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que les fonctionnaires qui composent l'administration puissent, avec l'unité de leur constitution et la dépendance qui les lie étroitement, former une coalition pour l'inexécution des ordres du pouvoir. Aussi n'ont-ils jamais reçu aucune application.

L'art. 123 prévoit le concert de mesures contraires aux lois, pratiqué par une réunion d'individus ou de corps dépositaires de l'autorité publique. La peine est un emprisonnement de deux à six mois et l'interdiction des droits civiques et de tout emploi public. L'art. 124 aggrave ces peines, si le concert a pour objet des mesures contre l'exécution des lois ou contre les ordres du gouvernement: la peine est le bannissement. Si le concert a lieu entre les autorités civiles et les corps militaires, c'est la déportation qui est prononcée contre les auteurs et provocateurs. Enfin, si le concert a eu pour objet ou pour résultat un complot attentatoire à la sûreté intérieure de l'État, l'art. 125 prononce la peine de mort.

Il est inutile de faire remarquer tout ce que ces incriminations ont de vague et d'indécis : qu'est-ce qu'un concert dans le sens de la loi ? quelles sont les mesures qui doivent être réputées contraires aux lois ? que faut-il entendre par les ordres du gouvernement? Toutes ces expressions auraient eu besoin d'être définies. Si elles devaient être appliquées, nous en rechercherions la véritable signification. Je bornerai mes observations à l'art. 125. Cet article punit et punit de la peine de mort « le concert ayant pour objet ou pour résultat un complot. » Or, vous avez vu qu'un complot est la résolution d'agir concertée entre plusieurs personnes. L'objet de l'art. 125 est donc, si l'on arrive au fond de cette mauvaise rédaction, un concert de mesures prises pour former une résolution d'agir, en d'autres termes, un véritable complot, moins qu'un complot peut-être, puisque le concert ayant pour objet une résolution n'est que la pensée d'un simple projet, et par conséquent, est un fait moins grave qu'une résolution déjà concertée et arrêtée. Et cependant, ce fait, que l'art. 89, en le qualifiant complot, ne frappe que de la détention, l'art. 125 le frappe de la peine de mort. Pourquoi cette différence ? pourquoi deux peines si distinctes à deux faits qui ont entre eux une si intime analogie? La qualité des agents dans ce dernier article suffisait-elle pour la motiver ?

206. L'art. 126 a porté la prévoyance à la plus extrême limite en édictant une peine pour les fonctionnaires qui auraient, par délibération, arrêté de donner leurs démissions, à l'effet de suspendre un service quelconque. Il n'y a pas encore eu d'exemple de cette sorte de crime.

SECTION IV

EMPIÉTEMENT DES AUTORITÉS ADMINISTRATIVES ET JUDICIAIRES.

207. Vous trouverez dans cette section la sanction d'un principe important de notre droit public: la séparation du pouvoir administratif et du pouvoir judiciaire.

Ce principe a été posé par l'art. 13, tit. II, de la loi du 16-24 août 1790, ainsi conçu: « Les fonctions judiciaires sont distinctes et demeureront toujours séparées des fonctions administratives. Les juges ne pourront, à peine de forfai

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ture, troubler de quelque manière que ce soit les opérations des corps administratifs ni citer devant eux les administrateurs pour raison de leurs fonctions.» Cette disposition a été reproduite par la constitution du 3 septembre 1791 (ch. Iv, sect. II, art. 3, et chap. v, art. 3), par la constitution du 5 fructidor an III, et par la constitution du 22 frimaire an VIII, art. 52. C'est à ces dispositions que se rattache l'art. 127, ainsi conçu :

« ART. 127. Seront coupables de forfaiture et punis de la dégradation civique: 16 les juges, les procureurs généraux et impériaux ou leurs substituts, les officiers de police, qui se seront immiscés dans l'exercice du pouvoir législatif, soit par des règlements contenant des dispositions législatives, soit en arrêtant ou en suspendant l'exécution d'une ou de plusieurs lois, soit en délibérant sur le point de savoir si les lois seront publiées ou exécutées; 2o les juges, les procureurs généraux ou impériaux, ou leurs substituts, les officiers de police judiciaire qui auraient excédé leur pouvoir, en s'immisçant dans les matières attribuées aux autorités administratives, soit en faisant des règlements sur ces matières, soit en défendant d'exécuter les ordres émanés de l'administration, ou qui, ayant permis ou ordonné de citer des administrateurs pour raison de leurs fonctions, auraient persisté dans l'exécution de leurs jugements ou ordonnances, nonobstant l'annulation qui aurait été prononcée, ou le conflit qui leur aurait été notifié. »

