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portion de la Chambre, une minorité, s'élevait pour cette opinion.

Qu'on ne dise pas que les pétitions partaient d'une couleur politique plutôt que de telle autre. Il est certain que dans un pays constitutionnel, là où le premier devoir du gouvernement est l'exécution franche et loyale des lois, quelle que soit la couleur politique, lorsqu'une réclamation est faite, si la Chambre pense qu'il y a eu violation de la loi lorsqu'il fallait rester dans le droit commun, son devoir est de renvoyer la pétition aux ministres, sinon de recourir à un acte plus expressif contre le ministre qui a violé la loi.

Telle n'a pas été votre pensée.

Il fallait, d'après certains orateurs, au milieu des agitations de la Vendée, faire traduire la duchesse de Berry sur les bancs d'une cour d'assises, la faire comparaître devant un jury, et là, le crime paraissant capital, faire réclamer, par l'organe du ministère public, une condamnation contre elle, sauf ensuite, a-t-on dit, à prononcer par voie de grâce; ou bien, si elle était acquittée, se déterminer à subir les conséquences de cet acquittement proclamé au milieu de la Vendée, après que l'accusée se serait présentée devant les tribunaux, non pas pour reconnaitre nos lois, mais pour les nier, non pas pour se justifier, mais pour proclamer ses prétendus droits.

Le gouvernement n'a pas cru qu'il fallut s'exposer à ces scandales; il a pensé que, relativement aux membres de la famille déchue, tout sortait du droit commun; il a pensé que, s'il est généralement vrai que le premier devoir d'un gouvernement, et surtout d'un gouvernement constitutionnel, était de maintenir la cité par la stricte exécution des lois, il est cependant vrai qu'il peut exister des circonstances, rares, extrêmement rares sans doute, où un gouvernement doit, sous sa responsabilité, en présence de tous les pouvoirs de l'Etat, prendre sur lui de mettre les intérêts du pays au-dessus de l'exécution de la loi.

Cette responsabilité, il est des cas où c'est un devoir de l'accepter.

Placé en présence des Chambres, lorsqu'il s'agissait d'un membre de cette famille déchue contre laquelle vous avez agi vous-mêmes par voie d'exception, le gouvernement a jugé que la détention de la duchesse de Berry ne devait pas être soumise aux formes légales.

Mais aussi voici l'engagement qu'il contractait à l'instant même : c'est que, lorsque les désordres auraient cessé, lorsque des circonstances de tout autre nature auraient frappé d'un arrêt définitif, bien plus fort, bien plus irrécusable qu'une décision de cour d'assises, l'existence politique de celle qui dans la Vendée avait tenté une chose impossible, le renversement du gouvernement que vous avez fondé, l'intérêt de l'Etat, qui avait ordonné la détention hors des formes légales, autoriserait la mise en liberté.

Telle a été la pensée du gouvernement, et telle a été la vôtre, j'ose le dire; telle a été celle de tous les amis du gouvernement et de l'ordre public.

Ce qui ne veut pas dire que le gouvernement proclame qu'il faut sortir de la Charte et violer les lois. Non! il faut que les lois soient exécutées, et s'il arrive un cas extraordinaire où le gouvernement soit obligé de se mettre au-dessus de l'exécution des lois, il faut qu'il proclame hautement les faits, qu'il présente nettement sa responsabilité au pays, et qu'il pénètre bien les

Chambres des motifs qui l'ont déterminé. Voilà ce que nous avons fait, voilà ce que nous faisons encore aujourd'hui.

Au moment où la duchesse de Berry a été arrêtée, je ne sais pas s'il aurait pu exister un ministère qui eût accepté cette responsabilité de la traduire sur les bancs d'une cour d'assises. Le gouvernement actuel ne l'a pas fait. L'autre responsabilité, il l'accepte, et il vous le déclare aujourd'hui comme il vous l'a déclaré dans la séance où vous passiez à l'ordre du jour sur les pétitions qui vous étaient adressées.

