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préfet, aurait fait arrêter un président d'assemblée électorale dans l'exercice de ses fonctions?» Mais, si l'on se reporte au 1er § de l'art. 114, on voit que les actes attentatoires aux droits des citoyens constituent une matière délicate et si difficile, à ce qu'il paraît, à définir, que le législateur n'a pas essayé de le faire. Or, dans cette matière sujette à des interprétations diverses, il a paru dangereux de laisser au fonctionnaire inférieur la responsabilité et par conséquent l'examen de l'ordre qu'il est chargé d'exécuter.

198. Les art. 115, 116 et 118 n'offrent que peu d'intérêt : ils prévoient le cas où l'acte arbitraire a été fait ou ordonné par un ministre; si la signature du ministre lui a été surprise ou si elle est fausse, les auteurs de la fraude ou du faux sont poursuivis comme auteurs de l'attentat ou comme faussaires; si le ministre, hors de ces deux hypothèses, n'avait pas fait réparer l'acte, après une triple interpellation que le sénat devait lui adresser, aux termes des art. 63 et 67 de l'acte du 28 floréal an XII, il pouvait être puni du bannissement. «Il faut se garder de croire, disait M. Berlier dans la discussion de cet article, que les ministres deviendront immédiatement sujets au bannissement, quand ils auront fait ou ordonné un acte arbitraire; il faudrait encore qu'ils aient méconnu l'autorité du Sénat et refusé de réparer l'acte : il est aisé de croire que cela n'arrivera pas souvent. » Aujourd'hui cette incrimination, quelle que soit sa portée, à cessé d'être applicable, puisque les conditions de son application ont disparu.

199. Peut-être n'est-il pas inutile de vous arrêter un moment à l'art. 117:

« ART. 117. Les dommages-intérêts qui pourraient être prononcés à raison des attentats exprimés dans l'art. 114 seront demandés, soit sur la poursuite criminelle, soit par la vole civile, et seront réglés eu égard aux personnes, aux circonstances et au préjudice souffert, sans qu'en aucun cas, et quel que soit l'individu lésé, lesdits dommages-intérêts puissent être au-dessous de 25 fr. pour chaque jour de détention illégale et arbitraire, et pour chaque individu. »

Cet article serait tout à fait sans objet, s'il n'avait pas un but particulier; car il ne fait qu'appliquer le principe général consacré par l'art. 3 du Code d'instruction criminelle, à savoir, que tout délit donne lieu à deux actions, l'action publique et l'action civile, et que l'action civile peut être poursuivie, soit devant les tribunaux criminels, soit devant les tribunaux civils. Mais son but spécial a été de fixer, dans cette matière délicate, un minimum aux dommagesintérêts. On a craint la faiblesse des juges, on s'est défié de leur justice, on n'a pas voulu abandonner le chiffre de la réparation à leur pouvoir discrétionnaire. C'est là tout l'esprit de l'article.

200. Après avoir trop incomplétement peut-être traité des arrestations arbitraires, notre Code s'occupe des moyens de faire cesser les détentions illégales. Il est indispensable, pour bien comprendre l'art. 119, de le rapprocher des art. 615 et 616 du Code d'instruction criminelle. Voici d'abord le texte de ces deux articles :

◄ ART. 615. C. d'instr. cr. En exécution des art. 77, 78, 79, 80, 81 et 82 de l'acte du

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22 frimaire an VIII, quiconque aura connaissance qu'un individu est détenu dans un lieu qui n'a pas été destiné à servir de maison d'arrêt, de justice ou de prison, est tenu d'en donner avis au juge de paix, au procureur impérial ou à son substitut, ou au juge d'instruction, ou au procureur général près la cour impériale.

