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plus par le pacte des conjurés, mais par un acte extérieur purement individuel. Cet acte extérieur n'a point les caractères d'une tentative, car, s'il constituait un commencement d'exécution, il serait incriminé comme attentat. II n'est qu'un acte préparatoire des actes d'exécution, mais il faut qu'il soit matériel: les cris ou les discours ne suffiraient pas. L'art. 90 ne se réfère d'ailleurs qu'aux crimes prévus par l'art. 86: il est clair que l'effort isolé d'un simple individu ne présente aucun danger quand il s'agit des crimes mentionnés dans l'art. 87.

177. Il faut passer maintenant des actes préparatoires aux actes d'exécution, du complot à l'attentat. Les art. 86, 87 et 88, qui vont, en premier lieu, faire l'objet de notre examen, ont éprouvé quelques vicissitudes. Comme ils ont pour but de défendre les formes politiques du gouvernement, ils ont subi le contre-coup de toutes les révolutions qui sont venues successivement modifier cette forme.

L'art. 86 du Code pénal de 1810 qualifiait crime de lèse-majesté, l'attentat ou le complot contre la vie ou la personne de l'empereur, et punissait ce crime des peines du parricide. La loi du 28 avril 1832 a supprimé les qualifications de lèse-majesté et a conservé, pour l'attentat contre la vie ou la personne du roi, la peine du parricide; elle a en même temps attaché à l'art. 86, comme un dérivé du même acte, le délit d'offense publique envers la personne du roi. Cet article, explicitement abrogé par l'établissement du gouvernement républicain, a été rétabli par la loi du 10 juin 1853, dans les termes suivants :

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« ART. 86. L'attentat contre la vie ou la personne de l'empereur est puni de la peine du parricide. L'attentat contre la vie des membres de la famille impériale est puni de la peine de mort. L'attentat contre la personne des membres de la famille impériale est puni de la peine de la déportation dans une enceinte fortifiée. Toute offense commise publiquement envers la personne de l'empereur est punie d'un emprisonnement de six mois à cinq ans et d'une amende de 500 à 10,000 fr. Le coupable peut, en outre, être interdit de tout ou partie des droits mentionnés en l'art. 42 pendant un temps égal à celui de l'emprisonnement auquel il a été condamné. Ce temps court à compter du jour où il a subi sa peine. Toute offense commise publiquement envers les membres de la famille impériale est punie,d'un emprisonnement d'un mois à trois ans et d'une amende de 100 à 5,000 fr.

Que faut-il entendre par un attentat? Cette expression peut soulever quelques difficultés dans les art. 87 et 91, ainsi qu'on le verra tout à l'heure; mais ici son sens est clair, au moins en ce qui concerne l'attentat contre la vie; c'est l'assassinat, le meurtre, l'empoisonnement, les blessures qui peuvent occasionner la mort. Il est plus difficile d'expliquer l'attentat contre les personnes. Il est évident que cette expression, interprétée lato sensu, peut comprendre tous les actes de violence personnelle, quelque minimes et légers qu'ils soient. Est-ce là ce qu'a voulu la loi quand elle a dicté la peine de mort? Est-là la signification juridique du mot attentat? Ce mot n'emporte-t-il pas l'idée d'une violence grave qui, si elle n'est pas dirigée contre la vie, est dirigée contre la sûreté ou la liberté de la personne? On trouve d'ailleurs, dans l'art. 305 du Code pénal, une sorte de définition de cette expression. Cet article punit des travaux forcés quiconque aura menacé par écrit, d'assassinat, d'empoison

nement, ou de tout autre attentat contre les personnes, qui serait punissable de la peine de mort, des travaux forcés à perpétuité ou de la déportation. >> Ne peuton pas induire de ces termes que, dans le système de la loi, les attentats contre les personnes sont au moins des faits qu'elle a qualifiés crimes? La loi n'exige pas, du reste, que la cause de l'attentat soit une cause politique, les conséquences sont les mêmes, quel que soit le motif de l'acte.

