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sont revêtus les prive du droit de cité. En leur refusant la domination qui ne leur appartient pas, il ne faut pas les réduire en servitude. Il serait à craindre qu'on fortifiat précisément une tendance qu'on veut affaiblir. On est inquiet de leurs rapports nécessaires avec le chef de la religion, et on veut relâcher les liens qui les unissent à la patrie. Les exclusions font le même effet que les privilèges; elles rapprochent les hommes qu'elles frappent et resserrent les liens qui les unissaient déjà. Elles les isolent des intérêts généraux et finissent par les détacher de la communauté; elles les rendent hostiles en les déclarant redoutables. Craignez, en frappant le sacerdoce de mort civile, d'encourager l'esprit irréligieux et d'aliéner l'esprit religieux.

Je le répète en finissant, il ne s'agit point de donner un privilège aux ministres du culte, il ne s'agit même point de leur donner un droit nouveau, mais de ne point les mettre hors du droit commun, de ne point les priver des droits de bourgeoisie qu'ils tiennent de leur naissance et de nos lois, de ne point limiter le droit des électeurs en leur prohibant d'appeler pour stipuler leurs intérêts, dans une assemblée qui n'est après tout qu'un véritable syndicat d'association, ceux qu'ils jugeraient dignes de le faire s'ils étaient libres dans leur choix.

M. le comte d'Argout, ministre de l'intérieur. Messieurs, j'occuperai fort peu de temps cette tribune; la question me parait complètement éclaircie. Il me serait bien difficile d'ajouter quelque chose aux considérations qui ont été présentées par M. le baron de Sacy et par M. le comte Portalis. Cependant je me crois obligé de manifester mon opinion, et parce que je pense que,, dans toutes les questions essentielles, il est du devoir du gouvernement de faire connaître nettement sa pensée, et parce que quelques accusations, au moins indirectes ayant été adressées au gouvernement, il est nécessaire qu'il y réponde.

En effet, M. le comte de Montalivet, en commençant son discours, a signalé une prétendue tendance du gouvernement à faire rentrer le clergé dans les affaires civiles, à lui donner ou plutôt à lui rendre une influence politique dont il aurait été dépouillé en 1830; il a parlé du désir qu'aurait le gouvernement de se rendre agréable à la cour de Rome par des concessions dommageables à l'intérêt de l'Etat et à la dignité de la France, afin de parvenir à aplanir les difficultés qui se seraient élevées sur le sacre de certains évêques qui ont été nommés par le roi.

Il m'est impossible de laisser passer de pareilles assertions sans y répondre et sans donner l'assurance à la Chambre que le noble comte qui les a avancés est complètement dans l'erreur.

Le désir du gouvernement est, sans doute, d'avoir pour le souverain pontife tous les égards et tous les respects que commandent la position élevée qu'il occupe, le caractère dont il est revêtu, et sa qualité de chef de l'Eglise catholique, dont la croyance est celle de la majorité des Français. Mais l'intention forte et persévérante du gouvernement est de maintenir, avec vigilance et avec fermeté, les libertés de l'Eglise gallicane, et de s'opposer à toute prétention, à toule tentative d'empiètements qui serait nuisible à l'intérêt de l'Etat, si elle venait à se manifester toutefois, je désire qu'on n'infère pas de mes paroles que des prétentions injustes, que

des exigences déraisonnables aient été manifestées par la cour de Rome.

Les intentions du gouvernement vis-à-vis du clergé, c'est de le faire jouir de la protection et de la liberté qui lui sont garanties par la Charte et les lois de l'Etat, c'est qu'il puisse exercer son culte avec toute sécurité de le défendre et de le garantir avec énergie des insultes, des voies de fait et des violences qui pourraient être dirigées contre lui, mais en même temps de réprimer avec une égale sévérité tous les écarts, tous les abus, tous les désordres auxquels il serait possible que quelques membres, dans un corps aussi nombreux, pussent se livrer.

Voilà la profession de foi du gouvernement sur la question que M. le comte de Montlosier a bien voulu lui adresser. (Marques unanimes d'approbation.)

