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aurait pu en douter; car la raison qui, en 1818, avait dicté cette exception ne se présente plus en 1832, puisque la déportation ne peut plus s'exécuter de fait et réellement; puisque l'art. 17 interdit quant à présent toute tentative, tout essai de colonisation pénale, on ne voit pas une grande utilité à conserver ou à restituer partie des droits civils aux condamnés détenus dans l'intérieur d'une forteresse. Cependant il n'est pas douteux que cette faculté n'appartienne encore au gouvernement, bien que l'intérêt en soit infiniment moindre. C'est la raison du changement qui a été fait et qui n'a pu être fait que dans ce but à la rédaction de l'art. 18.

Ainsi il n'est pas douteux que, dans l'état présent, une condamnation à la déportation, ayant été prononcée et étant exécutée conformément au § 4 de l'art. 17, n'emporte en principe la mort civile. Il n'est pas douteux, en second lieu, que le gouvernement ne puisse atténuer, modifier les conséquences de ce principe, en accordant au condamné l'exercice des droits civils ou de quelques-uns de ces droits. Mais il ne paraît pas que cette atténuation puisse aller jusqu'à détruire le principe, c'est-à-dire jusqu'à empêcher la mort civile d'être le résultat actuel et immédiat de la détention dans une forteresse, aux termes de l'art. 17, sauf ensuite à restituer pour l'avenir la totalité ou une partie de ces droits. Nouvelle infraction qu'il faut encore signaler à ce principe, qui, assimilant la mort civile à la mort naturelle, peut admettre la possibilité de la cessation de la mort civile, contrairement à l'idée qu'on s'en fait. Inconséquence à signaler, mais non pas sans doute à blâmer, puisqu'en définitive elle est un retour au moins partiel à des principes d'humanité dont on eût mieux fait de ne jamais s'écarter.

Le deuxième paragraphe de l'art. 18 se trouve d'ailleurs remplacé par l'article 4 de la loi du 31 mai 1854 ainsi conçu : « Le gouvernement peut relever le condamné à une peine afflictive perpétuelle de tout ou partie des incapacités prononcées par l'article précédent. Il peut lui accorder l'exercice dans le lieu d'exécution de la plénitude des droits civils ou de quelques-uns de ces droits, dont il a été privé par son état d'interdiction légale. Les actes faits par le condamné, dans le lieu d'exécution de la peine, ne peuvent engager les biens qu'il possédait au jour de sa condamnation, ou qui lui sont échus à titre gratuit depuis cette époque.» Cette disposition ne s'applique pas aux condamnés à la déportation, pour crimes commis antérieurement à sa promulgation: il faut dans ce cas se référer à l'art. 3 de la loi du 8 juin 1850.

59. Les art. 19, 20 et 21 ne demandent que fort peu de détails. L'art. 19 fixe la durée légale ou civile de l'une des condamnations temporaires, c'est-à-dire de la condamnation aux travaux forcés à temps. Le minimum est de cinq ans et le maximum de vingt ans. C'est dans cette limite que les cours n'assises pourront et devront, selon les circonstances, les antécédents, les habitudes, la moralité du condamné, faire varier la condamnation. Nous reviendrons plus tard sur les motifs qui ont dicté cette théorie générale de fixation d'un minimum et d'un maximum.

60. J'ai déjà parlé, sur l'art. 7, de la peine introduite en 1832 sous le nom de détention, peine intermédiaire entre celle des travaux forcés à temps et

celle de la réclusion. Il est évident que la peine de la détention est moins sé– vère, est moins rude que la peine des travaux forcés à temps; elle ne suppose ni le séjour flétrissant dans l'intérieur d'un bagne, ni l'obligation des travaux prescrits par l'art. 15; elle suppose simplement pour le condamné qu'elle a frappé le séjour dans une forteresse avec pleine liberté de communiquer, soit dans l'intérieur, soit avec les personnes du dehors; pleine liberté consacrée par l'art. 20 en principe, sauf aux règlements, aux ordonnances à en déterminer l'usage. Mais il est clair que ces règlements, ces ordonnances seraient en contradiction formelle avec l'art. 20, si, ne se bornant pas à assujettir la communication du condamné avec sa famille ou ses amis aux précautions de police ou de surveillance nécessaires, on allait lui interdire ses communications, ces visites, sous le prétexte imaginaire de police et de sûreté. Le texte de l'article 20 est formel à cet égard et ne laisse pas de doute :

