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REFUS D'UN SERVICE DU LÉGALEMENT.

290. Le Code pénal, dont la classification peut donner lieu à de justes critiques, n'a placé sous cette rubrique que deux cas de désobéissance : le refus du commandant qui, légalement requis, refuse d'agir, et le refus des jurés et témoins qui, régulièrement cités, allèguent de fausses excuses.

ART. 234. Tout commandant, tout officier ou sous-officier de la force publique, qui, après en avoir été légalement requis par l'autorité civile, aura refusé de faire agir la force à ses ordres, sera puni d'un emprisonnement d'un mois à trois mois, sans préjudice des réparations civiles qui pourraient être dues aux termes de l'art. 10 du présent Code. »

Les autorités civiles qui ont le droit de requérir l'action de la force publique sont les préfets et les sous-préfets, les maires et leurs adjoints. Le même droit est accordé aux membres de l'ordre judiciaire pour l'exécution des ordonnances de la justice, et aux officiers de police judiciaire pour l'exécution des actes dont ils sont chargés. Les préposés des douanes et des contributions directes et indirectes, les agents forestiers, les huissiers et autres exécuteurs des mandements de justice peuvent aussi demander main-forte aux dépositaires de la force publique, pour assurer l'exécution de leur service. Une réquisition, pour être régulière, doit émaner d'un fonctionnaire compétent et être faite par écrit 'et signée, en énonçant la cause qui la fonde. Toutefois, lors même qu'elle est régulière, le commandant peut se dispenser d'agir, s'il est retenu par les ordres de son supérieur hiérarchique. C'est là, du moins, une excuse légale qu'il appartient aux juges d'apprécier.

291. Le second refus prévu par la loi est celui des témoins et des jurés. Le témoignage est un devoir à la fois moral et civique. Tout homme a l'obligation de déclarer à la justice tout ce qu'il a vu et entendu sur les faits qu'elle poursuit ; car ce qu'il a vu et entendu est un élément nécessaire des jugements qu'elle va rendre. Son refus de comparaître ou de déposer, qui aurait pour résultat de priver le juge des éléments qui lui sont indispensables pour juger, est donc une infraction dont il doit compte à la justice. L'art. 80 du Code d'instruction criminelle porte en conséquence: «Toute personne citée pour être entendue en témoignage sera tenue de comparaître et de satisfaire à la citation. » Et la sanction de cette obligation est, outre la contrainte par corps, une amende de 100 francs. Les art. 355 du même Code appliquent cette amende aux divers cas où le témoin cité ne comparaît pas ou refuse de déposer.

Les jurés, comme les témoins, sont passibles d'une amende lorsqu'ils n'obéissent pas à la citation qui leur a été donnée pour l'accomplissement de leurs fonctions. L'art. 396 du Code d'instruction criminelle, modifié par l'art. 19 de la loi du 4 juin 1853, prononce contre cette infraction une amende qui est de 200 à 500 fr. pour la première fois; de 1,000 fr. pour la seconde, et de 1,500 fr. pour la troisième.

Ces dispositions préliminaires sont nécessaires pour comprendre le sens de l'art. 236, ainsi conçu :

ART. 236. Les témoins et jurés qui auront allégué une excuse reconnue fausse seront condamnés, outre les amendes prononcées pour la non-comparution, à un emprisonnement de six jours à deux mois. >>

Il ne s'agit plus d'un simple acte de négligence ou de désobéissance, il s'agit d'un acte frauduleux, d'un délit moral: l'allégation d'une excuse fausse pour s'exempter d'un devoir ou d'un service. Les peines, au reste, se cumulent comme les injonctions; c'est une exception au principe de la non-cumulation des peines formulé par l'art. 365 du Code d'instruction criminelle.

ÉVASION DE DÉTENUS, RECÈLEMENT DE CRIMINELS.

