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lui permettre de supporter les ennuis du gouvernement; on ne pouvait pas dire non plus qu'on avait voulu par cette mesure prévenir les mouvemens des apostoliques en leur ôtant tout prétexte; car ces mouvemens jusqu'alors n'avaient pas eu de consistance réelle, n'avaient pas offert de dangers

sérieux.

Les premiers jours de l'année virent la dispersion totale des volontaires royalistes qui s'étaient soulevés dans la province de Tolède, et l'arrestation des principaux chefs de la révolte. Sans doute l'agitation qu'avaient produite les derniers événemens ne tomba pas tout d'un coup; il y eut encore des essais de soulèvement, des machinations de complots, des démonstrations hostiles par des cris, des pamphlets et autres actes séditieux du même genre, qui annoncent l'existence d'un parti de mécontens ; mais soit calcul, soit faiblesse, ce parti ne se montra nulle part véritablement menaçant, et les tentatives isolées auxquelles il se livra sur quelques points furent réprimées sans de grandes difficultés par les troupes de ligne.

C'était maintenant dans le conseil et sur le trône que la division existait. L'un et l'autre offraient deux partis distincts et peu disposés à se concilier. MM. Zéa Bermudez, d'Ofalia et Cruz, d'accord avec le roi, s'opposaient à toutes nouvelles concessions aux idées libérales, tandis que MM. Encima de la Piédra, Ulloa, Fernandez del Pino, appuyés par la reine, auraient voulu consolider le système auquel ils devaient leur entrée au ministère. Cette scission ne laissait pas que de paralyser souvent l'action du gouvernement. Ainsi, on avait reconnu que les droits de la jeune infante héritière de la couronne demandaient, pour être solidement établis, l'assentiment d'une assemblée des Cortès; mais la répugnance du roi et de son premier ministre pour toute représentation nationale, faisaient ajourner la mesure. Il était évident que s'ils se décidaient à une convocation des Cortès, ce serait en l'entourant de telles précautions, que les actes de l'assemblée

ne s'étendraient pas au-delà de quelque chose de semblable à un simple enregistrement de la pragmatique de 1830, sur le nouvel ordre de succession au trône d'Espagne.

On peut croire que Ferdinand VII ne s'abusait ni sur la portée des changemens déjà opérés, ni sur la nécessité où se trouverait le gouvernement, dans un avenir plus ou moins prochain, de subir des réformes essentielles. Mais, naturellement ennemi de ces réformes, et dénué d'ailleurs par l'affaiblissement de ses forces physiques, de cette vigueur d'esprit qui est nécessaire pour entreprendre une révolution, on conçoit qu'il n'ait pas voulu se lancer dans de pareils embarras, que peut-êtreil se soit dit comme Louis XV: «Pourvu que cela dure autant que moi ! » et qu'enfin il n'ait eu qu'une seule idée, celle d'assurer son royal héritage à sa fille. Diverses mesures vinrent bientôt témoigner que telle était la vérité des choses.

Un décret royal rendu en février ordonna la création d'un nouveau régiment sous le nom de l'infante Marie-Isabelle. C'était un hommage remarquable aux droits de la jeune princesse, en ce que cela avait lieu autrefois pour le prince des Asturies, héritier présomptif de la couronne.

Ferdinand fit un pas de plus dans cette voie, et celui-là était décisif résolu d'enlever aux apostoliques leur idole, leur drapeau vivant, il permit par un décret du 13 mars à son frère don Carlos et à sa famille de se rendre en Portugal. Ce décret n'était qu'un ordre d'exil déguisé; il formait le complément de l'acte par lequel Ferdinand avait donné sa couronne à sa fille, au détriment de don Carlos. Ainsi Ferdinand s'était laissé successivement arracher le renvoi de ses favoris, le pardon des accusés et des prisonniers pour causes politiques, le rappel d'une grande partie des proscrits; en un mot, il avait semé tous les germes d'une révolution désormais inévitable, et, par un acte plus énergique peut-être, il venait de prononcer le bannissement de son frère. A ce coup, et tandis que le mot de Cortès retentissait toujours dans le palais, il fut permis de croire que celui de constitution se ferait en

tendre aussi. Cependant on se serait trompé : le décret du 13 mars, qui semblait annoncer la victoire de la reine dans ses débats domestiques et la consolidation de son influence sur les affaires, ce décret n'était encore une fois que le résultat de la ferme volonté qu'avait Ferdinand de garantir la transmission de la couronne à sa fille, et il n'avait été inspiré que par un intérêt exclusivement dynastique. Le voyage de don Carlos en Portugal prouvait bien que les personnes avaient été sacrifiées; mais les principes étaient maintenus, et loin que la reine eût repris son ascendant, c'était M. Zéa Bermudez qui avait décidément le dessus.

Il commença par faire exiler un grand d'Espagne, partisan devoué de la reine, dont le crime était d'avoir rappelé, dans un recueil destiné à soutenir la cause de la jeune infante par des citations historiques, que la couronne d Espagne,' après avoir été long-temps élective, était restée soumise au contrôle des assemblées nationales. Vainement cet article était accompagné de l'expression du devoûment le plus absolu à la famille royale; la disgrâce du malencontreux publiciste n'en fut pas moins entière. D'autres grands d'Espagne ayant hasardé quelques remontrances en sa faveur, car il avait parlé au nom de toute la grandesse, furent privés de la clef de chambellan.

