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contraire, le voleur n'est puni que de peines correctionnelles. Je le demande maintenant, quand on rapproche la nature de ces deux faits, quand on consulte, pour apprécier chacun d'eux, la raison, l'opinion, le sentiment intime de chacun, quel est celui des deux qui est infamant, odieux, déshonorant ? de qui rougira-t-on dans sa famille et parmi ses amis? sera-ce du maire qui aura violé l'art. 130? sera-ce, au contraire, du voleur? Ce sera évidemment de ce dernier. Quel est celui avec qui vous rougiriez d'avoir eu les plus petites liaisons? Ce sera certainement le voleur. Dès lors on ne sait plus où est l'infamie dont parle l'art. 8. Cette infamie ne se trouve ni dans la nature, dans le choix intrinsèque du mode de punir, ni, dans un grand nombre de cas, dans le caractère, dans la nature même du fait puni et punissable. Nouvel inconvénient, nouveau résultat fâcheux de cet étrange arbitraire, de ce singulier despotisme en vertu duquel la loi pénale a prétendu régler non-seulement la mesure et la gravité physique de chaque peine, ce qui est bien de son ressort, mais encore l'influence, les résultats de chaque peine sur la conscience et sur l'opinion; nouvel inconvénient de cette prétention de faire varier l'appréciation morale que chacun de nous peut faire d'un acte, selon que la loi aura cru devoir flétrir ou non cet acte d'infamie.

Ceci n'est pas le résultat d'une simple inexactitude de mots, mais de cette malheureuse inexactitude de la division de l'art. 1or, qui présente encore des résultats que la raison repousse.

Ainsi, que les fonctionnaires publics punis aux termes des art. 127 et 130 soient déclarés frappés d'une peine infamante; que le voleur, au contraire, ne soit déclaré frappé que d'une peine correctionnelle, au fond, je m'en inquiète assez peu, parce qu'en dépit de la loi chacun de nous démêlera quel est l'homme infâme et déshonoré. Mais rapprochez ces deux articles d'un texte du Code civil, de celui qui autorise la séparation de corps à raison de toute peine infamante encourue par l'un des époux, et vous serez frappés des résultats, c'està-dire que la femme du préfet, du sous-préfet, du maire dont parlent les art. 127 et 130, pourra déclarer que la vie commune lui est insupportable avec un homme que la loi a frappé d'une telle peine; tandis que la femme du voleur devra vivre avec lui, parce que, lors même que son fait est infâme, honteux, elle n'est pas juge de tout cela : la loi n'a qualifié ce fait que de délit. Tel est l'étrange résultat auquel conduisent ces divisions arbitraires signalées dès l'origine, ces divisions qui, renversant l'ordre logique et moral des idées, prétendent subordonner arbitrairement la conscience et la croyance publique à la qualité des dénominations que le législateur juge à propos d'appliquer aux peines. Au reste, dans tout ceci, remarquez bien que nous n'examinons pas encore la nature ou le mérite du bannissement et de la dégradation civique; le seul point qui nous occupe est l'examen du mérite des qualifications sous lesquelles la loi a classé ces divers actes.

36. Le nouvel art. 8 a supprimé du nombre des peines infamantes la première de toutes celles qu'énumérait le Code pénal de 1810, le carcan.

Les critiques que j'ai présentées sous le rapport de la division logique ne s'appliquent pas à cette peine. Il est clair que le carcan est de sa nature même une peine infamante, sauf à voir si c'est une bonne peine, si le législateur a bien

I.

fait de l'introduire, et surtout si, en l'introduisant, il l'aura bien ou mal appliquée. Mais le carcan, bien différent en cela du bannissement et de la dégradation civique, est une peine qui, par sa nature même, désigne, à tort ou à raison, mais désigne celui qu'elle frappe à l'animadversion publique.