M. Mauguin. Il y a deux ans à peu près que, à l'occasion de visites domiciliaires ordonnées dans la Vendée, sans plaintes, sans instructions préalables, et par la voie inaccoutumée du télégraphe, un orateur monta à cette tribune, demanda compte au ministère de sa conduite, reconnut en principe que lorsque de grands dangers menaçaient l'Etat, les ministres pouvaient quelquefois, pour un instant, mais rarement, se mettre au-dessus de la loi, et qu'alors même ils devaient se présenter aux Chambres pour demander un bill d'indemnité. Cet orateur, c'était celui qui vous parle.

M. le garde des sceaux se chargea de la réponse. « Violer les lois, dit-il, sauf à demander ensuite un bill d'indemnité, les violer même pour un instant, c'est à cette tribune qu'on a osé tenir un pareil langage! on a voulu rendre la Chambre complice d'un pareil attentat! Non, la Chambre n'en sera pas complice; non, le gouvernement n'accepte pas le pouvoir qu'on lui donne, et toujours il respectera les lois. >>

Ces paroles, Messieurs, furent accompagnées des applaudissements d'une grande partie de la Chambre.

Si j'avais su que la discussion actuelle s'élevat aujourd'hui, je vous aurais rapporté le texte même des paroles de M. le garde des sceaux, et vous auriez vu que ma mémoire est fidèle. Il n'y a que peu de temps, d'ailleurs, que j'ai relu le discours que je vous cite.

Aujourd'hui nous entendons d'autres doctrines et un autre langage, il est des cas, dit-on, où le gouvernement doit se mettre au-dessus des lois.

Quant à moi, je ne change pas de principes: celui-là, je le reconnais encore; mais je dis qu'on ne doit se mettre au-dessus de la loi que rarement, que cela peut arriver une fois dans un règne; mais tous les jours!... il n'y a plus de lois alors. Vous voulez apprécier la légalité d'une mesure par son utilité prétendue y pensez-vous? le Comité de salut publie n'avait pas d'autres doctrines. L'intérêt public! il est toujours allégué par les partis, toujours les partis cachent derrière une pareille excuse et leurs violences et leurs crimes. Est-ce donc à de pareils moyens qu'un ministére doit descendre!...

Et lorsque par hasard, une fois dans un règne, il s'est écarté de la Constitution et des lois, qu'il vienne, humble et la tète baissée, demander grâce aux représentants du pays, qu'il obtienne le bill d'indemnité; sinon il reste coupable, et la culpabilité tôt ou tard pourra peser sur sa tête. On a prétendu que le bill d'indemnité avait été accordé. M. le garde des sceaux n'a pas été heureux tout à l'heure il oubliait ses principes, maintenant, il est contre les faits. Quoi done! oublie-t-il que la Chambre n'a pas voulu s'engager; que l'ordre du jour a été motivé par M. le président lui-même; que M. le président a dit: Il est entendu que la Chambre ne se lie

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pas, qu'elle n'approuve ni ne désapprouve »; que de toutes parts on s'est écrié : « Oui! oui! c'est entendu;» et qu'à l'instant même les ministres déclarèrent qu'ils agiraient sous leur responsabilité?

Aux extrémités: Oui! oui! c'est vrai!

M. Mauguin. Que les ministres ne se réfugient donc pas derrière le silence de la Chambre : s'ils ont violé les lois, aucune délibération n'a couvert leur responsabilité.

Peut-être me trouverez-vous sévère dans ce que j'exige de la part d'un ministère; je demande en effet des choses auxquelles nous sommes peu accoutumés je demande d'abord que la loi soit toujours respectée; je demande ensuite que dans ces actes un ministère fasse preuve de prévoyance, et qu'il n'entre jamais dans une affaire quelconque sans en prévoir et en calculer l'issue, autant du moins qu'il est permis à la prudence.

Dans toute l'affaire de la duchesse de Berry, il est quatre actes principaux à examiner. Voyons si nous pouvons les accorder, et si le ministère peut se vanter de quelque prévoyance.

La duchesse de Berry débarque auprès de Toulon l'avis en est donné, des ordres sont transmis par le télégraphe. Quels sont ces ordres? c'est de saisir la duchesse et de la transporter en Corse, pour ensuite la rendre à sa famille.

