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d'organisation municipale et départementale; et, comme il n'y avait que deux intérêts, l'intérêt municipal et départemental, l'orateur conjurait la chambre de ne pas maintenir un pouvoir qui ne répondait à aucun intérêt réel et positif.

Habitué à soutenir les mêmes opinions que le préopinant, M. Mauguin dans cette occasion se rangea parmi ses adversaires :

La question qui nous occupe, dit-il, divise toutes les parties de l'assemblée; dans chacune on trouve des opinions contraires. J'appartiens à celle qui demande la conservation des conseils d'arrondissement, et pour moi cette opinion n'est pas nouvelle. En 1829 cette question s'est présentée, elle a été longuement débattue, et son issue a même eu un grand effet sur les événemens politiques. Il faut que vous sachiez qu'alors on en faisait une question de ministère, et par cela même une grande partie de l'assemblée la considérait comme une question politique.

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Quant à moi, qui ne me prononçai jamais sur une question d'organi-. sation par des motifs accidentels, je m'abstins de prendre la parole, parce que l'abolition des conseils d'arrondissement était soutenue par le côté où je siégeais, mais en même temps je m'abstins de lui donner ma voix. Je ne pris point de part à la délibération. J'avais très-bien conçu pourquoi on demandait la substitution des conseils cantonnaux aux conseils d'arrondissement; on voulait faire revivre les aristocraties locales, et on ne demandait pas mieux que d'appeler à la participation du pouvoir ces intérêts de noblesse et de notabilités territoriales qui dominent dans les cantons.

» Je ne dis pas que ce fut alors l'intention de tout le côté où je siégeais, à beaucoup près; mais c'était l'intention de ceux qui dirigeaient l'opinion alors; c'était l'intention d'une partie des membres de la commission, et notamment de son rapporteur. C'est principalement parce que j'avais de-* viné cette intention que, quant à moi, je ne voulus pas voter.

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>> Maintenant la question se présente toute nouvelle, nous avons à l'examiner. Je répète que ce n'était pas à beaucoup près l'intention de tous les membres; je dis que c'était l'intention de quelques unes des personnes les plus influentes. J'ai conçu depuis 1830 pourquoi je me trouvais dès lors en opposition avec les membres dont je parle; car, depuis la révolution, je me suis constamment trouvé en opposition avec eux. La révolution les avait fait arriver au pouvoir, et constamment j'ai eu à lutter contre l'impulsion rétrograde qu'ils ont donnée au grand mouvement de 1830. » (Sensation.)

Dans l'esprit de plusieurs personnes, la suppression des conseils d'arrondissement était désirable, comme devant conduire à la suppression des sous-préfectures; M. Mauguin déclarait qu'il ne tenait nullement à la conservation des souspréfets, mais qu'il tenait beaucoup à la conservation de l'unité territoriale connue sous le nom d'arrondissement, parce qu'il fallait entre le département et la commune uné autorité in-.

termédiaire, qui assurât l'exécution des lois. L'autorité pouvait ne pas être bonne, satisfaisante, présenter des abus, en matière d'élection surtout ce n'était pas une raison pour la briser: mieux dirigée, elle deviendrait utile. En temps de paix, un pays n'a presque pas besoin d'administration; mais que la guerre éclate, et il faut au pays une administration énergique, il faut des agens d'exécution, qui pressent les communes, fassent partir les soldats, préparent les fournitures. Dans le temps où la république française courut le plus de dangers, elle fut sauvée par l'énergie des administrations de départemens et de districts. Si une guerre venait à s'engager, et que les administrations d'arrondissemens fussent supprimées, ou serait obligé de les rétablir; il y aurait trop loin du préfet aux cantons ; l'action publique serait trop lente, trop disséminée pour répondre aux besoins du pays.

« Il y a en France, continuait l'orateur, d'après la division introduité par l'assemblée constituante, diverses unités administratives, qui chacune ont leurs intérêts. Il y a d'abord la grande unité, celle du département; l'unité secondaire, celle de l'arrondissement; l'unité tertiaire, celle du canton; la dernière enfin, celle de la commune. L'unité de département a ses intérêts, nous en convenons tous, personne ne demande qu'on lui ôte son conseil. L'unité d'arrondissement a-t-elle aussi ses intérêts? (Oui, oui! Non, non!) Oui, eile devient un centre d'administration financière, d'administration judiciaire et d'administration proprement dite, c'est-àdire des sous-préfets. Par cela même que vous voyez déjà dans l'arrondissement trois degrés d'administration, vous pouvez en ajouter un quatrièmė pour l'instruction publique, dans quelques cas même un cinquième pour le clergé. (Mouvemens divers.) Par cela même vous avez à voir si, à côté de tous ces fonctionnaires qui tiennent à la série des fonctionnaires délé gués par la couronne, vous n'avez pas intérêt à placer des fonctionnaires électifs. Il y a en effet en France deux séries de fonctions, les fonctions déléguées par la couronne, qui descendent du ministre jusqu'au garde champêtre, et les fonctions électives. Ce qui nous a manqué jusqu'ici, c'est une série bien graduée de ces dernières. A côté des ministres, fonctionnaires délégués de la couronne, la Chambre représente les fonctions électives; à côté du préfet, autre fonctionnaire délégué, nous allons établir d'autres fonctions électives, le conseil de département.