<< ART. 616. Tout juge de paix, tout officier chargé du ministère public, tout juge d'instruction est tenu d'office ou sur l'avis qu'il en aura reçu, sous peine d'être poursuivi comme complice de détention arbitraire, de s'y transporter aussitôt et de faire mettre en liberté la personne détenue, ou, s'il est allégué quelque cause légale de détention, de la faire conduire sur-le-champ devant le magistrat compétent. >>

Ces deux articles n'ont qu'un but, c'est de faire cesser les détentions qui auraient lieu dans des maisons qui ne seraient pas destinées à servir de prison. Tout juge de paix, tout officier du ministère public, tout juge d'instruction qui a connaissance d'une détention semblable et qui ne la fait pas immédiatement cesser, est déclaré complice de la détention arbitraire. Mais cette intervention est limitée au cas de détention dans une prison illégale : elle ne s'étend point au cas où l'illégalité provient, non du lieu de la détention, mais de sa cause même. A cet égard, on ne peut que constater la lacune qui existe dans la loi. L'art. 119 du Code pénal, qui semblait avoir eu pour objet d'apporter une sanction à ces deux premiers articles, contient des omissions plus graves encore.

« ART. 119. Les fonctionnaires publics chargés de la police administrative ou judiciaire, qui auront refusé ou négligé de déférer à une réclamation légale tendant à constater les détentions illégales et arbitraires, soit dans les maisons destinées à la garde des détenus, soit partout ailleurs, et qui ne justifieront pas les avoir dénoncées à l'autorité supérieure, seront punis de la dégradation civique, et tenus de dommages-intérêts, lesquels seront réglés comme il est dit dans l'art. 117. »

La distinction faite par les art. 616 et 516 du Code d'instruction criminelle entre la détention dans les lieux illégaux et celle dans les lieux légaux ne se retrouve plus ici; les fonctionnaires sont chargés de constater toutes les détentions illégales, soit dans les maisons destinées à la garde des détenus, soit partout ailleurs; ils sont donc tenus de constater, non-seulement ces détentions illégales à raison du lieu, mais aussi les détentions illégales par leur cause; sous ce rapport, on pourrait croire que la lacune que je viens de signaler se trouverait comblée. Mais l'art. 119 ne punit point, comme les art. 615 et 616 le feraient supposer, les fonctionnaires qui n'ont pas sur-le-champ fait cesser la détention arbitraire: il se borne à punir ceux qui ont refusé ou négligé de déférer à une réclamation légale, tendant à constater une détention arbitraire et qui ne justifieront pas l'avoir dénoncée à l'autorité supérieure. Ainsi la sanction que les art. 615 et 616 cherchent dans ce dernier article ne s'y trouve que d'une manière bien indirecte, si même elle s'y trouve. Là, c'est un acte direct, une intervention immédiate que la loi ordonne, sous peine de complicité de détention arbitraire, et ici il n'y a crime de détention arbitraire qu'à défaut, non plus d'intervention immédiate, mais de dénonciation du fait à l'autorité supérieure. Quelle est cette autorité supérieure? Quelle est la dénonciation à laquelle les fonctionnaires de la police administrative ou judicaire sont astreints? Que faut-il entendre par réclamation légale dans le sens de l'article?

La loi se tait sur tous ces points; et l'on ne peut que regretter, dans toute cette matière, l'insuffisance de ses dispositions.

201. Le Code pénal prévoit, dans les art. 120 et 122, la violation des formes prescrites par la loi pour assurer la légalité des détentions. Le premier de ces articles correspond à l'art. 609 du Code d'instruction criminelle qui est ainsi conçu :

« ART. 609. Nul gardien ne pourra, à peine d'être poursuivi et puni comme coupable de détention arbitraire, recevoir ni retenir aucune personne qu'en vertu soit d'un mandat de dépôt, soit d'un mandat d'arrêt décerné selon les formes prescrites par la loi, soit d'un arrêt de renvoi devant une cour d'assises, d'un décret d'accusation où d'un arrêt ou jugement de condamnation à une peine afflictive ou à un emprisonnement, et sans que la transcription en ait été faite sur son registre. »

L'art. 120 a dû apporter à cette disposition la sanction pénale qui lui manquait. En voici le texte :

ART. 120. Les gardiens et concierges des maisons de dépôt, d'arrêt de justice et de peine, qui auront reçu un prisonnier sans mandat ou jugement, ou sans ordre provisoire du gouvernement; ceux qui l'auront retenu, ou auront refusé de le représenter à l'officier de police ou au porteur de ses ordres, sans justifier de la défense du procureur impérial ou du juge, ceux qui auront refusé d'exhiber leurs registres à l'officier de police, seront, comme coupables de détention arbitraire, punis de six mois à deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 16 à 200 fr. »

