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effet, je me hâte de le dire, à des actes de cette nature que la loi française applique à peu près exclusivement la peine du bannissement; c'est aux crimes appelés d'ordinaire crimes politiques, et crimes politiques d'un ordre trèssecondaire, que la peine du bannissement est à peu près bornée par nos lois. Sous ce rapport, les considérations précédentes perdent infiniment de leur force. Dans la plupart des cas, l'éloignement du coupable suffit pour rendre impossible, non-seulement dans le pays dont il est banni, mais encore dans le pays où il va séjourner, le renouvellement des crimes qui ont entraîné la condamnation. Vous en trouverez des exemples dans les art. 84, 85, 102, 110, 115, 124, et cinq ou six autres du Code pénal.

84. Je ferai seulement remarquer que le Code pénal de 1832 a modifié à cet égard la législation antérieure, et substitué dans trois articles du Code de 1810 la peine de la détention à celle du bannissement; je veux parler des art. 78, 81, § 2, et 82 du Code pénal. En général, les crimes compris dans ces trois articles, et que le Code de 1810 frappait du baunissement, n'étaient pas des crimes politiques purement intérieurs, mais c'étaient des actes de connivence, d'intelligence plus ou moins coupables avec des puissances étrangères ou ennemies du pays. On a senti que frapper de pareils actes de la simple peine du bannissement, c'était une mesure absolument illusoire; que se contenter de bannir celui qui a livré à une puissance étrangère certains actes, certains plans, certains secrets importants à la sûreté de son pays, ce n'était pas le punir, mais l'envoyer recevoir en pleiné sécurité le prix de sa trahison. Dès lors, on a substitué, et avec grande raison, la peine grave et efficace de la détention à la peine du bannissement, absolument illusoire dans de telles hypothèses.

85. Les premières considérations pour ou contre le bannissement étant éclaircies selon la nature des faits auxquels il s'agira de l'appliquer, il est juste de remarquer que cette peine n'est pas à l'abri de certains reproches de détail : elle a le grand défaut d'être peu appréciable, fort inégale, et par là même assez peu exemplaire. Dans certaines positions, le bannissement est une peine fort dure pour celui qu'elle atteint, pour celui dont elle rompt tous les liens avec son pays, sa famille, ses parents, ses amis; et dans d'autres positions le bannissement est une peine à peu près illusoire, si par ses relations avec l'étranger, par son état, sa fortune, le banni peut se créer un nouvel état, une nouvelle fortune. Ce sont là des inconvénients qui doivent faire que cette peine ne soit employée que dans des cas assez rares, plutôt pour enlever à celui qu'elle atteint la faculté de renouveler l'acte qui en est la cause, que pour le punir véritablement, car le châtiment résultant du bannissement est d'un effet problématique et subordonné à la position de l'individu qu'il atteint.

86. J'ai dit que de la nature même du bannissement, qui ne concentre pas le banni dans un lieu déterminé, qui lui permet de séjourner à quelques lieues, à la porte même de la France, résultaient pour celui-ci des facilités de retour contre lesquelles on avait cru devoir se prémunir. Ainsi s'explique le texte de l'art. 33, relatif au banni qui rompt son ban, au banni qui rentre en France

avant l'expiration de sa peine; la loi le frappe alors de la peine de la détention; mais cette détention prend dans cet article un caractère qui mérite quelque attention.

Nous avons dit que la détention proprement dite, annoncée par l'art. 7 et expliquée par l'art. 20, avait un minimum de cinq ans et un maximum de vingt ans. Il est clair que cette règle du minimum et du maximum de la détention proprement dite est inapplicable à notre art. 33; dans ce cas, la détention a pour maximum, le double de la durée du bannissement qui restait à courir, c'est-àdire que très rarement elle aura vingt ans pour maximum ; il faudrait supposer pour cela que le bannissement eût été prononcé pour dix ans, et que le banni fût rentré en France le jour même où il en était sorti. Ainsi le maximum de la détention spéciale, dont parle l'art. 33, variera dans des limites fort nombreuses selon le temps qui restait encore à courir pour le bannissement. A l'inverse, on pourrait dire que la détention de l'art. 33 n'a pas de minimum, n'a pas au moins de minimum fixe et général; ce minimum, c'est le temps qui restait à courir pour l'expiration de la peine, c'est-à-dire qu'il pourrait être d'un ou deux jours si c'était à la veille, à l'expiration de sa peine que le banni fût rentré en France. Ainsi, sous ce rapport, la détention dont parle l'art. 33, relativement à sa durée, diffère essentiellement de la détention ordinaire. Du reste, elle s'exécutera de la même manière, c'est-à-dire qu'elle consistera à renfermer le banni dans une des forteresses déterminées, conformément aux règles de l'art. 20.

