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Dans cet instant solennel, où la France d'une part, et l'Europe continentale de l'autre, semblaient se mesurer de l'œil, où les esprits prévenus à tort, croyaient voir commencer un ordre de faits plein d'incertitudes et de périls, une trève aux combats de la tribune, aux dissentimens politiques, fut généralement réclamée. Le ministère déféra à ce vœu; il attendit; mais du moment que la question s'était engagée, il n'hésitait plus à la traiter avec confiance.

« Que nous reproche-t-on, en effet, messieurs? disait M. de Broglie; deux choses, si je ne m'abuse. Les uns nous disent: Vous ne deviez pas interrompre le cours de la justice, vous deviez livrer la duchesse de Berry à la vengeance des lois. D'autres nous disent : Non! madame la duchesse de Berry ne doit point être jugée ; vous avez bien fait de l'enfermer au château de Blaye; vous faites bien de l'y retenir prisonnière; mais vous devez agir seuls, vous ne devez pas faire partager votre responsabilité aux Chambres.

« Nous nous croyons fondés à repousser ces deux ordres de reproches. Nous n'avons point livré madame la duchesse de Berry aux tribunaux, pourquoi? Je l'ai dit tout à l'heure, parce que nous pensons que, dans l'état actuel des choses, les lois criminelles de France ne lui sont pas applicables. Madame la duchesse de Berry et tous les princes de la branche aînée de la maison de Bourbon sont nos ennemis. Défendons-nous, c'est notre droit, défendons-nous; nous sommes trente millions contre six personnes, trente millions contre un vieillard, contre deux femmes, contre un enfant, c'est bien assez. (Interruption.) »

Le ministre soutenait qu'au fond ce sentiment était celui de toute la France, de ceux même qui réclamaient le plus haut la mise en jugement de la prisonnière. En effet, que demandaient-ils ? sa tête? Personne n'y songeait. On ne vou lait qu'un jugement pour la forme, un simulacre de jugement, une comédie solennelle, dans laquelle tous les rôles seraient distribués d'avance, dont le dénouement serait prévu et réglé.

«Eh bien, messieurs, je le demande, continuait le ministre, à quoi bon un tel jugement? A quoi est-il destiné? Ce n'est pás, j'en suis bien sûr, pour se donner le spectacle d'un grand abaissement de fortune, qu'on le demande; ce ne serait qu'une triste et odieuse jouissance; c'est uniquement pour satisfaire à un principe de droit écrit, au principe de l'égalité des Français devant la loi. Mais ce principe, quelque bon, quelque salutaire, quelque tutélaire qu'il puisse être, fût-il applicable ici, et il ne l'est pas (la duchesse de Berry n'est pas Française par sa naissance, et elle ne I'est plus par alliance (interruption); elle n'est plus Française par alliance, depuis l'acte du 7 août); eh bien! messieurs, ce principe fût-il applicable, ce qui n'est pas, ce principe n'est pas plus sacré que tant d'autres principes de droit écrit que vous avez fait fléchir vous-mêmes envers cette famille. Est-il plus sacré que le principe de la liberté individuelle, què

vous avez fait fléchir en ordonnant de transporter Charles X et les siens hors de France? Est-il plus sacré que le principe de l'irresponsabilité royale que vous avez fait fléchir quand vous avez déposé Charles X ? Et ce principe que nul ne doit être jugé que d'après une foi rendue, ne l'avezvous pas fait fléchir quand il s'est agi de tirer vengeance des ministres de Charles X? Sommes-nous donc, messieurs, dans cette position, où l'on doit dire: Périsse l'état plutôt qu'un principe! Je ne le pense pas, et jamais ces paroles ne deviendront les miennes, je le dis à dessein. Savez-vous d'ailleurs quelle question souleverait le jugement de madame de Berry? Pensez-vous, messieurs, que ce soit la question de savoir si madame de Berry était en Vendée? mais elle le proclame elle-même; ou celle de savoir si Madame a conspiré? mais elle l'a fait à la face de la France; si c'est elle qui est retenue prisonnière à Blaye? mais son identité est constatée. Non, messieurs, ce ne seraient pas ces questions qui seraient soulevées et discutées, mais celle de savoir si Madame avait le droit de faire ce qu'elle a fait, le droit d'insurrection contre le gouvernement de la révolution. (Violens murmures aux bancs de l'opposition.) Oui, messieurs, c'est celte question là qui serait soulevée. (Interruption.) »

Le ministre demandait à la Chambre s'il lui convenait que cette question fût portée devant des juges désignés par le hasard : il l'exhortait à songer au langage de l'accusée, à l'explosion de fureurs que ce langage ne pourrait manquer d'exciter.

