Images de page
PDF
ePub

judice possible. Il est évident qu'en général il ne s'agit point d'une intention et d'un préjudice qui se rapportent à des tiers. Les passe-ports ne sont qu'un moyen de surveillance, un moyen de constater l'identité des voyageurs, dans un intérêt de sûreté publique. Dès lors, quel est le préjudice que peut causer un faux passe-port? C'est de tromper la surveillance de l'autorité administrative. Quelle est l'intention frauduleuse qui doit amener cette falsification? C'est l'intention de causer cette tromperie, d'égarer cette surveillance. Ce sont là des éléments nécessaires du délit.

La jurisprudence nous fournit un moyen de préciser l'application de cette doctrine. Le desservant d'une paroisse voyageait dans la compagnie d'une femme avec laquelle il vivait en concubinage. Voulant cacher sa qualité, il falsifia le passe-port dont il était porteur en substituant, à la qualité de desservant, celle d'habitant. Poursuivi à raison de cette altération, la juridiction correctionnelle le renvoya de cette poursuite, attendu qu'en altérant son passeport, le prévenu n'avait cédé qu'à un sentiment de honte légitime et que rien ne prouvait qu'il eût eu l'intention de nuire à quelque intérêt privé ou public. Ce jugement, dénoncé à la cour de cassation, a été annulé parce que l'art. 153 punit en général toute altération commise dans les passe-ports et que, dans l'espèce, l'altération était constatée. Des criminalistes ont critiqué cette jurisprudence et, à notre avis, ils ont eu raison. Il ne suffit pas qu'il y ait une altération matérielle dans le passe-port pour l'existence du délit, car il s'agit d'un délit moral, c'est-à-dire d'un délit qui ne peut exister que par l'élément intentionnel; or quelle est la nature de l'intention nécessaire pour le constituer? Suffit-il que l'agent ait voulu voiler sa qualité, si cette qualité est inutile pour constater son individualité? Non; car le passe-port n'a qu'un but, c'est de constater cette individualité, c'est d'assurer la surveillance de la police. Si donc l'altération a pour objet de voiler une conduite immorale et non de frauder l'objet du passe-port, si elle s'applique aux regards du public et non aux regards de la police, il peut y avoir là encore une action répréhensible, il n'y a plus de délit, parce que l'art. 153 ne peut avoir qu'un but, c'est de maintenir l'action de la surveillance administrative.

242. Que faut-il entendre par l'usage d'un passe-port? Évidemment c'est l'exhibition qui en est faite lorsqu'elle est requise. Faut-il conclure de là que le seul port d'un faux passe-port échappe à toute peine, lorsque l'exhibition. n'en a point été faite? Il faut répondre affirmativement, car la simple possession d'un acte n'est point un usage de cet acte. Il existe toutefois une exception à cette règle en ce qui concerne les vagabonds et les mendiants. L'art. 281 porte

« ART. 281. Les peines établies par le présent Code contre les individus porteurs de faux certificats, faux passe-ports ou fausses feuilles de route, seront toujours, dans leur espèce, portées au maximum, quand elles seront appliquées à des vagabonds ou mendiants. ».

Il résulte de ce texte que le port de faux passe-ports est puni, indépendamment de tout usage, quand il s'agit de vagabonds et de mendiants: la loi a con

DES CRIMES ET DÉLITS, ETC. (ART. 155, N° 245). sidéré qu'à l'égard de cette classe d'individus, la présomption de l'usage résultait du seul fait de la possession de la pièce fausse.

243. L'art. 154 s'occupe du faux commis dans les passe-ports par supposition de personnes cet article, modifié par la loi du 13 mai 1863, est ainsi conçu :

«< ART. 154. Quiconque prendra, dans un passe-port ou dans un permis de chasse, un nom supposé, ou aura concouru comme témoin à faire délivrer le passe-port sous le nom supposé, sera puni d'un emprisonnement de trois mois à un an. La même peine sera applicable à tout individu qui aura fait usage d'un passe-port ou d'un permis de chasse délivré sous un autre nom que le sien. Les logeurs et aubergistes qui sciemment inscriront sur leurs registres, sous des noms faux ou supposés, les personnes logées chez eux, ou qui, de connivence avec elles, auront omis de les inscrire, seront punis d'un emprisonnement de six jours au moins et de trois mois au plus.