292. La fuite, l'évasion des détenus, abstraction faite de toute circonstance aggravante, ne constitue aucun délit. « En effet, dit un ancien jurisconsulte, il est rationnel à une personne qu'on veut arrêter ou qui l'est déjà de chercher à se sauver des mains de la justice, pour éviter la peine qu'elle mérite, et, à plus forte raison, si elle est innoceute. » L'exposé des motifs du Code pénal porte également : « Le désir de la liberté est si naturel à l'homme, que l'on ne saurait prononcer que celui-là devient coupable qui, trouvant la porte de sa prison ouverte, en franchit le seuil. » La loi ne punit, de la part des détenus, que le bris de prison et la violence :

ART. 245. A l'égard des détenus qui se seront évadés ou qui auront tenté de s'évader par bris de prison ou par violences, ils seront, pour ce seul fait, punis de six mois à un an d'emprisonnement, et subiront cette peine immédiatement après l'expiration de celle qu'ils auront encourue pour le crime ou délit à raison duquel ils étaient détenus, ou immédiatement après l'arrêt ou jugement qui les aura acquittés ou renvoyés absous dudit crime ou délit; le tout sans préjudice de plus fortes peines qu'ils auraient pu encourir pour d'autres crimes qu'ils auraient commis dans leurs violences. »

Disons, d'abord, que l'expression détenus comprend les prévenus et les accusés aussi bien que les condamnés; mais elle ne comprend pas les détenus pour dettes civiles, car leur fuite ne cause aucun préjudice à l'ordre social; elle ne comprend pas non plus les personnes détenues en vertu d'ordonnances d'extradition et justiciables des tribunaux étrangers; car il faut que la détention soit motivée par une prévention ou par une condamnation. Cela posé, pour qu'il y ait délit, il faut qu'il y ait eu évasion ou tentative d'évasion, et que cet acte ait été exécuté par bris de prison ou par violences. C'est celte circonstance de violences qui constitue véritablement le délit. Qu'est-ce qu'il faut entendre par ces expressions de la loi ? Il est clair que le bris de prison est l'effraction des clôtures de la prison et que les violences sont celles qui sont exercées sur la personne des préposés à la garde des détenus. Le prisonnier qui saute par une fenêtre ou par-dessus un mur, celui qui s'évade par ruse et par supercherie, par exemple, à l'aide d'un faux costume ou d'une allégation inensongère, ne commet aucun délit.

293. La peine s'aggrave et les conditions d'incrimination ne sont plus les

mêmes en ce qui concerne les condamnés détenus dans les bagnes. Aux termes de l'art. 16, tit. III, de la loi du 20 septembre-12 octobre 1791, maintenue en vigueur par l'ordonnance du 2 janvier 1817, « tout forçat qui s'évadera sera puni, pour chaque évasion, par trois années de travaux forcés lorsqu'il ne sera condamné qu'à temps, et par l'application à la double chaîne pendant le même espace de temps, s'il est condamné à perpétuité. » L'art. 10 du décret du 27 mars 1852, relatif aux condamnés aux travaux forcés transférés à la Guyane, prononce deux à cinq ans de travaux forcés ou de double chaîne.

294. Le délit d'évasion présente deux exceptions au droit commun : 1o il forme une exception au principe de la cumulation des peines, puisque l'art. 245 exprime à cet égard une réserve expresse pour la peine encourue; 2o il ne comporte point l'application des peines de la récidive, puisqu'il suppose un délit préexistant et par conséquent l'existence d'un état de récidive, qui dès lors ne peut être considéré comme un élément d'aggravation.

295. C'est aux fauteurs et complices de l'évasion que s'adressent surtout les dispositions de la loi : « Les officiers chargés de la conduite ou de la garde d'un détenu, dit le rapporteur du corps législatif, qui auraient facilité, par leur négligence ou leur connivence, son évasion, sont bien plus coupables que lui, ils doivent être punis d'après les circonstances, et c'est ce que le projet détermine. Il prévoit toutes les manières dont une évasion peut s'opérer et les fait concorder, pour l'application de la peine, avec le genre de prévention qui pesait sur le détenu. Il frappe aussi, et d'une manière différente, le particulier qui, n'étant pas chargé de la garde ou de la conduite des détenus, aurait procuré ou facilité leur évasion. Ceux qui corrompent les gardes ou les gardiens des détenus seront punis de la même peine qu'eux. Enfin, ceux qui auront favorisé l'évasion d'un détenu seront solidairement condamnés à tous les dommages que la partie civile aurait eu droit de demander contre lui. » Il suit de là que le délit prend une gravité différente, suivant qu'il est commis par les préposés à la garde du détenu ou par toutes autres personnes étrangères à cette garde. Remarquez, toutefois, que, dans l'un et l'autre cas, il suffit de l'évasion simple pour constituer le délit ; il n'est pas nécessaire qu'elle ait eu lieu par violence ou par bris de prison ce n'est plus en effet l'acte du détenu que la loi punit, c'est la connivence ou la négligence qui a amené l'évasion; or, cette connivence cu celle négligence est indépendante des circonstances concomitantes de l'acte; il suffit qu'elle ait favorisé l'évasion, qu'elle l'ait produite.