« Croyez-vous, s'écriait-il, que ce sera assez de toutes les forces dont le gouvernement dispose pour protéger, selon le vent qui soufflera, fantót la tête des juges, tantôt celle des accusés? Vous avez vu le jugement des ministres, vous avez vu pendant dix jours la ville de Paris tout entière sous les armes, la capitale du royaume dans l'attitude et l'anxiété d'une place de guerre qui va subir un assaut. Eh bien! vous n'avez rien vu. Vous avez vu les troubles du mois de juin; eh bien! vous n'avez rien vu. (Inë terruption.... M. Kéalier-Dumas. C'est faire le procês au gouvernement actuel.) »

Enfin, rappelant les principes de la responsabilité ministérielle, et les diverses manières dont la Chambre pouvait, soit directement, soit indirectement, approuver la conduite des agens du pouvoir, le ministre terminait ainsi :

& Votre commission vous déclare que son avis est que la duchesse de Berry ne doit pas être jugée, votre commission vous déclare que son avis est qu'elle doit rester emprisonnée dans une forteresse aussi long-temps que la sûreté de l'état l'exigera.

«La commission vous a dit qu'à cet égard le gouvernement a fait ce qu'il devait faire. Si vous adoptez ces conclusions, nous nous tiendrons pour approuvés, nous n'en demanderons pas davantage. Si vous voulez, au contraire, pénétrer plus avant dans la question; si vous voulez prendre sur vous la mesure elle-même, régler vous-mêmes les conditions de la captivité de madame la duchesse de Berry (Voix diverses. Non! non!), c'est votre droit. Nous ne viendrons pas le contester; nous réglerons notre conduite sur ce désir. Nous aftendons la part de responsabilité que vous voudrez bien nous faire; nous l'acceptons d'avance. »

Le premier orateur qui succéda au ministre, M. de Ludre, dit qu'il fallait que le parti carliste fût bien encouragé par l'indulgence dont la révolution de juillet avait usé à son égard, puisqu'il osait invoquer en sa faveur le principe de la souveraineté nationale. N'était-ce pas une chose prodigieuse que ce parti présentant son prétendant comme roi de France et de Navarre, et réclamant l'impunité pour une princesse de Naples? M. de Ludre termina en votant pour le renvoi de la pétition au garde-des-sceaux avec cette clause: Pour faire exécuter les lois du royaume.

Plusieurs orateurs développèrent et soutinrent les mêmes conclusions. M. de Briqueville rappela d'abord un discours dans lequel M. Guizot, déclarant que la révolution de juillet avait été faite pour abolir tout pouvoir extra-constitutionnel, pour enfermer désormais le gouvernement dans le cercle de la constitutionnalité et de la légalité, s'indignait contre la prétention d'un pouvoir extérieur et supérieur à la Charte, s'arrogeant le droit de faire des lois, de placer et de déplacer des personnes, de discuter des jugemens, de rendre des arrêts.

«Eh bien! ajoutait l'orateur, ces paroles datent du 29 décembre 1830; elles ont été dites par M. Guizot à l'occasion du procès des ministres. Il les prononça pour flétrir et dénoncer ce qu'il appelait le parti anarchique, la mauvaise queue de la révolution. D'où vient qu'aujourd'hui ces paroles tombent de tout leur poids sur ceux qui s'intitulaient exclusivement les amis de l'ordre et de la légalité, sur les collègues de l'orateur, sur les œuvres de son système?

<< Voilà comment le programme du 13 mars se dément aussi chaque jour. Et pour attaquer et convaincre les actes du ministère, il suffirait de citer ses discours antérieurs.

« C'est ainsi que l'état de siége a été déclaré contraire aux lois par les paroles du maréchal Soult, et celles plus graves encore de M. Casimir Pċrier. C'est ainsi que M. Barthe a flétri du nom de torture, de peine immorale et digne de la Convention, l'envoi des garnisaires chez les parens des réfractaires, et que six mois après il adoptait cette mesure comme membre du conseil. C'est ainsi que M. le président actuel disait, le 23 décembre dernier, à propos du désarmement de la Vendée : « Pour faire un désarmement d'autorité envers tous, il aurait fallu plus qu'un acte du gouvernement, il aurait fallu une loi. On ne l'a pas demandée, le gouvernement n'a donc pas pu ordonner de lui-même cette mesure. »

<< Depuis, M. le maréchal l'a ordonnée sans loi et de lui-même, e sempre bene. »