Je ferai remarquer qu'il est d'autant plus extraordinaire que l'accusation que je viens de refuter ait été adressée au gouvernement, au sujet de la loi qui se discute en ce moment, que le ministère n'avait fait aucune mention quelconque, soit du clergé catholique, soit des ministres des cultes salariés par l'Etat, dans le texte primitif du projet de loi: leur nom n'y était pas même prononcé.

Comment donc peut-on l'accuser d'avoir voulu favoriser le clergé dans la loi d'organisation départementale? Ne sait-on pas que la disposition relative aux ministres des cultes a été introduite dans cette loi, a été votée dans l'autre Chambre, et qu'elle avait pour but de prononcer contre eux une exclusion? C'est à raison de ce vote que la question, maintenant, se trouve introduite devant la Chambre.

Examinons maintenant quelle est la véritable question, en essayant de la dépouiller de cet entourage immense dans lequel le talent et l'éloquence de M. le comte de Montlosier et de M. le comte Roederer l'ont pour ainsi dire ensevelie. M. Portalis vient de le dire, il ne s'agit pas de conférer un privilège aux ministres des cultes salariés de l'Etat, il ne s'agit pas de les nommer de plein droit membres des conseils généraux, parce qu'ils seraient ministres d'un culte salarié ; il n'est nullement question de leur attribuer, à raison de leurs fonctions ecclésiastiques, une prérogative quelconque, de leur donner des droits administratifs, des droits politiques spéciaux en leur qualité de prêtres. Il s'agit purement et simplement de savoir si un propriétaire, un contribuable qui paye le cens déterminé par la loi, qui remplit les conditions voulues pour être apte à faire partie du conseil général, en sera exclu, s'il sera jeté en dehors du droit commun, s'il perdra ses droits civils, s'il sera frappé de réprobation, s'il sera déclaré incapable, inéligible, uniquement parce qu'il est ministre d'un culte salarié par l'Etat. Dans cette question, quels sont les principes et les règles du gouvernement? C'est de rester dans le droit commun, c'est de n'avoir qu'un poids et qu'une mesure pour tous les citoyens, c'est d'accorder à tous ceux qui remplissent les conditions d'âge, de contributions, de capacité que détermine la loi, les mêmes droits, les mêmes privilèges, les mêmes facultés; c'est de laisser aux électeurs toute la latitude, toute la liberté possible pour choisir les éligibles qu'ils croiront les plus dignes de leur confiance. Voyez où conduirait le système opposé; vous seriez obligés de permettre de nommer au conseil général tout prêtre, tout ministre d'un culte quelconque,

pourvu qu'ils ne soient pas salariés par l'Etat : vous voulez placer les prêtres dans un état de suspicion parce qu'ils sont prêtres; et cependant, du moment où ils ne seraient rattachés par aucun lien à l'Etat, la suspicion disparaîtrait, ils deviendraient aptes à être nommés.

Il y a une contradiction qui, je l'avoue, me paraît choquante; elle est plus forte encore forsque le raisonnement s'applique au culte protestant. Le culte protestant est en minorité dans l'Etat; les fonctions des pasteurs n'ont ni la même sévérité, ni la même complication, ni la même rigueur.

Il est fort utile, fort politique de donner aux protestants toute la latitude de liberté qui leur est nécessaire. Cependant, vous les clâsseriez dans une espèce d'ostracisme, tandis que vous laisseriez jouir les dissidents des confessions reconnues de tous les droits civils qui sont accordés aux simples citoyens. Où est l'utilité de déclarer les ministres du culte juif incapables et inéligibles? Que vous vouliez laisser aux pasteurs protestants et aux ministres des autres cultes l'aptitude à l'éligibilité, vous arriveriez donc à déclarer que la religion catholique, qui est celle de la majorité de l'Etat, est avec raison frappée de suspicion d'inaptitude, puisque ses ministres seraient déclarés indignes du suffrage de leurs concitoyens. Une pareille disposition me paraîtrait souverainement injuste, et l'injustice ne peut jamais avoir des conséquences utiles et sages.