La presse, cependant examine la conduite du Ministère, et lui reproche de protéger ainsi la guerre civile, et de s'écarter des lois au profit de qui vient sur notre territoire attaquer le gou

vernement et les lois.

D'un autre côté, la duchesse de Berry est si bien surveillée par la police, qu'elle traverse le Midi sans même se cacher, et arrive dans la Vendée. Des soulèvements éclatent, la patrie est désolée du spectacle de la guerre civile.

Si vous consultez le premier acte, vous en conclurez peut-être que du moment où le gouvernement a su que la duchesse de Berry touchait le sol de la France, il avait pris le parti de ne point la traduire devant les tribunaux, mais de s'emparer de sa personne, et de la conduire dans un pays étranger.

Erreur!... Des poursuites sont commencées contre la duchesse de Berry; ces poursuites, il faut bien que le ministère en prenne la responsabilité. Nous savons ce qu'il fait vis-à-vis des fonctionnaires qui refusent de suivre ses volontés. Un mandat d'amener est lancé contre la duchesse de Berry, un arrêt de chambre d'accusation ordonne qu'elle sera traduite devant une cour d'assises.

Le ministère a donc changé de pensée; il avait voulu d'abord s'emparer seulement de la personne de la duchesse; maintenant, il veut qu'elle soit traduite devant les tribunaux et punie selon les lois.

Erreur encore! le ministère ne va pas si loin; il espérait sans doute que jamais la duchesse de Berry ne serait saisie, ou bien il a changé de pensée dans l'intervalle de quelques semaines.

Le ministère est reconstitué, il conserve la plupart de ses membres c'est toujours le même esprit, le même système. Bref, des mesures actives sont arrêtées, et la duchesse de Berry, que 3 mois de recherches, dit-on, n'avaient pu faire découvrir au bout de quinze jours, est captive.

Que va-t-on faire alors? va-t-on décider qu'elle sera, en vertu de la première ordonnance, remise à sa famille ? va-t-on décider qu'elle sera, en vertu de l'arrêt de la Chambre d'accusation, traduite en justice? Non!

on

Nouveau conseil, nouvelle délibération décide que ce n'est pas le gouvernement qui peut statuer sur le sort de la duchesse, que ce n'est pas non plus la justice que ce sont les Chambres. Une ordonnance est rendue en conséquence.

Voilà donc les Chambres qui peuvent être constituées juges du sort de la duchesse de Berry.

En aucune manière, Messieurs! les Chambres n'en connaîtront pas des pétitions sont faites qu'elle ne décide rien, qu'elle ne veut pas s'engager sur la question.

Le ministère alors agit à son gré, à sa volonté. la duchesse de Berry est embarquée, et renvoyée à Palerme.

Je demande à MM. les ministres s'il y a eu prévoyance de leur part, s'il y a eu fixité dans leur pensée.

Voici donc quelle est leur situation. Un arrêt de la cour royale est resté sans exécution. Pour la première fois, dans un pays constitutionnel, un arrêt de la puissance la plus haute, la plus inattaquable, la plus sainte d'après nos lois, un arrêt est violé par le pouvoir. Une ordonnance est également mise de côté. Que reste-t-il donc, je vous prie, si ce n'est la volonté capricieuse et changeante des ministres, si ce n'est, comme l'a dit un des préopinants, le despotisme ministériel? Ce n'est pas la loi qui nous régit, ce ne sont pas des ordonnances, ce ne sont pas des arrêts, c'est une volonté incertaine, imprévoyante, qui ne sait rien décider, rien calculer; qui repousse aujourd'hui ce qu'elle adoptait hier, adopte aujourd'hui ce qu'elle repoussera demain. Une telle administration sera toujours impuissante pour répandre quelques bienfaits sur le pays. Quand on juge de la conduite du ministère d'après les fautes qu'il a commises. dans plusieurs grandes affaires qui nous sont connues, on voit combien il doit commettre de fautes dans les affaires que nous connaissons peu ou que nous ne connaissons pas; évidemment il ne peut sortir avec avantage des grandes questions extérieures ou intérieures qui s'agitent aujourd'hui. Il marche au jour le jour, ne prévoit rien, change à chaque occasion de système et de pensée; on ne peut attendre de lui qu'une prolongation indéterminée de l'instabilité qui nous afflige.