Laissant de côté les mesures prises en Vendée, l'orateur

trouvait de nouvelles preuves de cet esprit contradictoire dans l'objet spécial de la délibération. Lorsqu'il avait présenté sa proposition relative au bannissement de la branche aînée des Bourbons, les ministres, les rapporteurs des commissions, avaient tous été unanimes pour déclarer le Code pénal applicable aux membres de la famille déchue qui tenteraient la guerre civile. Aujourd'hui les membres de ce même conseil, dont M. Périer était le chef, renforcés de MM. Guizot et de Broglie, mettaient autant d'empressement et d'ardeur à sortir du droit commun qu'ils en mettaient alors à vouloir y rester. Maintenant on pouvait juger, à quelque opinion qu'on appartînt, qui, dans la discussion de cette proposition, était le plus sage, le plus prévoyant, le plus humain, du système indulgent du ministère, ou du système de pénalité qu'adoptait l'opposition. Le ministère avait fait preuve d'une inconcevable imprévoyance, et dans la rédaction qu'il avait voulu imposer à la loi, et dans la lenteur qu'il avait mise à la sanctionner après son adoption par la Chambre. Il résultait clairement des aveux officiels du Moniteur, qu'au moment des dernières délibérations, et pendant les deux mois que la sanction s'était fait attendre, le ministère avait une connaissance positive des projets aventureux qui se tramaient en Italie, et qui d'abord échouérent à Marseille. Là, un autre fait bien plus grave engageait la responsabilité ministérielle : sur le faux avis de l'arrestation de la princesse, le télégraphe donnait l'ordre de la reconduire à Holy-Rood. De quel nom fallait il appeler cet acte, et comment douter que l'impunité qu'il promettait à madame de Berry n'ait dû l'enhardir à traverser en sécurité et presque publiquement la moitié de la France, pour venir se jeter dans les châteaux de ses partisans et au milieu des bandes dévouées de la Vendée? Les précautions de sûreté contre les éventualités d'une guerre civile exigeaient une pénalité : les Bourbons pouvaient-ils se plaindre de l'adoption de ce principe, eux qui l'avaient reconnu, appliqué; eux, qui avaient pros

crit Napoléon, mis sa tête à prix, au moment où il débarqua de l'île d'Elbe; et plus tard, livré à une commission militaire, fusillé Joachim Murat?

Non, ce n'est point une comédie que l'on veut faire jouer à la France, disait M. Cabet, en demandant l'exécution des lois. Il s'agit de la Charte, il s'agit de savoir si elle sera une vérité ou une illusion. On parle du péril qu'il y aurait pour le gouvernement à soumettre la duchesse de Berry à la juridiction ordinaire : c'est faire tort au gouvernement que de le supposer assez mål affermi pour ne pouvoir subir une pa reille épreuve.

L'unique orateur que le parti légitimiste eût conservé dáns la Chambre élective, M. Berryer, vint au contraire appuyer l'ordre du jour proposé par la commission:

a Vous ne doutez pas, messieurs, dit-il, que je ne sois vivement préoc cupé de la pensée qui a inspiré la plupart des pétitions dont on vous a donné lecture. La captivité de madame la duchesse de Berry, la condition actuelle de sa captivité, cet état de choses en dehors de toute loi, de tous droits, en dehors de toutes les protections accoutumées qu'on accorde à quiconque voit et sait qu'on va disposer de son sort, cet isolement absolu dans un château fort, cette privation de toute communication avec qui pourrait être admis à l'honneur de délibérer avec elle, cette constitution de prison d'état au sein de la France, l'intérêt personnel qu'inspire la prisonnière, l'intérêt de la liberté, la conservation, le respect de la loi du pays: tout cela a appelé toute mon attention, éveillé toute ma sollicitude. Je me sentais pressé du besoin de demander que la chambre, écoutant la voix des pétitionnaires, s'adressât au ministère et demandát au gouvernement de faire cesser un état de choses intolérable.

« Mais des considérations, qui ne sont pas moins grandes que l'intérêt d'une personne en quelque haut rang qu'elle soit placée, je veux dire le maintien de la loi dans la matière spéciale de l'emprisonnement provisoire et de la détention, me font sentir la nécessité d'adopter l'avis de la commission, de faire reconnaître par la chambre qu'il ne peut pas y avoir, qu'il ne doit pas y avoir délibération, que le renvoi serait sans objet, et qu'il n'est pas possible de statuer. Ma conviction a été à tel point fortifiée par le discours de M. le ministre des affaires étrangères, que, s'il m'était possible, je demanderais la question préalable. »

Ici l'orateur réclamait la permission de répondre aux observations soumises à la Chambre, en s'appuyant sur les faits présentés et caractérisés, disait-il, avec tant de vérité par M. de Broglie.

Ces faits, dans lesquels M. Berryer, s'armant des aveux

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