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seulement parce qu'aux yeux de la loi la procédure par jurés présente plus de garanties, mais surtout parce que dans une procédure par jurés la majorité pour condamner est au moins des deux tiers, huit sur douze, huit contre quatre (1). Ainsi, traduit devant les assises, il ne pourrait être condamné qu'aux deux tiers des voix; au contraire devant un tribunal correctionnel, il pourra être condamné à la majorité simple, laquelle n'équivaut pas nécessairement et toujours aux deux tiers; si le tribunal est composé de trois juges, la majorité est des deux tiers, mais s'il s'agit d'un tribunal de cinq juges, la majorité est de trois.

Remarquez que, quand la loi ordonne de traduire devant les tribunaux correctionnels l'accusé prévenu d'un crime, et qui a moins de seize ans, elle y fait deux exceptions: 1° lorsque ces crimes sont de nature à entraîner la peine de mort et autres peines qu'elle indique; 2o lorsque, quelle que soit la nature du crime, l'accusé a des complices âgés de plus de seize ans, qui sont présents, le complice majeur de plus de seize ans entraînera le mineur devant la cour d'assises, si elle est compétente pour juger le majeur. J'ai déjà dit que les circonstances personnelles à l'auteur principal n'atténuaient en aucune sorte la pénalité du complice.

L'art. 69 statue également pour le mineur de moins de seize ans; sa simple lecture suffit.

164. Dans les art. 70 et 71, les seuls dont j'ai à parler, car les trois derniers n'ont pas besoin de détails, vous trouvez une réduction, une atténuation en sens inverse. Vous voyez dans l'art. 70 que le septuagénaire ne peut pas être frappé d'une condamnation aux travaux forcés à perpétuité, à la déportation ou aux travaux forcés à temps. La loi du 30 mai 1854 a étendu cette atténuation jusqu'aux sexagénaires, à raison de la transportation des condamnés à la Guyane. On indique dans l'article suivant quel genre de condamnation sera substitué à ces premières peines. L'art. 71 présente, à cet égard, deux cas assez remarquables et que je vous signale. La loi veut que, quand un septuagénaire a été déclaré coupable d'un crime qui entraînerait, par exemple, la déportation ou les travaux forcés à perpétuité, on ne prononce contre lui aucune de ces deux peines, on prononce une peine également perpétuelle, mais qui sera, dans le premier cas, la détention, et dans le second, la réclusion. C'est un faible adoucissement dans la nature de la peine et non pas dans sa durée. Mais cet adoucissement donne lieu à une remarque.

Nous avons vu dans l'art. 7 que la loi n'admettait que trois peines perpétuelles, et cependant vous voyez qu'en vertu de l'art. 71 les tribunaux criminels prononceront, dans certains cas, des peines perpétuelles qui ne sont pas énumérées dans l'art. 7, savoir, la détention à perpétuité contre le septuagénaire qui a encouru les travaux forcés à perpétuité. Quelle sera la conséquence de ces pénalités? sera-ce d'emporter la mort civile ? C'est la question à laquelle je voulais arriver: la mort civile sera-t-elle la conséquence de deux condamnations à perpétuité prononcées contre le septuagénaire, en vertu de l'art. 74 ? Nous avons déjà vu qu'une certaine détention à perpétuité emportait la mort

(1) La majorité du jury a été réduite à sept voix par la loi du 9 juin 1853.

civile, c'est celle qui, aux termes de l'art. 17, a lieu comme exécution de la peine de la déportation; mais alors on a un texte formel: la déportation emporte la mort civile (art. 18 du Code pénal), elle l'emporte du jour de son exécution (art. 26 du Code civil). Or, comme maintenant la déportation s'exécute par la détention, il s'ensuit que, dès l'instant que le condamné à la déportation a commencé à être détenu, la mort civile commence contre lui. Mais cette conséquence, cette règle est inapplicable au septuagénaire dans le cas de l'art. 71; il est bien frappé d'une peine perpétuelle, détention à perpétuité dans un cas, réclusion à perpétuité dans l'autre, mais l'art. 18 n'a pas attaché la mort civile à la détention ou à la réclusion, même prononcée à perpétuité dans le cas de l'art. 71. De plus, l'art. 24 du Code civil déclare expressément que les peines même afflictives et perpétuelles n'emportent la mort civile que dans les cas où la loi y aurait attaché cet effet; cet effet n'est attaché par aucune loi spéciale aux deux pénalités perpétuelles de l'art. 71; donc nous ne devons pas l'y appliquer. La suppression de la mort civile a d'ailleurs dié à cette question son intérêt.

