrase semblant annoncer que le clergé grec agissait d'après l'exemple de l'église russe.

Aux termes de ce décret, «l'église orthodoxe et apostolique de la Grèce, ne reconnaissant spirituellement d'autre chef que ccluj de la foi chrétienne, notre seigneur J.-C., reste indépendante de toute autre autorité, en conservant intacte l'unité dogmatique, suivant les principes émis dans l'origine par toutes les églises orientales orthodoxes. Quant à l'administration de l'église, qui appartient à la couronne et qui n'est contraire en rien aux saints canons, elle reconnaît pour chef le roi de la Grèce. Un synode permanent sera établi et composé uniquement de prélats. Il sera constitué par le roi et considéré comme la suprême autorité de l'église, et il dirigera les affaires ecclésiastiques conformément aux saints

canons. »≫

La Grèce, ainsi qu'on a pu s'en convaincre, n'était pas encore assez remise de ses maux ni assez complétement délivré de tous germes de troubles, pour voir sans déplaisir les troupes françaises quitter définitivement la Morée, comme elles le firent dans le mois d'août, après une bccupation de cinq années, pendant lesquelles ces troupes avaient été si utiles au pays, que, dans tous les cas, leur départ devait exciter des regrets unanimes chez tous les bons citoyens. Le séjour de Français en Morée avait été pour la Grèce d'un avantage que nul homme de bonne foi ne tentait de méconnaître. Outre qu'ils y avaient dépensé un argent considérable, ils avaient embelli les villes, ranimé l'industrie, bâti des casernes et des ponts; ils avaient percé ou réparé des routes, rétabli des forteresses, planté des jardins, et laissé un peu de civilisation partout où ils avaient habité. Une belle caserne à Modon, un pont sur le Pamissus, entre Modon et Calamata, la route de Modon à Navarin, et la citadelle de Navarin elle-même qu'ils avaient reconstruite, seront des monumens durables de leur présence bienfaisante dans un pays à la délivrance duquel la France a eu une part si grande et si glorieuse. Lour intervention avait toujours été bienveillante et conciliatrice. S'ils avaient dû agir

avec sévérité dans Argos, c'est que l'odieuse trahison des palicares appelait une juste vengeance. Le général Guéhéneuc, dernier commandant de la brigade d'occupation, avait particulièrement des droits à la reconnaissance des Grecs, pour la manière dont il avait maintenu la discipline et rétabli l'ordre en se présentant toujours avec des forces assez imposantes pour apaiser les troubles l'arme au bras. Il avait dignement couronné l'œuvre imposé à la France par la politique et l'humanité. Les historiens futurs de la Grèce ne refuseront pas à ces troupes et à leur chef le témoignage que nous leur rendons ici, et à l'appui duquel nous offrirons ailleurs (voy. l'Appendice) une lettre écrite par le président de la régence, contenant l'expression de la vive gratitude du roi Othon et de son gouvernement pour les services des soldats français.

Après le départ de la brigade française, des chefs de parti ambitieux et turbulens avaient recommencé à s'agiter, recrutaient de nouveau, en parcourant le pays à main armée, et, pendant que le roi visitait les villes du littoral de la Grèce, une conspiration contre le gouvernement, qui était sur le point d'éclater, fut découverte à Nauplie, vers le milieu de septembre. Cette conspiration avait des ramifications très étendues; les personnages les plus fameux du pays en faisaient partie. C'étaient pour la plupart les mêmes hommes qui avaient préparé le coup d'Argos, les meneurs de cette faction péloponésienne ou russe, dont le membre le plus notable était Colocotroni. Un Bavarois, interprète traducteur de la régence, s'était mis d'intelligence avec eux et leur avait livré les secrets de l'état. Les conspirateurs avaient pour but d'éloigner la régence, dont ils voulaient demander l'expulsion à l'empereur de Russie; de proclamer la majorité du roi, et de s'emparer du pouvoir sous son nom. La régence dans toute cette affaire procéda avec force et dignité : elle fit saisir les coupables, de quelque rang qu'ils fussent parmi eux on distinguait Colocotroni. Des jour

nalistes, des écrivains furent également arrêtés, sous l'accusation d'avoir trempé dans le complot, ou d'avoir travaillé à exciter la fermentation publique. Il en résulta que la liberté de la presse, qui jusqu'alors avait été pleine et entière, fut astreinte à des conditions de cautionnement telles que presque tous les journaux cessèrent de paraître, faute de pouvoir les remplir. Des mouvemens éclatèrent à la même époque dans l'île de Tinos; mais il suffit de quelques compagnies de Bavarois pour tout faire rentrer dans l'ordre. Les brigandages qui se commettaient sur divers points de de la Grèce cessèrent également. Ces mêmes individus, qui dévalisaient les voyageurs, n'étaient que des bandits à la solde de quelques chefs de parti, et l'on put s'apercevoir que les embarras des derniers temps n'étaient que les préludes d'une lutte plus sérieuse qu'ils voulaient susciter.

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CHAPITRE VI.

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SUISSE. Projet d'un nouveau pacte fédéral. - Discussion de ce projet par les conseils cantonnaux. Ouverture d'une diète extraordinaire. — Ligue de Sarnen. Affaires de Schwytz. Révision du pacte pat lá diéte.-Il est soumis à la sanction des cantons. — Ouverture de la diète ordinaire.-Rejet du pacte dans le canton de Lucerne.-Troubles dans le canton de Schwytz. La diète ordonne que ce canton sera occupé militairement. — Troubles dans le canton de Bâle. — Occupation militaire de ce canton. La diète prononce la dissolution de la conférence de Sarnen. - Affaires de Bâle et de Schwytz. — Projets de réaction. Résistance de Neufchâtel aux décrets de la diète. — La diète ordonne l'occupation militaire de ce canton. Protestation du chargé d'affaires prussien. Soumission de Neufchâtel.. Conclusion des affaires de Bâle et de Schwytz. - Question du pacte. - Clôture de la diète.

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La commission nommée par la diète assemblée à Lucerne en 1832, pour rédiger un projet de pacte fédéral révisé, avait terminé ses travaux vers le milieu de décembre. Ce projet était divisé en quatre parties: la première contenait les dispositions générales; la seconde traitait des autorités fédérales, qui sont la diète, le conseil fédéral, la chancellerie fédérale et la cour fédérale; la troisième prévoyait la révision du pacte au bout de douze ans ; la dernière renfermait les dispositions finales et transitoires. L'ensemble pouvait se résumer en quelques points fondamentaux que voici: 1o Les cantons réunis par l'alliance tuelle forment en leur totalité un état fédéral indissoluble sous le nom de Confédération helvétique. 2o Les cantons sont souverains; ils exercent, comme tels, tous les droits qui ne sont pas nominativement réservés au suprême pouvoir fédéral. 3° La garantie des constitutions cantonnales sera accordée sous les conditions suivantes : qu'elles ne

ac

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