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idées émises dans les deux circulaires publiées après la formation du ministère du 25 mars dernier; ce manifeste, destiné à apaiser les craintes des carlistes plutôt qu'à réaliser les espérances des libéraux, mécontenta ceux-ci, sans ramener aucun de ceux-là. Il promettait à l'Espagne le despotisme éclairé, comme on l'appela ensuite (despotismo illustrado), qui était tout le système politique de M. Zéa. Aussi, ce manifeste fut-il regardé comme une complète déception par le parti libéral. Toutefois Madrid resta tranquille; mais les provinces où les carlistes étaient en force levèrent l'étendard de la révolte, malgré les avances que le nouveau gouvernement s'était empressé de leur faire.

Sauf une tentative aussi promptement réprimée qu'exécutée le 3 octobre, à Talavera de la Reyna, sur la route de Madrid, en Estramadure, ce fut la Biscaye qui donna le signal. Grâce à ses priviléges, cette province étant dégarnie de troupes, et ses volontaires royalistes se trouvant tout armés, tandis que tous les hommes suspects aux apostoliques y étaient privés, depuis dix ans, même du droit de chasse, ce soulèvement n'éprouva aucun obstacle. Le 4 octobre, des cris nombreux en faveur de don Carlos retentirent dans Bilbao. Les moines sortirent de leurs couvens et parcoururent les rues en proclamant Charles V et en vociférant contre la reine. Les carlistes se mirent à leur suite, firent sonner le tocsin, installèrent de nouvelles autorités, et se portèrent à divers excès sur les personnes de l'opinion contraire. La populace courut chez les députés de la province pour les assassiner, et ne les ayant pas rencontrés, elle assouvit sa rage sur le beau-frère de l'un d'eux. Une proclamation de la municipalité insurrectionnelle ordonna aux habitans de se réunir de trois heures en trois heures sur les places publiques pour crier: Vive Charles V! vive l'inquisition! mort aux constitutionnels! Beaucoup de libéraux furent arrêtés et rançonnés ; on frappa des contributions extraordinaires sur les négocians; on ferma les portes de la ville: on ne laissa sortir aucun indi

vidu suspect; et Bilbao fut jetée dans un état de peur et de confusion. Bientôt après, le marquis de Valdespina y fit une entrée triomphale à la tête des volontaires royalistes des environs.

Don Carlos fut également proclamé le 7, à Vittoria, par des hommes de la même trempe, mais avec moins de désordres. Au reste, le fanatisme religieux fit les plus grands efforts pour soulever les passions populaires et propager l'insurrection; la Biscaye et l'Alava furent promptement en combustion, et les communications entre Madrid et Bayonne interrompues.

Quoique les insurgés eussent pris les armes au nom de Charles V et de la foi, leur but réel était de défendre les priviléges de la Biscaye( fueros), qu'ils savaient menacés par le principe révolutionnaire. Cette province recevait en franchise les produits de l'étranger, n'était point assujettie à l'impôt, nommait ses magistrats, et formait une espèce de république municipale. Or, il était difficile que cet état exceptionnel ne prît pas fin plus tôt ou plus tard sous un régime qui aspirait à régénérer l'Espagne : c'est ce que les Biscayens tenaient à empêcher, en plaçant sur le trône don Carlos, symbole du statu quo et des vieilles coutumes.

Au surplus, l'insurrection n'offrait pas cet ensemble et cette unité auxquels on reconnaît la présence et le système d'un chef habile. Elle marchait au hasard, sans organisation, n'ayant à sa tête aucun personnage renommé. Ce n'était plus là cette armée de la Foi, qui comptait dans ses rangs Erolles, Eguia, Ulman, Bessières, le Trappiste, Saarsfield, Quesada. Ce dernier s'était rallié aux idées libérales, après avoir vu comment ses anciens amis politiques usaient du pouvoir. Un homme qui s'était aussi fait un nom à la même époque,' Santos Ladron, ne parut cette fois un instant dans la Navarre que pour se faire prendre par les troupes de la reine. On le fusilla aussitôt sans forme de procès; car, en Espagne, les partis ne jugent pas leurs adversaires, et chaque victoire, dans les dissensions intestines, est suivie d'une boucherie à froid.

Le curé Mérino, à la tête de quelques bandes dans la VieilleCastille, avait seul une célébrité qui datait de la guerre de l'indépendance, et qui avait grandi dans les troubles civils postérieurs.

Les forces que le général Castagnon commandait dans le Guipuscoa n'étaient pas en état de se mesurer avec la révolte. Il chercha à enrôler des volontaires de la reine, et invita l'ancien chef de guérillas Jaureguy, ou El Pastor, l'une des victimes de la réaction apostolique de 1823, à rentrer en Espagne, pour prendre la conduite de ces volontaires et mettre ses talens et sa popularité au service de la reine. Jaureguy partit de Bayonne, où il s'était réfugié, pour se rendre à cet appel du général Castagnon, qui, dans cette affaire, avait agi sans consulter le gouvernement; et tous deux commencerent, contre les carlistes, une lutte difficile et mêlée de chances variées.

