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principal, il n'y a pas lieu à son égard à l'application de la peine? Il est clair qu'un tel raisonnement est dérisoire, et les derniers mots de l'art. 380 le repoussent formellement.

Or, si l'art. 59, malgré la généralité de ses termes, reçoit une limitation si sensible dans toutes les circonstances qui tendent à alléger la peine, si les circonstances personnelles, spéciales, qui entraînent une réduction, ou même l'impunité complète, ne profitent jamais au complice, pourquoi donc voudraiton qu'il en fût autrenient de celles qui aggravent, qui augmentent, qui doublent la pénalité? J'avoue que, soit en m'attachant à l'esprit, au but de l'art. 60, soit en suivant l'application qu'on est obligé de faire dans tous les cas que j'ai indiqués, l'application que la loi même en fait expressément dans les art. 68 et 380, § 2, il m'est impossible de comprendre comment on s'est attaché de préférence à un système, littéral au premier coup d'œil, mais déraisonnable, mais inhumain, quand on l'examine au fond et dans son véritable esprit.

142. Ici se termine ce que nous avions à dire sur les cas de complicité proprement dite, indiqués dans les trois paragraphes de l'art. 60; arrivons maintenant à cette complicité, souvent improprement dite, qui, aux termes des articles 61 et 62, se compose d'actes accomplis après le crime ou le délit achevé.

J'ai dit qu'il s'agit ici, dans la plupart des cas auxquels s'appliqueront ces articles, d'une complicité improprement dite; il est bon de nous fixer sur ce point. En effet, le mot de complicité implique et porte en lui-même l'idée d'un concours, d'une participation, d'une coopération plus ou moins directe du complice à l'acte de l'auteur principal. Or, il est très-possible de coopérer de plus ou moins loin à un fait, en en faisant naître le projet, en l'encourageant, en en préparant, en en facilitant, en en assistant l'exécution. Mais la raison comprend-elle bien qu'on se rende complice d'un fait, qu'on y participe, qu'on y coopère après que ce fait a été accompli, parfaitement achevé, nonseulement sans votre concours, mais encore absolument à votre insu? A la rigueur, et dans le sens littéral du mot, on ne conçoit pas de vraie complicité, de vrai concours, de vraie participation à un acte irrévocablement et définitivement accompli. Ce n'est pas, au reste, que j'entende critiquer ou blâmer par là, à tous égards, et dans tous le cas, la rédaction des art. 61 et 62: ce dernier surtout mérite à d'autres égards des reproches trop fondés pour qu'il soit nécessaire d'en élever d'inutiles.

143. ART. 61. Ceux qui, connaissant la conduite criminelle des malfaiteurs exerçant des brigandages ou des violences contre la sûreté de l'État, la paix publique, les personnes ou les propriétés, leur fournissent habituellement logement, lieu de retraite ou de réunion, seront punis comme leurs complices. »>

Certainement, au premier aspect, on pourrait dire qu'il n'y a pas là complicité, concours dans le sens littéral du mot, et la critique serait vraie, si le mot habituellement ne se trouvait pas dans l'article pour en justifier la disposition. Ce n'est pas le fait d'un lieu de retraite fourni accidentellement une seule fois qui constitue ici la complicité et la pénalité qui s'y rattache, c'est la fréquence,

c'est le retour, c'est l'habitude d'un pareil fait. Or, il est sensible que cette habitude, une fois établie, peut bien être considérée comme une complicité véritable, el que, par une raison fort simple, elle devient, dans les rapports de celui qui donne le lieu de retraite avec ceux qui le reçoivent, un véritable encouragement, une aide, une facilité, une assistance, éloignée si l'on veut, mais enfin une assistance dans les méfaits dont la bande se rend coupable. Cette habitude constitue, en effet, une promesse tacite, mais bien manifeste, de recevoir les auteurs du méfait, de leur donner asile et retraite après que de nouveaux méfaits auront été accomplis. Je conçois donc qu'on puisse les considérer comme complices; mais je n'en conclus pas qu'on ait bien fait dans tous les cas de les frapper de la même peine, aux termes de l'art. 59. Ceci se rattache à une question plus générale dont nous avons parlé, savoir, la justesse de l'assimilation entre l'auteur principal et le complice. En supposant que cette assimilation soit fondée, je ne répugnerais nullement à considérer comme complices, aux termes de l'art. 61, les coupables des crimes ou des délits qui s'y trouvent indiqués.