87. L'exécution de cette peine est très-simple; mais il faut appeler votre attention sur ces mots de l'art. 33: il sera, sur la seule preuve de son identité... Il faut d'abord rapprocher ces mots des art. 518 et 519 du Code d'instruction criminelle relatifs aux formalités à suivre pour les constatations, pour les reconnaissances d'identité. L'art. 518 dit : « La reconnaissance de l'identité d'un condamné, évadé et repris, sera faite par la cour qui aura prononcé sa condamnation. Il en sera de même (et c'est ce second paragraphe qui s'applique à notre article), il en sera de même de l'identité d'un individu condamné à la déportation ou au bannissement qui aura enfreint son ban et sera repris; et la cour, en prononçant l'identité, lui appliquera de plus la peine attachée par la loi à son infraction. » Et l'art. 519 ajoute: « Tous ces jugements seront rendus sans assistance de jurés (cependant, vous le voyez, il s'agit d'une condamnation criminelle, d'une condamnation à une peine afflictive ou infamante), après que la cour aura entendu les témoins appelés tant à la requête du procureur général qu'à celle de l'individu repris, si ce dernier en a fait citer. — L'audience sera publique, et l'individu repris sera présent, à peine de nullité. »

De ces deux articles combinés avec l'art. 33, nous avons à tirer plusieurs conséquences.

D'abord, c'est que la peine prononcée par l'art. 33 contre le banni qui a rompu son ban, ne peut jamais être prononcée par contumace. Cette condamnation a cela de spécial, qu'elle ne peut être prononcée que contradictoirement cela résulte clairement des derniers mots de l'art. 519.

Un autre point beaucoup plus important, et malheureusement bien moins facile à justifier, est la disposition de l'art. 519, déclarant que les jugements

dont il parle, et notamment celui de l'art. 33, seront rendus par la cour d'assises sans assistance de jurés. C'est ici une exception on ne peut plus notable à ce principe général qui assure à toutes les condamnations criminelles la garantie du jugement par jurés.

Quel peut être le motif d'une exception si saillante? pourquoi, dans le cas qui nous occupe, et encore plus dans le cas de la déportation, art. 18, § 2, pourquoi le banni et le déporté qui auront rompu leur ban pourront-ils, sur la seule preuve de leur identité, déclarée sans assistance de jurés, être condamnés, le banni à la détention, le déporté aux travaux forcés à perpétuité? C'est, ont dit quelques auteurs, qu'il n'y a aucun motif pour assurer dans ce cas les garanties ordinaires, qu'il n'y a aucun motif pour exiger dans cette hypothèse, dans une procédure si simple, l'intervention du jury. La cour d'assises qui a prononcé la première condamnation est donc la seule compétente pour connaître de cette contravention, ce n'est là que l'application de l'article, elle doit prononcer sans l'assistance de jurés, car ici il n'y a pas de faits à apprécier, il n'y a pas d'intention à débattre. Quelle serait la mission des jurés ? Tout le procès se résume dans la connaissance du fait matériel. Mais si l'art. 519 refuse en pareil cas à l'accusé le bénéfice de la procédure par jury, c'est, dit-on, parce qu'il n'y a dans l'espèce qu'un fait matériel à apprécier, qu'un fait dénué de tout calcul d'intention, de toute appréciation de moralité.

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J'avoue que ces raisons me paraissent de la dernière faiblesse de ce qu'il n'y a, dit-on, qu'un fait matériel à juger, est-ce là une conséquence, est-ce là une raison pour exclure la procédure par jurés? Mais les faits matériels sont avant tout des faits qui rentrent dans la compétence, dans la nature des questions sur lesquelles les jurés sont appelés à statuer. Dans le partage, dans la division actuelle de la solution des questions criminelles, nous verrons plus tard que la loi attribue aux jurés, et seulement à eux, la solution des questions de fait, à la cour d'assises seule la solution des questions de droit. Or, si les jurés sont avant tout essentiellement les juges du fait, c'est expliquer d'une façon très-singulière la décision de l'art. 519, que de dire qu'on exclut les jurés parce qu'il n'y a là qu'une question de fait. C'est précisément parce que la question est de fait, qu'il me paraît important de les admettre.