Voyez le principal argument sur lequel on s'est fondé pour demander cette exclusion. Le clergé catholique, dit-on, exerce une domination spirituelle sur 28 à 29 millions de Français; son influence sur cette population est immense : est-il prudent de lui donner, en outre, une influence politique sur cette même population? D'abord je nie qu'il s'agisse d'influence politique; car nous sommes tous d'accord qu'il ne doit y avoir rien de politique dans les conseils généraux. Mais je prends l'argument tel qu'il est présenté. S'il était vrai de dire que le clergé exerce une influence exorbitante sur la presque universalité de la population, je demanderais s'il ne serait pas souverainement impolitique de se rendre hostile et d'irriter profondément, par une pareille flétrissure, un corps à qui l'on reconnaîtrait un aussi grand pouvoir dans le pays? Je demanderais s'il ne serait pas injuste de ravir aux électeurs la faculté de nommer aux conseils généraux les hommes qui seraient investis de feur confiance, de leur attachement? Certes, si les choses étaient ainsi, c'est au nom de la liberté que je repousserais la mesure proposée. Mais il est vrai de dire qu'on a présenté en même temps un argument 'diametralement contraire à celui-ci; on a attaqué l'éligibilite des ministres des cultes par des motifs tout à fait opposés.

On a dit: L'influence qu'exercent les ministres du culte est une influence négative; le sentiment qu'excite le clergé est celui de la répugnance, du soupçon, de l'irritation; donc vous devez l'exclure des conseils généraux, car son admission blesserait, froisserait l'opinion publique. S'il en est ainsi, où est le danger de laisser aux ministres des divers cultes la faculté d'être nommés aux conseils généraux? S'ils sont mal vus, si réellement on a pour eux de l'éloignement, s'ils inspirent cet effroi qu'on a signale, eh bien, les électeurs ne les nommeront pas. (Mouvement.) Prenez garde que la loi ne prescrit pas leur no

mination, mais que seulement elle ne prononce pas leur exclusion. Si parmi les ministres salariés, il s'en trouve qui inspirent à un assez haut degré la confiance pour mériter que les suffrages se portent sur eux, tout ce que le projet de loi fait en leur faveur, c'est de ne pas interdire leur nomination.

Ainsi, je le répète, s'ils excitent des répugnances, ils ne seront pas nommés; les exclure du droit commun, ce serait donc faire une injure gratuite à un corps nombreux, sans aucune utilité pour le pays, et même au détriment du pays, car les hommes que l'on traite avec une défiance injurieuse finissent quelquefois par la justifier.

On a parlé des tendances spéciales du clergé. On a tiré un argument de ce que quelques-uns de ses membres avaient reconnu des brefs du pape avant qu'ils eussent été autorisés du gouvernement. On a parlé de la violation du concordat de l'an X, de refus de sépulture, de l'éloignement du clergé pour les spectacles. Il nous semble que ces questions sont tout à fait étrangères à celles que nous traitons.

Je le demande, dans les attributions d'un conseil général, en quoi sera-t-il question de refus de sépulture, de brefs du pape, de spectacles à autoriser ou à défendre? Il s'agira simplement de voter le budget du département, d'allouer des fonds pour telle route ou tel ouvrage d'utilité publique. Le conseil général n'a pas plus à s'immiscer dans les fonctions spirituelles d'un ecclésiastique, membre de ce conseil, qu'il n'aurait à s'immiscer dans les attributions d'un juge, d'un militaire ou d'un marin qui serait également membre de ce conseil.

Je finis par une dernière observation: je crois que ce système de méliance est chose fâcheuse, car il pourrait s'appliquer non seulement au clergé, mais à toutes les professions. On peut inspirer de la défiance contre les généraux, parce qu'ils semblent avoir une tendance naturelle au pouvoir despotique; contre les magistrats, les hommes de loi, en disant qu'ils aiment trop les procès. Avec cette inclination à une défiance universelle, vous arriverez à deux résultats également funestes, celui de gêner la liberté des électeurs et celui paralyser l'action du pouvoir. Car, ces défiances, que vous voulez appliquer à certaines classes des éligibles, seront ensuite appliquées par l'universalité des élus aux agents du pouvoir. Et lorsque cet esprit de défiance a pénétré partout, il arrive que les lois générales de l'Etat s'en emprègnent également. Alors le pouvoir, chaque jour plus gêné dans son action, perd la force nécessaire pour faire le bien, pour rattacher à notre belle Révolution de Juillet, désormais inébranlable, l'universalité des citoyens.