« ART. 237. Toutes les fois qu'une évasion de détenus aura lieu, les huissiers, les commandants en chef ou en sous-ordre, soit de la gendarmerie, soit de la force armée servant d'escorte ou garnissant les portes, les concierges, gardiens, geoliers et tous autres préposés à la conduite, au transport ou à la garde des détenus, seront punis ainsi qu'il

suit.

Les dispositions qui vont suivre établissent deux premières distinctions dans la criminalité des agents de la force publique ou des préposés.

« ART. 238. Si l'évadé était prévenu de délits de police, ou de crimes simplement infa

mants, ou condamné pour l'un de ces crimes s'il était prisonnier de guerre, les préposés à sa garde ou conduite seront punis, en cas de négligence, d'un emprisonnement de six jours à deux mois, et, en cas de connivence, d'un emprisonnement de six mois à deux ans. »

a ART. 239. Si les détenus évadés, ou l'un d'eux, étaient prévenus ou accusés d'un crime de nature à entraîner une peine afflictive à temps, ou condamnés pour l'un de ces crimes, la peine sera, contre les préposés à la garde ou conduite, en cas de négligence, un emprisonnement de deux mois à six mois; en cas de connivence, à la réclusion. »

ART. 240. Si les évadés ou l'un d'eux sont prévenus ou accusés de crimes de nature à entraîner la peine de mort ou des peines perpétuelles, ou s'ils sont condamnés à l'une de ces peines, leurs conducteurs ou gardiens seront punis d'un emprisonnement d'un à deux ans, en cas de négligence, et des travaux forcés à temps, en cas de connivence. >>

La première distinction que ces articles établissent entre la négligence et la connivence des préposés est fondée sur la nature des choses: la négligence n'est qu'une simple infraction matérielle, la connivence est la violation volontaire et préméditée du devoir de la fonction. La seconde distinction, qui fait dériver la gravité de la peine de la gravité de la prévention qui pèse sur le détenu évadé, est peut-être plus difficile à justifier; car qu'importe que cette prévention soit plus ou moins grave? Le devoir des gardiens et des préposés change-t-il selon que le détenu est prévenu d'une peine correctionnelle, d'une peine afflictive temporaire ou d'une peine afflictive perpétuelle? La négligence ou la connivence n'a-t-elle pas en elle-même le même caractère? Ce qui explique, sans la motiver entièrement, cette échelle d'aggravation, c'est que le préjudice, le péril social s'accroît à mesure que la prévention a pour objet un attentant plus considérable, car l'évasion doit causer une alarme plus grande quand le malfaiteur apporte à l'ordre public une menace plus imminente.

296. Les dispositions qui précèdent ne punissent que les préposés et les gardiens. Mais les distinctions qu'elles contiennent s'appliquent également aux autres personnes chacun des trois art. 238, 239 et 240 étend, dans un deuxième paragraphe, la règle qu'il pose à « ceux qui, n'étant pas chargés de la garde ou de la conduite des détenus, auront procuré ou facilité leur évasion. » La peine est de six jours à trois mois d'emprisonnement dans le cas de l'art. 238, de deux mois à six dans le cas de l'art. 239, et d'un an à cinq ans dans le cas de l'art. 240. Ainsi, la même gradation subsiste : il n'y a de changé que le taux de la peine; et ce taux ne devait pas, en effet, être le même; car le simple citoyen qui favorise l'évasion d'un détenu viole sans doute la loi et met l'ordre en péril, mais il ne viole pas du moins une mission spéciale, une fonction qui lui impose des obligations particulières; il viole son devoir général de citoyen, mais le gardien viole en outre le devoir spécial attaché à sa fonction.