« ART. 20. Quiconque aura été condamné à la détention sera renfermé dans l'une des forteresses situées sur le territoire continental du royaume, qui auront été déterminées par une ordonnance du roi, rendue dans la forme de règlement d'administration publique. (Ces mots derniers indiquent un décret discuté et arrêté en conseil d'État, c'est le sens que présentent dans nos lois ces expressions qui s'y trouvent assez fréquemment répétées. Il est clair que cette forme dans laquelle doit être rendue cette ordonnance, est également applicable à la détention perpétuelle organisée par le § 4 de l'art. 17.) — § 2. Il communiquera avec les personnes placées dans l'intérieur du lieu de la détention ou avec celles du dehors (voilà le principe, voilà une des circonstances qui distinguent essentiellement ce cas de condamnation de celui de travaux forcés à temps, et même de la réclusion) conformément aux règlements de police établis par une ordonnance du roi. (On comprend très-bien la nécessité de ces règlements en ce qui touche les heures auxquelles il sera permis de pénétrer dans la forteresse, mais ces règlements ne peuvent, sous aucun prétexte, porter atteinte au principe par lequel commence le § 2.) – § 3. Sa détention ne peut être prononcée pour moins de cinq ans ni pour plus de vingt ans, sauf le cas prévu par l'ait. 33. »

Il s'agit dans l'art. 33 du cas d'un condamné au bannissement; on y déclare que le banni qui, avant l'expiration de sa peine, sera rentré sur le territoire du royaume, sera condamné à la détention pour un temps au moins égal au temps de bannissement restant à courir, et qui ne pourra en excéder le double. L'examen de cet article, le rapprochement qui s'ensuit doit nous conduire à limiter un peu le sens que paraîtrait présenter la lettre de notre § 3. On nous dit: La détention ne peut être prononcée pour moins de cinq ans ni pour plus de vingt ans, sauf le cas prévu par l'art. 33. Notez bien que cette exception résultant de l'art. 33 ne s'applique qu'au minimum, et non point au maximum de la peine; que le texte de l'art. 33 ne peut jamais avoir pour résultat d'entraîner contre un banni qui a rompu son ban une condamnation supérieure à vingt ans de détention. En effet, le minimum du bannissement étant de cinq ans, et le maximum de dix ans, il est certain que le double de la peine du bannissement ne peut jamais mener à une détention de plus de vingt ans; mais il est possible qu'un banni reparaisse sur le territoire du royaume, ayant encore un an,

deux ans, un mois, deux mois de bannissement à subir; alors il devra être condamné à la détention pour un temps au moins égal à celui qui restait à courir, c'est-à-dire à un mois, à deux mois, à un an, à deux ans de détention, ou, au plus, à un temps double; c'est-à-dire qu'il pourra résulter, de la disposition de l'art. 33, que les cours d'assises prononceront une condamnation à la détention inférieure à cinq ans, mais non pas qu'elles prononceront dans aucun cas une condamnation à la détention supérieure à vingt ans.

Toutefois, il faut encore ajouter à cette limite du maximum de la peine établie par l'art. 20, comme à celle de l'art. 19, les dispositions de l'art. 56, pour le cas de récidive. Nous verrons que la circonstance de récidive, au moins dans certaines hypothèses, autorise à appliquer les peines criminelles dont nous nous occupons bien au-delà du maximum que la loi détermine ici; mais c'est là un cas tout particulier.

61. ART. 21. Tout individu, de l'un ou de l'autre sexe, condamné à la peine de la réclusion, sera enfermé dans une maison de force et employé à des travaux dont le produit pourra être en partie appliqué à son profit, ainsi qu'il sera réglé par le gouvernement. La durée de cette peine sera au moins de cinq années, et de dix ans au plus. »

Nous venons de comparer la peine de la détention à la peine des travaux forcés à temps; nous avons vu que la première est infiniment plus douce; comparée à la peine de la réclusion, qui la suit immédiatement dans le texte de l'art. 7, elle présente un peu plus de difficulté, non pas qu'il y ait là d'obstacle cu d'embarras sérieux, mais cependant il arrive assez souvent d'entendre dans vos examens confondre l'une avec l'autre, ou du moins très-mal séparer ces deux peines; la nuance est cependant facile à établir.

