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duit par une pente rapide, soit au monopole, soit à l'injustice. Qu'est-ce qui constitue cette participation? C'est le fait qui fait passer la part d'intérêt dans les mains du fonctionnaire. Le délit est donc consommé du moment qu'a été conclue la convention illicite par laquelle il a pris ou reçu une part quelconque dans une affaire qu'il était appelé par ses fonctions à administrer ou à surveiller.

255. L'art. 176 prévoit la seconde hypothèse du même fait.

ART. 176. Tout commandant des divisions militaires, des départements ou des places et villes, tout préfet ou sous-préfet, qui aura, dans l'étendue des lieux où il a droit d'exercer son autorité, fait ouvertement, ou par des actes simulés, ou par interposition de personnes, le commerce des grains, grenailles, farines, substances farineuses, vins ou boissons, autres que ceux provenant de ses propriétés, sera puni d'une amende de 500 fr. au moins, de 10,000 fr. au plus, et de la confiscation des denrées appartenant à ce commerce. »

Dans cet article comme dans le précédent, ce n'est pas l'abus de la fonction, le profit illicite que le fonctionnaire a pu retirer du commerce des grains et boissons que la loi a voulu punir, c'est la simple immixtion dans ce commerce, c'est le seul fait de participation, parce que ce fait est contraire à l'indépendance et du commerce et de la fonction elle-même. On voit, dans les discussions qui préparèrent le Code, que l'un de ses rédacteurs, M. Cambacérès, fit des objections à ce sujet. Il dit que, si le commerce doit être interdit aux préfets et aux sous-préfets, il faut que la défense soit faite par un règlement et non par le Code pénal; que faire le commerce n'est point un délit; qu'il n'y a de coupable que le monopole pratiqué pour faire renchérir les denrées et que c'était le monopole seul que la loi devait atteindre. M. Berlier répondit que « l'article ne tend pas à frapper un crime dans toute l'acception du mot, mais à punir d'une amende un fait nuisible et dangereux à la société. Or cette question est facile à résoudre; car ce qui peut n'être qu'une spéculation pour un particulier est bien voisin du monopole, quand c'est un homme pourvu de l'autorité qui s'en mêle. Dira-t-on que le gouvernement y obviera en destituant un tel fonctionnaire? Mais, en supposant la destitution, elle ne fera qu'empêcher le mal de se prolonger et ne punira point le mal fait? C'est en ce sens que le rapport du Corps législatif explique cet article : « Le commerce que feraient les fonctionnaires qui ont droit d'exercer leur autorité dans une partie de l'empire deviendrait bientôt un monopole; s'il portait sur quelques-uns des objets d'une nécessité absolue, ils pourraient alors par leur autorité renchérir ou enlever au peuple sa subsistance nécessaire et tout ce que réclament impérieusement les premiers besoins de la vie. La loi prononce contre eux dans ce cas de justes mais de fortes amendes et la confiscation des denrées appartenant à ce commerce. »>

§ 4. De la corruption des fonctionnaires publics.

256. Le fonctionnaire qui fait trafic des actes de ses fonctions, qui fait ou s'abstient de faire tel ou tel de ces actes, dans un intérêt illicite et à prix d'argent, se rend coupable de corruption. Ce crime admet nécessairement deux

agents: le fonctionnaire qui se laisse corrompre et l'individu qui le corrompt. La loi a incriminé ces deux faits dans deux dispositions distinctes : occuponsnous d'abord du premier.

« ART. 177. Tout fonctionnaire public de l'ordre administratif ou judiciaire, tout agent ou préposé d'une administration publique qui aura agréé des offres ou promesses, ou reçu des dons ou présents pour faire un acte de sa fonction ou de son emploi, même juste, mais non sujet à salaire, sera puni de la dégradation civique et condamné à une amende double de la valeur des promesses agréées ou des choses reçues, sans que ladite amende puisse être inférieure à 200 fr. La présente disposition est applicable à tout fonctionnaire, agent ou préposé de la qualité ci-dessus exprimée, qui, par offres ou promesses agréées, dons ou présents reçus, se sera abstenu de faire un acte qui entrait dans l'ordre de ses devoirs. »>