Voix nombreuses : L'ordre du jour!

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. L'honorable orateur qui descend de cette tribune prétend que le ministère a hésité constamment sur cette question. Je puis affirmer que, pour mon compte au moins, je n'ai pas hésité un seul instant sur la conduite à tenir dans cette grave matière. Le jour où j'eus l'honneur d'être appelé aux conseils du roi, j'y ai trouvé la pensée arrêtée de terminer les troubles de la Vendée, en arrêtant la duchesse de Berry; j'y ai trouvé aussi la pensée bien arrêtée de ne pas la traduire devant les tribunaux. J'ai accepté sans crainte la responsabilité de cette arrestation, et je ne l'aurais pas acceptée s'il avait fallu donner au pays le scandale de traduire la duchesse de Berry devant une cour d'assises. (Aux centres: Très bien! murmures aux extrémités.)

ministre en convient, et j'entends une partie de cette Chambre dire très bien !

Vous exprimerez vos sentiments quand votre tour de parler sera venu; laissez-moi exprimer les miens avec la franchise que je dois à tout le monde.

Maintenant, il est vrai... (Nouvelle interruplion). M. le Président. Vous ne pouvez empêcher qu'on déclare ici nettement sa façon de penser, vous direz la vôtre.

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics. Il est vrai que la duchesse de Berry a été arrêtée sans les formalités légales; il est vrai qu'on avait donné des ordres pour qu'elle fût arrêtée de jour ou de nuit, sans l'intervention du magistrat. Les portes ont été forcées. En tout cela, on s'est mis au-dessus de la loi commune. La duchesse de Berry a été détenue sans jugement, cela est encore vrai; enfin elle est renvoyée aujourd'hui sans aucune formalité de la loi commune, cela n'est pas contesté. (Sensation.)

Où donc est la constitutionnalité, nous dit-on? elle est dans la franchise qui n'a cessé de présider dans toute cette affaire (Dénégations à droite), elle est dans les déclarations que nous n'avons cessé de faire à la Chambre. (Nouvelle interruption.) Vous voulez des explications, et m'interrompez quand je les donne sans rien dissimuler.

La preuve que nous n'avons jamais voulu soustraire cette grande question à la connaissance des Chambres, c'est que le jour même où la duchesse de Berry est arrêtée, nous décidons que la question sera renvoyée devant le pouvoir législatif. Mais quelles sont les véritables règles du gouvernement sous lequel nous vivons? Toute mesure législative qui exige le concours des trois pouvoirs exige le vote effectif de ces trois pouvoirs; car une loi ne peut recevoir d'existence que quand les trois pouvoirs ont statué sur cette loi.

Quant aux actes du gouvernement, nous en acceptons la discussion, nous les soumettons aux Chambres, nous agissons sous leur appellation directe ou indirecte. Voilà le gouvernement représentatif.

On ne peut nier qu'il n'y ait des circonstances où l'on est obligé, comme l'orateur qui m'a précédé l'a reconnu, de se mettre au-dessus de la loi commune. Alors il n'y a qu'une chose à faire, c'est de présenter les faits avec franchise et dé les livrer à la discussion. C'est ce que nous avons fait; nous avons exposé nos motifs, je ne crois pas qu'il soit nécessaire de recommencer. On est venu dire à la Chambre : Les ministres ont violé la loi, et la Chambre a passé à l'ordre du jour, ce qu'elle n'aurait pas fait si les ministres avaient été coupables. Si on nie que cet ordre du jour doive être interprété comme nous l'avons fait, je ne sais plus qu'une manière de procéder; la Chambre a ses droits, elle peut en user; mais ce n'est pas à nous à provoquer l'acte qu'elle peut faire.

Quand nous parlons de notre responsabilité, cela signifie que nous restons sur ces bases en présence de nos adversaires, attendant les conséquences de tout ce que nous avons fait, et l'attendant avec un calme parfait, avec la sécurité d'une bonne conscience; j'ose le dire, avec la certitude que, dans cette grande question, nous n'avons pas été inutiles à la sûreté et à la dignité du pays. (Très bien ! très bien ! Sensation prolongée.)