(L'amendement de M. de La Rochefoucaud sur cet article est rejeté. L'article 5 est adopté).

M. le Président. La Chambre va entendre le rapport fait par M. Cousin sur la loi de l'instruction primaire.

M. le comte Dejean. Je demande la parole. La session est très avancée; nous avons encore beaucoup de travaux à l'ordre du jour la loi sur l'organisation départementale que nous faisons dans ce moment, celle sur l'instruction primaire dont on va faire le rapport, celle sur le conseil d'Etat, et une foule d'autres de la plus grande importance, la discussion sur la loi d'expropriation forcée, celle qui a lieu en ce moment sur la loi départementale, ont été très lentement; nous devons donc perdre le moins de temps possi

ble; c'est pour obtenir cette économie de temps, que je propose de faire ici ce qui a lieu à la Chambre des députés, c'est-à-dire de déposer les rapports sur le bureau sans en donner lecture. Certainement nous aurions le plus grand plaisir à entendre M. Cousin, et j'ai cru même devoir profiter de cette occasion pour ne laiser aucun doute sur les motifs qui ont dicté ma proposition.

M. le baron Mounier. La Chambre des pairs a sa manière de procéder, la Chambre des députés a la sienne. Nos travaux ne peuvent pas être considérés comme étant trop en arrière, je ne vois pas pourquoi nous sortirions des précédents observés pendant longues années. Je sais bien que l'on peut dire que l'on lira les rapports. Je ne sais si ceux qui ne veulent pas les écouter, iront les rechercher dans les longissimes colonnes du Moniteur. Le noble préopinant, par la faveur même qui s'attache à tout ce qui sort d'un homme aussi distingué que M. Cousin, a parfaitement justifié le motif de sa proposition. Je pense qu'il est plus convenable de nous en tenir à nos usages, et à considérer que les rapports sont faits pour être lus, entendus, imprimés et médités. Ainsi, je propose à la Chambre de maintenir la parole à M. Cousin, ainsi que cela est indiqué par l'ordre du jour.

M. le comte Portalis. La proposition de M. le comte Dejean serait de changer une partie de notre règlement. Les propositions doivent subir des formes prévues par le règlement luimême. Celle-ci ne les remplit pas.

M. le Président. L'observation de M. le comte Portalis tranche la question, je n'ai rien à mettre aux voix.

M. Cousin. Je remercie la Chambre de cet acte de complaisance. J'y répondrai fort mal, surtout par la longueur de mon rapport.

M. le Président. Je pense, à cause de l'heure avancée de la séance et de la longueur du rapport, qu'il vaut mieux en remettre la lecture à demain à une heure précise, et reprendre aujourd'hui la discussion sur la loi départementale. (Cette proposition est adoptée.)

M. le Président. Nous passons à l'article 6 qui ainsi conçu :

"Nul ne peut être membre de plusieurs conseils généraux. » (Adopté.)

Art. 7. Lorsqu'un membre du conseil général aura manqué à deux sessions consécutives, sans excuses légitimes ou empêchements admis par le conseil, il sera considéré comme démissionnaire, et il sera procédé à une nouvelle élection, conformément à l'article 11. » (Adopté.)

« Art. 8. Les membres des conseils généraux sont nommés pour 9 ans; ils sont renouvelés par tiers tous les 3 ans, et sont indéfiniment rééligibles.

en

A la session qui suivra la première élection des conseils généraux, le conseil général divisera les cantons du département en 3 séries, répartissant, autant qu'il sera possible, dans une proportion égale les cantons de chaque arrondissement dans chacune des séries. Il sera procédé à un tirage au sort pour régler l'ordre de renouvellement entre les séries. Ce tirage se fera par le préfet en conseil de préfecture et en séance publique. »

M. le comte d'Argout, ministre de l'intérieur. Le gouvernement s'est entendu avec la commission pour substituer, dans le second pa

T. LXXXIV.

ragraphe, aux mots cantons du département, ceux-ci circonscriptions électorales.

