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avait présenté un tableau des liquidations opérées par elle, et s'élevant en masse à une somme de 4,028,893 francs 53 centimes. Déjà un premier crédit de 2 millions avait été accordé par la loi de finances du 16 octobre 1831: il ne restait donc à allouer qu'un crédit supplémentaire égal au reste de la somme totale; mais le gouvernement le portait à 2,200,000 francs, dans la prévoyance qu'une somme de 170,000 francs environ lui serait nécessaire pour satisfaire à quelques réclamations qui n'avaient pu être encore liquidées, parce que la commission des indemnités n'avait pas cru pouvoir les apprécier, sans dépasser les limites de sa compétence.

La commission nommée par la Chambre des députés pour l'examen du projet de loi, et dont le rapporteur était M. Tixier Lachassaigne, ne voulant pas soumettre à un examen particulier chacun des actes de cette immense liquidation, se borna à en vérifier quelques uns pris au hasard, et cette vérification suffit pour la convaincre du mérite de tout le travail, qu'elle proposait à une approbation définitive.

Cependant un dissentiment assez grave s'était élevé dans son sein, concernant deux classes particulières d'indemnitaires : la première se composant des personnes attachées au service de l'ancienne liste civile, la seconde des citoyens ayant fait partie de la gendarmerie de Paris. Quelques membres de la commission, et c'était encore la minorité, pensaient que ces deux classes de personnes ne pouvaient prétendre au bénéfice de la loi du 30 août. Quelle qu'ait été, disaient-ils, la générosité de la révolution de juillet, on ne saurait admettre qu'elle ait voulu accorder des indemnités à ses adversaires et traiter ses ennemis comme ses amis. Or, les personnes dont il s'agit étaient, au moment de la révo lution, dans une position hostile envers elle. La commission de liquidation avait été tellement frappée de ces argumens, qu'elle montra d'abord quelque hésitation à accueillir les réclamations de ces deux classes d'indemnitaires, et ne

s'occupa de leurs demandes qu'après avoir consulté M. Casimir Périer, alors le président du conseil, dont l'avis fut qu'on ne devait pas établir de catégories contrairement au texte de la loi. Telle fut aussi l'opinion de la majorité de la commission de la Chambre.

Sur la question de savoir si l'indemnité s'étendait aux habitans des départemens se trouvant dans la même situation que ceux de la capitale, la commission pensa également que la loi ne distinguait pas, et que par conséquent nulle exclusion n'était possible.

Enfin sur la réclamation particulière du général Dubourg s'élevant à une somme de 42,000 francs pour dépenses faites dans les journées de juillet, en achat d'armes ou de chevaux, en distribution de vivres ou d'argent, la commission de la Chambre ne crut pas pouvoir accueillir le vœu émis par la commission de liquidation, et tendant à ce que la réclamation fût admise, d'après le motif que, suivant la forme donnée à son expression, ce vœu semblait déterminé par la considération de services rendus plutôt que par l'exacte appréciation d'un dommage.

18 et 19 février. Le débat qui s'ouvrit dans la Chambre des députés roula principalement sur les deux classes d'indemnitaires ci-dessus désignées. L'orateur qui parla le premier, M. Coulmann, proposa une réduction de 98,492 fr. applicable aux personnes attachées au service des Tuileries, rétribuées par l'ancienne liste civile, et une réduction de 416,248 francs 45 centimes, applicable aux citoyens ayant fait partie de l'ancienne gendarmerie de la ville de Paris, ensemble 514,740 francs 45 centimes. Cette double réduction fut appuyée par M. Salverte: .

« Le projet de loi soumis à votre discussion, dit-il, présente une singularité bien remarquable; c'est, je crois, la première fois dans l'histoire que l'on a proposé à la représentation nationale d'un pays d'indemniser des hommes qui avaient tiré, levé le sabre sur les citoyens ; qui l'ont fait sciemment, pour le renversement des lois du pays, de la liberté.

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Qu'on ne dise pas que les gendarmes ont été conduits par une obéissance militaire aveugle, qu'ils n'avaient pas assez discerné dans cette

question pour prendre un parti. Jusqu'au dernier, au plus ignorant des prolétaires, tout le monde a bien compris la portée des ordonnances, quel but on se proposait en les rendant; tout le monde a bien vu qu'il ne s'agissait pas moins que de la liberté nationale, et de supporter le joug de la restauration mille fois plus pesant encore qu'il ne l'avait été.

