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gouvernement différait de celui de la commission en ce que le premier demandait un cens de 300 fr. et le second un cens de 200 fr. seulement, ce qui fut adopté par la Chambre. Diverses exemptions au cens d'éligibilité furent ensuite proposées et repoussées.

Lorsqu'il s'agit d'examiner l'article relatif aux incompati bilités entre certaines fonctions et celles de membres des conseils généraux, M. Comte proposa d'ajouter une sixième classe à celles que mentionnait l'article, et cette classe était formée des ministres du culte. A l'appui de son opinion, il dit que ce n'était pas une incapacité qu'il voulait établir, mais une incompatibilité entre des fonctions qui ne pouvaient marcher ensemble.

Je crois, ajoutait l'orateur, qu'il importe beaucoup à la bonne administration et à la tranquillité de notre pays de séparer des fonctions qui sont complétement distinctes : nous ne devons pas nous mêler, nous, des affaires qui concernent les cultes ou les religions, si ce n'est pour en régler la police; mais, d'un autre côté, je crois qu'il importe aussi que les ministres des cultes restent enfermés dans leurs temples, et ne sortent pas de leurs fonctions. Vous les avez exclus de la chambre des pairs, et pour čela vous ne les avez pas déclarés incapables; vous avez reconnu une incompatibilité, vous n'avez pas créé une incapacité. (Bruits divers.)

« Vous avez déclaré tout à l'heure cinq à six incompatibilités qui ne sont injurieuses pour aucune des personnes qu'elles atteignent; je ne comprendrais donc pas que celle que je propose fût injurieuse pour aucun culte. « Je ne vois donc pas de raison de ne pas admettre cette incompatibilité. « Vous avez lu dernièrement dans les journaux qu'on avait vu, je ne sais dans quelle ville ou dans quel village, un ministre d'un culte, capitaine de la garde nationale. Je l'avoue, si j'avais été dans la garde natio nale de cette commune, je ne l'aurais pas élu : je trouve une pareille élection tout-à-fait déplacée; cependant, comme la loi ne le défend pas, peut-être l'autorité aurait-elle tort de s'y opposer.

« On se plaint, surtout dans la Vendée, dans la Bretagne, de l'influence qu'exerce le clergé; mais si vous l'appelez dans vos délibérations, si vous le faites intervenir dans la discussion des affaires du pays, dans le vote et l'application des impôts, il aura une influence infiniment plus grande. »

L'un des adversaires de l'amendement, M. Dubois (de la Loire-Inférieure), fit d'abord remarquer que les fonctionnaires dont on avait déclaré les fonctions incompatibles avec celle de conseiller, étaient tous agens de l'administration générale.

Il faut donc, continuait M. Dubois, faire une distinction entre les hommes qui régissent les intérêts mêmes qui sont l'objet des délibérations des conseils-généraux, et ceux qui, par conscience, par vocation, se

livrent à la propagation des croyances religieuses ceux-ci n'ont fait divorce avec aucun des droits politiques qu'ils peuvent exercer dans leur pays.

L'exemple qu'on vous a cité est quelque peu inconvenant, et les électeurs qui ont pris le ministre d'un culte pour lui mettre l'épée au côté ont fait quelque chose de fort ridicule; mais parce que des électeurs se sont trompés, faut-il frapper d'interdiction toutes les croyances, non seulement celles qui sont reconnues, mais encore celles qui peuvent naître? (Légères rumeurs.)

« Non, messieurs, vous n'avez pas le droit de déclarer aucune religion incompatible avec les droits politiques.

« On a parlé des départemens de l'ouest. Eh bien! moi, qui suis député d'un de ces départemens, je sais que souvent le clergé catholique y a exercé une influence déplorable, mais je sais aussi que si nous le mettons tout-à-fait en dehors de nos institutions, nous le rendrons plus hostile

encore.