(L'article 8, ainsi amendé, est adopté.)

Les articles 9, 10 et 11 sont adoptés, sans discussion, ainsi qu il suit :

« Art. 9. La dissolution d'un conseil général peut être prononcée par le roi; en ce cas, il est procédé à une nouvelle élection avant la session annuelle, et au plus tard dans le délai de 3 mois à dater du jour de la dissolution.

« Art. 10. Le conseiller de département élu dans plusieurs cantons ou circonscriptions électorales sera tenu de déclarer son option au préfet dans le mois qui suivra les élections entre lesquelles il doit opter. A défaut d'option dans ce délai, le préfet, en conseil de préfecture et en séance publique, décidera par la voie du sort à quel canton ou circonscription électorale le conseiller appartiendra.

Il sera procédé de la même manière lorsqu'un citoyen aura été élu, à la fois, membre du conseil général et membre d'un ou plusieurs conseils d'arrondissement.

«Art. 11. En cas de vacance par option, décès, démission ou autrement, l'assemblée électorale qui doit pourvoir à la vacance sera réunie dans

le délai de deux mois. >>

TITRE II.

Règles de la session des conseils généraux.

« Art. 12. Un conseil général ne peut se réunir, s'il n'y a été convoqué par le préfet en vertu d'une ordonnance du roi, qui détermine l'époque et la durée de la session.

« Au jour indiqué pour la réunion du conseil général, le préfet donnera lecture de l'ordonnance de convocation, recevra le serment des conseillers nouvellement élus, et déclarera, au nom du roi, que la session est ouverte.

« Les membres qui n'ont pas assisté à l'ouverture de la session ne prennent séance qu'après avoir prêté serment entre les mains du président du conseil général.

« Le conseil, formé sous la présidence du doyen d'âge, le plus jeune faisant les fonctions de secrétaire, nommera au scrutin et à la majorité absolue des voix son président et son secrétaire.

« Le préfet a entrée au conseil général, il est entendu quand il le demande, et assiste aux discussions qui précèdent les votes. »

M. le comte Desroys. Il faut ajouté au troisième paragraphe après les membres, les mots : nouvellement élus.

M. le comte d'Argout, ministre de l'intérieur. L'observation est parfaitement juste.

M. le Président. M. de La Rochefoucauld propose un paragraphe additionnel ainsi conçu:

[ocr errors]

Lorsque le préfet sera présent aux délibérations du conseil, le vote aura lieu au scrutin secret. »

M. le comte de Preissac. Je demande la division de cet article.

M. le Président. L'amendement de M. de La Rochefoucauld est-il appuyé? (Oui! oui !)

M. le comte d'Argout, ministre de l'intérieur. S'il m'est permis de donner mon opinion sur l'amendement de M. de La Rochefoucauld, je dirai que je le juge très préférable à la proposition de la commission. A la Chambre des députés, on n'a voulu la présence du préfet que pendant la discussion qui précédait la délibération;

18

[Chambre des Pairs.]

REGNE DE LOUIS-PHILIPPE.

la commission de la Chambre des pairs propose
que le préfet puisse as-ister à la délibération
même; seulement, il doit se retirer au moment
où l'on va voter. Dans mon opinion, je crois bon,
utile, que le préfet soit toujours présent. Nous
vivons dans un temps où l'on craint peu de
contredire l'autorité quand elle doit être contre-
dite. Il est plus en harmonie avec nos mœurs
parlementaires, que le préfet soit toujours pré-
sent, et que, de mème que les ministres sont tou-
jours présents dans les Chambres lorsqu'elles
votent, les préfets puissent assister aux délibéra-
tions des conseils généraux. Ce n'est pas que je
veuille établir d'assimilation entre les Chambres
et les conseils généraux. Je serais très disposé à
admettre l'amendement de M. de La Rochefou-
cauld, s'il voulait le modifier en ajoutant ce
membre de phrase: si un des membres du conseil
le demande.