Quel est le sens de ces mots : Membres de la famille impériale? L'art. 3 du sénatus-consulte du 30 mars 1806 comprenait, dans cette dénomination, « les princes compris dans l'ordre d'hérédité établi par acte du 28 floréal an XII, leurs épouses et leurs descendants en légitime mariage. » L'art. 6 du sénatusconsulte du 25 décembre 1852 paraît confirmer cette indication : « Les membres de la famille impériale appelés éventuellement à l'hérédité et leurs descendants portent le titre de princes français. >>

178. La loi du 28 avril 1832, par une disposition qui n'était point à sa place, avait annexé dans un paragraphe additionnel à l'art. 86, le délit d'offense publique envers la personne du roi. La loi du 10 juin 1853 a repris cette addition et l'a étendue aux offenses envers les membres de la famille impériale. Il est évident que cette offense n'a point le caractère d'un attentat : la loi ne lui a point donné cette qualification. C'est la relation de la matière qui l'a fait placer à côté des attentats.

Déjà les lois de la presse avaient puni l'offense envers le chef de l'État. L'article 1er de la loi du 27 juillet 1849 porte: « L'art. 2 du décret du 11 août 1848 (qui punissait l'offense envers l'assemblée nationale) est applicable aux offenses envers la personne du président de la république. » Mais cette loi ne frappait que les offenses commises par voie de publication, c'est-à-dire par la voie de la presse, ou par des discours proférés dans des lieux publics. Le 2 § de l'art. 86 a eu pour objet d'ajouter à cette publicité spéciale et limitée une publicité indéfinie : tous les moyens par lesquels l'offense devient publique permettent de la saisir.

Quant au caractère intrinsèque des délits, la loi ne l'a point indiqué : elle a pensé qu'il lui suffisait d'employer un mot qui comporte avec lui une signification un peu vague peut-être, mais au fond certaine. Tous les faits qui constituaient l'outrage et l'injure constituent en même temps l'offense. C'est donc à la définition des deux premiers délits qu'il faut se reporter pour définir le dernier.

179. Les art. 87 et 91 prévoient plusieurs autres cas d'attentat. L'art. 87 a été rectifié par la loi du 10 juin 1853:

« ART. 87. L'attentat dont le but est, soit de détruire ou de changer le gouvernement ou l'ordre de successibilité au trône, soit d'exciter les citoyens ou les habitants à s'armer contre l'autorité impériale, est puni de la déportation dans une enceinte fortifiée. »

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« ART. 91. L'attentat dont le but sera, soit d'exciter la guerre civile en armant ou en portant les citoyens ou habitants à s'armer les uns contre les autres, soit de porter la dévastation, le massacre et le pillage dans une ou plusieurs communes, sera puni de mort. Le complot ayant pour but l'un des crimes prévus au présent article, et la proposition de

former ce complot, seront punis des peines portées en l'art. 89, suivant les distinctions qui y sont établies. »

Un mot d'abord sur ce dernier article. La peine de mort qui y est édictée est remplacée, aux termes de la loi du 8 juin 1850, par la déportation dans une enceinte fortifiée; et quant à l'incrimination relative au complot tendant à l'exécution des crimes prévus par l'art. 91, il est clair que les règles que nous avons précédemment énoncées sur cette matière s'appliquent nécessairement ici.

180. La première question que ces deux articles soulèvent est de savoir ce qu'il faut entendre par attentat. Il faut entendre un acte de violence, un acte matériel, tel qu'une attaque à force ouverte, une prise d'armes; c'est ce qui résulte du sens naturel du mot attentat, c'est ce qui résulte de la signification que différents articles du Code, et notamment les art. 277 et 305 lui ont donnée; c'est ce qui résulte enfin du texte de l'art. 88. Ce dernier article est ainsi conçu:

« ART. 88. L'exécution ou la tentative constitueront seules l'attentat. »