Je me bornerai à vous faire remarquer sur cet article que la supposition du nom est le seul objet de sa disposition; d'où il faut conclure que la supposition soit des prénoms, soit des titres et qualité ne rentre sous aucun rapport dans ses termes.

244. L'officier public qui a délivré le passe-port sous un nom supposé est responsable, aux termes de l'art. 155, dans deux cas : 1o s'il ne connaissait pas l'individu personnellement et s'il a omis de se faire attester ses noms et qualités par deux citoyens connus; 2° s'il a été instruit de la supposition du nom. La question s'est élevée de savoir si ces dispositions s'appliquent à l'officier public qui, sans délivrer lui-même le passe-port, est appelé par la loi à donner un avis sur sa délivrance. Il s'agissait des passe-ports à l'étranger qui, aux termes de la loi du 14 ventôse an IV, sont delivrés par le préfet, sur l'avis de l'autorité municipale. Un maire qui avait donné un avis favorable à la délivrance d'un passe-port sous un nom supposé, était-il passible de l'application de l'art. 155? Il faut tenir la négative, car cet article ne prévoit que l'acte de l'officier public qui délivre un passe-port; or le maire qui donne simplement un avis sur la délivrance, ne délivre pas lui-même. Ce sont deux points distincts et il est impossible d'étendre la loi de l'un à l'autre.

L'art. 155 a été en conséquence rectifié par la loi du 13 mai 1863. ·

« ART. 155. Les officiers publics qui délivreront ou feront délivrer un passe-port à une personne qu'ils ne connaîtront pas personnellement sans avoir fait attester ses noms et qualités par deux citoyens à eux connus seront punis d'un emprisonnement d'un mois à six mois. Si l'officier public, instruit de la supposition du nom, a néanmoins délivré ou fait délivrer le passe-port sous le nom supposé, il sera puni d'un emprisonnement d'une année au moins et de quatre ans au plus.

D

245. Les art. 156, 157 et 158 concernent la fabrication et l'usage des feuilles de route qui sont les passe-ports des militaires et des employés à la suite de l'armée. Nos observations sur les faux commis dans les passe-ports s'appliquent naturellement au faux commis dans les feuilles de route et nous ne les répéterons point. Ce sont d'ailleurs les mêmes dispositions légales, sauf un seul point la falsification de la feuille de route peut avoir pour objet, non-seule

ment de tromper la surveillance de l'autorité publique, mais encore de soustraire au trésor public les frais de route qui sont alloués aux militaires; alors le faux a pour but une espèce d'escroquerie et il en résulte une aggravation de la peine. Si la somme soustraite est de 100 francs ou inférieure à cette somme, la peine est un emprisonnement d'un à quatre ans; si elle supérieure, la peine est de deux ans à cinq ans.

246. Les faux commis dans les certificats rentrent dans les termes des art. 147 et 150, toutes les fois que le certificat renferme obligation ou décharge, toutes les fois qu'il constate des faits qui peuvent préjudicier à des tiers.

« ART. 162. Les faux certificats de toute autre nature, et d'où il pourrait résulter soit lésion envers des tiers, soit préjudice envers le trésor, seront punis, selon qu'il y aura lieu, d'après les dispositions des paragraphes 3 et 4 de la présente section. >>

Et, en effet, ce n'est point la forme de l'écriture falsifiée qui peut changer le caractère du faux: il importe peu que l'altération de la vérité soit commise dans un certificat ou dans tout autre acte, si elle produit le même effet. C'est l'effet particulier de certains certificats, c'est le préjudice restreint et spécial qu'ils peuvent produire qui a porté le législateur à dégager de la catégorie des crimes et à ranger parmi les simples délits les faux commis dans ces actes, comme ceux commis dans les passe-ports et les feuilles de route. Ce bénéfice de la loi s'applique à deux classes de certificats: 1o les certificats de maladies ou infirmités, soit qu'ils émanent d'un homme de l'art, soit qu'ils soient fabriqués sous son nom par un tiers; 2o les certificats de bonne conduite ou d'indigence, ou autres de la même nature, et qui ont pour objet d'appeler sur celui qui en est porteur la bienveillance publique, et de lui procurer des places, du crédit, ou des secours.