Toutefois, une chose put faire naître l'opinion que la résistance provoquée par l'avénement d'Isabelle II au trône de son père ne formerait pas un obstacle insurmontable à la consolidation du nouveau règne, c'est que, à l'exception de la Biscaye, de l'Alava, du Guipuscoa et de la Navarre, toutes les autres provinces du centre et du midi se tinrent généralement tranquilles. Dans la plupart des villes, les autorités locales, sans ou même malgré les ordres du ministère, prirent sur elles d'armer des milices urbaines qui se dévouaient à la cause de la reine. Tous les capitaines généraux envoyèrent successivement à Madrid des adhésions, dont la plus impor tante était celle du général Saarsfield, qui commandait l'armée d'observation sur les frontières de Portugal. La Catalogne, sous l'active et habile impulsion de Llander, organisait ses milices de la reine. Dans l'Arragon, Espeleta désarmait sans peine les volontaires royalistes. Sur la route de Madrid, les deux partis étaient échelonnés de distance en distance. Castagnon et Jaureguy avaient leur centre d'opération à ToJosa; les forces de l'insurrection occupaient Vittoria ; à Bur

gos, les soldats de la reine étaient trop peu nombreux pour contenir à la fois la ville et la campagne; au-delà, Mérino di⚫ rigeait les guérillas carlistes de la Vieille-Castille. Telle était la situation des choses, tandis que le général Saarsfield, qui avait reçu l'ordre de se porter avec son armée dans les provinces insurgées, marchait sur Burgos, où il arriva vers le 25 octobre.

Le gouvernement frappa encore un coup décisif,en décrétant la confiscation de tous les biens de don Carlos, qui, toujours retiré en Portugal, s'était de nouveau refusé, depuis la mort du roi, à partir pour l'Italie, sans toutefois pouvoir ou oser venir se mettre à la tête de ses partisans. Quelque temps après, le cabinet de Madrid rompit toutes relations diplomatiques avec don Miguel, et l'ambassadeur espagnol, en Portugal, fut rappelé. C'était un gage que M. Zéa donnait au parti libéral, qui, chaque jour, devenait plus puissant à Madrid.

Ce parti obtint une autre satisfaction par le renvoi du surintendant général de police, auquel succéda un constitutionnel de 1820. De plus, un décret du 22 octobre remplaça M. d'Ofalia dans le ministère de l'intérieur, par M. Burgos, que ses connaissances, en matière de finances et d'économie politique, avaient rendu célèbre. Quoique le choix de M. Burgos n'eût pas l'assentiment des libéraux, le changement de M. d'Ofalia n'en était pas moins une concession faite à l'opinion publique. C'était un premier démembrement du ministère, qui en présageait d'autres; c'était une première atteinte au système de M. Zéa.

Ce système, qui excluait une constitution et la liberté de la presse, passait pour être soutenu par les conseils du cabinet des Tuileries, qui du reste s'était empressé de reconnaître la jeune reine, et d'offrir à la régente les secours de la France. La reconnaissance de l'Angleterre vint ensuite, et pour le moment tous les autres cabinets restèrent sur l'ex‹ pectative.

Cependant un système consistant à ne pas poser nettement la question entre les deux vrais partis qui divisaient l'Espagne, la démocratie religieuse de la populace et la démocratie libérale des classes intermédiaires, n'allait guère aux passions ardentes de ce pays. C'est en vain qu'on voulait constituer, avec des moyens termes, des ménagemens et des demi-mesures, un parti purement royaliste, qui s'appuyat timidement sur les constitutionnels sans trop froisser les carlistes. Ni les uns ni les autres ne s'accommodaient de ce juste milieu : ceux-là ne cessaient de harceler le ministère, tandis que ceux-ci continuaient à souffler le feu de la révolte, à provoquer l'insurrection des volontaires royalistes. M. Zéa fut donc forcé de faire quelques pas de plus en avant, pour apaiser les premiers et contenir les autres.

Outre plusieurs réformes importantes dans l'administration, un décret étendit l'amnistie de l'année dernière à une trentaine des constitutionnels encore proscrits; ensuite furent supprimées toutes les contributions et perceptions établies pour l'entretien des corps de volontaires royalistes, et enfin un autre décret ordonna le désarmement de ces volontaires.

Ce décret fut mis à exécution le 27 octobre, à Madrid, en commençant par l'artillerie, qui remit ses canons sans résistance. Les hommes de l'infanterie apprenant ce qui se passait se soulevèrent, se formèrent en attroupemens nombreux dans les rues, criant avec violence: Vive don Carlos! à bas les negros! à bas le gouvernement de la reine! Les symptômes de désordre devenaient de plus en plus graves lorsque les troupes de la garnison reçurent ordre d'agir contre les séditieux. Les libéraux s'empressèrent de se joindre aux troupes. Après quelques coups de fusil échangés des deux parts, les volontaires, qui avaient été refoulés dans leur caserne, furent sominés de se rendre, sous peine d'être passés au fil de l'épée : ils se décidèrent à ouvrir leurs portes. Plusieurs s'évadèrent et parvinrent à sortir de Madrid; d'autres

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