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préoccupe surtout des moyens de le faire cesser. L'exposé de motifs du Code portait « Le projet de loi définit le vagabondage; il l'érige en délit et lui inflige une peine correctionnelle : toutefois il ne s'arrête point là. Que serait-ce, en effet, qu'un emprisonnement de quelques mois, si le vagabond était ensuite purement et simplement replacé dans la société à laquelle il n'offrirait aucune garantie? Celui qui n'a ni domicile, ni moyens de subsistance, ni profession, ni métier, n'est point, en effet, membre de la cité; elle peut le rejeter et le laisser à la disposition du gouvernement, qui pourra, dans sa prudence, ou l'admettre à caution, si un citoyen honnête et solvable veut bien en répondre, ou le placer dans une maison de travail, jusqu'à ce qu'il ait appris à subvenir à ses besoins, ou enfin le détenir comme un être nuisible et dangereux, s'il n'y a nul amendement à en espérer. » Cette dernière pensée du gouvernement se rapportait à la deuxième disposition, aujourd'hui abrogée, de l'art. 271 portant que « les vagabonds demeureraient, après avoir subi leur peine, à la disposition du gouvernement pendant le temps qu'il déterminerait, eu égard à leur conduite. » La loi du 28 avril 1832 a substitué la surveillance à cette mesure et peut-être en cela n'est-elle pas entrée dans l'esprit véritable du premier législateur. La surveillance, appliquée au vagabondage, n'a pas les mêmes effets que la mise à la disposition du gouvernement; elle entoure de ses regards et de ses entraves les actes extérieurs du vagabond, mais elle ne réprime point ses penchants vicieux, elle ne corrige point ses habitudes oisives et désœuvrées, elle ne les soumet point au joug salutaire et réformateur du travail. La première de ces dispositions avait l'inconvénient d'être vague et dénuée de garanties, mais elle contenait en germe toutes les mesures qui pouvaient améliorer la condition du condamné; la seconde, limitée avec plus de soin et mieux définie, manque entièrement le but du législateur; elle ne remonte pas à la cause du mal et ne la fait pas cesser.

319. Ceci nous conduit à l'examen d'une question qui a été agitée par la jurisprudence: c'est de savoir si le condamné pour vagabondage peut être, en cas de circonstances atténuantes, et par l'application de l'art. 463, dispensé de la peine accessoire de la surveillance. On a prétendu, d'une part, que l'art. 271, étant conçu en termes généraux et impératifs, ne permet pas aux juges d'affranchir de la surveillance les individus qu'ils déclarent convaincus du délit de vagabondage; que cet article ne contient de disposition facultative que pour la fixation de la durée de l'emprisonnement; que la surveillance est une peine spécialement appropriée au vagabondage et qui ne peut en être détachée. On a soutenu, d'une autre part, qu'il ne serait pas conforme au vœu du législateur que l'individu, légalement déclaré vagabond, pût être replacé pu rement et simplement dans la société; que la loi le considère comme s'il n'était plus membre de la cité et ne voit en lui qu'un être incessamment dangereux ou nuisible pour elle; que la surveillance doit donc toujours lui être appliquée, de quelques circonstances atténuantes que le fait de la condamnation principale se présente environné, par la triple raison qu'elle est de sa nature préventive, spéciale et d'ordre public. Ces raisonnements que nous puisons dans les arrêts ne soutiennent pas un examen sérieux. Les termes impératifs de l'art. 271, en premier lieu, ne peuvent être invoqués, puisque l'art. 58,

relatif à la récidive, est rédigé dans les mêmes termes et que sa rédaction n'a pas fait obstacle à ce que la surveillance qu'il porte également pût être écartée par l'application de l'art. 463. L'institution des circonstances atténuantes plane sur toutes les dispositions du Code et permet d'en modérer toutes les pénalités aussitôt que les excuses indéfinies que prévoit l'art. 463 sont déclarées exister. Or la surveillance est une peine et elle ne perd point apparem. ment son caractère pénal par cela seul qu'elle est appliquée au vagabondage; elle rentre donc dans les termes généraux de la loi. La jurisprudence s'est appuyée sur des expressions des motifs du Code qui s'appliquaient à la mise à la disposition du gouvernement et nullement à la surveillance; elle a confondu ces deux mesures, le Code de 1810 et le Code de 1832; c'est là son erreur.