Il résulte de cet article que, pour qu'il y ait crime de corruption, il faut : 1o que l'agent ait la qualité de fonctionnaire ou de préposé; 2o que les offres aient été agréées ou les présents reçus; 3° que l'objet de ces offres ou de ces dons ait été de faire un acte de la fonction ou de s'abstenir de cet acte. La nécessité du premier de ces trois éléments est évidente, puisque la corruption est un crime spécial qui ne peut être commis que par des fonctionnaires ou préposés : le premier point qu'il faut constater dans toute accusation de cette nature est donc la qualité de l'agent. Cette qualité reconnue, il y a lieu de rechercher s'il y a eu adhésion donnée à la proposition du corrupteur ; c'est cette adhésion qui constitue le fait matériel du crime, c'est là que réside la convention, pourvu qu'elle ait été faite en vue des promesses ou des présents. Enfin, et c'est ici que se trouve la criminalité de la convention, il est nécessaire qu'elle ait pour objet soit la perpétration, soit l'obtention d'un acte de la fonction. C'est dans le rapport de l'acte avec les dons ou promesses que consiste le trafic illicite le fonctionnaire vend le pouvoir dont il dispose, l'autorité qu'il exerce. Il importe peu que l'acte soit juste et légitime ou illégitime et injuste; il suffit qu'il ait cédé à la corruption au lieu d'obéir à son devoir : il devient coupable dès que, même pour faire des actes qui appartiennent à ses fonctions, il perçoit un lucre illicite et met un prix à son action. Toutefois, si l'acte est juste en lui-même, il est nécessaire qu'il ne soit pas sujet à salaire, car la perception des émoluments que la loi y aurait attachés ne pourrait évidemment devenir l'élément du crime; il faut nécessairement ou que la rétribution perçue soit illégale, ou qu'elle soit autre que celle que la loi a pu autoriser.

257. La loi du 13 mai 1863 a ajouté à l'art. 177 un paragraphe additionnel ainsi conçu :

« Sera puni de la même peine tout arbitre ou expert nommé soit par le tribunal, soit par les parties, qui aura agréé des offres ou promesses ou reçu des dons, des présents, pour rendre une décision ou donner une opinion favorable à l'une des parties. »

L'art. 177 ne comprend dans sa disposition que les fonctionnaires publics de l'ordre administratif ou judiciaire, et les agents et préposés d'une administration publique. Un arbitre, un expert, nommé par le tribunal, ou par les par

ties ne pouvaient rentrer dans ces deux accusations. Et cependant, la corruption pratiquée auprès d'eux n'est ni moins coupable ni moins dangereuse que celle pratiquée auprès des magistrats eux-mêmes. Un arbitre rend de véritables décisions judiciaires, un expert les prépare par l'opinion qu'il consigne dans ses rapports; s'ils mentent à leur conscience, s'ils trahissent à prix d'argent les intérêts sacrés qui leur sont confiés, il est juste qu'ils soient punis et que le châtiment qui les atteindra atteigne également ceux qui les auront corrompus. C'est là la lacune que le législateur a voulu combler.

258. Le crime de corruption prend deux circonstances aggravantes : 1°quand il a pour objet un fait criminel emportant une peine plus forte que la dégradation civique : cette peine plus forte, aux termes de l'art. 178, est appliquée aux coupables; 2o si c'est un juge prononçant en matière criminelle qui s'est laissé corrompre soit en faveur, soit au préjudice de l'accusé, la peine, aux termes de l'art. 181, est la réclusion. Mais si la corruption a eu pour résultat de faire condamner un innocent à une peine plus forte, cette peine, quelle qu'elle soit, devient le châtiment du fonctionnaire corrompu. « La loi du talion, dit l'exposé des motifs, ne fut jamais plus équitable ni plus exempte d'inconvénients. » Tel est l'objet de l'art. 182 qui dispose que, «si par l'effet de la corruption, il y a eu condamnation à une peine supérieure à celle de la réclusion, cette peine, quelle qu'elle soit, sera appliquée au juge ou juré coupable de corruption. >>

259. Après avoir parlé de l'agent principal du crime, du fonctionnaire qui se laisse corrompre, nous arrivons à l'agent de la corruption, au corrupteur :

