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juger le mérite des dispositions des trois paragraphes de l'art. 60, il faut avant tout connaître les résultats, les conséquences de la complicité. En d'autres termes, l'art. 59, qui vous indique la conséquence de toute complicité, et l'art. 60, qui définit la complicité, ne peuvent pas s'expliquer, se juger séparément l'un de l'autre. Pour savoir si la gravité des peines dont l'art. 59 frappe le complice est bien raisonnable, il faut savoir ce que c'est qu'un complice, et l'art. 60 nous le dit; et, d'autre part, pour savoir si l'art. 60 n'a pas été trop loin dans sa définition des complices, il ne faut point oublier la gravité de la peine dont le complice est puni par l'art. 59. Cette corrélation une fois établie, voyons d'abord la disposition, et déterminons le véritable sens de l'art. 59.

132. « ART. 59. Les complices d'un crime ou d'un délit seront punis de la même peine que les auteurs mêmes de ce crime ou de ce délit, sauf les cas où la loi en aurait disposé autrement. »>

Il est clair, d'après le texte de cet article, que, pour appliquer les pénalités qui en résultent implicitement, il faut qu'il y ait eu un crime, qu'il y ait eu un délit réellement commis. Ainsi, supposez une personne ayant accompli l'un des actes de complicité définis par l'art. 60, par exemple, ayant provoqué par dons, par promesses, par menaces, à l'accomplissement d'un crime; ce crime lui était promis, mais cependant il n'a pas été commis, pourra-t-on alors, attendu que les faits prévus par l'art. 60 se rencontrent, attendu qu'il y a eu des dons, des promesses, des menaces tendant à déterminer au crime, pourrat-on appliquer à l'auteur de ces dons, de ces promesses, de ces menaces, la peine qu'il eût encourue si le crime avait été commis? Non. La loi punit le complice d'une action, c'est-à-dire d'une action réellement accomplie; elle le punit de la même peine que l'auteur de cette action; elle suppose donc qu'il y a eu perpétration, exécution, accomplissement véritable. La preuve en résulte, d'ailleurs, encore plus clairement des derniers mots de l'art. 60; après ses définitions de la complicité, qui toutes supposent un crime ou un délit réellement accompli, cet article ajoute: «Sans préjudice des peines qui seront spécialement portées par le présent Code contre les auteurs de complots ou de provocations attentatoires à la sûreté intérieure ou extérieure de l'État, MÊME DANS LE CAS OU LE CRIME QUI ÉTAIT L'OBJET DES CONSPIRATEURS OU DES PROVOCATEURS N'AURA PAS ÉTÉ COMMIS. » Il résulte donc clairement de ces derniers mots, qu'en général, et sauf la nature du crime à laquelle ils sont relatifs, pour appliquer l'art. 59 à l'auteur d'un fait de complicité défini par l'art. 60, il faut que l'acte coupable ait été accompli, exécuté, il faut qu'il y ait l'auteur d'un crime ou d'un délit.

Au reste, ceci doit se modifier par la disposition générale de l'art. 2. Vous avez vu que la tentative de crime, interrompue par des circonstances étrangères à la volonté de son auteur, était réputée le crime même ; donc si, en vertu des promesses ou des menaces dont parle l'art. 60, un crime a été tenté, et que l'exécution n'en ait été interrompue que par un cas fortuit, le crime n'est pas accompli, mais il est réputé tel aux termes de l'art. 2. Le complice est donc punissable comme l'auteur principal l'est lui-même.

Premier point. Pour appliquer les peines résultant de la complicité aux termes des art. 59 et 60, la première condition, c'est que le crime ou le délit

ait été réellement accompli, ou qu'au moins il soit réputé tel aux termes de l'art. 2 pour les crimes, et de l'art. 3 pour les délits, en vertu d'une tentative à laquelle son auteur n'a pas renoncé volontairement.

133. Second point. Les complices, dit l'art. 59, d'un crime ou d'un délit seront punis de la même peine que les auteurs mêmes de ce crime ou de ce délit. De la même peine, c'est-à-dire de la même peine de droit, mais non pas nécessairement d'une peine égale ou de la même peine de fait. Ainsi, dans tous les cas où la loi laisse aux cours d'assises ou aux tribunaux le choix, la latitude entre un minimum et un maximum, ce n'est pas violer l'art. 59 que d'appliquer, par exemple, le maximum à l'auteur principal et le minimum au complice; ou même, réciproquement, le maximum au complice et le minimum à l'auteur principal. De la même peine, c'est ici la même peine de droit du même article de loi, parce que l'art. 59 regarde le complice comme ayant lui-même commis le fait qu'il a aidé, encouragé, facilité.