M. le baron de Barante, rapporteur. La rédac-
tion de la Chambre des députés avait été inter-
prétée par la commission de cette Chambre, dans
ce sens que le préfet était exclu de toutes les
délibérations. Il nous a semblé d'abord que le
sens du mot délibération comprenait l'ensemble
de la discussion et du vote; pour la discussion,
nous avons pensé que le projet y était essentiel,
qu'il devait éclairer le conseil général, et ré-
pondre aux objections. La Chambre des députés
à voulu garantir l'indépendance du vote; c'est
sa pensée que nous avons cru interpréter par
notre rédaction. Suivant l'intention de M. le mi-
nistre, le préfet devrait assister à la discussion
et au vote; on s'éloignerait alors beaucoup de
ce qu'a voulu la Chambre des députés. Quant au
scrutin secret, l'article additionnel est inutile,
il se trouve dans un article postérieur de la com-
mission. Ainsi, la question est seulement celle-ci :
voulez-vous, comme la Chambre des députés,
que le préfet assiste seulement à la discussion
et qu'il se retire au moment du vote? ou voulez-
vous qu'il puisse également assister à la discussion
et au vote?

M. le comte d'Argout, ministre de l'intérieur.
Pour que la Chambre puisse statuer sur cet ar-
ticle en connaissance de cause, je dois rappeler
ce qui s'est passé à la Chambre des députés. Cette
discussion y a occupé une séance tout entière.
On a établi une distinction. On a appelé délibé-
ration la dernière opération qui précède le vote,
et on a entendu que le préfet pourrait venir de-
battre avec le conssil général, entendre les objec-
tions, y répondre et prendre part, pour ainsi
dire, à une espèce de délibération générale.
Lorsque cette délibération générale sera épuisée,
une seconde délibération dans l'intérieur du
conseil général recommencerait. Puis on procé-
derait au vote.

L'on a discuté environ deux heures pour sa-
voir si le préfet devait assister à cette dernière
délibération qu'il m'est assez difficile de séparer
de la première. Ce qu'a voulu la Chambre des
députés, c'est qu'au moment ou chaque membre
du conseil général viendrait à manifester son
opinion personnelle, le préfet ne fût pas présent.
Dans la réalité des choses, la rédaction de la
commission de la Chambre des pairs va au delà
de l'intention de la Chambre des députés.

J'approuve tout à fait l'opinion de la Chambre. des pairs, puisque la mienne est que le préfet devrait être toujours présent, sauf pour l'apurement de ses comptes, et cette exception` ne serait-elle pas écrite dans la loi, je pense que,

pour un motif de convenance, les préfets s'abstien-
draient d'assister à ces discussions, en quel-
que sorte personnelles. Je trouverais, comme je
l'ai déjà dit, plus conforme à la franchise de nos
institutions, que le préfet fût constamment pré-
sent, pour contredire, éclairer, donner des do-
cuments, redresser le conseil général, si, sur de
faux aperçus, des notions incomplètes, il pouvait
sur la demande d'un ou trois membres, si on le
prendre des mesures mal fondées. J'ajouterai que,
trouvait plus convenable, le scrutin secret pour-
rait avoir lieu.

Telles sont les explications que j'ai cru de-
voir donner consciencieusement à la Chambre,
voyant que la commission n'avait pas apprécié,
avec justesse, l'intention de la Chambre des dé-
putés.