La peine du carcan, indiquée dans l'ancien art. 8, a disparu du nouveau texte. De là vous pourriez conclure que l'exposition publique, autorisée sous le nom de carcan, a cessé d'exister en même temps: ce serait une erreur. Le nom de carcan a disparu; mais l'exposition publique lui a quelque temps survécu. Pourquoi donc a-t-on supprimé dans le texte de l'art. 8 une pénalité que la loi appliquait encore? Pour comprendre cette suppression, il faut savoir que le carcan était prononcé dans le Code pénal de 1810, tantôt comme peine principale, appliquée indépendamment de toute autre pénalité; tantôt comme peine accessoire résultant, plus ou moins nécessairement, de certaines condamnations afflictives. Au reste, le carcan a été supprimé comme peine isolée, comme peine principale. Voilà pourquoi il ne paraît plus dans l'art. 8. Mais le carcan, ou du moins l'exposition publique, avait continué d'exister, quoique avec moins d'étendue, comme conséquence de certaines condamnations. Nous en parlerons sur l'art. 22.

Mais pourquoi le législateur, conservant l'exposition publique à titre de peine accessoire, l'avait-il effacée, supprimée comme peine principale? La raison en est facile à donner. L'exposition publique, à part toutes les objections qui peuvent s'élever contre le choix des peines infamantes de leur nature, objections qui n'avaient pas empêché sa conservation comme peine accessoire, présente, comme peine principale, un inconvénient, un danger tout particulier. On a reconnu qu'à part tous les vices moraux de cette pénalité, il y avait imprudence et péril social à la prononcer comme peine principale ; à ne mettre aucun intervalle, aucun intermédiaire entre la plus éclatante infamie, et la plus absolue, la plus entière liberté, à faire descendre de l'échafaud public, après une heure d'exposition, un homme que tout le monde y avait vu flétrir, un homme que la société allait inexorablement repousser d'elle; à le rendre à toute sa liberté, à tous ses moyens de nuire, dans un moment où toute existence sociale venait de lui être enlevée, et où il descendait de l'échafaud bien moins corrigé, bien moins accablé qu'irrité, exaspéré par la pénalité qui venait de l'atteindre. De là la suppression de l'exposition publique envisagée comme peine principale. Quant aux motifs qu'on pouvait alléguer contre l'exposition comme peine accessoire, motifs qui ont enfin triomphé complétement, nous aurons à les présenter sur le texte de l'art. 22, relatif à cette exposition.

QUATRIÈME LEÇON.

37. Il nous reste peu de choses à dire sur la section préliminaire du livre ler, celle qui est relative à la division des peines. Vous savez que nous avons déjà vu quelles sont les peines, soit afflictives et infamantes à la fois, soit simplement infamantes. Nous avons critiqué ces dénominations, la dernière comme vicieuse dans le principe et dans le mot, et la première, celle d'afflictive, comme vague et peu significative. Nous voici maintenant arrivés à la troisième espèce de peines.

ART. 9. Les peines en matière correctionnelle sont : - 1° l'emprisonnement à temps dans un lieu de correction;- 2o l'interdiction à temps de certains droits civiques civils ou de famille; — 3o l'amende. »

La même critique paraît devoir s'appliquer à la dénomination de la troisième es pècede peines; mais ce n'est là, je me hâte de le dire, qu'une affaire de mots. Le mot peine correctionnelle, comme celui de peine afflictive, est tout à fait arbitraire; il ne présente, dans son sens propre et naturel, aucune relation directe avec les peines auxquelles la loi l'applique. Aussi, si par le mot peine correctionnelle vous entendez peine qui a pour but de châtier, il est clair que c'est une redondance, car toute peine tend essentiellement à ce but ; peine et châtiment sont des expressions tout à fait synonymes. Sous ce rapport, le mot de peine correctionnelle, pris dans son sens général et naturel, ne serait qu'un pléonasme; que si, au contraire, on entend par là des peines qui auraient pour but non-seulement de châtier, mais encore de corriger, d'amender, de réformer le coupable, c'est là une qualité qu'il serait à désirer de trouver dans toutes les peines, mais que malheureusement nous ne rencontrons dans aucune, car les peines que la loi qualifie de correctionnelles, ne le sont pas plus que les autres, ni en ce sens qu'elles châtient ni en ce sens qu'elles corrigent. Les trois peines comprises sous ce nom sont : l'emprisonnement, l'interdiction de certains droits, et l'amende.