En général, quand on demande la différence entre la peine de la détention, dont s'occupe l'art. 20, et celle de la réclusion, dont s'occupe l'art. 21, la ré ponse est celle-ci : c'est que le maximum de la détention est de vingt ans, tandis que le maximum de la réclusion n'est que de dix ans, aux termes de l'art. 21. Le fait est vrai; mais si c'était là le seul caractère de différence entre la détention et la réclusion, il serait impossible de s'expliquer pourquoi, en 1832, on a introduit dans la loi la peine de la détention. En effet, si on avait voulu seulement constituer une peine autre que celle des travaux forcés à temps, et dont le maximum pût aller jusqu'à vingt ans, il aurait suffi de déclarer que la réclusion, conservant cinq ans pour minimum, pourrait avoir vingt ans pour maximum ; il n'aurait pas fallu pour cela créer une dénomination et une exécution toute nouvelle. Aussi cette différence est-elle toute secondaire et de fort peu d'importance; la peine de la détention en effet peut être plus dure que celle de la réclusion, en ce qu'elle peut, à la différence de l'autre, s'élever jusqu'à vingt ans. Mais, sous plusieurs autres rapports, la peine de la détention est d'une nature plus douce que celle de la réclusion; en un mot, elle peut être plus sévère, plus forte dans sa durée; elle est toujours moindre dans son intensité, dans son application pénale actuelle.

Ainsi la peine de la réclusion suppose, comme celle des travaux forcés, obligation de travail et interdiction de communiquer; au contraire, la peine de la détention ne suppose ni l'une ni l'autre.

La peine de la réclusion suppose le séjour dans une maison de force, au mi

LIV. I. CHAP. I (No 63). lieu de tous les criminels que l'opinion repousse et flétrit; il en est autrement de la détention.

Enfin, et c'est ici la principale différence, la peine de la réclusion, aux termes de l'art. 22, entraînait, au moins en principe, l'exposition publique dont nous allons nous occuper, conséquence qui ne pouvait jamais s'attacher à la peine de la détention.

En d'autres termes, la peine de la détention, quoique rangée légalement au nombre des peines afflictives et infamantes, n'entraîne pas cependant les effets de ces peines, cette nature et ce degré d'infamie qui s'attachent toujours nécessairement à la peine de la réclusion, à cause des faits pour lesquels elle a été constituée.

Le motif qui n'a pas permis d'appliquer à la détention la conséquence de l'exposition publique, qui n'a pas permis de confondre dans l'intérieur d'une maison de force les condamnés à la détention avec les condamnés ordinaires, est précisément que la peine de la détention a été introduite en vue de crimes politiques, auxquels les condamnations ordinaires et le mode d'exécution habituel avaient paru tout à fait inapplicables. De même que la morale et la conscience ne confondent jamais les uns avec les autres les auteurs de ces crimes, que la loi doit punir tous, mais qu'il est impossible de mettre sur le même rang, de même, on a voulu constituer dans la pénalité, appliquer à chaque classe de crimes une peine différente aux crimes privés, aux crimes ordinaires, la peine de la réclusion est appliquée; pour ces crimes politiques contre lesquels il faut bien se mettre en garde, mais qu'il est impossible de confondre avec les autres, on a senti le besoin d'instituer une pénalité toute spéciale; c'est dans ce but qu'a été introduite et organisée la peine de la détention. Ainsi appliquez-vous à ne pas confondre la détention, non-seulement dans sa durée, où la distinction est facile, mais assez insignifiante, mais dans son intensité et dans sa nature, avec la peine de la réclusion, qui s'exécute tout différemment, parce qu'elle s'applique à une nature de crimes tout à fait différents.

62. Une conséquence commune aux trois peines qui précèdent, travaux forcés à temps, détention et réclusion, c'est la surveillance de la haute police après l'expiration de la peine, aux termes de l'art. 47, que nous expliquerons en son lieu.

63. L'art. 22 demande plus de détails, relativement surtout aux changements qu'il a éprouvés dans la législation de 1832.