ART. 179. Quiconque aura contraint ou tenté de contraindre par voies de fait ou menaces, corrompu ou tenté de corrompre par promesses, offres, dons ou présents, l'une des personnes de la qualité exprimée en l'art. 177, pour obtenir, soit une opinion favorable, soit des procès-verbaux, états, certificats ou estimations contraires à la vérité, soit des places, emplois, adjudications, entreprises ou autres bénéfices quelconques, soit enfin tout autre acte du ministère du fonctionnaire, agent ou préposé, soit enfin l'abstention d'un acte qui rentrait dans l'exercice de ses devoirs, sera puni des mêmes peines que le fonctionnaire, agent ou préposé corrompu. Toutefois, si les tentatives de contrainte ou corruption n'ont eu aucun effet, les auteurs de ces tentatives seront simplement punis d'un emprisonnement de trois mois au moins et six mois au plus, et d'une amende de 100 à 300 fr.

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Cet article prévoit deux hypothèses: ou la tentative de contrainte ou de corruption a été suivie d'effet, ou elle n'a pas été suivie d'effet. Dans ce dernier cas, elle ne constitue qu'un simple délit. « La loi, porte l'exposé des motifs, punit le corrupteur de la même peine que celui qui a été corrompu; elle est moindre, si la corruption n'a pas été consommée; mais la moindre tentative est elle-même un véritable délit, elle est au moins une injure faite à la justice, et la loi la punit de l'amende et de l'emprisonnement. » Les mêmes éléments, au reste, constituent, en ce qui concerne le corrupteur, la tentative de corruption et la corruption consommée : la seule différence qui sépare les deux actes, c'est que dans un cas les offres ou présents ne sont pas agréés par le

fonctionnaire, tandis qu'ils le sont dans l'autre. Ainsi, c'est dans un fait étranger au corrupteur, dans le fait d'une tierce personne, du fonctionnaire, que la loi place la distinction qui du même acte fait tantôt un délit et tantôt un crime. Si les offres ou dons ont été suivis d'effet, c'est-à-dire si la corruption a été consommée, les deux agents qui ont commis le crime, l'agent corrupteur et le fonctionnaire corrompu sont frappés des mêmes peines ; et cependant la loi ne les a pas considérés comme complices, elle a séparé les actes de ces deux prévenus et les a incriminés distinctement, en imposant à l'un et à l'autre des conditions qui ne sont pas les mêmes. C'est ainsi qu'il résultait de la combinaison des art. 177 et 179 que la loi n'avait voulu punir le corrupteur que dans le cas où la corruption avait pour objet d'obtenir de l'officier public qu'il fit un acte de son ministère ; elle n'avait point étendu son incrimination au cas où la corruption n'avait eu pour objet que d'obtenir que cet officier s'abstint d'un pareil acte. Dans cette dernière hypothèse, la responsabilité pénale ne pesait que sur l'officier corrompu. Cette disposition, fondée sur une nuance délicate de la criminalité, a paru une anomalie au législateur qui l'a fait disparaître en ajoutant dans l'art. 179 ces mots : « Soit enfin l'abstention d'un acte qui rentrait dans l'exercice de ses devoirs; » cette addition efface la distinction faite par le Code, entre la provocation à un acte, et la provocation à une simple abstention.

Vous avez été sans doute surpris de trouver dans l'art. 179, à côté des dons et promesses qui opèrent la corruption, les voies de fait et menaces qui opèrent la contrainte. Il est évident que l'application de ces moyens différents, lors même qu'ils ont le même but, ne constitue pas le même crime. Autre chose est l'emploi de la force pour obtenir l'acte illicite, autre chose l'emploi des promesses et des dons. Il n'y a, dans ces deux faits, ni la même audace, ni la même criminalité ; il n'y a pas non plus le même péril social; et l'attention du législateur eût été éveillée sans doute sur cette confusion, si jusqu'à présent la première de ces dispositions ne fût demeurée inappliquée.

260. Par suite d'une autre confusion non moins étrange, le Code pénal a placé dans le paragraphe et sous la rubrique de la corruption une disposition qui n'a aucun rapport avec ce crime.