Cet article, en effet, a eu pour objet d'abroger une disposition du Code de 1810, qui réputai! attentat tout acte extérieur commis ou commencé pour parvenir à l'exécution. L'exposé des motifs de la loi de 1832 porte : « La manifestation par des actes extérieurs d'une résolution criminelle, mais avant le commencement d'exécution, ne saurait être assimilée à l'attentat lui-même. C'est à l'attentat, c'est-à-dire à l'exécution déjà commencée, que la peine capitale sera réservée. » Il suit de là que, pour qu'il y ait eu tentative légale, il faut qu'il y ait commencement d'exécution de l'acte constitutif de l'attentat. En effet, en substituant la tentative à un acte commis ou commencé, et en plaçant sur la même ligne la tentative et l'exécution, le nouvel art. 88 n'a pu entendre que la tentative équivalente à l'exécution, c'est-à-dire celle qui est considérée comme le crime même par l'art. 2 du Code pénal. S'il en était autrement, et si la loi avait voulu établir pour ce cas une tentative spéciale et hors du droit commun, elle s'en serait expliquée et ne se serait pas servie d'une expression dont elle avait elle-même fixé le sens légal. Cette interprétation de l'art. 88 résulte encore clairement des art. 89, 90 et 91, deuxième paragraphe; en effet, d'après les art. 89 et 91, le complot est puni de la déportation lorsqu'il y a eu un acte commis et commencé pour préparer l'exécution des attentats prévus par les art. 86, 87 et 91. Il en est de même dans les cas prévus par l'art. 90, qui punit également de la détention un acte commis ou commencé pour préparer l'exécution de l'attentat prévu par l'art. 86. Donc il ne suffit pas d'un acte commis ou commencé, ou d'une tentative quelconque, pour constituer les attentats prévus par les art. 87 et 91; donc il faut la tentative caractérisée que l'art. 2 assimile au crime même. Donc la tentative, c'est le commencement d'exécution; l'exécution, c'est l'accomplissement même de l'attentat.

181. Il est plus difficile peut-être de préciser avec exactitude les différents

buts de l'attentat, lesquels constituent dans chaque hypothèse l'un dés éléments du crime. Dans quels cas l'attentat doit-il être réputé avoir pour but de changer le gouvernement, d'exciter les citoyens, soit à s'armer contre l'autorité souveraine, soit à la guerre civile? Un acte isolé, un effort individuel et par là même impuissant, aura-t-il ce caractère ? Est-il nécessaire qu'il ait menacé d'un péril véritable l'ordre politique? Faut-il mettre sur la même ligne le soulèvement d'un parti puissant, ou l'attaque insensée de quelques individus? La loi, en se servant d'expressions vagues et indéfinies, a voulu saisir tous les faits qui pourraient mettre l'État en péril, tous les actes qui pourraient le menacer d'un désordre grave et sérieux; il est nécessaire, toutefois, que ces actes aient pour but la destruction de la forme politique ou la guerre civile; c'est là la condition principale de l'incrimination, c'est ce qui constitue l'attentat.

182. Cependant la loi, après avoir incriminé en thèse générale, et sans les définir, tous les faits qui, par leur gravité et leur but, peuvent rentrer dans la classe des attentats, a cru devoir spécialement déterminer quelques-uns de ces faits. Tel est l'objet des art. 92, 93, 94 et 95, qui prévoient la levée sans ordre de troupes armées, l'usurpation d'un commandement militaire, les réquisitions illégitimes de la force publique, la destruction des magasins, arsenaux et vaisseaux de l'État. Tel est encore l'objet des art. 96, 97, 98, 99 et 100, qui sont relatifs à l'organisation des bandes armées. Nous devons nous arrêter un moment à ces derniers articles. Les autres ne demandent aucune explication.

183. L'organisation de bandes armées est assurément l'un des actes préparatoires de l'attentat les plus graves et les plus périlleux. Le législateur a dû s'en préoccuper particulièrement.

ART. 96. Quiconque, soit pour envahir des domaines, propriétés ou deniers publics, plans, villes, forteresses, portes, magasins, arsenaux, ports, vaisseaux ou bâtiments appartenant à l'État, soit pour piller ou partager des propriétés publiques ou nationales, ou celles d'une généralité de citoyens, soit enfin pour faire attaque ou résistance envers la force publique agissant contre les auteurs de ces crimes, se sera mis à la tête de bandes armées, on y aura exercé une fonction ou commandement quelconque, sera puni de mort » (de la déportation simple. Loi du 8 juin 1850, art. 2).