M. Augustin Périer. Je regrette de ne pouvoir partager l'opinion de M. le ministre de l'intérieur il vous a rappelé qu'il n'avait pu faire prévaloir à l'autre Chambre, malgré tous ses efforts dans une discussion qui se prolongea pendant plusieurs heures, l'article du gouverneiment qui laisse aux préfets le droit d'assister, non seulement aux délibérations, mais à tous les votes des conseils généraux. Votre commission a cru devoir adopter au fond la résolution de la Chambre des députés, en modifiant la rédaction pour que les préfets ne soient pas étrangers aux discussions qui précèdent le vote. Je Voudrais sans doute, comme M. le ministre, assurer à l'administrateur en chef du département une utile et légitime influence sur les conseils généraux, mais le moyen ne me paraît pas bien choisi. Si les préfets doivent nécessairement assister à toutes les délibérations et à tous les votes, c'est les placer souvent dans une position fausse; par exemple, lorsqu'il s'agira de tout ce qui peut être considéré comme leur étant personnel, les dépenses du mobilier de la préfecture, celle des frais de bureaux dont ils doivent compte pour les deux tiers.

Sous le ministère de M. Lainé, une ordonnance royale conféra aux préfets le droit qu'on veut mettre aujourd'hui dans la loi; eh bien, une délicatesse naturelle empêcha ces fonctionnaires, dans la plupart des départements, de profiter de cette ordonnance, à l'exécution de laquelle répugnaient vivement beaucoup des conseils généraux, notamment celui de l'Isère, auquel j'avais l'honneur d'appartenir.

Si la Chambre ne partage pas l'avis de la commission, il me semble, d'un autre côté, qu'elle ne devra pas admettre l'amendement d'après lequel le scrutin secret serait exigé pour tous les votes, en présence du préfet; cetie condition absolue entrainerait une grande perte de temps, et serait parfaitement inutile dans la plupart des cas; par exemple, lorsqu'il s'agit des votes nombreux sur les routes départementales, serait-il convenable de l'exiger forsqu'il n'y a pas de dissentiment entre le préfet et le conseil? Il vaut mieux que la mesure soit simplement facultative sur la demande de 3 où 5 membres, ainsi qu'il est dit dans l'article suivant.

M. le comte de Preissac. Il y a dans cet amendement une difficulté d'exécution. Il arrive que, dans une séance, le conseil général prend plus de 20 délibérations. Serait-il convenable que le préfet quittât 20 fois la séance? ce serait le condamner à jouer un rôle subalterne et pour ainsi dire dégradant. Je conçois que, quand l'on discute ses comptes, des motifs de conve

nance l'empêchent d'assister à la délibération; mais, pour tout autre vote, nous n'en sommes pas à ce point de scrupule vis-à-vis du pouvoir pour que la présence d'un préfet gêne la libre manifestation de chacun des membres d'un conseil général. Il faudrait donc dire que le préfet peut assister aux délibérations, excepté quand il s'agit de l'apurement de ses comptes.

M. le baron de Barante, rapporteur. On pourrait alors substituer le mot delibération à celui de vote.

(L'article 12 est adopté avec ce double amendement.)

M. le Président. Ainsi, il n'y a plus lieu de s'occuper de l'amendement de M. de La Rochefoucauld.

Les articles 13 et 14 sont adoptés, sans discussion, ainsi qu'il suit :

« Art. 13. Les séances du conseil général ne sont pas publiques; il ne peut délibérer que si la moitié plus un des conseillers sont présents; les votes sont recueillis au scrutin secret toutes les fois que quatre des conseillers présents le réclament.

« Art. 14. Tout acte ou toute délibération d'un conseil général relatifs à des objets qui ne sont pas légalement compris dans ses attributions, sont nuls et de nul effet. La nuilité sera prononcée par une ordonnance du roi. »

«Art. 15. Toute délibération prise hors de la réunion légale du conseil général est nulle de droit.

« Le préfet, par un arrêté pris en conseil de préfecture, déclare la réunion illégale, prononce la nullité des actes, prend toutes les mesures nécessaires pour que l'assemblee se sépare immédiatement, et transmet son arrêté au procureur général du ressort pour l'exécution des lois et l'application, s'il y a lieu, des peines déterminées par l'article 258 du Code pénal. En cas de condamnation, les membres condamnés sont exclus du conseil et inéligibles pendant les trois années qui suivront la condamnation. »

Avec le consentement du gouvernement, M. le rapporteur propose et la Chambre adopte, après le mot ineligibles, l'addition de ces mots : aux conseils de département et d'arrondissement.