Ces dispositions sont généralementcl aires et ne demandent aucune explication particulière. Je vous parlerai seulement tout à l'heure de la citation des administrateurs pour raison de leurs fonctions et des conflits. Vous devez remarquer cependant que la sollicitude du législateur, lorsqu'il veut tracer la ligne profonde qui doit séparer le pouvoir judiciaire des autres pouvoirs, se porte aussitôt sur les empiétements possibles de ce pouvoir. Pourquoi cette défiance?, N'y a-t-il pas lieu de craindre davantage les actes arbitraires de l'administration que les usurpations de la justice? On retrouve dans ces dispositions un sentiment, tout-puissant en 1791, mais qui devait s'être affaibli en 1810, le souvenir du pouvoir exorbitant des parlements, le ressentiment de la domination de l'autorité judiciaire, la crainte qu'elle ne pût essayer de ressaisir ses anciennes attributions. De là cette incrimination inquiète et prévoyante qui recherche tous les actes par lesquels les juges pourraient sortir de leurs fonctions, et qui saisit chacun de ces actes au moment même où ils se produisent, sans se préoccuper de leur nature et de l'intention bonne ou répréhensible des magistrats qui y ont procédé.

208. L'art. 128 a pour objet la protection des attributions administratives, le maintien du droit d'élever le conflit:

« ART. 128. Les juges qui, sur la revendication solennellement faite par l'autorité administrative d'une affaire portée devant eux, auront néanmoins procédé au jugement avant la décision de l'autorité supérieure, seront punis chacun d'une amende de 16 fr. au moins et de 150 fr. au plus. Les officiers du ministère public qui auront fait des réquisitions ou donné des conclusions pour ledit jugement, seront punis de la même peine. » On distingue deux sortes de conflit: le conflit d'attribution et le conflit de juridiction. Nous examinerons plus loin, en expliquant les règles de l'instruction criminelle, les dispositions qui s'appliquent aux conflits de juridiction. Le

DES CRIMES ET DÉLITS, ETC. (ART. 129, No 209). conflit d'attribution, dont il s'agit ici, est positif ou négatif: le premier résulte de la revendication par l'administration d'une affaire dont les tribunaux sont saisis et dont elle prétend que le jugement appartient au pouvoir administratif; le second résulte de la déclaration respective d'incompétence faite par les juges et par les administrateurs au sujet de la même affaire. Cette matière, sur laquelle ont successivement statué le décret du 21 fructidor an III, le règlement du 5 nivôse an VII, l'arrêté du 13 brumaire an X, et l'ordonnance du 12 décembre 1821, a été définitivement réglée par une ordonnance du 1er juin 1828. L'art. 1er de cette ordonnance porte que « à l'avenir, le conflit d'attribution entre les tribunaux et l'autorité administrative ne sera jamais élevé en matière criminelle. » L'art. 2 ajoute: «Il ne pourra être élevé de conflit en matière de police correctionnelle que dans les deux cas suivants : 1o lorsque la répression du délit est attribuée par une disposition législative à l'autorité administrative; 2° lorsque le jugement à rendre par le tribunal dépendra d'une question préjudicielle dont la connaissance appartiendrait à l'autorité administrative en vertu d'une disposition législative. Dans ce dernier cas, le conflit ne pourra être élevé que sur la question préjudicielle.» Enfin, la forme de procéder est indiquée par l'art. 6: « Lorsqu'un préfet estimera que la connaissance d'une question portée devant un tribunal de première instance est attribuée par une disposition législative à l'autorité administrative, il pourra, alors même que l'administration ne serait pas en cause, demander le renvoi de l'affaire devant l'autorité compétente. A cet effet, le préfet adressera au procureur du roi un mémoire dans lequel sera rapportée la disposition législative qui attribue à l'administration la connaissance du litige. Le procureur du roi fera connaître dans tous les cas au tribunal la demande formée par le préfet, et requerra le renvoi si la revendication lui paraît fondée. » Les juges n'ont qu'un point à examiner: si le conflit est régulier, c'est-à-dire s'il est élevé dans les cas prévus et suivant les formes prescrites par la loi. Si cette régularité existe, ils doivent surseoir; si elle n'est pas démontrée, ils doivent passer outre. L'art. 128 ne prévoit, en effet, que l'usurpation d'un droit.