Les trois articles suivants n'ont pas besoin de détails; il suffira de les lire.

QUINZIÈME LEÇON.

165. Nous allons parcourir maintenant la longue série des incriminations de la loi pénale ; j'essayerai de vous exposer avec le plus de précision possible les caractères particuliers de chaque classe d'infractions, les éléments constitutifs de chaque espèce de crime et de délit. Je ne m'arrête point à la classification générale des actions punissables. Cette classification, qui peut être importante au point de vue théorique et comme indication du système du législateur, n'a qu'un médiocre intérêt dans la pratique. Notre Code a divisé les faits punissables en deux classes principales: contre la chose publique et contre les particuliers ; il a subdivisé ensuite la première de ces classes en crimes contre la sûreté de l'État, contre la constitution, contre la paix publique; et la seconde, en crimes contre les personnes et contre les propriétés.

LIVRE TROISIÈME

CRIMES ET DÉLITS CONTRE LA CHOSE PUBLIQUE.

166. On entend par délits contre la chose publique ceux qui sont dirigés contre la personnalité du corps social, c'est-à-dire contre l'existence et le mode d'exister d'un État. Parmi ces délits, les uns ont un caractère politique, les autres n'ont pas ce caractère. Quels faits sont réputés politiques? Cette question avait une grande importance sous la législation antérieure à celle qui nous régit actuellement, puisque tous les faits politiques, qu'ils fussent qualifiés crimes ou délits, étaient attribués au jury; elle a encore quelque intérêt au

jourd'hui, quoique à un moindre degré, à raison des pénalités qui ne sont pas les mêmes, quand le crime est ou n'est pas d'une nature politique. L'art. 7 de la loi du 8 octobre 1830 avait, pour établir une règle de compétence, défini les faits de cette nature: « Sont réputés politiques les délits prévus : 1° par les chap. I (crimes et délits contre la sûreté de l'État) et II (crimes et délits contre la constitution) du tit. Ier du liv. III du Cod. pén. ; 2o par les paragraphes 2 et 4 de la sect. III (troubles apportés à l'ordre public par les ministres des cultes) et par la sect. VII du chap. III (associations ou réunions illicites) des mêmes livre et titre; 3° par l'art. 9 de la loi du 25 mars 1822 (port ou exposition de signes séditieux). Ce délit est aujourd'hui puni par l'art. 6 du décret du 11 août 1848. » De cette définition nous n'avons besoin de retenir aujourd'hui que les faits qui sont qualifiés crimes, puisque c'est seulement à l'égard de ceux-là que les peines ont été modifiées : la peine de mort a été remplacée par la déportation dans une enceinte fortifiée hors du territoire continental de la France (loi du 9 juin 1850); puis au-dessous de cette peine, l'échelle des peines criminelles en matière politique se trouve ainsi formée : la déportation simple, la détention, le bannissement et la dégradation civique.