320. Le deuxième paragraphe de l'art. 271 a été ajouté par la loi du 28 avril 1832. M. Charles Comte l'avait proposé, à titre d'amendement, dans les termes suivants : « Le prévenu de vagabondage qui sera âgé de moins de seize ans ou qui prouvera qu'il n'a pu exercer aucun métier ni profession, ni être admis dans une maison de travail, ne sera pas condamné à la peine d'emprisonnement; mais, sur la preuve des faits de vagabondage, il sera mis à la disposition du gouvernement pour un temps qui ne pourra être, ni de moins de six mois ni de plus de cinq ans. Le gouvernement exercera sur les mineurs à sa disposition, en vertu de cet article, l'autorité attachée à la puissance paternelle, jusqu'à l'expiration du temps pour lequel ils auront été mis à sa disposition. » Cet amendement ne fut point entièrement adopté par la commission de la chambre des députés : « La commission a reconnu que l'emprisonnement étant une peine, on ne pouvait l'infliger à un enfant que son âge peut faire considérer comme exempt de toute culpabilité; elle a pensé qu'on avait seulement le droit de le surveiller et de le retenir comme vagabond. En conséquence, la commission propose d'exempter de l'emprisonnement le prévenu de vagabondage âgé de moins de seize ans, et de le mettre seulement à la disposition du gouvernement jusqu'à l'âge de vingt ans. La disposition suivante tendrait à donner au gouvernement, sur les mineurs mis à sa disposition, l'autorité attachée à la puissance paternelle, jusqu'à l'expiration du temps pour lequel ils auront été mis à sa disposition. Cet amendement nous a paru violer les droits de la famille et transporter au gouvernement des droits qui ne lui appartiennent pas. » Tels ont été la source et le motif du deuxième paragraphe de l'art. 271. La chambre des pairs modifia seulement cette disposition en substituant la surveillance à la mesure qu'elle indiquait.

321. Le délit de vagabondage prend un élément d'aggravation dans les circonstances qui l'accompagnent : « 1o Lorsque le prévenu est trouvé porteur d'un ou de plusieurs effets d'une valeur supérieure à cent francs, et dont il ne peut justifier la source: j'ai déjà examiné cette disposition qui fait l'objet de l'art. 278; 2o lorsque le prévenu est saisi travesti d'une manière quelconque ou porteur d'armes ou d'instruments propres à commettre des crimes: dans ce cas, prévu par l'art. 277, la présomption, qui fait le fondement de la prévention, s'élève au plus haut degré de sa force, elle prend presque la consistance d'un acte matériel: le vagabond, déjà suspect par sa position, le de

vient plus encore, quand on le trouve préparé à quelque entreprise criminelle; 3° lorsque le prévenu a exercé quelque acte de violence que ce soit envers les personnes.

« ART. 279. Tout mendiant ou vagabond qui aura exercé ou tenté d'exercer quelque acte de violence que ce soit envers les personnes, sera puni d'un emprisonnement de deux à cinq ans, sans préjudice de peines plus fortes, s'il y a lieu, à raison du genre et des circonstances de la violence.. Si le mendiant ou le vagabond qui a exercé ou tenté d'exercer des violences se trouvait en outre dans l'une des circonstances exprimées par l'art. 277, il sera puni de la réclusion. »

La distinction que fait cet article a été introduite par la loi du 13 mai 1863. Elle a eu pour objet, d'abord de mettre une proportion plus juste entre les peines portées par cet article et les peines portées par les art. 276 et 277; ensuite de déférer dans la plupart des cas les actes de violences des mendiants et vagabonds, à la juridiction correctionnelle, en les qualifiant délits.

DE LA MENDÍCITÉ.

322. La mendicité n'est point et ne peut être en elle-même un délit; car lorsqu'elle est la suite d'une véritable misère, comment serait-elle imputable à l'agent? L'infortune ne tombe point sous le coup de la loi pénale; l'homme qui, malade ou débile, incapable ou dénué de tout travail, et n'ayant aucune ressource pour soutenir sa vie, implore la charité publique, ne commet aucune faute qui puisse motiver l'application légitime d'une peine. La loi ne saisit donc la mendicité pour en faire la matière d'un délit que lorsqu'il y a présomption qu'elle n'est pas le produit de la misère, mais bien d'habitudes dépravées qui l'assimilent au vagabondage.