M. Garnier-Pagès. On a violé la loi. M. le

Au centre Oui, oui! très bien !

M. Garnier-Pagès. Je ne dirai qu'une chose : c'est que pour mon compte c'est au pays que je me suis adressé...

M. Thiers, ministre du commerce et des travaux publics: Et moi aussi !

M. Garnier-Pagès. Et non à une majorité qui dit très bien ! lorsqu'on viole la loi.

Au centre: A l'ordre! à l'ordre !

M. le Président. L'orateur demande à exprimer sa pensée.

M. Garnier-Pagès. Si une explication est nécessaire, je dirai que je serais heureux, dans l'intérêt du pays, qu'on me rappelât à l'ordre pour m'être trompé, s'il est vrai que la majorité n'ait pas dit: Très-bien !

Voix au centre : Oui, oui! très-bien !

M. Garnier-Pagès. De quoi se plaint-on ? La loi a été violée, l'opposition le dit, le Ministère en convient, et une partie de cette Chambre trouve que c'est très-bien!

M. le Président. On a entendu que vous disiez que la majorité disait toujours: Très-bien.

M. Garnier-Pagès. Je n'ai dit ni pu dire cela, après plusieurs votes importants, votes encore récents, et par lesquels la majorité s'est prononcée contre le Ministère.

On a demandé pourquoi je n'accuse pas les ministres. Je ne puis présenter une accusation devant une Chambre dont une partie considérable s'associe, par ses témoignages d'approbation, à la violation dont je me plains. Pour porter une accusation il faut avoir quelque chance de succès. Encore une fois, j'ai parlé non à la Chambre, mais au pays. (Murmures.)

M. le Président. La discussion est fermée. Au-dessus de ce qu'on veut appeler la majorité ou l'opposition, il y a la Chambre, et moi je ne vois jamais autre chose; il y a ses droits, ses prérogatives, ses devoirs, sa conduite, sur laquelle elle doit veiller elle-même aussi soigneusement que pourraient le faire de simples individus.

La Chambre se rappelle son précédent vote; je ne pense pas qu'elle veuille changer sa situation. D'ailleurs, aucune proposition n'est faite, je n'ai rien à mettre aux voix. C'est de plein droit que je déclare qu'elle passe à l'ordre du jour. (Adhé sion générale.)

La discussion est ouverte sur le budget du ministère de la marine pour 1834.

Chapitre Ier. Administration centrale, 760,700 f. M. Auguis. Messieurs, sans revenir sur la décision qu'a prise la majorité de cette Chambre, je vous déclare qu'en passant immédiatement à la discussion du budget de la marine, vous allez consacrer un principe sans exemple, c'est-à-dire, vous allez vous occuper d'une matière qui n'est pas à l'ordre du jour. Veuillez vous rappeler qu'il a été décidé que la discussion du budget de la marine viendrait immédiatement après celle du budget de la guerre. Sans vouloir indiquer ce moyen préjudiciel, je demande avec instance que les procès-verbaux de la Chambre soient consultés, et si cette circonstance s'y trouve consignée, je consens à ce que l'on passe sur-le-champ à la discussion du budget de la marine; mais s'il en est autrement, je déclare

que vous allez consacrer une des infractions les plus grandes.

M. le Président. La Chambre a déjà prononcé en ce qu'après une discussion préliminaire, j'ai mis aux voix si elle entendait entamer immédiatement la discussion du budget de la marine. C'est ce qu'elle a décidé affirmativement. D'ailleurs, vous devez être prêt, car vous êtes le seul inscrit depuis huit jours. (On rit.)

M. Auguis. Ce n'est que d'avant-hier. Si la majorité de la Chambre prononçait ex abrupto qu'un mode de gouvernement serait mis à la place d'un autre, vous rendriez-vous à sa décision? Voilà pourtant dans quelle voie vous allez Vous engager.