297. Les art. 241 et 243 prévoient, au cas d'évasion avec bris ou violencet la complicité de ceux qui ont fourni les instruments ou les armes. Une anomalie, qui doit être remarquée entre ces deux articles, résulte de ce que, dans le premier, les gardiens et les simples citoyens sont placés sur la même ligne et frappés des mêmes peines, tandis que, dans le second, la peine est différente: elle est pour les gardiens et conducteurs celle des travaux forcés

à perpétuité, et, pour les autres personnes, celle des travaux forcés à temps. Il est difficile de se rendre compte de cette exception à la règle générale posée dans tous les autres articles de cette loi. Une anomalie résulte encore de ce que la transmission d'instruments, tels qu'un ciseau, une lime, propres, à opérer le bris de la prison, est punie, aux termes de l'art. 241, de 5 ans d'emprisonnement dans l'espèce de l'art. 240, tandis que, dans la même espèce, la fourniture d'échelles, de cordes ou de tous autres imstruments qui n'opèrent aucun bris, est punie d'une peine supérieure, suivant les termes de l'art. 240, celle des travaux forcés à temps.

298. Je ne m'arrêterai ni à l'art. 242, qui punit deux délits distincts, la corruption exercée sur les gardiens et la connivence avec les gardiens, ni à l'art. 244, qui fait peser sur tous ceux qui auront connivé à l'évasion d'un détenu les dommages-intérêts de la partie civile. Le premier de ces articles. ne fait qu'appliquer à ce fait particulier de corruption la règle générale de responsabilité que nous avons déjà vue dans l'art. 179. Le second n'est également qu'une application du principe posé par l'art. 1382 du Code civil qui oblige quiconque cause par son fait un dommage à autrui à le réparer.

299. Mais l'art. 247 mérite votre attention : cet article, puisé dans l'art. 1 de la loi du 4 vendémiaire an IV, fait cesser la peine, en cas de négligence seulement, lorsque le dommage a cessé, lorsque le détenu évadé est repris:

« ART. 247. Les peines d'emprisonnement ci-dessus établies contre les conducteurs ou les gardiens, en cas de négligence seulement, cesseront lorsque les évadés seront repris ou représentés, pourvu que ce soit dans les quatre mois de l'évasion, et qu'ils ne soient pas arrêtés pour d'autres crimes ou délits commis postérieurement. »

Cette disposition est restreinte au cas de négligence; car, lorsque le dommage que cette négligence a causé est réparé, pourquoi continuer de la punir? Il'est même étrange que son effet ait été limité à quatre mois : si la représentation a lieu le cinquième ou le sixième mois, la même règle d'équité n'exige-t-elle pas que la peine prenne fin aussitôt que l'évadé est remis entre les mains de la justice? Quant à la connivence qui admet, à côté du dommage matériel, un élément intentionnel, la décision doit être différente, car le délit doit être puni lors même que le préjudice matériel est réparé. La loi veut toutefois que les évadés aient été repris à cause de l'évasion ou se soient volontairement représentés: s'ils ont été arrêtés pour crimes ou délits, commis postérieurement, les conducteurs et gardiens ne sont pas déchargés des peines qu'ils ont encourues; ils sont en quelque sorte responsables de ces crimes et délits, puisqu'ils ont fourni l'occasion de les commettre, par la négligence qui a facilité l'évasion. Que faut-il décider si, d'une part, le détenu n'est repris qu'à raison de son évasion, et si, d'une autre part, on découvre après son arrestation qu'il a commis des crimes et des délits depuis son évasion? Il est clair que le gardien devra jouir, dans ce cas, du bénéfice de la loi; l'art. 247, en effel, est précis, et, en matière pénale, il n'est pas permis d'étendre les dispositions de la loi d'un cas à un autre et de substituer à sa lettre une interprétation arbitraire, sous prétexte que cette interprétation assurerait à la disposition pénale une plus grande efficacité. Il suffit que l'évadé soit arrêté

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