Cette présomption est attachée aux deux faits suivants: 1° La mendicité dans les lieux où une maison de dépôt a été établie pour recevoir les mendiants; 2o la validité des personnes qui se livrent habituellement à la mendicité. Ces fails sont l'objet des art. 274 et 275 :

« ART. 274. Toute personne qui aura été trouvée mendiant dans un lieu pour lequel il existera un établissement public organisé afin d'obvier à la mendicité, sera puni de trois à six mois d'emprisonnement et sera, après l'expiration de sa peine, conduit au dépôt de mendicité. »

« ART. 275. Dans les lieux où il n'existe point encore de tels établissements les mendiants d'habitude valides seront punis d'un mois à trois mois d'emprisonnement. S'ils ont été arrêtés hors du canton de leur résidence, ils seront punis d'un emprisonnement de six mois à deux ans. »

Ainsi, la première condition de la répression de toute mendicité est l'établissement d'un dépôt de mendicité dans le lieu où le prévenu a été trouvé mendiant; car, suivant les paroles des auteurs du Code, « jusqu'à ce que les dépôts de mendicité soient formés, on ne peut défendre à ceux qui sont sans ressource de demander l'aumône, encore moins les punir pour l'avoir fait. » Suivant le décret du 25 juillet 1808, qui ordonne l'établissement d'un dépôt dans chaque département, il suffit que ce dépôt soit organisé et en activité

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dans un département, pour que la mendicité soit interdite dans toute son étendue. Mais il a été reconnu avec raison « que si, conformément à l'intention qui a dicté le décret du 5 juillet 1808, pour l'extirpation de la mendicité, cet établissement est ouvert sans distinction à tous ceux que la misère pousserait à mendier, l'art. 274 doit être appliqué de même sans distinction à quiconque, au lieu de profiter de la ressource qui lui est offerte, préfère se livrer à la mendicité; mais que si, d'après les règlements qui le régissent, certaines classes d'individus en sont exclues, la disposition dudit article cesse d'être applicable à ceux qui ne pourraient s'y faire admettre, quand même ils le désireraient. » Lorsqu'il n'existe aucun établissement pour recueillir les mendiants, la loi ne punit, aux termes de l'art. 275, que les mendiants d'habitude valides. Deux éléments sont donc nécessaires pour l'existence du délit : la validité de l'agent et l'habitude de la mendicité. La validité de l'agent: ainsi les individus invalides ont la faculté de mendier dans les lieux où il n'existe point de dépôt ; l'habitude de mendier : ainsi, le seul fait d'être trouvé mendiant ne suffit pas pour l'existence du délit ; il faut qu'il soit constaté que le prévenu fait métier de mendicité.

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323. Le fait de mendicité, qu'il y ait ou non un dépôt dans le département, prend un caractère particulier de gravité et devient passible d'une pénalité plus forte, lossqu'il s'y joint quelque circonstance qui signale dans le mendiant un agent dangereux.

« ART. 276. Tous mendiants, même invalides, qui auront usé de menaces, ou seront entrés, sans permission du propriétaire ou des personnes de sa maison, soit dans une habitation, soit dans un enclos en dépendant, ou qui feindront des plaies ou infirmités, ou qui mendieront en réunion, à moins que ce ne soit le mari et la femme, le père ou la mère et leurs jeunes enfants, l'aveugle et son conducteur, seront punis d'un emprisonnement de six mois à deux ans. »

Cet article a pour but de protéger la liberté du domicile et la sûreté des personnes, surtout dans les campagnes où l'isolement des habitations les expose aux sollicitations souvent menaçantes des mendiants. Ce n'est plus l'acte de mendicité que la loi punit: ce sont les menaces, la fraude des mendiants, leur réunion qui les rend dangereux, l'association ou la bande qui semble préparée à commettre des méfaits. L'art. 6 de la déclaration du 18 juillet 1724, dans lequel l'art. 276 a été textuellement puisé, prononçait la peine des galères au moins pour cinq années. Notre Code a restreint avec raison cette peine, puisqu'il ne s'agit après tout que d'un acte préparatoire qui n'a encore été suivi d'aucun fait matériel constitutif d'un délit.