De même, supposez que l'auteur principal, déclaré coupable par le jury, soit néanmoins dans un des cas d'excuse autorisés par le Code pénal, par exemple, dans le cas de l'art. 324, § 2, qui déclare excusable le meurtre du mari sur la femme, en cas de flagrant délit d'adultère dans la maison conjugale. Ici il y a un fait d'excuse déclaré par le jury en faveur de l'auteur principal; ce fait d'excuse, qui a pour effet d'atténuer, dans une proportion très-forte, la gravité de la peine encourue, ce fait d'excuse profitera-t-il au complice? Non, certes. Le complice, qui n'a pas pour lui la circonstance toute personnelle qui tend ici à 'excuser le meurtre, sera puni comme le complice, et par conséquent comme l'auteur d'un meurtre ordinaire.

De même encore, supposez que le jury ait déclaré, en faveur de l'auteur principal, les circonstances atténuantes de l'art. 463, cette déclaration fait décroître la peine; mais cette décroissance, fondée sur des considérations toutes particulières, toutes personnelles à l'auteur principal, ne profitera point au complice.

En un mot, de la même peine, c'est la même peine légale, c'est la même peine de droit, c'est celle de l'article du Code pénal qui a pour but de punir tel fait, tel meurtre, tel vol, abstraction faite des circonstances personnelles qui peuvent modifier cette pénalité.

134. Enfin, troisième remarque: Sur l'art. 59, j'ai dit tout à l'heure que, pour appliquer cet article, pour punir le complice de la même peine que l'auteur principal, il fallait qu'il y eût eu un crime ou un délit commis, ou au moins réputé tel aux termes des art. 2 pour les crimes et 3 pour les délits ; faut-il conclure de là qu'il n'y a lieu à condamner le complice qu'autant qu'il y a condamnation, déclaration de culpabilité à l'égard de l'auteur principal? et, par exemple, faut-il en conclure que, si la mort de l'auteur principal a rendu toutes poursuites criminelles impossibles à son égard, elles deviennent par là même impossibles à l'égard du complice? faut-il en conclure que, si la déclaration du jury a été négative à l'égard de l'auteur principal, affirmative à l'égard du complice, il y ait contradiction, opposition entre ces deux réponses, et que l'acquittement de l'accusé principal entraîne nécessairement l'acquitte

ment du complice? Non. La mort de l'auteur principal n'empêche ni les poursuites ni la peine méritée par le complice; l'acquittement même de l'auteur principal n'entraîne pas l'acquittement du complice. Arrêtons-nous sur ces deux points. Le premier, au reste, ne présente pas de difficultés au premier aspect.

La mort de l'auteur principal empêche contre lui la possibilité de toutes poursuites criminelles; mais il n'y a pas de raison, ni en fait ni en droit, pour que cette mort empêche de poursuivre le complice. La loi dit que le complice sera puni de la même peine que l'auteur principal, c'est-à-dire évidemment de la peine encourue, de la peine méritée par l'auteur principal; que si la mort l'a soustrait, l'a dérobé à cette peine, il n'y a aucune raison pour qu'elle y dérobe le complice.