Ce gage donné par le roi à une conduite politique qui n'était au fond qu'un système perpétuel de bascule non entre deux affections, mais entre deux haines, celle des personnes contre les carlistes et celle des opinions contre les libéraux, ce triomphe du premier ministre fut complété, le 25 mars, par le renvoi de ceux de ses collègues qui penchaient pour ces opinions, M. Encima de la Piédra, ministre des finances, M. Fernandez del Pino, ministre de la justice, et M. Ulloa, ministre de la marine. Des changemens analogues eurent lieu dans la haute administration: l'un des plus significatifs fut la destitution de M. Martinez de Saint-Martin, surintendant général de police. Ancien chef politique à Madrid, à l'épo

que de la constitution, il avait été choisi après l'amnistie pour occuper ces nouvelles fonctions, à cause de la modération et de la fermeté de son caractère. L'influence que lui donnaient ces qualités étant à craindre, M. de Saint-Martin fut exilé sur-le-champ à Badajoz. Il est inutile de dire que les personnages destitués ou démissionnaires furent remplacés par des amis de M. Zéa Bermudez. Don Antonio Martinez fut appelé au ministère des finances, don Juan Gualberto Gonzalès à celui de la justice, et don José Cruz, déjà ministre de la guerre, prit l'intérim de la marine.

Deux circulaires émanées, à peu de distance, du ministère de la guerre, furent comme le programme de la nouvelle administration et fournissent un indice curieux des idées politiques de M. Zéa Bermudez (voy. l'Appendice). Le repos est le premier besoin des peuples, était-il dit dans l'une de ces circulaires, et il doit se fonder sur le travail individuel. De là le devoir de s'appliquer, avant tout,'au développement des intérêts matériels. Dans la répression des actes qui tendraient à comprometre ces intérêts, les commandans militaires devaient principalement surveiller les partis qui se prétendaient les organes de la volonté générale. Bref, la bannière du gouvernement portait pour inscription: «< Droits de la souveraineté dans leur plénitude immémoriale, afin que le pouvoir royal ait toute la force nécessaire pour faire le bien; droits de succession assurés à la descendance légitime et directe du roi, en conformité des anciennes lois et coutumes de la nation. » A droite ou à gauche de cette ligne, ajoutait le ministre, il n'y a que des abîmes, et dans ceux qui voudraient en éloigner les Espaguols, on ne doit voir des ennemis de la patrie.

que

Ces changemens et ces théories décidaient non pas la question de la convocation des Cortès, ce n'était pas là le sujet de dissentiment entre les deux factions contraires de l'ancien cabinet, mais dans quel sens cette convocation aurait lieu et à quel effet. Le 7 avril, parut un decret qui con

voquait les Cortès pour le 20 juin à Madrid, dans le seul et unique but de prêter serment de fidélité et d'obeissance à l'infante Marie-Isabelle-Louise, fille aînée du roi.

Il ne faut pas se tromper sur la valeur de ce mot de Cortès. La convention unique et souveraine de 1812, et la représentation de 1820 ont porté ce nom; mais c'est le seul point de ressemblance qu'on puisse trouver entre ces assemblées et celle qui allait s'ouvrir au mois de juin prochain.

Cette dernière, assez semblable aux anciens états-généraux de France, se nomme Cortès por estamentos, cest-à-dire par ordres, par états. Elle comprend un certain nombre de prélats et de grands d'Espagne à qui leurs places ou leur naissance confèrent le droit de représenter le clergé et la noblesse. Le tiers état (estado llano) y a aussi ses mandataires : ce sont les députés de trente-sept villes qui possèdent encore, par priviléges spéciaux, dernier débris de leurs vieilles franchises, une ou deux voix aux Cortès (voto à Cortès). Ces députés sont choisis, sans aucune participation du peuple, par des magistrats municipaux (ayuntamientos) dont les fonctions sont maintenant héréditaires ou à la nomination du roi.

D'une assemblée composée de ces élémens, il y avait deux emplois à faire. On pouvait lui demander la sanction du décret abolitif de la loi salique, pour donner à ce décret force de loi constitutive : c'est là ce que conseillaient les ministres du partí de la reine. Mais, d'une part, on semblait ainsi nier le pouvoir constituant du roi, et de l'autre, on s'exposait à des discussions, puisqu'il s'agissait de délibérer et de voter, et on ne savait pas où elles s'arrêteraient. Cette mesure fut donc rejetée, et les ministres qui la soutenaient avaient reçu leur destitution. Il en résultait que la loi salique était tenue pour bien et dûment abrogée par la pragmatique de 1830, en vertu de la souveraineté absolue du roi, et que les Cortès convoquées pour le 20 juin, ne serviraient qu'à reconnaître, par serment, princesse des Asturies, c'est-à-dire héritière du trône, l'infante Marie-Isabelle-Louise.

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