144. L'art. 62 s'explique au contraire plus difficilement, au moins dans une grande partie des cas auxquels peut s'appliquer la généralité de ses termes. Commençons par en lire et en bien peser les termes.

« ART. 62. Ceux qui sciemment auront recélé, en tout ou en partie, des choses enlevées, détournées ou obtenues à l'aide d'un crime ou d'un délit, seront aussi punis comme complices de ce crime ou délit. »

Ici il n'est plus question de l'habitude du recel, de la fréquence du retour des actes qui le constituent; par conséquent, il n'y a plus ni cette promesse tacite, qu'on pourrait, à toute rigueur, considérer comme un encouragement et surtout une promesse antérieure et formelle qui rentrerait dans les divers cas de l'art. 68. Une fois la question ainsi posée, c'est-à-dire une fois que nous nous plaçons dans l'hypothèse du recel d'un objet volé, commis en connaissance de cause par un tiers qui n'en avait pas l'habitude, qui, du reste, n'avait pas avant le vol offert ou promis ce recel, alors les critiques que nous présentions tout à l'heure contre l'application à ce cas du mot de complicité reviennent avec toute leur force.

Le vol était commis, accompli, consommé; le voleur, en l'exécutant, n'avait nullement compté sur une facilité de recel qui ne lui était pas promise; tout, en un mot, était achevé; le crime était parfait, la peine était encourue, sans que celui qui plus tard est yenu s'offrir pour recéleur, ou a consenti au recel, sans que celui-là eût, je ne dis pas la plus légère part, mais même la plus lėgère connaissance dans les actes coupables qui ont été accomplis. Que plus tard, après ces actes commis, il reçoive et cache les objets volés, c'est un acte coupable, personne n'en doute; mais est-ce un acte de complicité! conçoit-on une complicité, une coopération ex post facto? J'avoue que la chose m'est impossible. Et quand, ensuite, on regarde la peine et le rapport moral qui la fonde, est-il convenable d'assimiler pleinement le recéleur au voleur, de le punir tout à fait et dans tous les cas comme le voleur? car telle est la conséquence de la qualification de complice que lui applique d'abord l'art. 62.

La loi, disons-nous, déclare le recéleur complice, et par là même, en combinant les art. 59 et 62, lui applique la peine du vol; rien de plus positif, rien de plus clair comme principe; nous reviendrons bientôt sur les détails de l'application. Mais, à part ce qu'il y a d'illogique à déclarer complice ou coopérant celui à l'insu duquel le fait s'est pleinement accompli, examinons, ce qui est plus important, s'il est moral, s'il est convenable d'assimiler complétement et dans tous les cas le recéleur au voleur. Cette assimilation n'est pas nouvelle, nos anciennes lois l'ont faite à l'exemple de quelques lois romaines. Quels motifs peut-on en donner? Pour les uns, c'est par motif de pure utilité, c'est que, s'il n'y avait pas de recéleur, il n'y aurait pas de voleur; pour d'autres, c'est, dit-on, que le recéleur met obstacle à l'action de la justice, à la poursuite; pour d'autres enfin, c'est que le recéleur ne reçoit point gratuitement l'objet volé, il prend une part sur le vol, et il assume par là sur sa tête une responsabilité et civile et pénale.

Ces raisons et la décision qu'elles ont fondée ne sont pas nouvelles. Voyons en quels termes les appréciait Montesquieu, Esprit des lois, liv. XXIX, ch. xi. « Les lois grecques et romaines punissaient le recéleur du vol comme le voleur, la loi française fait de même. Celles-là étaient raisonnables, celle-ci ne l'est pas. Chez les Grecs et chez les Romains, le voleur étant condamné à une peine pécuniaire, il fallait punir le recéleur de la même peine; car tout homme qui contribue de quelque façon que ce soit à un dommage, doit le réparer. Mais parmi nous, la peine du vol étant capitale, on n'a pas pu, sans outrer les CHOSES, PUNIR LE RECÉLEUR COMME LE VOLEUR. Celui qui reçoit le vol peut, en mille occasions, le recevoir innocemment; celui qui vole est toujours coupable : l'un empêche la conviction d'un crime déjà commis, l'autre commet ce crime: tout est passif dans l'un, il y a une action dans l'autre; il faut que le voleur surmonte plus d'obstacles, et que son âme se roidisse plus longtemps contre les lois. Les jurisconsultes ont été plus loin : ils ont regardé le recéleur comme plus odieux que le voleur: car sans eux, disent-ils, le vol ne pourrait être caché longtemps. Cela, encore une fois, pouvait être bon quand la peine était pécuniaire il s'agissait d'un dommage, et le recéleur était ordinairement plus en état de le réparer; mais, la peine devenue capitale, il aurait fallu se régler sur d'autres principes. »