Quant au second point, on ne conçoit guère, au premier aspect, qu'un jury, consulté sur la culpabilité de l'auteur principal, réponde négativement, puis affirmativement sur les circonstances de complicité. Il semble que, la déclaration du jury sur la première des questions établissant légalement la nonexistence du crime ou du délit, il s'ensuit nécessairement qu'il n'y a pas de complicité possible d'après le premier de nos principes. Pour lever cette contradiction, qui n'est absolument qu'apparente, il faut remarquer que les questions posées au jury ne sont plus, sous le Code actuel, comme elles l'étaient sous les lois antérieures, des questions essentiellement simples, mais au contraire des questions complexes. Ainsi, dans la question qu'on pose, et qu'on doit poser maintenant au jury, d'après les art. 337, 338, 339 et 340 du Code d'instruction criminelle, d'après l'art. 337 surtout, la question est celle-ci : « L'accusé est-il coupable d'avoir commis tel meurtre, tel vol ou tel autre crime avec toutes les circonstances comprises dans le résumé de l'acte d'accusation? » Or, il est manifeste qu'une pareille question est complexe; qu'elle en renferme nécessairement plusieurs. Ainsi, demander à un jury si tel accusé est coupable de tel meurtre, c'est lui demander: 1o Y a-t-il eu un homicide commis; le fait physique, matériel, le corps du délit est-il réel? 2° cet homicide a-t-il le caractère de meurtre, a-t-il été commis volontairement ? 3° cet homicide volontairement commis, ce meurtre a-t-il été commis par tel individu? 4o enfin, est-il coupable d'avoir commis ce fait, c'est-à-dire était-il dans ces circonstances de lumière d'esprit, de raison, de moralité, dans toutes ces conditions intérieures qui impriment au fait matériel, au fait physique, la condition de culpabilité légale? Dans cette question, même dégagée de toute circonstance aggravante proprement dite, il y en a donc trois ou quatre l'existence matérielle du fait; la volonté qui a causé ce fait; la part matérielle de l'accusé dans la perpétration de ce fait; enfin le rôle moral de sa volonté dans tous ces actes. Or, quand le jury, ainsi consulté par une question multiple et complexe, répond: « Non, l'accusé n'est pas coupable,» nul ne peut savoir laquelle de ces questions a déterminé la réponse négative; nul ne peut savoir si le jury entend dire, non, il n'y a pas eu d'homicide; ou bien, il y a eu homicide, mais non point volonté, et par conséquent il n'y a pas eu meurtre; ou bien, il y a eu homicide, homicide volontaire, il y a eu meutre, mais il n'est pas démontré que l'accusé en soit l'auteur; ou bien, enfin, il en est l'auteur, mais il n'était pas dans des circonstances, dans une position, dans des conditions de

telle nature qu'il soit possible de lui imputer moralement et légalement le fait qui émane de lui. Donc, quand le jury, ayant répondu négativement sur le premier point à l'égard de l'auteur principal, répond ensuite affirmativement sur le complice, il n'y a pas incohérence, contradiction, contrariété dans ses réponses: Non, tel n'est pas coupable; oui, tel autre est coupable d'avoir, par dons, promesses ou menaces, déterminé à ce fait. Ce sont là deux réponses qui se concilient parfaitement; car il est très-possible que le jury regarde comme constant l'accomplissement du fait, son caractère criminel, mais non pas l'imputation physique ou morale de ce fait à l'accusé principal. Ainsi, encore bien qu'il n'y ait pas possibilité de punir comme complice celui qui a encouragé, aidé, facilité des projets de crime qui n'ont pas eu de suite, on peut très-bien punir comme complice celui qui a encouragé, aidé, assisté un individu cependant déclaré non coupable. Car la déclaration de non coupable n'indique point la non-existence du fait.

Si, au contraire, notre législation, comme celle du Code de l'an IV, exigeait qu'on décomposât dans ses éléments les plus simples la question à soumettre au jury, s'il fallait lui demander: 1° Tel fait est-il constant? 2° a-t-il été commis volontairement? 3° est-il constant que Paul en soit l'auteur? et ainsi de suite; il est clair alors que la question posée ne pourrait pas s'élever; que, si le jury répondait négativement à la première de ces questions: Non, le fait n'est pas constant, il serait impossible de répondre ensuite, sans contradiction, affirmativement quant au complice.

Ainsi, le système de nos questions complexes, le sens toujours incertain de la réponse du jury alors qu'elle est négative, empêche qu'il y ait contradiction entre la déclaration de l'innocence de l'accusé principal et la déclaration de la culpabilité du complice.

J'arrive à une remarque sur les derniers mots de l'art. 59: Sauf les cas où la loi en aurait disposé autrement. Vous trouverez, en effet, à ce principe d'identité de peine entre le complice et l'auteur principal, vous trouverez des exceptions dans les art. 63, 67, 138, 144 et quelques autres d'assez peu d'importance; les deux premiers sont les plus remarquables. Joignez-y même les articles 241 et 245 combinés où le complice est puni plus gravement que l'auteur principal.