324. D'autres circonstances aggravantes sont prévues par les art. 277, 278 et 279 ; j'ai déjà examiné ces articles dont les dispositions sont communes aux vagabonds et aux mendiants. Je crois inutile d'y revenir. Je veux cependant m'arrêter à l'art. 282 qui soulève une question importante:

« ART. 282. Les mendiants qui auront été condamnés aux peines portées par les articles précédents seront renvoyés, après l'expiration de leur peine, sous la surveillance de la haute police pendant cinq ans au moins et dix ans au plus. »

Cette disposition se réfère-t-elle à tous les condamnés pour mendicité ou seulement à ceux qui font l'objet des art. 277 et suivants? On a prétendu que la rubrique Dispositions communes aux vagabonds et aux mendiants qui précède l'art. 277, n'est point l'intitulé d'un paragraphe distinct qui sépare cet article de ceux qui le précèdent; que les art. 277 et suivants se rattachent étroitement aux art. 274 et suivants et ne forment avec ceux-ci qu'un seul paragraphe; que l'art. 278 renvoie, pour la peine à infliger par cet article, à l'art. 276, ce qui indique surabondamment la relation qui existe entre ces deux articles, et que les mêmes règles leur sont communes; d'où l'on conclut que l'art. 282, qui soumet à la surveillance les mendiants qui auront subi les peines portées par les articles précédents, se réfère nécessairement et sans distinction à tous les articles qui composent le paragraphe, et qu'ainsi tous les mendiants condamnés à une peine quelconque, en vertu de tous les articles qui composent ce paragraphe, doivent être soumis à la surveillance. Ces raisons de texte ne sont pas tout à fait déterminantes puisqu'on peut leur opposer que la loi a divisé en deux catégories les dispositions relatives à la mendicité et que l'art. 282, placé dans la seconde catégorie, ne doit pas exercer son autorité au delà, lorsque aucune expression ne l'étend. Mais il nous semble qu'un motif puisé dans l'esprit de la loi les repousse d'une manière catégorique. Comment admettre que les simples faits de mendicité, quand ils sont isolés de toute circonstance aggravante, puissent donner lieu à une peine aussi grave que la surveillance de cinq ans? Ne serait-ce pas une pénalité hors de proportion avec un fait qui ne présente pas même, comme le vagabondage, le caractère d'un acte préparatoire des délits? Ne serait-ce pas assimiler aux criminels les plus dépravés et les plus dangereux un individu qui n'est coupable que de paresse ou de misère? L'art. 282, restreint dans son application aux mendiants punis en vertu des art. 277 et suivants, est une disposition sage et prévoyante : étendu aux individus frappés par les art. 274, 275 et 276, il traiterait comme des malfaiteurs des gens qui ne le sont pas encore, et peut-être ne le deviendront jamais. A la vérité, l'art. 463 permet d'écarter la surveillance; mais ce n'est là qu'une faculté dont le juge peut omettre de se servir, et, s'il appartient à celui-ci de mesurer la quotité de la peine due au délinquant, il n'appartient qu'à la loi d'apprécier la nature de la peine qui doit être appliquée au délit.

DE LA PUBLICATION OU DISTRIBUTION DES ÉCRITS OU GRAVURES SANS NOM D'AUTEUR OU D'IMPRIMEUR.

325. Il ne s'agit point d'examiner ici les délits commis par la voie de la presse. Ces délits, nés d'un ordre politique qui n'existait pas lors de la rédaction du Code pénal, ont été prévus, au fur et à mesure qu'ils se sont révélés, par des lois spéciales qui forment encore à cet égard une législation en dehors du Code, soumise à des règles particulières. Celles de ces lois qui sont demeurées debout et qui régissent actuellement cette matière sont les lois des 17 et 26 mai 1819, qui contiennent les vrais fondements de toute la législation de la presse, la loi du 25 mars 1822, qui avait commencé à s'écarter de ces principes, la loi du 9 août 1818, qui y est revenue, celle du 27 juillet 1849, et enfin le décret du 17 février 1852.

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