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Chambre des pairs. Les amendemens introduits par cette Chambre n'avaient donc rien qui dût empêcher la loi d'être admise..

22 et 23 avril. M. Gaëtan de la Rochefoucauld rouvrit la discussion à peu près comme il l'avait entamée, par des considérations sur la journée du 14 juillet, et sur la manière dont son illustre père, M. le comte de la RochefoucauldLiancourt, l'avait caractérisée. Il tenait à prouver la conformité de ses opinions avec celles que son père avait professées toute sa vie. ́A cet égard, il s'appuya sur des manuscrits restés en sa possession: il ajouta une longue série de faits à ceux qu'il avait déjà cités, et termina ainsi :

« Vous avez donc à examiner si, lorsque l'Assemblée nationale en 1790, un an après l'événement, a jugé ne devoir accorder des pensions qu'à 221 personnes, et que ces pensions ont été inscrites sur le grand-livre et délivrées aux ayans-droit comme récompenses nationales complètes et définitives; vous examinerez, dis-je, si vous devez y ajouter des pensions à ceux que le général Hullin vous a désignés comme faussaires, et que l'assemblée nationale a déclarés tels.

«Je dois même vous rappeler que l'art. 5 de la loi du 4 juin 1791 porte qu'il ne sera plus accédé à aucune demande, et qu'il était même défendu de présenter à l'avenir aucune pétition à ce sujet. Il y a eu ainsi forclusion impérativement ordonnée par la loi ; lorsque vous refusez d'admettre les plus justes réclamations des créanciers de l'état, parce que des lois iniques ont prononcé des déchéances à raison du retard de quelques années, c'est après 43 ans que vous accorderiez des munificences qui ne sont pas dues, et que la loi a proscrites formellement !

« Et en effet, messieurs, depuis lors ni l'Assemblée constituante, ni l'Assemblée législative, ni même la Convention nationale; et ensuite aucune des assemblées ni aucun des gouvernemens qui se sont succédé n'ont eu la pensée d'accorder de nouvelles récompenses aux vainqueurs de la Bastille. >>

Ce fut encore M. de Lafayette qui répondit le premier à l'orateur, adversaire déclaré du projet de loi et d'une des plus célèbres journées de notre histoire.

« Messieurs, dit le général, le grand secret échappé dans une autre Chambre vient d'être reproduit à cette tribune: on veut proscrire la révolution du 14 juillet, et surtout le régiment qui, en ne consentant pas à chasser Assemblée constituante, fut un principal moteur de cette révolution. J'aime mieux que nous soyons sur ce terrain, il est plus clair et plus net. >>

M. de Lafayette signala dans le discours du préopinant plusieurs contradictions et plusieurs inexactitudes.

«Le fait est, disait-il, que le clergé et la noblesse, après avoir défendu dans la première assemblée des notables leurs priviléges contre le roi, et dans la seconde leurs priviléges contre le peuple, s'étaient emparés, avant le 14 juillet, de l'esprit de Louis XVI, qui lui-même avait des sentimens populaires, mais cédait à leur obsession. Je n'étais pas dans le tête-à-tête de M. de Liancourt; mais je sais que lorsque le roi se servit de l'expression : C'est une grande révolte, il répliqua : Non, sire, c'est une grande révolution. Je n'ai pas dit qu'il se fût servi du mot glorieuse ; mais pour l'autre expression, je la tiens de lui-même, et il en a toujours accepté les complimens. Le roi comprit si bien que cette journée du 14 juillet était une grande révolution, qu'il se hâta d'appeler ses nouveaux ministres, qui lui conseillèrent d'aller sur-le-champ à l'Assemblée nationale; il y alla, tant il croyait le danger imminent, et lut le petit discours concerté avec eux. « Le danger était grand, parce que les Gardes-Françaises avaient donné aux troupes l'exemple de ne pas renverser la représentation nationale. Je m'étonne d'entendre dire qu'il faut bien prendre garde d'encourager un pareil sentiment. Ce sentiment était tout simplement de ne pas vouloir coopérer à la destruction de l'assemblée vraiment représentative de la France, à l'arrestation de ceux qu'on appelait les chefs de la révolté, et à leur supplice par jugement prévôtal. Et en vérité, messieurs, si l'on voulait vous en faire autant, vous ne croiriez pas, je pense, qu'un régiment fùt obligé d'obéir, (Sensation.) »

Après quelques développemens, tendant au même but, l'orateur s'indignait qu'on voulût peindre les Gardes Françaises comme des assassins, comme des hommes qui auraient eu le malheur d'assurer la première révolution.