167. La raison de cette différence dans les pénalités est que les crimes politiques et les crimes communs diffèrent essentiellement dans leur caractère propre et dans leurs éléments. Les crimes communs sont partout des crimes, car il n'y a point de société qui pût vivre s'ils n'étaient réprimés; les crimes politiques, qui ne s'attaquent qu'à la forme sociale d'un peuple, n'ont qu'une criminalité relative; ils ne sont crimes que sur le territoire soumis à la souveraineté de ce peuple. Les premiers sont empreints d'une immoralité absolue, car ils sont réprouvés non-seulement par la loi sociale, mais encore par la loi morale; les autres, qui dérivent des institutions variables de la société, sont plutôt du domaine de la loi sociale que de la loi morale. C'est ce qui a fait dire à un publiciste célèbre « que l'immoralité des crimes politiques n'est ni aussi claire ni aussi immuable que celle des crimes privés; elle est sans cesse traversée ou obscurcie par les vicissitudes des choses humaines; elle varie selon les temps, les événements, les droits et les mérites du pouvoir; elle chancelle à chaque instant sous les coups de la force, qui prétend la façonner selon ses caprices ou ses besoins. » Toutefois, vous ne devez pas induire de là que l'on ne puisse trouver, dans la catégorie des crimes politiques, des attentats qui égalent par leur perversité les crimes communs. Ils sont la violation d'un devoir social, et tout devoir social contient en lui-même un lien moral; ainsi, toute attaque illégale contre la constitution de l'État, contre son mode d'existence comme société civile, est un acte immoral, puisqu'il est une violation du devoir imposé à l'homme comme membre de la société. Le publiciste que nous citions tout à l'heure a dit encore : « Quelques personnes sont allées jusqu'à penser que, moralement parlant, il n'y avait point de délits politiques, que la force seule les créait et que les bonnes ou les mauvaises chances décidaient seules d'une prétendue culpabilité. Je ne partage en aucune façon cette idée. La tentative de changer le gouvernement établi, n'entraînât-elle aucun crime privé, peut réunir au plus haut degré les deux caractères généraux du crime, l'immoralité de l'acte même et la perversité de l'intention. Peu importe

alors que son but soit politique, elle n'en constitue pas moins un vrai crime qui doit être puni et peut l'être très-justement. » Cette restriction s'applique nécessairement aux crimes qui réunissent dans une même action l'élément politique et l'élément commun: tels sont les attentats contre les personnes ou contre les propriétés qui seraient commis dans un but politique. La criminalité relative de l'intention révèle peut-être une modification dans l'immoralité de l'agent, mais ne change pas le caractère intrinsèque du crime. Ce qui demeure vrai en définitive, c'est que dans nulle matière les éléments du délit ne sont plus difficiles à établir qu'en matière politique, c'est que dans nulle matière la justice légale n'est plus exposée à s'égarer. C'est à raison des écueils qui sont sous ses pas, qu'une échelle de peines particulières, dont aucune n'est ineffaçable, a été introduite ici par une législation sage et prévoyante, et l'on doit regarder cette disposition comme l'un des progrès les plus précieux de la la loi pénale.

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SECTION PREMIÈRE

DES CRIMES ET DÉLITS CONTRE LA SURETÉ EXTÉRIEURE DE L'ÉTAT.

168. L'art. 75 du Code pénal est ainsi conçu :

ART. 75. Tout Français qui aura porté les armes contre la France sera puni de

mort. »

Il est inutile de vous rappeler d'abord qu'aux termes de l'art. 5 de la constitution de 1848 et de l'art. 1er de la loi du 9 juin 1850, la peine de mort prononcée par cet article a été remplacée par celle de la déportation dans une enceinte fortifiée hors du territoire continental de la France. Cette observation doit être étendue à tous les crimes réputés politiques.

L'art. 75 soulève quelques difficultés. Il est certain d'abord qu'il s'applique en général à tous les Français, sans distinguer entre ceux qui étaient militaires, lorsqu'ils ont abandonné leur patrie pour la combattre et ceux qui ne l'étaient pas; cependant, comme les premiers sont spécialement atteints par la loi militaire, il est évident que c'est surtout les simples citoyens que l'article a eus en vue. Mais puisque c'est la qualité de citoyen qui fait le crime, il s'ensuit que, lorsque l'agent a perdu cette qualité, l'acte hostile ne lui est plus imputable. Supposez, par exemple, qu'il se soit fait naturaliser dans le pays dont il suit le drapeau, commet-il encore un crime en portant les armes contre la France? La réponse est dans l'art. 4 de la constitution du 22 frimaire, an VIII, et dans l'art. 17 du Code Napoléon, qui disposent que la qualité de Français se perd: 1° par la naturalisation acquise en pays étrangers; 2° par l'acceptation non autorisée de fonctions publiques conférées par un gouvernement étranger; 3° enfin par tout établissement fait dans un pays étranger sans espoir de retour. A la vérité, deux décrets des 6 avril 1809 et 26 août 1811 ont étendu les dispositions de l'art. 75 « même à ceux qui auraient obtenu des lettres de naturalisation en pays étranger. » Mais ces décrets, nés des circonstances politiques, sont impuissants à abroger les règles de la loi; si la naturalisation en pays étranger brise le lien civil, elle brise en même temps le lien politique;