» Maintenant voudriez-vous rompre la graduation, la proportion, et descendre brusquement du département à la commune, et laisser l'intermédiaire, c'est-à-dire, l'arrondissement et le canton sans représentans des fonctions électives, à côté des fonctions déléguées par la couronne. En effet, à côté du maire, que je suppose un instant un délégué de la couronne, vous avez établi un corps électif, un conseil municipal. Et vous ne voudriez pas un conseil électif, un corps électif vis-à-vis du sous-préfet dans l'arrondissement? Est-ce que vous pensez que le conseil d'arrondis

sement n'a rien à faire? Est-ce qu'il n'a pas à s'occuper des intérêts de cette unité administrative, que nous appelons circonscription d'arrondissement?

Je sais qu'on reproche aux conseils d'arrondissement d'avoir trop peu d'attributions dans l'état actuel de la législation. Le reproche est fondé, je l'avoue. Il s'occupe en effet exclusivement aujourd'hui de la répartition de l'impôt. Tout ce qui concerne les constructions d'utilité publique se trouve encore dans ses attributions, et cette partie-là a bien quelque gravité; car il s'agit de palais de justice, de prisons, de ponts, de routes : voilà donc les deux parties positives des attributions du conseil d'arrondissement. Quant à celle de la répartition de l'impôt, je sais qu'aujourd'hui elle importe peu, puisque, comme l'a fait observer M. Barrot, les répartitions sont toutes faites.

Je suppose, par exemple, qu'il s'agisse de l'ouverture d'une route utile à l'arrondissement tout entier, vous consulterez un conseil cantonnal; la route passera loin de sa circonscription; il n'y verra que de l'argent à dépenser, aucun avantage à recueillir:

» C'est dans toutes les questions de cette nature que vous verrez combien le conseil d'arrondissement vous est indispensable: seul il pourra se défendre et protéger son unité territoriale. Les conseils d'arrondissement, dites-vous, n'ont pas assez d'attributions, et vous en concluez qu'il faut les supprimer? J'en tire la conséquence toute contraire, c'est qu'il faut les perfectionner et les étendre.

» Vous créez des agens administratifs; quand vous les avez disséminés sur le territoire, c'est à vous à les faire agir, à leur donner la vie; après leur avoir donné la vie, à leur donner l'impulsion; si vous ne le faites pas, la faute est à vous, et non pas à l'instrument. Mais le faire agir, le faire marcher, qu'est-ce, si ce n'est lui donner des attributions? Quand la loi des attributions viendra, vous verrez s'il ne faut pas en donner de nouvelles aux conseils d'arrondissement. »

Quant aux conseils généraux cantonnaux, loin de les repousser, l'orateur pensait qu'on avait trop négligé cette unité administrative, et que dans une loi départementale et municipale cette faute devait être réparée. Mais on n'obtiendrait jamais d'une assemblée cantonnale, formée sous l'idée étroite d'une localité, des résultats utiles pour le département. M. Mauguin terminait en ces termes :

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« Qu'ont voulu les législateurs des temps les plus anciens, comme des temps modernes, dont on a le plus admiré la sagesse et les vues utiles? c'est d'arracher l'homme à son individualisme, Il y a en effet en nous deux sentimens bien distincts, l'un qui nous rappelle toujours à notre intérêt propre, personnel, l'égoïsme; l'autre, au contraire, qui nous agrandit, nous élève, et nous porte à nous sacrifier pour l'intérêt de tous, pour la patrie. Le premier sentiment est l'ennemi des sociétés : si vous le fécondez, Vous perdrez l'Etat, vous aurez des unités qui ne verront qu'elles et laisseront périr la généralité, sans comprendre que sa ruine entraîne inévitablement la leur.