Il est clair que, dans l'interdiction partielle de certains droits civils et dans l'amende, il n'y a aucune tendance au perfectionnement moral du coupable. Quant à l'emprisonnement, il pourrait, il est vrai, dans un certain système, dans une certaine direction, devenir un moyen d'amendement et de réforme ; mais ce système n'existe pas, mais cette direction n'est pas trouvée. Sous ce rapport, on ne peut guère justifier l'emploi de ce mot. C'est donc uniquement par énumération, et non pas par définition, que nous pouvons connaître les peines correctionnelles. Ces peines sont de trois sortes : l'emprisonnement à temps; l'interdiction à temps de certains droits détaillés dans l'art. 42, et enfin l'amende. Du reste, quant à la durée de l'emprisonnement, quant à l'étendue de cette interdiction, quant à l'importance de cette amende, tous ces détails n'appartiennent pas à la matière qui nous occupe maintenant; nous ne nous occupons que de la division, et non pas encore de l'application des peines.

38. « ART. 10. La condamnation aux peines établies par la loi est toujours prononcée sans préjudice des restitutions et dommages-intérêts qui peuvent être dus aux parties. >>

Cet article consacre un principe bien connu de tout le monde, c'est la distinction entre l'action publique tendant à l'application des peines, et l'action civile ou privée tendant à faire obtenir à la partie lésée par le délit l'indemnité pécuniaire du dommage qui lui a été causé. Les règles relative, à chacune de ces actions sont exposées dans les premiers articles du Code d'instruction criminelle; c'est là que nous verrons par qui, devant quels tribunaux, suivant quelles règles doivent être intentées l'une et l'autre action, l'action publique et l'action privée. Remarquez au reste, d'après l'art. 52 du Code pénal, que les condamnations aux restitutions, aux dommages-intérêts, quoique purement

pécuniaires et civiles de leur nature, ont néanmoins cet effet d'entraîner contre celui qu'elles frappent la voie de la contrainte par corps.

39.« ART. 11. Le renvoi sous la surveillance spéciale de la haute police, l'amende et la confiscation spéciale, soit du corps du délit, quand la propriété appartient au condamné, soit des choses produites par le délit, soit de celles qui ont servi et qui ont été destinées à le commettre, sont des peines communes aux matières criminelles et correctionnelles. »

Nous avons encore fort peu de choses à dire sur cet article. Le renvoi sous la surveillance de la haute police est organisé par l'art. 44. Nous en parlerons en son lieu. En général, ce renvoi est la conséquence de toutes les peines criminelles, la dégradation civique exceptée; vous le verrez indiqué dans les art. 44 et suivants. Quant aux peines correctionnelles infligées à raison de délits, elles n'entraînent que dans des cas spécialement désignés la surveillance temporaire du condamné par la haute police de l'État.

40. La confiscation spéciale est conservée, par opposition à cette confiscation générale autorisée par le dernier paragraphe de l'ancien art. 7 et supprimée dans la révision du Code, en vertu de la disposition de l'art. 46 de la Charte de 1814. L'abolition de la confiscation, vous ai-je dit, ne s'entend que de la confiscation générale, peine supprimée, peine abolie comme impersonnelle, comme frappant la famille du coupable bien plus encore que le coupable lui-même. Mais cette abolition reste étrangère à la confiscation spéciale, et l'art. 11 vous indique à quels cas s'applique cette confiscation, soit du corps du délit, soit des choses produites par le délit, soit de celles qui ont servi ou qui ont été destinées à le commettre. Vous trouvez des exemples de la confiscation spéciale, appliquée au corps du délit, dans les art. 176, 286, 287 du Code pénal; il y a d'ailleurs bien d'autres cas. Vous trouvez des cas de confiscation des choses produites par le délit dans les art. 364 et 428. Vous en trouvez enfin, pour les choses qui ont servi ou qui ont été destinées à le commettre, dans l'art. 314, relatif à la confiscation des armes, des objets, des instruments prohibés.