247. Les certificats de maladie donnent lieu à deux dispositions, suivant qu'ils sont fabriqués sous le nom d'un homme de l'art, ou par cet homme de l'art lui-même.

«ART. 159. Toute personne qui, pour se rédimer elle-même ou en affranchir une autre d'un service public quelconque, fabriquera, sous le nom d'un médecin, chirurgien ou autre officier de santé, un certificat de maladie ou d'infirmité, sera punie d'un emprisonnement d'un an à trois ans. >>

Remarquez que, pour l'application de cet article, il faut : 1° que le certificat ait pour objet l'attestation d'une maladie ou infirmité; ajoutons que cette maladie ou infirmité doit être fausse, car, si elle était réelle, quel serait le préjudice? Si l'exemption est attachée à la maladie, le certificat n'aura aucun effet; 2° que cette pièce soit fabriquée sous le nom d'un homme de l'art : c'est cette usurpation qui donne au faux tout son danger. Il ne suffirait pas que l'agent joignit à son nom la fausse qualité de médecin ; la loi ne prévoit pas l'usurpation du nom; 3° que le certificat ait pour but de procurer l'exemption d'un service public; tels sont les certificats qui ont pour objet de constater des infirmités qui exemptent, soit du service militaire, soit de la garde nationale, soit du jury.

DES CRIMES ET DÉLITS, ETC. (ART. 161, No 249). 248. L'art. 160 prévoit les faux certificats émanant du médecin ou de l'officier de santé lui-même.

« ART. 160. Tout médecin, chirurgien ou autre officier de santé qui, pour favoriser quelqu'un, certifiera faussement des maladies ou infirmités propres à dispenser d'un service public, sera puni d'un emprisonnement d'une année au moins et de trois ans au plus. S'il y a été mû par dons ou promesses, la peine de l'emprisonnement sera d'une année au moins et de quatre ans au plus. Dans les deux cas, le coupable pourra en outre être privé des droits mentionnés en l'art. 42 du présent Code pendant cinq ans au moins et dix ans au plus, à compter du jour où il aura subi sa peine. Dans le deuxième cas les corrupteurs seront punis des mêmes peines que le médecin, chirurgien ou officier de santé qui aura délivré le faux certificat. »

Il faut que la maladie certifiée soit fausse, c'est là le fait matériel; il faut que cette maladie soit propre à dispenser du service public, dont l'agent est passible, c'est là le préjudice possible; il faut enfin que ce certificat soit fabriqué pour favoriser quelqu'un, c'est l'intention frauduleuse. Toutefois, le fait change de nature si l'homme de l'art a été mû par dons ou promesses : ce n'est plus alors un certificat de complaisance, un acte de faiblesse, c'est un acte de corruption, et cet acte prend un caractère plus grave.

249. La dernière catégorie de faux certificats fait l'objet de l'art. 161 :

« ART. 161. Quiconque fabriquera, sous le nom d'un fonctionnaire ou officier public, un certificat de bonne conduite, indigence ou autres circonstances propres à appeler la bienveillance du gouvernement ou des particuliers sur la personne y désignée et à lui procurer places, crédit ou secours, sera puni d'un emprisonnement de six mois à deux ans. — La même peine sera appliquée : 1o à celui qui fabriquera un certificat de cette espèce, originairement véritable, pour l'approprier à une personne autre que celle à laquelle il a été primitivement délivré; 2o à tout individu qui se sera servi du certificat ainsi fabriqué ou falsifié. »