Cet article donne lieu à plusieurs observations. On doit remarquer, d'abord, que ces termes, qui s'éloignent des termes restrictifs de l'art. 609, semblent reconnaître comme une détention légale la détention qui a lieu en vertu d'un ordre provisoire du gouvernement. Que cet ordre puisse justifier le gardien, qui n'est pas compétent pour en constater la légalité, on peut le comprendre, mais faut-il donc y voir une cause légale de détention? A l'époque où le Code pénal était rédigé, l'art. 46 de la constitution du 22 frimaire an VIII avait attribué au gouvernement un droit d'arrestation par mesure de police; l'art. 60 du sén.-cons. du 28 floréal an XII avait autorisé des détentions provisoires pour cause de sûreté de l'État, et le décret du 3 mars 1810 avait réglé la forme des arrestations par mesure de haute police. Ces dispositions expliquent le texte de l'art. 120, mais elles n'existent plus. Ce n'est qu'à l'égard des mendiants, des filles publiques et des individus trouvés voyageant sans passe-port, que l'administration est autorisée par quelques textes confus de la législation intermédiaire à détenir par mesure de police, pendant quelques jours, les individus de ces trois catégories. Il faut donc entendre d'une manière très-restrictive les expressions légales que je viens de vous signaler.

202. L'art. 120 prévoit, en second lieu, le refus du gardien: 1o de représenter le détenu dont la représentation est régulièrement demandée ; 2° d'exhiber le registre de la prison. Les art. 79 et 80 de la constitution du 22 frimaire an VIII portaient :

« ART. 79. Tout gardien ou geôlier est tenu, sans qu'aucun ordre puisse l'en dispenser,

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de représenter la personne détenue à l'officier civil ayant la police de la maison de détention, toutes les fois qu'il en sera requis par cet officier. ART. 80. La représentation de la personne détenue ne pourra être refusée à ses parents et amis, porteurs de l'ordre de l'officier civil, lequel sera toujours tenu de l'accorder, à moins que le gardien ou le geôlier ne représente une ordonnance du juge pour tenir la personne au secret. »

Ces deux articles ont été maintenus par l'art. 615 du Code d'instruction criminelle, et l'art. 618 les reproduit en partie en ajoutant quelques précautions accessoires:

«ART. 618. Tout gardien qui aura refusé, ou de montrer au porteur de l'ordre de l'officier civil ayant la police de la maison d'arrêt, de justice ou de la prison, la personne détenue, sur la réquisition qui en sera faite, ou de montrer l'ordre qui le lui défend, ou de faire au juge de paix l'exhibition de ses registres, ou de lui laisser prendre telle copie que celui-ci croira nécessaire de partie de ses registres, sera poursuivi comme coupable ou complice de détention arbitraire. »

Il est à remarquer que l'art. 120, tout en donnant sa sanction à ces dispositions, réserve, comme elles l'ont fait elles-mêmes, le cas où le gardien a reçu l'ordre d'interdire toute communication avec le prévenu. Cette mesure, que l'on appelle ordinairement la mise au secret du détenu, est un acte d'instruction, un moyen de preuve; elle a pour but d'empêcher que le prévenu ne se concerte avec ses complices, n'altère ou ne fasse disparaître les traces du crime, n'exerce ou ne subisse aucune influence extérieure. C'est au juge d'instruction chargé de procéder à tous les actes de l'instruction, qu'il appartient de l'ordonner.