209. L'art. 129 prévoit un autre fait de la même nature. Aux termes de l'art. 75 de la constitution du 22 frimaire an VIII: « les agents du gouvernement ne peuvent être poursuivis pour des faits relatifs à leurs fonctions qu'en vertu d'une décision du conseil d'Etat.» L'art. 129, qui se réfère à cette disposition, est ainsi conçu :

« ART. 129. La peine sera d'une amende de 100 fr. au moins et de 500 au plus, contre chacun des juges qui, après une réclamation légale des parties intéressées ou de l'autorité administrative, auront, sans autorisation du gouvernement, rendu des ordonnances ou décerné des mandats contre ses agents ou préposés prévenus de crimes ou délits commis t dans l'exercice de leurs fonctions. La même peine sera appliquée aux officiers du ministère public ou de police qui auront requis lesdites ordonnances ou mandats.

Une première observation doit être faite. L'art. 3 de l'ordonnance du 1er juin 1828 porte: «Ne donneront pas lieu au conflit, 1° le défaut d'autorisation de la part du gouvernement, lorsqu'il s'agit de poursuites dirigées contre ses agents... » Il suit de là que le défaut d'autorisation ne constitue qu'une excep

tion personnelle que le prévenu peut faire valoir et que les juges doivent admettre, en tout état de cause, si elle est fondée.

Dans ce dernier cas, l'autorité judiciaire doit-elle surseoir à tous les actes d'instruction? L'art. 129 ne prohibe que les ordonnances et mandats. L'art. 3 du décret du 9 août 1806 avait déjà établi la distinction que cet article consacre: <«<La disposition de l'art. 75 de l'acte constitutionnel de l'an VIII ne fait point obstacle à ce que les magistrats chargés de la poursuite des délits informent et recueillent tous les renseignements relatifs aux délis commis par nos agents dans l'exercice de leurs fonctions; mais il ne peut être décerné, en ce cas, aucun mandat, ni subi aucun interrogatoire juridique, sans l'autorisation préalable du gouvernement. » Il suit de là que toutes les mesures conservatoires, toutes celles qui ont pour objet de vérifier les charges, de recueillir les témoignages, de constater les indices, demeurent entre les mains de la justice. Toutes les mesures préventives, toutes celles qui ont pour objet soit de s'assurer de la personne de l'inculpé, soit de lui imprimer la qualité de prévenu, sont suspendues jusqu'à ce que le conseil d'État ait statué.

Cette suspension du droit de l'autorité judiciaire cesse-t-elle au cas de flagrant délit, si le fait est passible d'une peine afflictive ou infamante ? Quelques commentateurs enseignent que l'agent, dans ce cas, peut être saisi, interrogé et détenu, et que l'autorisation n'est nécessaire que pour le jugement. Ils s'appuient sur ce que l'art. 106 du Code d'instruction criminelle impose à tout dépositaire de la force publique et même à toute personne, le devoir de saisir le prévenu surpris en flagrant délit, si le fait emporte peine afflictive ou infamante; l'arrestation, dans ce cas, est un droit inaliénable de la justice, parce qu'elle est une condition indispensable de l'ordre, et l'art. 121 du Code pénal l'a autorisée à l'égard des fonctionnaires de l'ordre politique. Un criminaliste a déjà répondu que l'art. 75 de la loi du 22 frimaire an VIII ne fait aucune distinction entre les faits relatifs aux fonctionnaires flagrants ou non flagrants; Que l'art. 129 contient une disposition générale qui s'applique à tous les cas; qu'il n'a point reproduit l'exception contenue dans l'art. 121; et que la raison de cette différence est que les faits relatifs aux fonctions qui font l'objet de l'art. 129, tels que la corruption, la concussion, le faux, l'abus de pouvoir, n'occasionnent point, en général, un péril imminent pour la paix publique; qu'ainsi le flagrant délit, relativement à cette classe de faits, n'existe jamais d'une manière directe et alarmante. On ajoute que la garantie étant établie à raison de la nature des actes, il y a même motif de l'appliquer, soit que l'agent soit surpris en flagrant délit, soit que la preuve ne se manifeste qu'ultérieurement.