« Oui, messieurs, ajoutait-il, nous sommes beaucoup qui avons eu ce prétendu malheur, que nous avons regardé comme un bonheur pour nous, nous sommes quelques uns qui avons survécu. qui avons eu aussi le bonheur de contribuer à la seconde révolution de juillet, et qui défendrons envers et contre tous cette révolution, ses promesses, ses engagemens contractés, auxquels nous avons attaché notre honneur. « Je demande l'adoption de la loi. »

Le ministre de l'intérieur retraça de point en point l'historique du projet de loi pour répondre à M. de la Rochefoucauld, qui avait adjuré le ministère d'abandonner une loi contraire à ses principes, de ne pas réveiller de funestes souvenirs, de ne pas mettre en honneur la sédition et le

meurtre.

«On vous a parlé, disait le ministre, de crimes, de meurtres, d'actes odieux qui auraient accompagné la prise de la Bastille. Ces renseignemens sont-ils exacts? ne sont-ils pas le fruit de l'erreur ou de la prévention? n'ontils pas été singulièrement exagérés par l'esprit de parti? D'ailleurs pourquoi généraliser? Comment les fautes de quelques uns rejailliraient-elles sur les autres et atteindraient-elles la masse des citoyens qui ont concouru à la prise de la Bastille? Non certes, ce ne sont pas des crimes qu'il s'agit de récompenser ou d'honorer, mais un grand événement qui ne saurait perdre ce caractère par la faute de quelques individus ? »

En résumé, le principe de la loi ayant été admis par les deux Chambres, il ne restait plus à discuter que les amendemens de la Chambre des pairs, et le ministre se prononçait en faveur de leur adoption.

Le lendemain, la Chambre procédant à la discussion des articles, M. Gaëtan de la Rochefoucauld proposa au second paragraphe de l'article 1° un amendement restrictif concernant les pièces justificatives. M. Gaëtan de la Rochefoucauld ne se réservait pas moins de voter le rejet de la loi. Son amendement fut successivement combattu par MM. Fulchiron, d'Argout et Paixhans. Le ministre de l'intérieur dit entre autres choses :

« A l'égard des simples citoyens, l'amendement de M. de La Rochefoucauld n'est que la reproduction de celui qui a été adopté par la Chambre des pairs, avec une rédaction différente et beaucoup moins complète. Ainsi, par exemple, la Chambre des pairs a exigé des certificats d'identité pour avoir la certitude que les individus qui se présenteraient étaient les mêmes que ceux dont les noms se trouvaient inscrits sur les registres. Eh bien! M. de La Rochefoucauld n'admet pas cette mesure qui est une précaution sage et bonne que la Chambre doit admettre.

<< Maintenant, en ce qui touche les Gardes-Françaises, faut-il ou les admettre tous indistinctement par le seul fait qu'ils faisaient partie des Gardes-Françaises, ou seulement ceux d'entre eux qui se trouvaient avoir coopéré à la prise de la Bastille, ou faut-il les repousser tous indistinctement?

« Le but de l'amendement serait de les repousser tous, ce qui serait une injustice. On ne doit pas les admettre seulement parce qu'ils ont été Gardes-Françaises; mais s'ils ont pris part à la prise de la Bastille, il ne faut non plus les repousser parce qu'ils ont été Gardes-Françaises. On semble croire que le gouvernement les a admis indistinctement, c'est une erreur fondamentale. Je tiens une circulaire de l'illustre maréchal Jourdan, qui présidait la commission, et qui porte « Qu'il ne suffisait pas d'avoir été » Garde-Française, mais qu'il fallait encore avoir concouru à la prise de la >> Bastille. »

«M. de La Rochefoucauld, par l'amendement qu'il propose, met dans Pimpossibilité tout Garde-Française qui aurait participé à la prise de la. Bastille, d'être admis. Je pense donc que cet amendement doit être repoussé par la Chambre. »

Quand le président annonça qu'il allait mettre l'amendement aux voix, M. Mérilhou demanda la question préalable, par le motif que la proposition tendait à détruire la loi telle que la Chambre des pairs l'avait votée. La question préalable ayant été accueillie, la Chambre s'occupa des autres ar

ticles, qui passèrent sans objection, et la loi fut ainsi définitivement adoptée.