car comment comprendre que le naturalisé, devenu sujet d'une nouvelle patrie, puisse rester en même temps sujet de l'ancienne et soit soumis à des devoirs envers l'une et l'autre ?

169. Une autre difficulté est de savoir quels sont les actes qui rentrent dans les termes de l'art. 75. L'art. 2 du décret du 6 avril 1809 porte: «Seront considérés comme ayant porté les armes contre nous, tous ceux qui auront servi dans les armées d'une nation qui était en guerre contre la France; ceux qui seront pris sur les frontières ou en pays ennemi porteurs de congés des commandants militaires ennemis; ceux qui, se trouvant au service militaire d'une puissance étrangère, ne l'ont pas quitté ou ne le quitteront pas pour rentrer en France aux premières hostilités survenues entre la France et la puissance qu'ils ont servie ou qu'ils servent; ceux enfin qui, ayant pris du service militaire en pays étranger, rappelés en France par un décret publié dans les formes prescrites pour la publication des lois, ne rentreront pas conformément audit décret, dans le cas toutefois où, depuis la publication, la guerre aurait éclaté entre les deux puissances. » L'art. 27 du décret du 29 août 1811 porte encore: << Notre décret du 6 avril 1809 continuera d'être exécuté notammment à l'égard des Français qui, étant entrés sans notre autorisation au service d'une puissance étrangère, y sont demeurés après la guerre déclarée entre la France et cette puissance. Ils seront considérés comme ayant porté les armes contre nous, par cela seul qu'ils auront continué à faire partie d'un corps militaire destiné à agir contre l'empire français ou ses alliés. » Enfin l'art. 4 de l'ordonnance du 10 avril 1823, relative à l'expédition d'un corps militaire en Espagne, déclare que « tout Français qui continuerait, après le commencement des hostilités, à faire partie des corps militaires destinés à agir en Espagne contre les troupes françaises ou leurs alliés, sera poursuivi conformément à l'art. 2 du décret du 6 avril 1809, à l'art. 27 du décret du 26 août 1811 et à l'art. 75 du Code pénal. » Quelle que soit la précision de ces différents textes, on doit les considérer, moins comme une interprétation de la loi pénale, qui ne peut être interprétée par des décrets et des ordonnances, que comme énonçant des mesures d'intimidation et des menaces destinées à rappeler aux Français leurs obligations envers leur pays. Il serait impossible d'admettre, en effet, que le fait prévu par la loi « d'avoir porté les armes contre la France » peut s'étendre soit au fait de ne pas rentrer en France aux premières hostilités, après avoir pris du service militaire à l'étranger, soit au fait de faire partie d'un corps destiné à agir contre les alliés de la France. Ce serait substituer au fait prévu et puni par la loi, soit une simple présomption, soit un fait tout à fait distinct. Il en est autrement du cas nouveau d'hostilité prévu par l'art. 3 de la loi du 10 avril 1825, portant: « Seront poursuivis et jugés comme pirates: 1° tout Français ou naturalisé Français qui, sans l'autorisation du roi, prendrait commission d'une puissance étrangère pour commander un navire ou bâtiment de mer armé en course; 2° tout Français ou naturalisé Français qui, ayant obtenu, même avec l'autorisation du roi, commission d'une puissance étrangère pour commander un navire ou bâtiment de mer armé, commettrait des actes d'hostilité envers des navires français, leurs équipages et chargements. » Ce dernier fait rentre évidemment dans les termes et l'esprit de l'art. 75.

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