135. ART. 60. Seront punis comme complices d'une action qualifiée crime ou délit, ceux qui, par dons, promesses, menaces, abus d'autorité ou de pouvoir, machinations ou artifices coupables, auront provoqué à cette action, ou donné des instructions pour la commettre; Ceux qui auront procuré des armes, des instruments, ou tout autre moyen qui aura servi à l'action, sachant qu'ils devraient y servir; - Ceux qui auront, avec connaissance, aidé ou assisté l'auteur ou les auteurs de l'action dans les faits qui l'auront préparée ou facilitée, ou dans ceux qui l'auront consommée; sans préjudice des peines qui seront spécialement portées par le présent Code contre les auteurs de complots ou de provocations attentatoires à la sûreté intérieure ou extérieure de l'État, même dans le cas où le crime qui était l'objet des conspirateurs ou des provocateurs n'aurait pas été commis. »

Les caractères de la définition de complicité énumérés dans l'art. 60 paraissent avoir été puisés, au moins indirectement, dans les textes du droit romain.

En effet, en rapprochant cet art. 60 du § 11 du titre Ier du livre IV des Institutes, vous trouverez la plus complète analogie, la plus complète identité entre les caractères déterminés des deux côtés. Toutefois, sans examiner ici le mérite ou les vices de la législation pénale romaine, je ferai remarquer que, puiser dans les définitions de ce § 11 les éléments de la complicité, c'est puiser à une source très-peu sûre, attendu que le § 11 est relatif à l'action du vol, donnée non-seulement contre le voleur, mais contre celui qui, par ses dons, ses promesses, ses instructions, par les armes ou par les instruments qu'il a fournis au voleur, s'est constitué son complice. On comprend aisément cette assimilation dans les textes de la loi romaine, là où il s'agit d'un vol et d'une action de vol, c'est-à-dire d'une action pécuniaire qui s'élève tantôt au double, tantôt au quadruple de la valeur de l'objet volé. Mais si l'assimilation peut paraître exacte entre le complice et le voleur, là où il ne s'agit que d'une indemnité pécuniaire, peut-être la généralisation de cette idée, de cette assimilation, serat-elle moins satisfaisante quand il s'agira, non plus seulement du vol et d'une indemnité pécuniaire, mais de toute espèce de crime, de toute espèce de délit, et surtout de l'application de peines proprement dites, et de peines fort graves. Le défaut deviendra surtout sensible dans le cas des art. 62 et 63, dans le cas de cette complicité exorbitante, admise par la loi française, complicité qui peut même se constituer, qui peut se composer d'actes postérieurs à la perpétration du crime ou du délit.

136. Remarquez d'abord, sur le § 1er, que, toutes les fois qu'une question de complicité est portée devant une cour d'assises, le jury ne peut point être interrogé avec cette expression insignifiante et équivoque : Un tel est-il complice? A une question ainsi posée, la déclaration, même affirmative, serait absolument nulle, et ne pourrait emporter l'application d'aucune peine. Il faut demander au jury: Un tel a-t-il, par dons, ou par promesses, ou par menaces, etc., provoqué à telle action? Je n'entends pas qu'il faille cumuler toutes ces expressions de la loi; selon que la complicité aura paru résulter ou de dons ou de promesses, ou de menaces, ou de toute autre circonstance, c'est sur ce fait spécial que la déclaration du jury devra être provoquée. Autrement, une réponse affirmative à cette question générale: Un tel est-il complice ? laisserait tout à fait incertain le point de savoir si le jury a entendu le mot de complice dans le même sens que la loi l'entend, laisserait incertain le point de savoir quels caractères de complicité il a découverts, ou cru découvrir dans la personne ainsi frappée. C'est donc dans les circonstances, c'est dans les définitions indiquées dans l'art. 60, que doit être puisée la rédaction de la question de complicité soumise par la cour d'assises au jury.

137. Vous remarquerez, en second lieu, qu'il résulte de l'ensemble de ce premier paragraphe, qu'un conseil, une instigation, une exhortation, si vive et si pressante qu'elle soit, à l'accomplissement d'un acte coupable, n'est pas dans le sens légal un acte de complicité; il faut qu'à ces exhortations, à ces instigations morales, fort coupables sans doute, viennent s'ajouter les dons, les promesses ou les menaces, ou les abus d'autorité dont parle l'art. 60.

Il est pourtant une exception à cette règle; il est un cas, ou plutôt il est

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