Dira-t-on que les jurés se renouvelant, et se renouvelant par le sort, ceux qu'on appellerait pour constater l'identité ne seraient plus les mêmes que ceux qui avaient assisté à la première procédure et prononcé le premier verdict? Je le comprends; mais qu'on remarque bien que la cour d'assises appelée à constater l'identité, aux termes de l'art. 518, n'est plus que nominalement la même cour d'assises qui a déjà jugé; qu'on remarque bien que le roulement, le renouvellement périodique qui forme les cours d'assises n'appellera jamais à constater l'identité des juges devant lesquels le prévenu a comparu et a été condamné une première fois; que quand par hasard un ou plusieurs de ces juges se trouveraient appelés dans la même cour d'assises, il est clair qu'après trois, quatre ou cinq ans, leurs souvenirs personnels ne seront que des guides absolument insignifiants pour constater l'identité d'un prévenu dont les traits se seront depuis longtemps effacés de leur mémoire.

Mais, à part toutes ces considérations, il y en a une plus importante: les art. 518 et 519 excluent, dit-on, dans l'espèce, l'intervention du jury, parce

qu'il ne s'agit que d'un fait matériel, de l'identité de l'individu traduit devant la cour, parce qu'il n'y a ni intention, ni volonté, ni moralité à constater. Cette assertion est absolument fausse, et si ce motif a dicté l'art. 518, tant pis pour ses rédacteurs.

Conçoit-on, en effet, une procédure criminelle pouvant entraîner la peine de la détention ou des travaux forcés à perpétuité; conçoit-on, dis-je, une pareille procédure, dégagée de toute question d'intention et de moralité? conçoit-on que, dans ce cas, ou dans aucun autre, un juge puisse et doive appliquer une condamnation sans avoir à examiner s'il y a eu volonté, intention, pensée coupable de la part de celui qu'on condamne? Or, dans l'espèce, je suppose l'identité du banni bien constatée, je la suppose établie par les témoins et par l'aveu même du banni; s'ensuit-il qu'on doive, aux termes de l'art. 33, sur la seule preuve de son identité, sans se poser aucune question d'intention, de volonté, de moralité, s'ensuit-il qu'on doive prononcer contre lui l'énorme aggravation de peine prononcée par l'art. 33? Et si ce banni, arrêté avant l'expiration de sa peine, en deçà de nos frontières, allègue que c'est par un accident, que c'est par une tempête qu'il a été jeté sur les côtes françaises; s'il allègue que l'autorité, et nous en avons des exemples, que l'autorité étrangère l'a expulsé de sa frontière, l'a fait conduire sur le territoire français, est-ce qu'il n'y aura pas là, à part la question d'identité, une question d'intention morale, de liberté à examiner ? Cette dernière hypothèse n'est pas impossible, elle l'est si peu que, le 14 septembre 1816, une circulaire du ministre de la justice annonçait à tous les procureurs généraux que les pays voisins de la 'France se refusant à recevoir nos bannis, rejetant sur notre territoire les bannis qui essayaient de pénétrer chez eux, les condamnés au bannissement devaient rester provisoirement emprisonnés; l'hypothèse est donc possible.

Et à part ce cas, dans lequel le banni alléguera que, s'il a rompu son ban, c'est sous la contrainte d'une force majeure qui l'a rejeté sur nos frontières, hypothèse dans laquelle l'art. 33 sera évidemment inapplicable, n'y a-t-il pas une foule de circonstances, de nuances de moralité, qui devront être examinées, même à l'égard du banni qui très-sciemment et très-librement aura rompu son ban? Par exemple, croit-on que la question étant soumise à un jury, ce que défend l'art. 519, croit-on qu'un jury confondrait le banni qui sera rentré en France dans l'intention d'y commettre un crime, ou sans aucun motif d'y rentrer, et le banni qui y sera revenu parce que son père ou sa mère allait mourir et qu'il voulait lui fermer les yeux? Il est clair qu'en supposant dans de telles hypothèses le banni traduit devant un jury, en supposant qu'il y eût un jury qui, s'attachant à la lettre, pût le déclarer coupable, il n'y aura pas un jury, pas un juré qui n'ait grand soin d'ajouter : Oui, il est coupable d'avoir rompu son ban, mais avec des circonstances atténuantes, qui n'ajoutât cette déclaration, autorisée par l'art. 463 du Code pénal, et qui ne réduisît à un degré très-sensible la gravité de la peine que le fait matériel eût entraînée.