« ART. 23. Quiconque aura été condamné à l'une des peines des travaux forcés à perpétuité, des travaux forcés à temps ou de la réclusion, avant de subir sa peine, demeurera pendant une heure exposé aux regards du peuple sur la place publique. Au-dessus de sa tète sera placé un écriteau portant, en caractères gros et lisibles, ses noms, sa profession, son domicile, sa peine et la cause de sa condamnation. - En cas de condamnation aux travaux forcés à temps ou à la réclusion, la cour d'assises pourra ordonner, par son arrét, que le condamné, s'il n'est pas en état de récidive, ne subira pas l'exposition publique. Néanmoins, l'exposition publique ne sera jamais prononcée à l'égard des mineurs de dix-huit ans et des septuagénaires.

L'exposition publique a été abolie par le décret du 12 avril 1848, dont les

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termes sont rappelés plus loin : néanmoins, nous croyons devoir conserver les observations qui forment les nos 7i et 72, bien qu'elles n'aient aujourd'hui qu'un intérêt historique, parce qu'elles indiquent une des phases de la législation et qu'elles marquent, pour ainsi dire, une de ses étapes.

Je vous ai fait remarquer, sur l'art. 8, le changement qui distingue la nouvelle rédaction de l'ancienne, consistant dans la suppression de la peine du carcan. On entendait, par carcan, l'exposition publique du condamné, opérée conformément au texte de l'ancien art. 22. La peine du carcan ou l'exposition publique avait lieu, vous ai-je dit, dans deux cas bien distincts, tantôt comme une peine spéciale, principale, indépendante de toute autre; tantôt comme une peine accessoire, comme le résultat, comme la conséquence légale de certaines pénalités. J'ai dit et je ne répéterai point quels motifs ont décidé, en 1832, à supprimer le carcan ou l'exposition publique, considérée comme peine principale et isolée.

La question a paru plus douteuse en ce qui touche l'exposition publique, c'est le mot que nous emploierons désormais, l'expression de carcan ayant disparu de nos lois, la question a paru plus douteuse relativement au maintien ou à l'abolition de la peine de l'exposition publique, considérée comme purement accessoire, instituée comme un résultat, comme une conséquence légale attachée à certaines peines.

D'une part, on disait, pour son abolition, que cette peine a le défaut de démoraliser, d'abattre, de désespérer celui qu'elle atteint; qu'elle a un résultat plus fâcheux, celui d'être souverainement inappréciable, c'est-à-dire d'agir sur les condamnés, non-seulement d'une manière inégale, ce que le législateur ne peut pas prévoir, mais d'agir en général à contre-sens de la manière dont une peine doit agir, de peser plus lourdement, à mesure qu'on est moins coupable, d'agir sur le condamné en sens inverse de sa moralité. Il est sensible, en effet, que l'exposition publique qui abat, qui désespère le condamné encore accessible aux regrets ou aux remords, effleure à peine le coupable endurci qui se joue de cette solennité si terrible pour l'autre. C'était là le principal argument qu'on faisait valoir pour en demander la pleine et entière abolition. On ne niait pas que, dans certains cas, à l'égard de certains crimes, ou plutôt de certains condamnés, elle ne pût être efficace; mais on disait que plus le condamné était endurci, moins il se soucierait de cette peine.

D'autre part, on opposait, pour maintenir l'exposition publique, qu'elle est exemplaire au plus haut degré, et qu'elle est,en général, sauf les exceptions que j'indiquais tout à l'heure, fort redoutée du plus grand nombre des condamnés; enfin, qu'elle a pour avantage de donner aux châtiments la même publicité que la faute, et d'avoir presque le même éclat, la même solennité que la peine de mort, sans présenter comme elle ce triste dénoûment qui affaiblit souvent par la compassion l'effet de l'exemple.

Au milieu de ces considérations opposées tendant à obtenir, les unes l'aboliffon, les autres la conservation absolue de la peine de l'exposition publique, un parti moyen a été pris, qui résout, il faut en convenir, une assez grande partie des objections présentées.

D'après le texte de l'ancien art. 22, l'exposition publique était la conséquence légale, nécessaire, inévitable de toute condamnation aux travaux

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