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Il est singulier qu'en présence de cette critique si nette et si fondée de l'ancienne assimilation, elle ait été reproduite si littéralement, si aveuglément par le Code. Nous verrons même, il faut bien le dire, que dans les détails d'application de la peine du recel la loi exagère encore ce qu'il nous est permis de trouver déjà assez vicieux.

Quant à ces raisons banales que le recéleur est le plus souvent la cause du vol; que, s'il n'y avait pas de recéleur, il n'y aurait pas de voleur; que le recéleur met obstacle à l'action de la justice; qu'il reçoit le plus souvent une trèsforte part dans le vol, il est bien facile de se convaincre de leur inexactitude. La première de ces raisons, en effet, est absolument fausse sur trente voleurs, vingt-neuf sont eux-mêmes leurs propres recéleurs; ils tâchent de dépenser, de consommer, d'employer les choses volées; ils ne se soucient nullement d'en partager le bénéfice avec le recéleur.

Quand on dit ensuite que le recéleur entrave l'action de la justice, empêche

DES PERSONNES PUNISS., EXCUS. OU RESPONS. (N° 144). la découverte du vol et du voleur, on dit une chose parfaitement vraie. Quelle en est la conséquence? C'est que le recel peut être soit un crime, soit un délit; c'est que le recel est une chose coupable. Mais la conséquence est-elle qu'il y ait assimilation, qu'il y ait parité entre le recel et le vol, entre le recéleur et le voleur? Les différences sensibles, capitales, qui séparent l'un et l'autre, sont indiquées dans ce que je viens de vous lire; mais le Code pénal lui-même se chargerait au besoin de répondre à l'argument. En effet, si celui qui met obstacle à l'action de la justice, si celui qui, en cachant chez lui la chose volée, rend la découverte et la poursuite plus difficiles, est par là même réputé voleur et puni comme tel, il en faudrait conclure que celui qui cache et reçoit chez lui, que celui qui aide à enlever, à ensevelir le corps d'un homme assassiné, se rend par là même complice de l'assassinat et doit être puni comme tel; il faudrait décider que celui qui cache, qui reçoit chez lui, en pleine connaissance de cause, le meurtrier, l'assassin, entravant l'action de la justice, lui facilitant des moyens de fuir, doit être puni comme complice, comme meurtrier, comme assassin. Jelez les yeux maintenant sur l'art. 248 du Code pénal, et vous verrez que, tout en punissant avec grande raison celui qui donne asile à l'assassin, qui met obstacle aux recherches de la justice, on établit une différence immense entre la pénalité due au crime de l'un et au simple délit qu'on reproche à l'autre. « Ceux qui auront recélé ou fait recéler des personnes qu'ils savaient avoir commis des crimes emportant peine afflictive, seront punis de trois mois d'emprisonnement au moins, et de deux ans au plus, » quelle que soit la durée, la nature de la peine encourue par les personnes recélées, et qui peut varier depuis cinq ans de réclusion jusqu'à la peine de mort. Quant à celui qui aura caché ou aidé à cacher, non pas le meurtrier, l'assassin, mais le cadavre de la personne assassinée, qui, par la même, aura fait tout ce qui était en son pouvoir pour arrêter l'action de la justice, on ne s'avise certes pas de le déclarer coupable de meurtre ou d'assassinat, on ne s'avise pas de l'assimiler au meurtrier. L'art. 359 établit contre lui un emprisonnement de six mois à deux ans, et une amende de cinquante à quatre cents francs. Ainsi cette considération que le recéleur a empêché, comme le dit Montesquieu, la conviction d'un crime déjà commis, cette considération n'a pas conduit les auteurs mêmes du Code pénal à assimiler le recéleur, dans le cas des art. 359 et 248, à l'auteur du crime ou du meurtre.