M. le Président. Je rappellerai que quelques orateurs ont voulu contester la mise à l'ordre du jour de la discussion du budget du ministère de la marine, que d'autres ont rappelé qu'il avait été arrêté que le budget de la marine viendrait après celui de la guerre, et qu'enfin, remontant plus haut, d'autres orateurs ont dit: La loi des dépenses est une loi unique. Votre règlement demande que les rapports soient soumis à la Chambre aussitôt qu'ils seront prêts. Par conséquent, ces rapports étant faits, on devait s'attendre à les voir discuter d'un instant à l'autre.

Je n'ai rien décidé; j'ai consulté la Chambre qui a décidé qu'il fallait examiner immédiatement le budget de la marine.

M. Anguis. Je demande la permission de répondre aux observations de M. le Président. (C'est une chose jugée !)

Je reconnais, avec M. le Président, que le budget des dépenses est général, qu'on ne peut voter que sur son ensemble; mais, d'autre part, je reconnais que vous devez suivre alors l'ordre dans lequel les rapports sont soumis à la Chambre. S'il en était ainsi, ce ne serait pas le budget de la marine que vous devriez discuter aujourd'hui, ce serait le budget du ministère du commerce et des travaux publics. En effet, lorsqu'il a été question d'assigner le jour où la Chambre s'occuperait de la discussion du budget du ministère du commerce, on a demandé, qu'au préalable, on discutât la loi sur les travaux publics à continuer ou à entreprendre. La Chambre en a décidé ainsi. La conséquence, maintenant que cette loi a été adoptée par la Chambre, est, il me semble, que vous devez passer immédiatement à la discussion du budget du ministère du commerce avec d'autant plus de raison que le rapport de ce ministère a été présenté au moins 12 jours avant celui du ministère de la marine. (La Chambre a décidé.)

M. de Rambuteau. Je crois que la mémoire de notre honorable collègue l'a mal servi; car le rapport du budget de la marine n'a été fait, par M. Charles Dupin, que 4 ou 5 jours après celui que j'ai déposé sur le ministère du commerce. D'ailleurs, je ferai observer qu'en ce moment, M. le ministre du commerce vient de nous faire remettre l'état des répartitions du budget, annexe de la loi que vous avez votée ces joursci. Cette annexe, formant un chapitre spécial du budget de son ministère, et la commission n'ayant encore pu l'examiner, c'est une chose sur laquelle la Chambre ne pourrait voter, si elle discutait aujourd'hui le budget de ce ministère. D'ailleurs, il y a décision pour le budget de la marine.

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M. Dugas-Montbel. Il faut mettre à la voile. M. Auguis. Le ministère de la marine se divise en deux parties bien distinctes : le personnel et le matériel. M. le ministre de la marine, dans le préliminaire placé en tête de son budget, vous a dit qu'il fallait au moins une somme annuelle de 4 millions en sus de la somme qui y figure, pour faire face aux dépenses du matériel.

M. le rapporteur, abondant dans les idées de M. le ministre, a établi des calculs qui constatent aussi que le matériel ne peut être mis en harmonie avec le personnel qu'autant que plus tard vous voteriez un supplément de crédit. J'ai dù rechercher quelles étaient les sommes que, dans les sessions précédentes, les Chambres avaient mises à la disposition de M. le ministre de la marine, tant pour faire face aux besoins du matériel que pour solder les frais du personnel. Pour suivre l'ordre adopté dans le budget, j'examinerai d'abord en peu de mots le personnel du ministère.

Je n'ai pas l'intention de reproduire à cette tribune les observations que j'ai eu l'honneur de vous soumettre dans les sessions précédentes. L'accueil peu favorable qu'elles ont reçu a été, il faut le dire, trop peu encourageant. Cependant vous conviendrez, Messieurs, que le conseil d'amirauté continuant à être composé comme par le passé, ce serait en approuver la composition que de n'en pas dire un mot. Je répondrai, à l'égard de ce conseil où l'on voit figurer plus d'hommes de plume que d'hommes de mer, que je désirerais qu'on adoptât la marche suivie en Angleterre, qu'on retirât les commis de la marine pour les remplacer, soit par des amiraux, soit par des capitaines de vaisseaux, soit par des commissaires généraux de la marine.