« Dans cette position, croyez-vous que les hommes qui ont commencé l'attaque, qui ont montré le plus d'acharnement contre les citoyens, car ils ont cette gloire-là sur les autres armes, ont agi sans discernement? C'est impossible à croire. Je vous le demande, que serait-il arrivé, si la fortune avait trahi la justice, si le peuple avait succombé? Sans doute on aurait indemnisé, aux dépens du peuple, ct les gendarmes, et tous ceux qui, pour la cause royale, auraient souffert quelques dommages. Pardonnez-moi ce souvenir; mais la proposition se réduit à ce mot piquant de Paul-Louis Courrier: « Grâce au gouvernement représentatif, vainqueur ou vaincu, le peuple français paie toujours. >>

l'inter

On vous a invités à vous pénétrer de l'esprit de la loi; sans doute il doit former notre règle. Quel est-il? Voudriez-vous, pour préter, vous reporter au 1er août, interroger les vainqueurs? Croyez-vous qu'ils auraient sérieusement entendu une parcille proposition? Je dis sérieu sement, car ils ne se seraient pas indignés, ils auraient fait justice par le mépris d'une semblable demande; ils auraient dit : «Vous invoquez notre générosité: notre générosité! ne la prouvons-nous pas assez, quand les hommes qui ont montré tant de rage contre nous, du moment que le combat a cessé peuvent se retirer, et que la colère nationale ne retombe que sur les premiers magistrats, les premières autorités, les ministres signataires des ordonnances, et que tout le reste est confondu dans la grande amnistie de la clémence nationale? Est-il juste encore de venir nous demander un sacrifice?» Nous qui avons coopéré à cette loi le 30 août, je ne crains pas de le déclarer, notre intention était de donner une indemnité à ceux qui avaient souffert pour la cause nationale et non à ceux qui avaient souffert pour la cause royale. Ce n'est pas actuellement qu'on doit essayer de tordre les expressions: restons dans le vrai. Il n'est pas venu dans l'esprit des auteurs de la loi de faire une telle application de l'indemnité qu'ils votaient.

« Je dirai plus, il n'est pas sûr que les pertes qu'on allègue pour obtenir des indemnités aient été réellement souffertes. Je regrette de ne pas voir à sa place dans ce moment-ci mon honorable ami, M. le général Subervie. Il commandait la division militaire de Paris dans les grandes journées et dans celles qui les ont suivies; il m'a attesté, et il attesterait à la chambre, que la perte alléguée n'est pas réelle, que douze heures après la fin de tous les combats il n'y avait aucun dommage; que s'il en est survenu depuis, ils ne peuvent être imputés à la révolution de juillet.

& Mais, a dit votre commission, M. Casimir Périer a enhardi les ordonnateurs de cette dépense; il leur a dit qu'il ne fallait pas faire de catégo ries, distinguer d'opinions. Je n'examinerai pas le sentiment ministériel qui a dirigé M. Périer, ce n'est pas le lieu de le faire; mais je dirai que s'il avait, comme ministre ordonnateur, commandé cette dépense, il y aurait lieu à la responsabilité, parce que bien certainement, dans ce moment-là, il avait perdu de vue l'esprit de la loi.

« J'en dirai autant pour les employés de la liste civile. Eux, également, n'appartiennent pas à la 'cause nationale, eux aussi auraient été largement indemnisés aux dépens du peuple, si la cause vaincue avait été victorieuse; ils ne sont pas compris dans cette loi que nous avons votée pour nos concitoyens, et non pour nos ennemis ou pour les serviteurs de nos ennemis. «Je terminerai par une observation qui doit rendre circonspect quand vous ordonnez des dépenses, et à plus forte raison lorsque ces dépenses

peuvent porter le caractère de profusions généreuses sans motif: c'est votre situation financière.