Qu'est-ce qu'une bande armée dans le sens de cet article? Il est à remarquer d'abord qu'il ne faut point confondre les bandes dont il s'agit: 1° avec les réunions prévues par les art. 210 et suivants, puisque ces réunions, purement accidentelles, ne sont point organisées; 2o avec les bandes de malfaiteurs qui font l'objet des art. 265 et suivants, puisque ces bandes sont des associations formées contre les personnes ou les propriétés ; 3° avec les bandes prévues par l'art. 450 et qui ont pour but le pillage des denrées mobilières; 40 enfin avec les attroupements armés qui font l'objet de la loi du 7 juin 1849, puisque ces attroupements ne supposent ni organisation ni commandement. Les bandes dont parle l'art. 96 ne sont ni des rassemblements armés, ni des réunions accidentelles de rebelles, ni des attroupements tumultueux, ni des associations de

DES CRIMES ET DÉLITS, ETC. (ART. 100, N° 183). malfaiteurs formées pour commettre des crimes : c'est une troupe organisée pour l'attaque ou la résistance, une troupe munie d'armes et de chefs.

Il est nécessaire, en second lieu, pour l'existence du crime, que cette organisation ait eu pour but l'un des faits énumérés par l'art. 96. Cette énumération excita quelques réclamations lors de la rédaction du Code. La commission du corps législatif fit remarquer « qu'on n'y trouvait pas le cas où une bande armée aurait attaqué ou dévasté les propriétés d'une généralité de citoyens. Cette désignation paraît devoir principalement concerner les propriétés communales ou celles de la masse des habitants d'un lieu; mais, quelque punissables que soient les invasions contre cette espèce de propriété ou autres analogues, on ne peut s'empêcher d'y reconnaître une gravité moindre, que lorsque les voies de fait auront pour objet des propriétés publiques et nationales. » Le conseil d'État repoussa toute distinction « parce qu'il s'agissait ici non d'attroupements irréfléchis, mais de bandes organisées. Or, un crime de cette nature, dirigé même contre des propriétés communales, est si dangereux par le fait et par l'exemple, il est susceptible d'avoir promptement tant d'imitateurs, qu'il y aurait beaucoup d'inconvénients à le distinguer des crimes qui menacent la sûreté de l'État au premier degré. »

La peine portée par l'art. 96 n'est applicable qu'à celui « qui se sera mis à la tête de bandes armées, ou qui aura exercé une fonction ou commandement quelconque. » Ce commandement, cette fonction est donc la circonstance, non pas aggravante, mais constitutive du crime. Quant aux individus qui ont fait partie des mêmes bandes, sans y exercer aucun commandement ni emploi, il faut distinguer s'ils ont été saisis sur les lieux, ou s'ils n'ont été saisis qu'en dehors du lieu de la réunion séditieuse. Dans le premier cas, l'art. 98 porte la peine de la déportation, qui n'est plus en proportion avec le fait, depuis que cette peine a pris la place de la peine de mort dans l'art. 96. Dans le second cas, les coupables sont passibles des dispositions de l'art. 100, qui est ainsi conçu :

« ART. 100. Il ne sera prononcé aucune peine pour le fait de sédition contre ceux qui, ayant fait partie de ces bandes sans y exercer aucun commandement et sans y remplir aucun emploi ni fonctions, se seront retirés au premier avertissement des autorités civiles ou militaires ou même depuis, lorsqu'ils n'auront été saisis que hors des lieux de la réunion séditieuse sans opposer de résistance et sans armes. Ils ne seront punis dans ces cas que des crimes particuliers qu'ils auraient personnellement commis, et néanmoins ils pourront être renvoyés, pour cinq ans ou au plus jusqu'à dix, sous la surveillance spéciale de la haute police. »

Cette disposition a été expliquée par l'exposé des motifs dans les termes suivants: «Lorsque quelques-uns de ces crimes seront commis ou tentés par des bandes séditieuses, il faudra infliger les peines avec la juste circonspection que commandent des affaires aussi complexes. Dans cette multitude de coupables, tous ne le sont pas au même degré, et l'humanité gémirait si la peine capitale était indirectement appliquée à tous, hors les cas où la sédition serait dirigée contre la personne ou l'autorité du prince, ou aurait pour objet quelques crimes approchant de cette gravité. Les chefs et directeurs de ces bandes, toujours plus influents et plus coupables, ne sauraient être trop punis; en dé

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