La troisième raison est plus sérieuse : c'est que le plus souvent le recel n'est pas gratuit, c'est que les recéleurs stipulent une part très forte dans le vol. Je conçois alors que le recel soit plus sévèrement puni, parce que les motifs sont plus odieux et que la tentation du recel est plus forte. Mais, même dans ce cas, y a-t-il raison suffisante d'assimiler le recéleur au voleur, et de l'assimiler avec toute la portée que l'art. 63 va donner à cette assimilation? Ainsi, qu'on le déclare punissable comme le voleur, qu'on déclare la peine du vol applicable à celui qui a recélé l'objet volé en s'appropriant ou en se faisant céder une bonne partie de cet objet, il n'y a rien de plus juste. Mais un objet a été volé à l'aide de violence, d'effraction, de fausses clefs : celui qui a recélé doit-il être passible de l'aggravation de peine résultant de circonstances que peut-être il ignore, que peut être il connaît, mais qu'il ne se serait pas décidé à employer lui-même, quand même il les connaîtrait ? C'est ici le cas de dire, avec Montes

quieu, que, quand même le recéleur a pris part au vol, il y a toujours entre le voleur et lui cette différence, que le premier a eu à surmonter plus d'obstacles, que son âme a dû se roidir plus longtemps contre la sanction de la loi.

Nous verrons l'art. 63 plus vicieux encore. Nous nous plaçons jusqu'ici dans l'hypothèse d'un recéleur qui prend part dans le produit des objets volés; on comprend alors qu'il soit puni comme voleur, quoique peut-être il soit un peu dur de le punir toujours comme tel. Mais supposez, ce qui est possible, un recel commis sans intérêt, sans partage des produits du vol. Par quel motif? Par une faiblesse, par une complaisance coupable, par une amitié aveugle qui devient un délit portée jusque-là, mais qui n'est pas un vol, qui ne peut pas être assimilée avec les actes dont nous parlons. Allez plus loin; supposez un recel commis précisément pour empêcher les recherches de la justice, mais un recel commis par un parent, par un frère, pour empêcher la découverte du vol commis par son frère. Dans ces divers cas, l'art. 62 fléchira-t-il? Non, il ne fléchira pas; car l'esprit de l'art. 62 comprend dans une même assimilation le recel d'habitude, le recel salarié, et enfin le recel donné par amitié, par complaisance, le recel souffert par une complaisance trop facile, mais que la loi n'a pas le droit de punir aussi sévèrement. La chose est d'autant plus étrange, que la loi, qui n'a pas eu soin de distinguer ces nombreuses espèces de recels, si différents par leur moralité, a fait, au contraire, pour le dernier cas que j'indique, une distinction formelle dans le second alinéa de l'art. 248. Ainsi, quand cet article applique une peine, légère sans doute, mais enfin une peine raisonnable, à celui qui a caché l'auteur d'un crime, il s'empresse d'ajouter qu'à certain degré de parenté toute peine sera inapplicable; et que d'après l'art. 62 aucune exception, aucune distinction pareille n'est faite; et cependant la peine est plus grave. Je sais bien que, dans la plupart des cas, le mal ne sera pas grand; je sais que difficilement on trouvera un jury disposé à déclarer coupable de recel, et par conséquent complice aux termes de l'art. 62, le proche parent qui, par un devoir que la loi désapprouve, mais enfin par un sentiment de devoir, aura recélé, pour entraver l'action de la justice, et sans nul motif d'intérêt, les objets volés par son parent. Mais c'est une triste loi que celle qu'on ne peut défendre qu'en disant que le jury la violera. En second lieu, il faut dire que plus d'une fois, se croyant renfermés dans la lettre de la loi, les jurés ont déclaré et déclareront peut-être coupables les recéleurs placés dans la circonstance la plus favorable. Il pourra arriver, par exemple, que la femme soit passible de la peine des travaux forcés à perpétuité, d'après le § 1er de l'art. 63, pour avoir recélé les objets volés par son mari, qui aura en même temps commis un meurtre. Ainsi, il y a ce danger d'une application trop littérale de la loi par le jury: il y a un danger inverse, grave aussi, celui de la conscience du jury se révoltant contre la sévérité de la loi et en affaiblissant l'autorité par de trop fréquentes absolutions.

145. Je crois qu'il n'est pas possible d'admettre dans toute sa plénitude l'assimilation faite entre le voleur et le recéleur. Mais, quelque opinion qu'on adopte sur cette assimilation, telle qu'elle est écrite dans la loi, il est impossible d'hésiter un instant sur les conséquences que la loi en tire dans le texte de

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