Je dirai ensuite que je vois figurer au nombre des membres de ce conseil d'amirauté un ingénieur qui figure en trois autres endroits du budget. Je demande à la Chambre si la même fonction peut être rétribuée à trois titres différents. M. Charles Dupin, rapporteur. Elle ne l'est qu'à un seul.

M. Auguis. Maintenant, passant au matériel et examinant les calculs de M. le rapporteur, je vous en présente une masse à mon tour. Vous verrez si par un juste emploi des sommes qui depuis 1817 ont été mises à la disposition du ministre de la marine, le matériel de ce ministère doit être dans l'état déplorable où nous le représentent M. le ministre et M. le rapporteur. J'examinerai d'abord quelle est la somme mise à la disposition du ministre de la marine pour les bois de construction. J'ai trouvé que depuis 1817, une somme de 94 millions avait été mise à la disposition du ministre de la marine pour bois de construction.

J'ai examiné, d'autre part, quel devait être le résultat de l'emploi d'une somme aussi considérable. Eh bien! il résulterait que si ces bois avaient été bien employés, 100 vaisseaux et 152 frégates auraient dù être construits, au lieu de 21 vaisseaux et 42 frégates.

Passant à la fourniture des chanvres; d'après un examen attentif des prévisions du budget et de la loi des comptes, qui nous a eté soumise, j'ai trouvé qu'une somme de 22 millions avait été affectée depuis 1817 à ce service.

J'ai également examiné dans quelle quantité les cuivres avaient été approvisionnés. Eh bien, d'après les sommes votées, et d'après l'examen

scrupuleux que j'en ai fait, je pose en fait, sans crainte d'être démenti, que moins du tiers de ces différents approvisionnements a été employé, que la cour des comptes a sans cesse exprimé le regret bien naturel qu'un compte de matières ne lui fut pas présenté de manière qu'on pùt faire une part rigoureuse des matières employées et des matières qui restent à employer. Mais, au contraire, dans ces comptes, lors de la dernière session, on a représenté ces valeurs réduites en argent. Il y a différence énorme de ces comptes en argent et des comptes en matières, c'est-àdire qu'il est impossible de représenter l'un par l'autre. En conséquence, je dis que si aujourd'hui le matériel du ministère de la marine est au-dessous de ce qu'il devrait être dans les proportions qui sont établies au préliminaire du budget et dans le rapport, c'est que véritablement il y a eu dilapidations ou mauvaise administration, ou défauts dans tous les genres.

Messieurs, à l'appui du budget de 1828, une brochure fut distribuée aux Chambres, sous le titre de Développements à l'appui du budget. Il y avait de singulières évaluations dans cette brochure, qui, je crois, était de M. le rapporteur. Il vous disait, par exemple, que les bâtiments à la mer ne pouvaient avoir une durée de plus de 14 années. Eh bien, acceptant même cette durée comme exacte, j'ai fait une revision de tous les bâtiments qui sont portés au budget, tels que vaisseaux, frégates, corvettes, bricks et goélettes, et j'ai trouvé que la plus grande partie étaient à flot depuis beaucoup plus de 14 ans. Quant aux autres, il n'y a que peu de temps qu'ils sont à la mer.

Je me suis demandé comment il se faisait que les sommes énormes que vous avez votées dans les sessions précédentes pour ces dépenses n'avaient pas reçu un emploi plus effectif. J'ai également trouvé que tel bâtiment figurait par exemple aux sessions de 1818, 1819 et 1820, pour un état d'avancement qui, dans les années suivantes, étaient portés à un chiffre bien moins élevé, c'est-à-dire que tantôt ils étaient au 18 ou 19/24°, et depuis au 16/24. Il y a dans ces évaluations une perturbation réelfement incroyable. Il est temps de porter le flambeau dans l'administration du matériel, surtout quand on examine que le minimum du budget de la marine a été d'abord de 50 millions, puis de 60 millions, de 63, de 65, et enfin de 91 millions dans une seule année, il est vrai.