Vous voyez que cet article commence par caractériser assez nettement les certificats dont la falsification ne constitue qu'un simple délit : ce sont les certificats de bonne conduite, indigence ou autres circonstances propres à appeler la bienveillance et à procurer places, crédit ou secours. Cette énumération n'est point limitative; il faut y ranger tous les actes analogues, tous ceux qui peuvent produire les mêmes effets. Mais il ne faut y comprendre que les certificats qui ont le caractère d'une recommandation' officieuse, et qui ont uniquement pour objet d'appeler sur une personne des témoignages de bienveillance et d'intérêt. Hors de ce cercle étroit, le faux change de nature, parce que le certificat change lui-même de caractère : s'il constate des faits auxquels sont attachés des droits, s'il est destiné soit à faire preuve de la position d'une personne, soit à constater son aptitude à quelque service public, il rentre dans la classe des écritures ordinaires et ne peut plus invoquer l'exception. Ainsi, toutes les fois que le certificat argué de faux présente le caractère d'un acte émané de fonctionnaires précédant en vertu d'un mandat de la loi, exerçant un droit ou accomplissant une obligation inhérente à leur qualité, et que la production de cette pièce est la condition légale et nécessaire de l'admission

de celui qui est appelé à s'en prévaloir à un service public, la nature officielle d'un tel acte, la garantie d'ordre général attachée à sa délivrance, la garantie des conséquences résultant de la fraude apportée dans sa confection, font rentrer le fait dans la disposition des art. 147 et 148 qui régissent le faux en écritures publiques.

C'est d'après cette distinction qu'il faut décider que la fabrication d'un certificat de bonne conduite, au nom des membres d'un conseil d'administration d'un régiment, constitue le crime de faux en écritures publiques; car ce certificat, qui a pour but, aux termes des art. 2 et 9 de l'ordonnance du 29 octobre 1820, d'obtenir l'admission dans le corps de la gendarmerie, n'est plus un certificat de bienveillance, mais la preuve légale d'une aptitude spéciale à un service public. Il en est encore ainsi des faux certificats délivrés sous le nom d'un maire, et qui sont destinés soit à constater qu'un individu a satisfait à la loi du recrutement, soit à établir qu'un jeune soldat est fils aîné de veuve, soit à procurer son admission comme remplaçant.

Si c'est l'officier public lui-même qui atteste sciemment un fait faux, par exemple, que l'individu qu'il recommande à la bienveillance a toujours eu une bonne conduite, tandis que cette conduite a été blâmable, que faut-il décider? La solution dépend de l'application qui doit être donnée au certificat; c'est un faux sans nul doute, si le certificat, comme je viens de le dire, est délivré d'après une disposition de la loi qui y a attaché un effet quelconque; ce n'est plus qu'un fait immoral, un simple mensonge, si le certificat n'est destiné qu'à appeler une bienveillance imméritée sur celui qui en est l'objet. La loi, en effet, n'a point incriminé les certificats de complaisance qui n'ont aucun but déterminé, elle ne les a considérés que comme des actes de faiblesse, reprochables sans doute, mais qui ne présentent point assez de péril pour les classer parmi les délits. Il est difficile d'ailleurs, lorsqu'il s'agit de l'appréciation d'un fait moral, comme la conduite d'un individu, de discerner avec exactitude où commence l'altération de la vérité, où expire l'erreur de l'appréciation. A plus forte raison devez-vous tenir pour constant que tous les certificats délivrés par des particuliers et qui attestent faussement la bonne conduite, l'indigence et autres faits propres à appeler la bienveillance sur celui qui en est l'objet, demeurent à l'abri de toute poursuite; ils n'ont point d'autorité et dès lors sont inoffensifs.

La loi du 13 mai 1863 a ajouté à l'art. 161 un dernier alinéa ainsi conçu:

Si ce certificat est fabriqué sous le nom d'un simple particulier, la fabrication et l'usage seront punis de 15 jours à six mois d'emprisonnement. >>

Il résulte de ce nouveau texte qu'il n'est plus nécessaire, comme l'exigeait l'ancien article, que la personne, sous le nom de laquelle le certificat est délivré, soit un officier public. Il arrivait quelquefois que de pareils certificats étaient fabriqués sous le nom d'un simple particulier dont le caractère et la situation commandaient une certaine autorité. C'est là le fait que la loi a voulu atteindre, mais en le frappant d'une moindre peine.

« PrécédentContinuer »