«Il est aisé de voter des dépenses ; mais quand ces dépenses sont votées, il reste quelque chose, c'est de voter les recettes. Je désire qu'aucun de nous ne perde de vue la situation financière de la France, et qu'il considère, chaque fois qu'il ajoute un sou aux dépenses, les embarras de cette position. »

MM. Ganneron et Benjamin Delessert parlèrent dans le sens opposé, en argumentant de l'esprit qui avait présidé au vote de la loi et au travail de la commission chargée d'apprécier les dommages. Comme indice de la modération générale des réclamations, le dernier orateur en cita deux, celle d'une malheureuse femme, dont le grabat avait été fra→ cassé par un boulet près de la porte Saint-Antoine, et qui ne demandait que cinq francs, et celle d'une marchande de comestibles, établie le long des murs du Palais-Royal, qui ne demandait que quatre-vingts francs. M. Odilon Barrot se déclara contre les allocations sollicitées, et de ce qu'en droit l'indemnité n'était pas due, il conclut que si, par exception, elle était accordée, ce ne pouvait être qu'à ceux qui avaient souffert dans l'intérêt de la cause de la liberté. Le ministre de l'intérieur et le garde-des-sceaux intervinrent dans la discussion. Le ministre de l'intérieur reconnut, avec M. Odilon Barrot, que la loi était exceptionnelle, et que dans son exécution il y avait quatre catégories parfaitement distinctes į 1° celle des personnes qui avaient combattu dans les journées de juillet et pour la cause nationale; 2° celle des per sonnes qui, sans combattre, avaient aidé la cause nationale; 3° celle des personnes qui, à raison de leur âge, de leur position, de leur sexe, étaient restées neutres, et dont les propriétés avaient souffert; 4. enfin celle des personnes qui avaient combattu contre la cause nationale. La loi n'avait pas fait toutes ces distinctions; puis, chose unique et sans précédent peut-être, elle avait chargé une commission d'exécuter ses dispositions. Or, que pouvait faire le gouver nement, sinon remettre aux Chambres le travail de la commission et demander le crédit réclamé par elle?

Mais je dois faire connaître à la Chambre, ajoutait le ministre, une par- · ticularité dont il est essentiel qu'elle soit instruite, c'est qu'une loi de 1831 a ouvert, comme la Chambre se rappelle, un premier crédit pour liquider les paiemens de ces dommages. Au fur et à mesure de la liquidation de la commission, le gouvernement a fait acquitter les sommes liquidées. Il en est résulté que quelques employés de la liste civile ont été remboursés que quelques gendarmes.... ( Une voix. De préférence.) Les gendarmes ont reçu 8 ou 10,000 fr., ce sont les plus nécessiteux. Vous devez remar quer que vous ne pouvez pas faire de déduction de ce qui a été déjà payé il est impossible de le faire rentrer au Trésor. Quant au gouvernement, a payé régulièrement, puisqu'il a agi d'après le travail d'une commission instituée par la loi.

«Telles sont les explications que j'ai cru devoir donner à la chambre pour motiver la demande de l'allocation. C'est ensuite à elle à statuer dans sa sagesse ce qu'il appartiendra. Je me bornerai à recommander à son impartialité d'englober dans cette proposition toutes les classes d'individus.

Le garde-des-sceaux, arrivant de la Chambre des pairs, et prenant la discussion au point où elle se trouvait, se prononça d'une manière plus nette et plus tranchée.

« Je ne connais pas, dit-il, tous les détails de la question; mais il est un sentiment, une opinion qu'il est indispensable d'exprimer.

« La loi accorde une indemnité à ceux qui ont pu éprouver quelque dommage dans leur fortune pendant les journées de juillet; ces derniers peuvent être ainsi divisés : ceux qui combattaient pour la cause nationale; ceux qui, sans prendre part au combat, ont pu cependant éprouver quelque dommage; ceux enfin qui ont combattu contre nous. Pour ces der niers, il est évident qu'il est impossible d'admettre aucune indemnité (Très-bien, très-bien), ce serait désavouer la révolution elle-même. (Marques nombreuses d'approbation mêlées d'étonnement sur quelques bancs des extrémités.) »

La Chambre passa presque immédiatement au vote des articles. M. de Schonen demanda la division de l'amendement de M. Coulmann, entre les 416,000 fr. réclamés par les gendarmes et les 98,492 fr. demandés par les employés de la liste civile, en observant que sur cette dernière somme il avait déjà été payé 90,392 francs. La réduction relative aux gendarmes fut adoptée à une forte majorité : celle de la la somme de 8,100 fr. restant à payer aux employés de la liste civile, et réclamée par l'ancien gouverneur du Louvre, M. d'Autichamp, mort depuis 1830, fut également prononcée.

Dans la séance du lendemain, la Chambre rejeta un amendement de M. Gaëtan de la Rochefoucauld tendant à retrancher la somme de 1,134,374 fr. 34 cent., allouée pour la réparation des bâtimens de la ville de Paris. Le

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