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Et d'ailleurs, si le ministre d'un culte religieux était assez bien famé pour que le suffrage de quarante mille citoyens (car tel est le nombre moyen des colléges d'arrondissement) le portassent au conseil de département, n'y aurait-il pas injustice à vouloir l'en exclure?

« Pour mon compte, je ne redouterais pas, messieurs, de voir siéger dans un conseil de département, dans cette Chambre même, un ministre du culte nommé par ses concitoyens.

« S'il en était ainsi, vous verriez naître dans le pays une tolérance plus vraie que celle qui n'a pour s'exprimer que des déclamations continuelles en faveur de la liberté, et qui est si souvent en contradiction avec ses propres principes. (Assentiment aux centres.)»

Malgré ces argumens, le président de la Chambre, M. Dupin aîné, quittant le fauteuil, vint appuyer l'amendement de M. Comte, en déclarant qu'il ne regardait pas la question comme un simple incident, mais comme une question constitutionnelle de la plus haute importance, et pouvant avoir sur notre régime entier les conséquences les plus étendues. Après quelques considérations sur la tolérance, qui nétait applicable qu'en matière de croyances, M. Dupin soutenait que la proposition ne tendait qu'à établir une incompatibilité, et qu'il n'y avait là rien d'injurieux pour personne.

« Maintenant, ajoutait M. Dupin, et venant à l'amendement, je dis que nous devons, nous hommes de juillet, comme tous les hommes sincèrement attachés à cette révolution et qui veulent le maintien de ses principes, nous devons reconnaitre qu'une des principales innovations de la révolution de juillet, et l'un des plus grands abus auxquels elle a voulu pourvoir, a été cet envahissement toujours croissant du clergé, qui ne se contentait pas du pouvoir religieux, qui dominait de toute part, dans le civil, dans les communes, dans les départemens, qui avait son banc dans la chambre des pairs, qui s'était introduit dans le conseil-d'état et jusque dans le conseil du prince, qui avait envahi une partie du ministère, enfin qui se faisait sentir partout.

«Non seulement le clergé voulait le pouvoir religieux sans partage mais il voulait envahir tous les pouvoirs civils. C'est le plus grand malheur d'un état; c'est ce qui a perdu l'ancienne dynastie, qui avait le plus irrité la nation; c'était à ce mal que nous avions voulu porter remède en changeant l'article de la Charte', qui disait que la religion catholique était la religion de l'état ; non pas que nous ayons voulu qu'il résultât aucune espèce de dommage pour cette religion qui est celle de la majorité des Français; mais pour que, satisfaite de la prépondérance de son ancienneté, de son étendue et de ses avantages, elle ne cherchât plus à empiéter sur les autres cultes, sur les autres croyances; et surtout pour que l'ordre civil fût totalement affranchi de la participation du clergé.

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« Ainsi, loin de diminuer l'influence du clergé, je la reconnais tout entière; seulement, comme homme public, comme homme politique, comme ayant participé à la réforme de la Charte, et comme voulant sincèrement que les principes de la révolution de juillet n'éprouvent aucure brèche, surtout dans cette enceinte, je veux que l'influence des hommes qui parlent au nom de la religion s'exerce en chaire, et non à la tribune; par la morale, et non dans des fonctions publiques; par l'instruction des citoyens, en prêchant de bons sentimens, la paix, la concorde; en empêchant les divisions qu'amènent les discussions de sordides intérêts privés, et en général des intérêts matériels. Ils ne doivent pas se mêler à la discussion de ces intérêts, car ils donnent toujours lieu à des rivalités, à des discussions; et, comme ils nous le disent sans cesse, les intérêts mondains ne sont pas de leur royaume.