Qu'on n'essaye donc plus de justifier les art. 518 et 519, et de légitimer une exception inexplicable et contraire, je le répète, à tous les principes de notre droit criminel, en disant qu'il n'y a dans l'espèce qu'un fait matériel, sans intention, sans volonté, sans moralité à examiner. Qu'on reconnaisse fran

chement qu'il y a là, comme partout ailleurs, comme dans toute espèce de crime, une question de moralité susceptible de mille appréciations différentes, et que par conséquent il y avait là, comme partout ailleurs, un besoin, une nécessité de garantie que les art. 33 et 519 ont enlevée au banni sans pitié et sans raison.

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88. ART. 34. La dégradation civique consiste: 1o Dans la destitution et l'exclusion des condamnés de toutes fonctions, emplois ou offices publics; 2o Dans la privation du droit de vote, d'élection, d'éligibilité, et en général de tous les droits civiques et politiques, et du droit de porter aucune décoration; 3o Dans l'incapacité d'être juré, expert, d'être employé comme témoin dans les actes, et de déposer en justice autrement que pour y donner de simples renseignements; — 4o Dans l'incapacité de faire partie d'aucun conseil de famille et d'être tuteur, curateur, subrogé tuteur ou conseil judiciaire, si ce n'est de ses propres enfants, et sur l'avis conforme de la famille; - 5o Dans la privation

du droit de port d'armes, du droit de faire partie de la garde nationale, du droit de servir dans les armées françaises, de tenir école, ou d'enseigner et d'être employé dans aucun établissement d'instruction, à titre de professeur, maître ou surveillant. »

Dans l'art. 34, il est question de la seconde peine purement infamante, c'està-dire de la dégradation civique; nous pouvons aujourd'hui en dire quelques. mots.

Déjà nous avons traité de la dégradation civique, considérée comme peine accessoire, comme résultat des trois condamnations énumérées dans l'art. 28. L'art. 34 énumère les différents droits dont la privation constitue la dégradation civique, et il s'applique également à la dégradation prononcée comme peine principale dont nous n'avons pas encore parlé.

Nous avons dit, sur l'art. 28, que la dégradation civique était une peine indéfinie, qu'elle ne cessait que par la réhabilitation prononcée après les délais indiqués par l'art. 619 du Code d'instruction criminelle. Quant à la dégradation civique prononcée comme peine principale, nous n'avons pas indiqué sa durée; sa durée est également indéfinie, elle ne cesse que par la réhabilitation, et cette réhabilitation peut être demandée et obtenue cinq ans après que la dégradation civique est devenue irrévocable.

89. Remarquez d'ailleurs que la dégradation civique, considérée comme peine principale, résulte de l'arrêt même de la condamnation qui la prononce. Elle n'est plus subordonnée, comme elle l'était sous le Code pénal de 1791, à certaines solennités qui tendaient à la rendre publique. L'art. 31 du titre 1er du Code pénal de 1791 disposait ainsi : « Le coupable qui aura été condamné à la peine de la dégradation civique, sera conduit au milieu de la place publique où siége le tribunal criminel qui l'aura jugé. Le greffier du tribunal lui adressera ces mots à haute voix : VOTRE PAYS VOUS A TROUVÉ CONVAINCU D'UNE ACTION INFAME, LA LOI ET LE TRIBUNAL VOUS DÉGRADENT DE LA QUALITÉ DE CITOYEN FRANÇAIS. Le condamné sera ensuite mis au carcan au milieu de la place publique, il y restera pendant deux heures exposé aux regards du peuple. Sur n écriteau seront tracés, en gros caractères, ses noms, son domicile, sa profession, le crime qu'il a commis et le jugement rendu contre lui. >> Toutes ces solennités, dont la loi de 1791 entourait la dégradation civique, et qui ten

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