« Il faut arracher l'homme à son individualité pour lui donner l'esprit de famille; à l'esprit de famille pour lui donner celui de la commune; à celui-ci pour lui donner l'esprit d'arrondissement; à l'esprit d'arrondisse

ment pour lui donner celui de département; enfin à ces derniers pour lui donner l'affection, l'amour de la patrie. Voilà, messieurs, ce que nous devons nous proposer de faire. Avec ce sentiment étroit de municipalités, de communes, de villages, vous arriveriez à distribuer la France en quarante mille petites fédérations, dont aucune, au moment du danger commun, ne saurait se sacrifier pour le bien public. Laissez aux citoyens les moyens de généraliser, d'étendre, d'agrandir leurs idées; forcez-les d'abdiquer l'esprit étroit de localité, pour n'avoir que les idées généreuses de patrie; que nous soyons avant tout Français, quelle que soit la localité, qui nous a vus naître ; et craignons, en nous laissant trop préoccuper par ces intérêts, dignes d'attention cependant, de la municipalité, de fractionner la France en petites unités fédératives qui affaibliraient notre beau pays, et pourraient même compromettre un jour son indépendance.

a Entretenons les idées larges et généreuses, natives en quelque sorte chez le peuple français, et nous n'aurons pas plus à craindre alors les ennemis de l'extérieur que ceux qui voudraient troubler notre ordre intérieur. (Marques très-nombreuses d'approbation aux centres... Légers murmures aux extrémités.j»

La discussion fut presque immédiatement fermée, et la Chambre, appelée à voter successivement sur les conseils généraux, les conseils d'arrondissement, les conseils cantonnaux, décida à l'unanimité qu'il y aurait dans chaque département un conseil général, à une très-grande majorité qu'il y aurait dans chaque préfecture un conseil d'arrondissement, et rejeta la création du conseil cantonnal.

10, 11 et 14 janvier. Des trois principales questions qui dominaient le projet de loi, la première, celle du maintien ou de la suppression des conseils d'arrondissement, étant ainsi tranchée, il en restait encore deux à résoudre, relatives au mode d'élection et aux conditions de l'électorat. Il s'agissait de savoir comment se feraient les élections aux conseils généraux de département ; si ce serait par cantons, ainsi que le demandait la commission, ou par cantons tantôt isolés, tantôt réunis, selon le projet du gouvernement, ou par arrondissement, comme plusieurs amendemens le proposaient; enfin, il s'agissait de fixer combien il y aurait d'électeurs et à quelles conditions on obtiendrait cette qualité.

La chambre consacra trois séances à débattre le mode d'élection. A travers la foule d'amendemens dont la discussion était encombrée, deux systèmes, deux principes se reproduisirent sans cesse, celui de la centralisation et celui de Ann. hist. pour 1833.

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l'indépendance des localités, et au lieu de se rattacher fortement à l'un ou à l'autre, la Chambre oscilla perpétuellement entre les deux. Ainsi, après avoir maintenu les conseils d'arrondissement, elle devait rejeter l'élection cantonnale, ou en d'autres termes décider que l'élection se ferait au cheflieu de l'arrondissement, et en effet elle le décida, conformément au principe de l'unité nationale; mais tout à coup, se laissant ramener au principe de l'indépendance locale par des amendemens tendant à diviser, à fractionner l'élection, elle statua, à la majorité de 168 voix contre 164, que chaque canton nommerait un membre du conseil général : elle voulut encore que chaque arrondissement pût être divisé en trois assemblées électorales. C'était en quelque sorte refaire les cantons,en augmentant un peu leur importance; c'était presque sanctionner le système du gouvernement, qui proposait tantôt de les isoler, tantôt de les réunir.

15, 16, 17, 18, 22 et 23 janvier. La discussion s'établit ensuite sur les qualités requises pour être électeur aux colléges d'arrondissement et aux conseils généraux. Divers amendemens furent présentés : M. Comte obtint la priorité pour le sien, qui créait un électeur par cinquante habitans, et de plus déclarait électeurs de droit les conseillers municipaux, les officiers des gardes nationales, les membres des cours et tribunaux, les avocats, avoués, médecins, chirur giens, pharmaciens, les membres de l'Institut et autres sociétés savantes, les membres des chambres consultatives des manufactures, du commerce, etc. Selon le calcul de M. Rambuteau, cette proposition portait à huit cent mille le chiffre total des électeurs. Après de longs débats, la Chambre rejeta l'amendement, et en revint à l'article du gouvernement, amendé par la commission, d'après lequel les citoyens inscrits sur la liste du jury, les électeurs politiques, et de plus un citoyen sur deux cents, pris parmi les plus imposés, étaient appelés à l'élection des membres des conseils.

On passa aux conditions de l'éligibilité. Le projet du

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