Messieurs, j'ai examiné toutes les différentes parties du budget de ce ministère : il en résulte que les évaluations qui vous sout présentées doivent appeler l'examen le plus sévère. Il est temps de se rendre un compte exact de cette administration. Il est vrai qu'on vous a souvent dit qu'il était impossible de produire les comptes que vous aviez demandés. Comment se fait-il que M. le ministre de la marine ne puisse faire ce que fait très bien le ministre de la guerre? Le ministre de la guerre produit tous les ans un état des matières; la cour des comptes en fait un examen sévère et porte un jugement, et faut dire, à l'éloge du ministère de la guerre, ce jugement lui est toujours favorable, tandis que depuis plusieurs années la cour des comptes a porté un jugement extrêmement sévère sur plusieurs parties de l'administration de la marine, et a reconnu que c'était un dédale inextricable au milieu duquel elle ne pouvait ellemême se retrouver.

Il est différents articles du ministère de la

marine qui seraient également susceptibles d'un examen extrêmement sévère.

Les équipages de ligne qui sont une des plus importantes innovations sont traités avec une précision qui ne permet pas d'en avoir une idée exacte. D'après les calculs que j'ai faits, ces équipages devraient aujourd'hui se composer de 27 ou de 28,000 hommes; cependant, et dans le budget de la marine et dans le rapport à l'appui de ce budget, vous ne voyez figurer tout au plus que 17,000 hommes. Qu'est donc devenue la différence? Il serait important d'en instruire la Chambre; car, enfin, nous devons savoir à quoi l'on emploie les deniers publics. Il y a dans tout cela une obscurité dans laquelle nous devons pénétrer.

Quant aux travaux hydrauliques et aux autres travaux, je ne sais s'il en est aujourd'hui comme par le passé; mais je demande à la Chambre la permission de lui rappeler un fait qui n'est pas sans intérêt et qui vous donnera une idée de la manière dont certaines parties sont traitées.

Ainsi, par exemple, dans les développements qui sont placés en tête du budget de la marine pour 1828, on vous demande une somme de 70,000 francs qui devait être affectée aux réparations indispensables de l'hôtel de la marine au Havre. Ces réparations étaient si urgentes que, par anticipation, déjà une somme de 40,000 francs avait été employée.

Quel a été, Messieurs, l'étonnement de la Cour des comptes lorsqu'elle a appris que jamais il n'avait existé d'hôtel de la marine, que c'était simplement une maison tenue à loyer, et qui appartenait, je crois, à une dame Lecoq. Ainsi donc, cette dépense indispensable qui ne pouvait pas attendre la discussion du budget, n'existait réellement pas, puisque le bâtiment n'appartenait pas au ministère de la marine.

Dans la dernière session, je vous ai parlé du nombre de canons qui étaient à la disposition de la marine. M. le rapporteur, répondant aux observations que j'eus l'honneur de faire à la Chambre à cette occasion, déclara formellement que j'avais confondu les canons avec les caronnades, et que c'était là une confusion inexcusable; il voulut même me vouer au ridicule pour avoir confondu des choses qui étaient fort distinctes.

J'ai vérifié de nouveau le budget de 1821; j'ai fait la part des deux choses, et j'articule formellement à cette tribune, jusqu'à preuve matérielle du contraire, que j'ai eu raison dans le calcul que j'ai établi.

Il me reste maintenant à vous dire peu de mots sur le régime colonial.

Je me plais à croire que la loi qui a été adoptée dans la dernière session et qui règle ce régime ne tardera pas à recevoir son exécution. Cependant, je trouverai toujours un très grand inconvénient à ce que les troupes de guerre qui sont envoyées dans les colonies, soient mises à la disposition de M. le ministre de la marine.

Cet ordre de choses n'a pas toujours existé. Il fut un temps où ces troupes, quoique envoyées dans les colonies, restaient dans les attributions du ministère de la guerre. Depuis on en a décidé autrement; le ministère de la marine qui tend, comme tous les pouvoirs, à attirer à lui le plus d'attributions possibles, a été satisfait de pouvoir exercer son autorité sur les troupes que nous envoyons dans les colonies.

Il résulte de là un très grave inconvénient, surtout quand on songe que les gouverneurs de

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