41. Quant à l'amende, qui est une peine commune aux matières criminelles et aux matières correctionnelles, vous la trouvez prononcée beaucoup plus fréquemment en matière correctionnelle qu'en matière criminelle. C'est surtout dans les matières correctionnelles qu'il a pu paraître utile de fortifier par une amende ce que la sanction pénale, personnelle, corporelle, pouvait présenter d'incomplet. Quant aux matières criminelles où la peine est infamante et plus forte, vous trouvez parfois des amendes; mais elles sont plus rarement prononcées. Vous sentez que le système de l'amende, dans les matières criminelles, ne peut s'appliquer qu'au cas des peines temporaires ; quant aux peines perpétuelles qui font encourir la mort civile, ajouter une amende à la peine, ce ne serait pas frapper le condamné à qui la mort civile fait perdre tous ses biens, ce serait frapper directement et uniquement les héritiers aux mains de qui passent ces biens, système évidemment inadmissible. (Voy. infrà, no 88.) Ainsi, vous trouvez très-fréquemment l'amende ajoutée aux peines correctionnelles ; vous la trouverez encore, mais plus rarement, ajoutée aux peines criminelles temporaires.

CHAPITRE PREMIER

DES PEINES EN MATIÈRE CRIMINELLE.

42. Nous allons trouver dans ce chapitre le mode d'exécution, le détail des diverses pénalités que nous nous sommes bornés à classer, à envisager en masse dans les art. 7 et 8, le mode d'exécution et de détail, soit des peines afflictives et infamantes, soit des peines simplement infamantes.

Vous comprendrez aisément que la plupart de ces textes ne se prêtent pas à la nature de développements, d'explications que présentent et qu'exigent le plus souvent les matières du droit ou de la procédure civile. En général, ces textes sont fort clairs, le mode d'exécution qu'ils présentent est fort simple et ne donne matière qu'à d'assez rares questions d'application et de pratique. Nous pourrions donc sans inconvénient en parcourir rapidement un assez grand nombre, pour lesquels souvent la lecture suffira, et si quelques-uns nous arrêtent, et nous arrêtent assez longtemps, ce sera bien moins en ce qui touche les difficultés pratiques de l'application de telle ou telle peine, qu'en ce qui touche son mérite théorique, son efficacité pénale. C'est en ce sens que nous aurons à nous occuper aujourd'hui : 1o de la peine de mort, dont parle l'art. 12; 2° et d'une manière beaucoup plus étendue, de la peine de la déportation, définie, détaillée par l'art. 17.

Les art. 12, 13 et 14 sont relatifs à l'application de la peine de mort, et leur texte, surtout leur texte actuel, ne présente, à ma connaissance, aucune difficulté pratique. Je dis leur texte actuel, car, avant la révision de 1832, une disposition particulière de l'art. 13 donnait lieu à une difficulté que je n'aurai plus maintenant qu'à indiquer.

43. « Art. 12. Tout condamné à mort aura la tête tranchée. »

Vous savez tous quelles théories, quels débats a soulevés depuis assez longtemps l'application de la peine de mort, non-seulement dans son rapport avec tel ou tel fait, dans la spécialité de telle ou telle application, mais encore dans sa généralité. En un mot, vous savez tous que depuis assez longtemps a été débattu, et chaque jour plus vivement, le point de savoir s'il est des crimes, quelque énormes qu'on les suppose, que la société ait le droit de frapper, de punir de mort. Je n'ai certes pas la pensée de présenter et de discuter ici les objections très-nombreuses soulevées par les adversaires de la peine de mort; ces objections demanderaient, ne fût-ce que pour être présentées, une ou même plusieurs leçons de développements; elles se rattachent, d'ailleurs, à bien des sources différentes, et je me bornerai à indiquer les principales et à n'en discuter peut-être qu'une seule.

Ainsi, quelques-unes ont été empruntées, et le sont encore fréquemment, au système religieux, d'autres à des systèmes politiques. Les unes et les autres étant des objections tout à fait spéciales, nous pouvons, je crois, les laisser de

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