(L'article 15, ainsi amendé, est adopté.)

Art. 16. Il est interdit à tout conseil général de se remettre en correspondance avec un ou plusieurs conseils d'arrondissement ou de département.

En cas d'infraction à cette disposition, le conseil général sera suspendu par le préfet, en attendant que le roi ait statué. »

M. le Président. M. le comte Desroys propose d'ajouter à cet article un paragraphe ainsi conçu :

Il sera tenu un procès-verbal de chacune des séances du conseil, et ce procès-verbal sera lu et adopté au commencement de chaque séance. >>

La place naturelle de cet article additionnel était à l'article 13. La Chambre peut y revenir. Cet amendement n'a aucun inconvénient.

M. le baron de Barante, rapporteur. La commission n'en avait pas senti la nécessité, parce qu'elle n'avait pas pensé qu'il fût possible qu'un conseil général ne rédigeât pas ses déliberations. Voici l'objection de M. Desroys: il arrive que, dans plusieurs conseils généraux, on ne rédige le procès-verbal des délibérations qu'à la fin de la session, et puis on le signe pour ainsi dire en masse. M. le comte Desroys pense

que cette délibération serait plus soignée si elle était faite dans l'intervalle d'une séance à l'autre, et si, au commencement de chaque séance, on lisait le procès-verbal de celle qui précède. La commission ne croit pas devoir s'opposer à l'adoption de cet amendement.

M. le Président. La Chambre n'est plus en nombre.

(La séance est levée à cinq heures passées.)

CHAMBRE DES DÉPUTÉS.

PRÉSIDENCE DE M. DUPIN.

Séance du lundi 20 mai 1833.

La séance est ouverte à une heure et demie. Le procès-verbal est lu et adopté.

M. le Président. Je fais connaître à la Chambre que MM. de Schonen et de Belleyme demandent à donner lecture de propositions concernant les créanciers et les pensionnaires de la liste civile. La parole est à M. de Schonen pour la lecture de sa proposition.

M. de Schonen. J'ai l'honneur de faire à la Chambre la proposition suivante :

« Art. 1er. Il est ouvert au ministre des finances un nouveau crédit de 3 millions pour continuer le payement de ceux des créanciers de l'ancienne liste civile dont les titres auraient été vérifiés et reconnus légitimes, sans préjudice du recours de l'Etat, s'il y a lieu, contre qui de droit.

« Art. 2. Un crédit de 750,000 francs est également ouvert au ministre des finances, pour être distribué aux pensionnaires de l'ancienne liste civile les plus nécessiteux.

« Une commission nommée par le roi sera chargée de cette répartition.

« Tout pensionnaire qui, depuis le 1er août 1830, aurait pris part aux troubles de l'Ouest et du Midi, où qui aurait été condamné pour délits politiques, sera exclu du bénéfice de ce secours.

« Art. 4. Le ministre des finances présentera à la prochaine session des Chambres l'état détaillé des payements faits en vertu des articles 1 et 2 de la présente loi. »

Messieurs, je suis prêt à donner à cette proposition les développements dont elle est susceptible; mais si la Chambre ne juge pas à propos de m'entendre aujourd'hui, je la prie de vouloir bien fixer le jour où je pourrai présenter mes développements.

Voix diverses: Tout de suite! à l'instant même! D'autres voix Non! non! Demain! demain! M. de Belleyme. Avant de statuer sur la proposition de M. de Schonen, je demanderai à la Chambre de lui donner lecture de la mienne. (Parlez! parlez !)

« Art. 1er. Il est ouvert au ministre des finances un crédit provisoire de 3 millions, pour servir au payement des créanciers de l'ancienne liste civile dont les titres sont reconnus légitimes, sans préjudice du recours de l'Etat, s'il y a lieu, contre qui de droit.

«Art. 2. Un crédit provisoire de 800,000 francs est ouvert au ministre des finances pour servir au payement des pensionnaires de l'ancienne liste civile, notamment des pensionnaires à titre onéreux ou par suite de transaction, des anciens

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