210. Les art. 130 et 131 sont des dispositions corrélatives de celles qui précèdent; ils ont pour objet de défendre le pouvoir judiciaire des entreprises de l'administration, comme celles-ci défendent l'administration contre le pouvoir judiciaire.

« ART. 130. Les préfets, sous-préfets, maires et autres administrateurs qui se sont immiscés dans l'exercice du pouvoir législatif, comme il est dit au no 1er de l'art. 127, ou qui se seront ingérés de prendre des arrêtés généraux tendant à insinuer des ordres ou des défenses quelconques à des cours ou tribunaux, seront punis de la dégradation civique. »

« ART. 131. Lorsque ces administrateurs entreprendront sur les fonctions judiciaires en s'ingérant de connaître de droits et d'intérêts privés du ressort des tribunaux, et qu'après la réclamation des parties ou de l'une d'elles, ils auront néanmoins décidé l'affaire avant que l'autorité supérieure ait prononcé, ils seront puuis d'une amende de 16 à 150 fr.

Ces articles n'appellent qu'une seule observation. Peut-être le législateur, si minutieux quand il s'agit de surveiller les empiétements de l'autorité judiciaire, n'a-t-il pas déployé la même exactitude à l'égard des excès de pouvoir de l'autorité administrative. Il semble qu'il aurait pu prévoir quelques-uns des actes d'immixtion ou d'usurpation les plus oppressifs et en spécifier les caractères avec plus de détail et de soin.

DIX-SEPTIÈME LEÇON.

211. Nous allons aborder dans cette leçon l'une des matières les plus épineuses et les plus obscures du Droit pénal, la matière du faux. Cette matière fait l'objet, dans notre Code, des art. 132 et suivants jusqu'à l'art. 165. Il n'est point de textes dans ce Code qui aient soulevé plus de questions et donné lieu à plus de discussions. Je vais essayer d'en tracer les lignes générales, d'en exposer les règles fondamentales, en laissant de côté tous les détails de la matière; car ces détails exigeraient non une seule leçon, mais le cours d'une année entière.

Il faut examiner en premier lieu, pour éviter toute confusion, les éléments de deux incriminations que le Code a mêlées au crime de faux, quoiqu'ils en diffèrent sous plusieurs rapports: la fausse monnaie et la contrefaçon des sceaux de l'Etat.

Le crime de fausse monnaie, qui a pris, pendant longtemps, dans la pensée du législateur, des proportions supérieures à sa gravité intrinsèque, n'est au fond qu'une escroquerie, un vol commis à l'aide d'une falsification. La loi du 28 avril 1832 a fait un premier pas en substituant, dans l'art. 132, à la peine de mort, celle des travaux forcés à perpétuité. La loi du 13 mai 1863 a été un peù plus loin. Voici le texte actuel de cet article.

« ART. 132. Quiconque aura contrefait ou altéré les monnaies d'or ou d'argent, ayant cours légal en France, ou participé à l'émission ou exposition desdites monnaies contrefaites ou altérées, ou à leur introduction sur le territoire français, sera puni des travaux forcés à perpétuité. Celui qui aura contrefait ou altéré des monnaies de billon ou de cuivre ayant cours légal en France, ou participé à l'émission ou exposition desdites monnaies contrefaites ou altérées, ou à leur introduction sur le territoire français, sera puni des travaux forcés à temps. »>

Cet article confond dans les mêmes dispositions la contrefaçon des monnaies d'or et celle des monnaies d'argent, la contrefaçon et l'altération de ces monnaies, leur émission sans connivence avec le faussaire, leur simple exposition dans un lieu public, enfin leur introduction sur le territoire francais. Il est permis de penser que ces faits différents auraient exigé des incriminations et des pénalités distinctes. Il est nécessaire, dans tous les cas, qu'il y ait intention

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