A la suite d'une discussion qui se rattache à la révolu tion de 89, et dont on n'a pu voir sans un vif intérêt les auteurs et les témoins, ou leurs successeurs immédiats, venir en expliquer les grandes scènes à la tribune, se place naturellement l'examen de trois projets se rapportant à la révolution de 1830. Le premier, présenté le 29 décembre 1832 à la Chambre des députés, tendait à assurer et à régulariser le service des pensions votées en faveur des victimes de juillet. Dans son rapport (24 janvier), M. Bellaigue exposa que les secours accordés aux orphelins, enfans adoptifs de la France, n'avaient pu être fixés dans leur quotité, puisqu'ils s'appliquaient à des besoins que l'âge devait modifier; de là les dispositions de la loi du 13 décembre 1830, et les mesures prises par la commission des récompenses nationales, investie des pouvoirs les plus étendus relativement aux intérêts des orphelins.

«Cette commission, disait le rapporteur, ayant reconnu d'une part, l'impossibilité d'adopter un mode uniforme d'éducation pour tous les enfans, et, d'autre part, l'inconvénient de créer des établissemens spéciaux fort dispendieux, dont la durée devait être très-bornée, a pensé qu'il était préférable de laisser aux tuteurs naturels et légaux des enfans, mais toutefois sous la surveillance du gouvernement, le choix des établissemens publics et privés où les enfans recevraient leur éducation, et de créer pour les frais de cette éducation une pension annuelle de 700 fr. pour chaque orphelin qui aurait dépassé l'âge de sept ans.

« Une ordonnance royale du 25 août 1831, en conformité de cet avis de la commission, a prescrit l'inscription au Trésor public de ces pensions de 700 francs, imputables au crédit de 460,000, ouvert par la loiĝdu 13 décembre 1830.

« Ce crédit, qui ne s'appliquait pas seulement aux orphelins, mais aux blessés, aux veuves et aux ascendans des victimes de juillet, a été reconnu insuffisant, et porté par la loi du 24 novembre 1831 à 660,000 fr. Mais jusqu'à ce qu'il eût été fait droit à toutes les réclamations, on ne pouvait établir que des évaluations, et la somme nécessaire au service des pensions des orphelins ne pouvait être définitivement fixée qu'après la reconnaissance de tous les droits.

"

Aujourd'hui qu'ils sont réglés, que les commissions ont achevé leurs travaux, on reconnait encore que les secours dus aux blessés, aux veuves et aux ascendans, ainsi qu'aux orphelins, dépassent les prévisions qui ont servi de base aux deux crédits de 1830 et 1831.

« 133 orphelins de Paris doivent successivement, dans le cours de 1833 à 1838, parvenir à l'âge de sept ans, passé lequel ils ont droit à la pension de 700 fr.

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« 15, pour les départemens, auront droit à des pensions de 500 fr. • En ne calculant que l'excédant des nouvelles pensions sur les anciennes, on trouve que le montant total, à réinscrire, serait de 63,600 fr. «Mais sur ce crédit de 660,000 fr., accordé par les lois des 13 décembre 1830 et 24 novembre 1831, il reste à employer 9,150 fr., qui réduisent la somme à demander à 54,450 fr.

« C'est cette somme, messieurs, et non celle de 56,000 fr. énoncée dans le projet de loi, que votre commission vous propose d'accorder en crédit nouveau pour le service des pensions. »

La Chambre adopta sans discussion le projet ainsi amendé par la commission (25 janvier).

Le second projet, relatif aux secours ou indemnités une fois payées aux blessés et aux familles des victimes de juillet, n'avait point pour but d'ouvrir un nouveau crédit ou de créer une nouvelle dépense, mais seulement d'annuler une portion de crédit affectée à l'exercice 1831, pour la reporter à l'exercice 1832. En effet, l'article 7 de la loi du 13 décembre 1830 avait ouvert au ministre de l'intérieur un crédit de 2,400,000 francs : la loi de finances du 16 octobre 1831 réduisit cette allocation à 1,500,000. francs, et le montant des secours devait être déterminé par la commission des récompenses nationales. Le travail de cette commission ne fut terminé que le 31 octobre 1831, et il devint impossible d'opérer avant 1832 la liquidation des secours et des indemnités. Cet ordre de choses étant en opposition avec les règles de la comptabilité, qui ne permettent pas d'imputer sur le crédit d'une année des dépenses qui s'appliquent au crédit d'une autre, le projet tendait à légaliser cette dérogation aux principes. Le rapporteur de la commission, M. Dumeilet, en proposa l'adoption (30 janvier), qui fut prononcée par la Chambre (9 février).

Enfin, le troisième projet s'appliquait à l'ouverture d'un crédit supplémentaire de 2,200,000 francs, destiné à indemniser les personnes dont les propriétés avaient souffert par suite des événemens de juillet. La loi du 30 août 1830 avait posé le principe du crédit, et décidé qu'une commission, nommée par le roi, se livrerait aux recherches nécessaires pour reconnaître les ayant-droit. Cette commission.

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