« Honneur au clergé catholique et aux membres de tous les cultes! salaire, considération, mais à condition qu'ils ne seront que ministres du culte, qu'ils béniront l'état, qu'ils appelleront la prospérité sur nos armes et sur les affaires du pays; mais quant aux fonctions publiques, ce n'est pas l'exclusion, mais l'incompatibilité, et la plus nécessaire de toutes, car si à ce pouvoir religieux, si utile quand il se contient dans ses limites, vous ajoutez ce qui a perdu le clergé, si vous ajoutez une fonction civile, il ne vous laissera pas de repos qu'il n'ait encore tout envahi. (Approbation générale et prolongée.) »

M. Dubois reprit la parole et MM. Renouard et Meynard se joignirent à lui, comme l'avait déjà fait M. Peyre, pour combattre l'amendement. «Il n'y a pas interdiction, disait M. Dubois, pour que le clergé arrive dans cette Chambre, ni pour qu'il arrive à la Chambre des pairs; car si un membre du clergé appartient à l'Institut, il peut arriver à la Chambre des pairs. Ainsi la porte est ouverte au clergé à la représentation dans cette Chambre; il peut arriver à la Chambre des pairs, et vous allez lui interdire l'entrée dans les conseils généraux! » M. Dupin répondit que quand on avait fait de la qualité de membre de l'Institut une qualité qui rendait éligible à la pairic, c'était une question distincte de celle du clergé. On avait proposé, à l'égard du clergé, une catégorie distincte, qui avait été rejetée par un vote

presque unanime. La Chambre n'avait pas entendu que si le clergé ne pouvait pas entrer directement avec la mitre à la Chambre, il pourrait y entrer par la porte de l'Institut. M. Garnier-Pagès réclama l'égalité et la liberté pour tous: «Je dis, s'écria-t-il, que si vous adoptez l'amendement de M. Comte, vous déclarez l'abbé Grégoire une seconde fois indigne. »

« C'est une erreur, répondit encore M. Dupin, c'est toujours vouloir confondre l'incompatibilité avec l'indignité; car comme il répugnerait à vos esprits de faire injure à aucune classe de personnes, comme moins qu'aucune classe le clergé mérite injure, ce serait capter ses suffrages ou faire croire que vous le repoussez par indignité. Il est digne, très-digne de nos respects; il ne peut déchoir qu'en dénaturant ses fonctions, et en descendant de la hauteur où il est placé, en abusant de son influence pour la transporter dans l'ordre civil.

« Ce n'est pas un intérêt de religion, c'est un intérêt mondain qui leur conseillerait de quitter leur temple pour frapper à nos assemblées. (Interruption.)

<< Toutes les raisons de détail doivent disparaître devant le grand principe que j'ai posé, et qui a pour base la séparation des influences religieuses d'avec les pouvoirs politiques, influences assez puissantes, assez en◄ vahissantes par elles-mêmes, pour ne pas joindre encore au pouvoir sacerdotal le pouvoir civil, et ne pas les accumuler dans les mêmes mains.

« Voilà, messieurs, les considérations que je recommande à vos esprits. (Agitation.) »

La clôture ayant été immédiatement prononcée, la Chambre accueillit l'amendement de M. Comte.

Ce fut le dernier incident remarquable de cette discussion qui dura encore trois séances, sans cesser d'être jusqu'au bout confuse, incertaine, embarrassée de propositions et souvent de décisions contradictoires.

26 janvier. Enfin la loi fut adoptée à la majorité de 205 voix contre 82. L'opposition avait annoncé qu'elle voterait pour la loi : les boules noires ne venaient donc pas de sa part, mais d'un certain nombre de députés habituellement ralliés à la majorité. Cettebizarrerie concordait avec la marchegénérale de la délibération, pendant laquelle les opinions, ainsi qu'on l'a remarqué, s'étaient plusieurs fois déclassées. Sans doute les contradictions dont la loi était remplie avaient dû motiver beaucoup de rejets. La plupart des députés,

convaincus que l'oeuvre qui allait sortir de leur mains était mauvaise, se confiaient dans l'idée que la Chambre des pairs en corrigerait les défauts. Présentée à cette Chambre le 25 février, la loi n'y fut discutée que dans la session suivante. C'est seulement quand nous serons parvenus à cette époque, que nous indiquerons les résultats du nouveau travail auquel l'organisation des conseils de département et d'arrondissement fut soumise.

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