« ART. 183. Tout juge ou administrateur, qui se sera décidé par faveur pour une partie ou par inimitié contre elle, sera coupable de forfaiture et puni de la dégration civique. »

Il ne s'agit plus ici de la fonction, il ne s'agit pas d'un abus fondé sur la cupudité; c'est la faveur ou la haine qui dicte la décision ou le jugement; l'administrateur ou le juge trahit son devoir, mais c'est la passion et non la fraude qui est le mobile de sa conduite. Cette incrimination, quelque justifiée qu'elle soit au fond, suscita quelques doutes dans l'esprit du législateur, à raison de la difficulté d'en faire la preuve. Le rapport de la commission du Corps législatif porte ce qui suit : « La loi ne doit punir que les actions, elle doit les caractériser. La faveur ou l'amitié sont des sentiments; la loi ne peut les saisir et les frapper que lorsqu'ils sont manifestés par des actes; pour décider si un juge est mû par haine ou par amitié, il faut descendre dans sa conscience, in

terpréter ses intentions rien de plus arbitraire qu'une telle interprétation. Les accusés ou condamnés supposeront toujours la partialité ; l'article serait un appel bien dangereux contre les juges. Le moyen certain de se garantir de l'effet des sentiments dont il s'agit existe dans la récusation que l'on peut employer lorsqu'on croit avoir à craindre. Comme les cas de dol et autres sont prévus en détail dans le projet, il ne reste dans l'art. 183, pour toute base caractéristique du crime, que des sentiments qui ne peuvent se saisir quand ils sont isolés et ne sont pas manifestés par le dol, la fraude et la corruption. » Cet avis de la commission fut appuyé par plusieurs membres du conseil d'État. Ils pensaient que cette disposition servirait de prétexte pour inquiéter les juges, que les imputations d'inimitié et de faveur, difficiles à établir, peuvent être facilement formulées et qu'il pourrait en résulter des procédures scandaleuses quoique dénuées de fondement. On répondit que ces inquiétudes étaient chimériques; que cette incrimination n'était point nouvelle, qu'elle n'avait jamais eu de danger et pouvait contenir les juges enclins à substituer la passion à la justice; que les garanties de la procédure criminelle feraient disparaitre toute possibilité d'abus sérieux. Néanmoins, les criminalistes les plus estimés enseignent qu'il faut que la faveur ou l'inimitié soit trahie par des faits extérieurs pour que la poursuite puisse la saisir; car comment sonder le cœur du juge? comment discuter la justesse ou l'erreur de ses opinions? Ce n'est que lorsque la passion s'est manifestée par un acte quelconque qu'il est possible de la saisir et d'en faire la base d'une accusation.

§ 5. Des abus d'autorité.

161. Le Code divise les abus d'autorité en deux classes: contre les particuliers, et contre la chose publique. Les abus d'autorité contre les particuliers sont : 1o la violation du domicile ; 2o le déni de justice; 3o les violences illégitimes envers les personnes; 4° les suppressions ou ouvertures de lettres confiées à la poste. Les abus d'autorité contre la chose publique sont les ordres ou réquisitions tendant à l'emploi de la force publique pour empêcher l'exécution d'une loi, ou la perception d'une contribution, ou l'effet d'un ordre émané d'une auto. rité légitime. Il est bien d'autres abus d'autorité que ceux-là; nous en avons déjà apprécié quelques-uns, nous en verrons tout à l'heure d'autres encore. Mais la loi a réservé cette qualification spéciale aux faits que nous venons de désigner.

Le premier des abus d'autorité contre les particuliers est la violation du domicile. L'inviolabilité du domicile des citoyens est un principe général de notre droit public. La législation l'a consacré à plusieurs reprises et dans les termes les plus formels. L'art. 8, tit. Ier, de la loi du 19-22 juillet 1791, déclare que nul officier municipal, commissaire ou officier de police municipale, ne pourra entrer dans les maisons des citoyens, si ce n'est en vertu des ordondances, contraintes et jugements dont ils seront porteurs, ou sur le cri des citoyens invoquant de l'intérieur d'une maison le secours de la force publique. »> Les art. 9 et 10 font une double exception à l'égard des lieux où tout le monde est adm is indistinctement, tels que cafés, cabarets, boutiques et autres, et à l'égard des maisons où l'on donne à jouer habituellement des jeux de hasard.

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