203. L'art. 122 ajoute deux dispositions :

« ART. 122. Seront aussi punis de la dégradation civique les procureurs généraux ou impériaux, les substituts, les juges ou les officiers publics qui auront retenu ou fait retenir un individu hors des lieux déterminés par le gouvernement ou par l'administration publique ou qui auront traduit un citoyen devant une cour d'assises, sans qu'il ait été préalablement mis légalement en accusation. »

La première de ces deux incriminations a pour objet un fait dont nous avons déjà parlé : la détention d'un prévenu dans un lieu qui n'est pas légalement affecté à cette destination. La loi ne reconnaît, en principe, que trois espèces de prison: les maisons d'arrêt où sont déposés les inculpés, les maisons de justice où sont transférés les prévenus, lorsque la mise en accusation a été prononcée, et les prisons pénales, qui sont les maisons de correction, les maisons centrales de détention et les bagnes. Toutefois les nécessités du service judiciaire ont fait admettre, par forme réglementaire, et pour servir de dépôt provisoire aux prévenus, les prisons cantonales et les chambres de sûreté de la gendarmerie.

La seconde incrimination se réfère à l'art. 271 du Code d'instruction criminelle, qui dispose que le procureur général ne pourra porter à la cour d'assises aucune accusation qui n'aurait pas été admise suivant les formes prescrites par la loi à peine de nullité. L'arrêt de mise en accusation est la garantie des prévenus; ils y trouvent l'assurance qu'ils ne seront point mis en jugement,

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si des charges graves ne pèsent sur eux. Toutes les formes de la procédure écrite se résument dans cet arrêt. Le législateur n'a pas pensé qu'il pût suffire de prononcer la nullité d'une procédure qui aurait omis ce premier degré de juridiction; il a voulu que le magistrat coupable d'une telle omission fût solennellement flétri.

204. L'art. 121 prévoit un cas tout à fait différent : il a pour objet, non plus d'assurer à tous les prévenus les formes générales de la procédure, mais de protéger contre l'application de ces formes une classe particulière de prévenus, les fonctionnaires politiques. Prenons le texte de cet article :

< ART. 121. Seront, comme coupables de fortaiture, punis de la dégradation civique, tout officier de police judiciaire, tous procureurs généraux ou impériaux, tous substituts, tous juges, qui auront provoqué, donné ou signé un jugement, une ordonnance ou un mandat tendant à la poursuite personnelle ou accusation, soit d'un ministre, soit d'un membre du sénat, du corps législatif ou du conseil d'Etat, sans les autorisations prescrites par les lois de l'État; ou qui, hors les cas de flagrant délit ou de clameur publique, auront, sans les mêmes autorisations, donné ou signé l'ordre ou le mandat de saisir ou arrêter un ou plusieurs ministres, ou membres du sénat, du corps législatif ou du conseil d'État.

Cet article est la sanction d'une règle constitutionnelle qui défend de mettre en jugement et même simplement en arrestation les membres du sénat, du corps législatif, du conseil d'État et les ministres, sans une autorisation préalable. Cette règle est établie par les art. 70 et 71 de la constitution du 22 frimaire an VIII, qui portent que : « les délits personnels emportant peine afflictive ou infamante, commis par un membre soit du sénat, soit du tribunat, soit du conseil d'État, sont poursuivis devant les tribunaux ordinaires, après qu'une délibération du corps auquel il appartient a autorisé cette poursuite, et que les ministres sont considérés comme membres du conseil d'Etat. » Mais la nécessité de cette autorisation ne fait pas obstacle à la recherche des preuves concernant le corps du délit; elle ne suspend que les mesures personnelles à l'inculpé. On lit, dans les discussions du conseil d'État qui ont préparé le Code, << que l'intention des rédacteurs du Code n'avait certainement pas été d'empê cher ou d'arrêter les premières informations, mais seulement de s'opposer à ce qu'aucune ordonnance ou mandat eût lieu contre les fonctionnaires de la qualité désignée, avant les autorisations constitutionelles. » Cette suspension cesse même tout à fait au cas de flagrant délit la poursuite et l'arrestation peuvent alors être ordonnées sans attendre l'autorisation prescrite par la loi.

SECTION III.

COALITION DES FONCTIONNAIRES.

205. Je ne m'arrêterai qu'un instant aux quatre articles qui composent cette section. Ces articles témoignent des méticuleuses inquiétudes du législateur en tout ce qui touche l'obéissance hiérarchique des agents administratifs. A notre sens, ils étaient parfaitement inutiles, car il n'y a pas lieu de présumer

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